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169. AU MARQUIS D'ARGENS.

Le 7 octobre 1760 (avril 1761).

Gotzkowsky vient, mon cher marquis, de me rendre votre lettre. Ne soyez pas en peine de ma bonne ville de Berlin; on a pourvu à tout, et les bourgeois ne seront molestés en rien.a Je voudrais qu'on pût terminer de même des affaires plus importantes qui m'inquiètent. Cependant nous venons de prendre encore un colonel, cent hommes et quatre canons aux cercles. Ils sont à présent entièrement expulsés de la Saxe. Nos hussards ont fait des merveilles. Ces petits succès, mon cher marquis, font que je m'applique ce proverbe latin : Maximus in minimis et minimus in maximis.b L'expédition de la Hesse échoue, et nous nous applaudissons beaucoup d'une centaine de galeux et de quelques coulevrines que nous avons pris. Nos nouvelles levées vont assez bien. Reste à savoir si le Du Moulin en a menti en Suède, ou s'il y a dit vrai. S'il a menti, moi, à la tête de mes décrotteurs, de mes ramoneurs de cheminée, de mes larrons de bataillons francs, je me battrai comme un preux chevalier. Si Du Moulin a dit vrai, j'écrirai sur mon épée : Point homicide ne seras,c et je m'en retournerai à ma charrue comme Quinctius Cincinnatus. Avouez, marquis, qu'un petit trait d'érudition et quelques mots latins donnent de la grâce au style. Un ignorant se pâme d'aise lorsqu'il peut se donner un air scientifique. Quand je suis assez heureux que d'accrocher quelque passage latin, je compare aussitôt mes lettres à celles d'Algarotti,d et


a Le Roi paya lui-même, pour soulager sa capitale, cette contribution, qui était de deux millions. Voyez, aux archives de la ville de Berlin, sa lettre au conseiller intime Kircheisen, président de la ville, en date de Meissen, 7 avril 1761.

b Voyez ci-dessus, p. 217.

c Voyez t. III, p. 15.

d Voyez t. XVIII, p. 54, 62, 72, 76, etc.