<71>établir sa résidence dans ses nouveaux États. Ceci n'est point cruel, et paraît même assez bon à quelques égards; mais l'on doit considérer que la plupart des États des grands princes sont situés de manière qu'ils ne peuvent pas trop bien en abandonner le centre sans que tout l'État s'en ressente; ils sont le premier principe d'activité dans ce corps, ainsi ils n'en peuvent quitter le centre sans que les extrémités ne languissent.

La troisième maxime de politique est, « Qu'il faut envoyer des colonies pour les établir dans les nouvelles conquêtes, qui serviront à en assurer la fidélité. » L'auteur s'appuie sur la pratique des Romains; mais il ne songe pas que si les Romains, en établissant des colonies, n'avaient pas aussi envoyé des légions, ils auraient bientôt perdu leurs conquêtes; il ne songe pas que, outre ces colonies et ces légions, les Romains savaient encore se faire des alliés. Les Romains, dans l'heureux temps de la république, étaient les plus sages brigands qui aient jamais désolé la terre; ils conservaient avec prudence ce qu'ils acquirent avec injustice; mais enfin il arriva à ce peuple ce qui arrive à tout usurpateur : il fut opprimé à son tour.

Examinons à présent si ces colonies pour l'établissement desquelles Machiavel fait commettre tant d'injustices à son prince, si ces colonies sont aussi utiles que l'auteur le dit. Ou vous envoyez dans le pays nouvellement conquis de puissantes colonies, ou vous y en envoyez de faibles. Si ces colonies sont fortes, vous dépeuplez votre État considérablement, et vous chassez un grand nombre de vos nouveaux sujets, ce qui affaiblit vos forces. Si vous envoyez des colonies faibles dans ce pays conquis, elles vous en garantiront mal la possession; ainsi vous aurez rendu malheureux ceux que vous chassez, sans y profiter beaucoup.

On fait donc bien mieux d'envoyer des troupes dans les pays que l'on vient de se soumettre, lesquelles, moyennant la discipline et le bon ordre, ne pourront point fouler les peuples, ni être à charge aux villes où on les met en garnison. Cette politique est meilleure, mais elle ne pouvait être connue du temps de Machiavel : les souverains n'entretenaient point de grandes armées : les troupes n'étaient pour la plupart qu'un amas de bandits, qui pour l'ordinaire ne vivaient que de violences et de rapines; on ne