<72>connaissait point alors ce que c'était que des troupes continuellement sous le drapeau en temps de paix, des étapes, des casernes, et mille autres règlements qui assurent un État pendant la paix, et contre ses voisins, et même contre les soldats payés pour le défendre.

« Un prince doit attirer à lui et protéger les petits princes ses voisins, semant la dissension parmi eux afin d'élever ou d'abaisser ceux qu'il veut. » C'est la quatrième maxime de Machiavel, et c'est ainsi qu'en usa Clovis, le premier roi barbare qui se fit chrétien. Il a été imité par quelques princes non moins cruels; mais quelle différence entre ces tyrans et un honnête homme qui serait le médiateur de ces petits princes, qui terminerait leurs différends à l'amiable, qui gagnerait leur confiance par sa probité, et par les marques d'une impartialité entière dans leurs démêlés et d'un désintéressement parfait pour sa personne! Sa prudence le rendrait le père de ses voisins au lieu de leur oppresseur, et sa grandeur les protégerait au lieu de les abîmer.

Il est vrai, d'ailleurs, que des princes qui ont voulu élever d'autres princes avec violence se sont abîmés eux-mêmes; notre siècle en a fourni deux exemples. L'un est celui de Charles XII, qui éleva Stanislas sur le trône de Pologne, et l'autre est plus récent.a Je conclus donc que l'usurpateur ne méritera jamais de gloire, que les assassinats seront toujours abhorrés du genre humain, que les princes qui commettent des injustices et des violences envers leurs nouveaux sujets s'aliéneront tous les esprits au lieu de les gagner, qu'il n'est pas possible de justifier le crime, et que tous ceux qui en voudront faire l'apologie raisonneront aussi mal que Machiavel. Tourner l'art du raisonnement contre le bien de l'humanité, c'est se blesser d'une épée qui ne nous est donnée que pour nous défendre.


a Voyez t. II, p. 5.