<209>objet des plus importants que la conservation des bonnes mœurs dans leur intégrité; le souverain peut y contribuer beaucoup en distinguant et récompensant les citoyens qui ont fait des actions vertueuses, en témoignant du mépris pour ceux dont la dépravation ne rougit plus de ses déréglements. Le prince doit désapprouver hautement toute action déshonnête, et refuser des distinctions à ceux qui sont incorrigibles. Il est encore un objet intéressant qu'il ne faut pas perdre de vue, et qui, s'il était négligé, porterait un préjudice irréparable aux bonnes mœurs : c'est quand le prince distingue trop des personnes qui, sans mérite, possèdent de grandes richesses. Ces honneurs prodigués mal à propos confirment le public dans le préjugé vulgaire qu'il suffit d'avoir du bien pour être considéré. Dès lors l'intérêt et la cupidité secouent le frein qui les retenait; chacun veut accumuler des richesses; on emploie les voies les plus iniques pour les acquérir; la corruption gagne, elle s'enracine, elle devient générale; les hommes à talents, les hommes vertueux sont méprisés, et le public n'honore que ces bâtards de Midas dont la grande dépense et le faste l'éblouissent. Pour empêcher que les mœurs nationales ne se pervertissent jusqu'à cet horrible excès, le prince doit être sans cesse attentif à ne distinguer que le mérite personnel et à ne témoigner que du mépris pour l'opulence sans mœurs et sans vertus. Au reste, comme le souverain est proprement le chef d'une famille de citoyens, le père de ses peuples, dans toutes les occasions il doit servir de dernier refuge aux malheureux, tenir lieu de père aux orphelins, secourir les veuves, avoir des entrailles pour le dernier misérable comme pour le premier courtisan, et répandre des libéralités sur ceux qui, privés de tout secours, ne peuvent trouver d'assistance que par ses bienfaits.

Voilà, selon les principes que nous avons établis au commencement de cet Essai, l'idée exacte qu'on doit se former des devoirs d'un souverain et de la seule manière qui peut rendre bon et avantageux le gouvernement monarchique. Si bien des princes ont une conduite différente, il faut l'attribuer au peu de réflexion qu'ils ont fait sur leur institution et sur les devoirs qui en dérivent. Ils ont porté une charge dont ils ont méconnu le poids et l'importance, ils se sont fourvoyés faute de connaissances,