<272> lui font erreur. J'aurais à citer quantité d'exemples que l'histoire fournit des faux raisonnements et de la mauvaise dialectique de ceux qui gouvernent les États, et on trouverait, si l'on y prenait bien garde, que la façon différente d'envisager les objets, les préjugés, les passions, quelquefois un excès de raffinement, pervertissent ce bon sens naturel qui semble le partage de tous les hommes, au point que les uns rejettent avec mépris ce que les autres désirent avec chaleur. Vous n'avez qu'à donner de l'étendue à ces réflexions et les appliquer à ce que vous m'écrivez, pour deviner tout ce que je pourrais vous dire sur ce sujet.

Je suis fâché que vous n'ayez pas continué à prendre tranquillement vos eaux à Sans-Souci. Quoique votre inquiétude soit une marque de la part que vous prenez à ma situation, je crains qu'elle ne vous fasse tort, sans que cette inquiétude change en rien la suite des événements de cette campagne, que le docteur Panglossa vous dira nécessaires dans le meilleur des mondes possibles. Nous touchons au moment où le nœud de la pièce va se débrouiller, et où tout entrera en action. Souvenez-vous des vers de Lucrèce, ce poëte philosophe :

Heureux qui, retiré dans le temple du sage,
Voit tranquille à ses pieds la tempête et l'orage, etc.b

Vous savez le reste. C'est l'affaire de cent dix jours jusqu'au mois de novembre; il faut les passer avec fermeté et avec une héroïque indifférence. Relisez Épictète et les Réflexions de Marc-Antoine;c ce sont des toniques pour les fibres relâchées de l'âme.

J'ai pris ici toutes les mesures que j'ai jugées propres pour me bien défendre. M. Kaunitz se prépare à me livrer des assauts redoublés.


a Le docteur Pangloss est un des principaux personnages de Candide, ou l'Optimisme, roman de Voltaire, 1759. Voyez la lettre de Frédéric à Voltaire, du 28 avril 1759.

b Voyez t. XI, p. 53, t. XVIII, p. 128, et ci-dessus, p. 213.

c Sans doute Marc-Aurèle Antonin. Voyez t. VII, p. V et 119