<142> fait assez ouvrir les yeux pour prendre pour argent comptant les louanges qui ne m'appartiennent pas.

La campagne présente est une école où l'on a pu profiter de la confusion et du désordre qui règne dans cette armée; elle a été un champ très-stérile en lauriers, et ceux qui ont été accoutumés d'en cueillir toute leur vie, et dans dix-sept occasions distinguées, n'y ont pu atteindre cette fois-ci. Nous autres espérons tous ensemble, l'année qui vient, fréquenter les bords de la Moselle; nous y trouverons les lauriers que le Rhin nous a ingratement refusés, comme aux derniers défenseurs de ses rives. Il y a à présent trois semaines que nous sommes au camp; cependant l'inaction du prince lui a l'ait plus d'honneur dans cette occasion que tous les mouvements qu'il aurait pu faire, le grand jeu des Français étant de lui faire abandonner le Necker, et de prendre le poste que nous occupons. Je crains que vous ne vous imaginiez, cher ami, que je m'en vais chausser ici le cothurne tragique et, en petit Eugène, condamner la conduite de l'un et observer les fautes de l'autre, ensuite, m'érigeant en juge, prononcer d'un ton doctoral en sentence ce que chacun aurait dû faire. Non, mon cher Camas, loin de porter l'arrogance jusqu'à ce point, j'admire la conduite de notre chef, et je ne désapprouve point celle de son digne adversaire; et je tâche en mon petit particulier de mettre à profit ce qui, je crois, peut me servir dans le métier que j'ai embrassé; et bien loin de perdre l'estime et la considération due à des gens qui, après avoir été criblés de coups, ont acquis, à force de services et d'années, une expérience consommée, je les entendrai plus volontiers que jamais, comme mes docteurs, m'enseigner la route la plus assurée pour parvenir à la gloire, et le chemin le plus court pour approfondir le métier. Vous voyez par là, mon cher Camas, combien je ferai cas de vos leçons; après les avoir pratiquées, elles pourront me faire mériter les louanges que vous me donnez.

Adieu, cher ami; je crois vous avoir bien ennuyé par ce long dia-