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31. DU MÊME.

(Cirey) 24 octobre 1737.

Monseigneur, l'admiration, le respect, la reconnaissance, souffrez que je dise encore le tendre attachement pour V. A. R., ont dicté toutes mes lettres, et ont occupé mon cœur. La douleur la plus vive vient aujourd'hui se mêler à ces sentiments. Voici un extrait de la lettre que je reçois, dans le moment, d'un homme aussi attaché que moi à V. A. R. Cet extrait parlera mieux que tout ce que je pourrais dire.

Comme je n'ai aucune connaissance de ce dont il s'agit que par la lettre de M. Thieriot, je ne peux que montrer ici à V. A. R. l'accablement où je suis. Vous voyez les choses de plus près, monseigneur, et vous seul pouvez savoir ce qu'il convient de faire. Je voudrais bien que l'auteur d'un pareil libelle fût exemplairement puni; mais probablement le mépris dû à cette infamie aura sauvé le coupable, que d'ailleurs son obscurité et sa bassesse mettent sans doute en sûreté. Peut-être le Roi votre père ignore-t-il cette sottise; rarement les injures de la canaille parviennent-elles jusqu'aux oreilles des rois; et, si elles se font entendre, c'est un bourdonnement d'insectes qui est presque toujours négligé, parce qu'il ne peut ni nuire ni choquer. Un coquin obscur peut bien faire une satire punissable; mais il ne peut offenser un souverain. Quand un misérable est assez fou pour oser faire un libelle contre un roi, ce n'est pas le roi qu'il outrage, c'est uniquement le nom de celui sous lequel il se cache pour donner cours à son libelle. La clémence du Roi votre père peut pardonner au satirique; mais sa justice ne laisserait pas en paix le calomniateur, s'il était connu.

Pour moi, monseigneur, j'avoue que je suis aussi sensiblement affligé que si on m'accusait d'avoir manqué personnellement à V. A. R. : et n'est-ce pas en effet s'attaquer à votre personne que de manquer de respect au Roi? Peut-être la chose dont je vous parle est inconnue; peut-être, si elle a été connue, elle a déjà le sort de tout mauvais libelle, d'être oublié bien vite. Mais enfin j'ai cru qu'il était de mon devoir de vous en avertir.

<113>Je ne songe au reste, monseigneur, dans les moments de relâche que me donne ma mauvaise santé, qu'à me rendre un peu moins indigne de vos bontés, en étudiant de plus en plus des arts que vous protégez, et que vous daignez cultiver vous-même. Je regarde la vie que mène V. A. R. comme le modèle de la vie privée; mais, si jamais vous étiez sur le trône, les rois devraient faire alors ce que nous faisons à présent, nous autres petits particuliers, prendre exemple de vous.

Madame la marquise du Châtelet est aussi sensible à l'honneur de votre souvenir qu'elle en est digne. Son âme pense en tout comme la vôtre. Nous étions faits pour être vos sujets. Je suis persuadé que, si vous regardiez bien dans vos titres, vous verriez que le marquisat de Cirey est une ancienne dépendance du Brandebourg; cela est plus sûr que la fondation de Remusberg par Rémus.

Nous sommes toujours incertains si le paquet d'octobre, pour V. A. R., et celui pour votre aimable ambassadeur, sont parvenus à votre adresse.

Je suis avec le plus profond respect et avec l'attachement le plus inviolable et le plus tendre, etc.