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306. DU MÊME.

Potsdam, 14 décembre 1767.



Sire,

J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté des vers qu'on débite sous mon nom à Potsdam et à Berlin. Je voudrais les avoir faits, parce qu'ils sont excellents, dignes de Voltairea ou de vous; et, si vous n'y étiez pas loué, je croirais que vous en êtes l'auteur, car je ne connais personne, dans ce pays, capable d'en écrire de pareils. Si vous ne les trouvez pas bons, je dirai alors :

En vain contre le Cid un ministre se ligue, etc.b

VERS AU ROI DE PRUSSE.

La mère de la Mort, la Vieillesse tremblante,
A de ses bras d'airain courbé mon faible corps,
Et des maux qu'elle entraîne une suite effrayante
De mon âme immortelle attaque les ressorts.
Je brave tes assauts, redoutable Vieillesse,
Je vis auprès d'un sage, et je ne te crains pas;
Il te prêtera plus d'appas
Que le plaisir trompeur n'en donne à la jeunesse.
Il te prêtera plus d'appas
Coulez, mes derniers jours, sans trouble et sans terreur;
Il te prêtera plus d'appas
Coulez près d'un héros dont le mâle génie
Vous fait goûter en paix le songe de la vie,
Et dépouille la mort de ce qu'elle a d'horreur.
Ma raison, qu'il éclaire, en est plus intrépide;
Mes pas, par lui guidés, en sont plus affermis.


a Les Vers au roi de Prusse sont en effet de Voltaire, et furent adressés à Frédéric, le 3 octobre 1761, en réponse à l'Ode à Voltaire. Qu'il prenne son parti sur les approches de la vieillesse et de la mort. Voyez t. X, p. 52-54.

b Boileau dit, dans sa

IXe Satire

, v. 231 et 232 :

En vain contre le Cid un ministre se ligue.
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.