<118>Nous sommes, il est vrai, une espèce de végétaux, en comparaison des Français; aussi n'avons-nous produit ni Jérusalem délivrée, ni Henriade. Depuis que l'empereur Charlemagne s'avisa de nous faire chrétiens en nous égorgeant, nous le sommes restés; à quoi peut-être a contribué notre ciel toujours chargé de nuages, et les frimas de nos longs hivers.

Enfin prenez-nous tels que nous sommes. Ovide s'accoutuma bien aux mœurs des peuples de Tomes; et j'ai assez de vaine gloire pour me persuader que la province de Clèves vaut mieux que le lieu où le Danube se jette par sept bouches dans la mer Noire.a Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

390. AU MÊME.b

(Août 1766.)

Je crois que vous avez déjà reçu les lettres que je vous ai écrites sur le sujet des émigrants. Il ne dépend que des philosophes de partir, et d'établir leur séjour dans le lieu de mes États qui leur conviendra le mieux. Je n'entends plus parler de Tronchin;c je le crois parti, et, supposé qu'il soit encore ici, cela ne le rendra pas plus instruit de ce qui se passe chez moi et de ce que je vous écris. Quant à ceux de Berne,d je suis très-résolu à les laisser brûler des livres, s'ils y


a

Par sept bouches l'Euxin reçoit le Tanaïs.

Boileau,

Art poétique

, chant III, v. 138.

b Cette lettre est tirée des Œuvres posthumes, t. X, p. 7-12.

c Fils du célèbre médecin de Genève. Voyez ci-dessus, p. 22, 32, 46, 52, 59, 66 et 103.

d On avait brûlé à Berne l'Abrégé de l'Histoire ecclésiastique de Fleury, avec la Préface du Roi. Voyez t. VII, p. VI et VII.