<210>car dans nos temps l'ignorance fait commettre plus de fautes que la méchanceté. Cette esquisse de souverain paraîtra peut-être aux censeurs l'archétype des stoïciens, l'idée du sage qu'ils avaient imaginé, qui n'exista jamais, et dont le seul Marc-Aurèle approcha le plus près. Nous souhaitons que ce faible essai soit capable de former des Marc-Aurèles; ce serait la plus belle récompense à laquelle nous pussions nous attendre, et qui ferait en même temps le bien de l'humanité. Nous devons cependant ajouter à ceci qu'un prince qui fournirait la carrière laborieuse que nous avons tracée ne parviendrait pas à une perfection entière, parce qu'avec toute la bonne volonté possible, il pourrait se tromper dans le choix de ceux qu'il emploierait à l'administration des affaires; parce qu'on pourrait lui représenter les choses sous un faux jour; que ses ordres ne seraient pas exécutés ponctuellement; qu'on voilerait des iniquités de façon qu'elles ne parviendraient pas à sa connaissance; que des employés durs et entiers mettraient trop de rigueur et de hauteur dans leur gestion; enfin, parce que, dans un pays étendu, le prince ne saurait être partout. Tel est donc et sera le destin des choses d'ici-bas, que jamais on n'atteindra au degré de perfection qu'exige le bonheur des peuples, et qu'en fait de gouvernement, comme pour toute autre chose, il faudra se contenter de ce qui est le moins défectueux.