<177>

125. AU MÊME.

Le 1er mai 1760, au camp de porcelaine (Schlettau, près de Meissen).

De crainte que vous n'accusiez, mon cher marquis, ma veine d'être tarie, je vous envoie un morceaua que j'ai travaillé ici. Vous verrez par là que nous nous préparons très-sérieusement aux combats, et que nous en voulons découdre à tout prix. Les Français ne feront pas la paix. Les dieux, pour rabattre la confiance que vous pourriez prendre dans votre âme lorsqu'elle s'exalte, ont, pour vous confondre, résolu que vos compatriotes feraient encore la guerre. Mais il se découvre une autre porte de salut dont j'espère que vous entendrez bientôt parler, et, pour le coup, il paraît que le destin n'a pas encore résolu notre perte. Je reprends courage, et j'espère encore me tirer de ce labyrinthe et me venger de mes persécuteurs. J'attends patiemment le catalogue des tableaux; cela ne laissera pas que de me distraire un moment, quand je le recevrai. Je vous l'avoue, j'ai encore besoin de quelque épisode agréable jusqu'au moment que ma délivrance arrive. Avez-vous envie de quelque porcelaine? Mandez-le-moi; je vous dois tant d'années de pension, que cela servira pour les intérêts.b Je puis vous en envoyer sans que cela me dérange en aucune manière. Laissez tirer à Voss autant d'exemplaires qu'il voudra de l'édition in-quarto; je ne lui demande que six exemplaires pour moi. Si la paix se fait un jour, et qu'elle devienne bonne, j'aurai de quoi faire composer de nouvelles estampes à Schmidt. Voilà, mon cher marquis, ma façon de penser. Avouez qu'au fond je suis une bonne créature, et que je ne mérite pas la persécution que je souffre


a Le marquis d'Argens faisait un fréquent usage de ce mot, et c'est par plaisanterie que Frédéric s'en sert à son tour, en annonçant à son ami l'envoi de l'Épître que nous avons imprimée t. XII, p. 170-173.

b Voyez t. XVIII, p. 171.