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204. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 8 décembre 1761.



Sire,

Le conte que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer est bien écrit et bien versifié; mais il ne manque encore qu'une corde au violon, et l'habile artiste à qui il appartient en jouera encore parfaitement, et ne souffrira pas qu'on coupe les autres. C'est de quoi je suis très-assuré, et ce n'est pas sa faute si l'on a coupé la première.

Vos changements dans le Stoïcien sont plutôt des variantes que des corrections, car il y a des premiers vers que j'aime bien autant que les autres; enfin les uns et les autres sont fort bons.

J'ai trouvé deux endroits, dans les changements, qui ne me paraissent pas corrects :

J'ai vu George et Auguste, et le Czar, prince atroce.

J'ai vu George et Auguste, etc. Il y a là une espèce d'hiatus; George et va fort bien, mais et Auguste, malgré le t, qui ne se prononce pas dans le mot, forme une espèce d'hiatus; c'est là le défaut condamné par Boileau :a

Gardez qu'une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée.

Enfin, Sire, vous êtes maître en Jérusalem. Ce n'est pas à un petit scribe comme moi à condamner le grand maître du temple, à qui tous les mystères du sanctuaire sont connus; mais il me semble que ce vers devrait être changé.

Voici l'autre endroit où je trouve à redire; il ne s'agit point de poésie, mais de la construction grammaticale :

Quoi! ne voyez-vous point qu'ici-bas la fortune
Respecte ni vertu, ni pouvoir, ni naissance?


a Art poétique, chant Ier, vers 107 et 108.