<198>Les nations qui ont joui de cette supériorité ont été reconnaissantes envers ceux qui leur ont procuré cet avantage. De là vient la juste réputation dont jouissent ces lumières de l'univers, ces sages qui, par leurs savants travaux, ont éclairé leurs compatriotes et leur siècle.

L'homme est peu de chose par lui-même; il naît avec des dispositions plus ou moins propres à se développer. Mais il faut les cultiver; il faut que ses connaissances se multiplient, pour que ses idées puissent s'étendre; il faut que sa mémoire se remplisse, pour que ce magasin fournisse à l'imagination des matières sur lesquelles elle puisse s'exercer, et que le jugement se raffine, pour trier ses propres productions. L'esprit le plus vaste, privé de connaissances, n'est qu'un diamant brut qui n'acquerra de prix qu'après avoir été taillé par les mains d'un habile lapidaire. Que d'esprits perdus ainsi pour la société, et que de grands hommes en tout genre étouffés dans leur germe, soit par l'ignorance, soit par l'état abject où ils se trouvaient placés!

Le véritable bien de l'État, son avantage et son lustre exigent donc que le peuple qu'il contient soit le plus instruit et le plus éclairé qu'il est possible, pour lui fournir, en chaque genre, un nombre de sujets habiles et capables de s'acquitter avec dextérité des différents emplois qu'il faut leur confier.

Ceux qui par le hasard de la naissance sont dans une position à ne pouvoir apprécier les torts infinis que souffrent plus ou moins tous les gouvernements européens par les fautes dont l'ignorance est cause, ne sentiront peut-être pas aussi vivement ces inconvénients que s'ils en avaient été les témoins. On pourrait rapporter une multitude de ces exemples, si la nature et l'étendue de ce discours ne nous resserraient dans de justes bornes. C'est la paresse qui dédaigne de s'instruire, c'est l'ignorance ambitieuse qui prétend à tout et qui est incapable de tout, qu'aurait dû fronder je ne sais quel énergumènea qui, ne débitant que de misérables paradoxes, a osé soutenir


a J.-J. Rousseau.