<155> venait annoncer inconsidérément le péril où elle se trouve, son esprit, agité, ému et bouleversé par la crainte de la mort, communiquant au sang un mouvement trop impétueux, en hâterait peut-être le moment; au lieu de cela, si on lui faisait entrevoir des espérances pour son rétablissement, la tranquillité de son âme pourrait peut-être aider les remèdes à opérer son rétablissement. Que gagnerait-on à détromper un homme que les illusions rendent heureux? Il en arriverait comme à ce médecin qui, après avoir guéri un fou, lui demandait son salaire. Le fou lui répondit qu'il ne lui donnerait rien, car, pendant la perte de son bon sens, il s'était cru en paradis, et l'ayant recouvré, il se trouvait en enfer.a Si, lorsque le sénat apprit que Varron avait perdu la bataille de Cannes, les patriciens avaient crié dans le Forum : Romains, nous sommes vaincus, Annibal a totalement défait nos armées! ces paroles indiscrètes auraient tellement augmenté la terreur du peuple, qu'il aurait abandonné Rome comme après la perte de la bataille de l'Allia, et c'en aurait été fait de la république. Le sénat, plus sage, en dissimulant cette infortune, ranima le peuple à la défense de la patrie, il recruta l'armée, il continua la guerre, et à la fin les Romains triomphèrent des Carthaginois. Il paraît donc constant qu'il faut dire la vérité avec discrétion, jamais mal à propos, et choisir surtout le temps qui lui est le plus convenable.

Si je voulais relancer l'auteur partout où je crois m'apercevoir de quelque inexactitude, je pourrais l'attaquer sur la définition qu'il nous donne du mot paradoxe. Il prétend que ce mot signifie toute opinion qui n'a pas été adoptée, mais qui peut être reçue; au lieu que l'idée ordinaire attachée à ce mot est celle d'une opinion contraire à quelque vérité d'expérience. Je ne m'arrête point à cette bagatelle; mais je ne saurais m'empêcher d'avertir ceux qui prennent le nom de philosophes que leurs définitions doivent être justes, et qu'ils ne doivent se servir des mots que dans leur acception ordinaire.


a Voyez t. VIII, p. 46. Cette anecdote est racontée par Boileau, satire IV, v. 103.