<64>nombres, et ils ne tiraient aucun profit de la courte et brève durée de la vie.

Que j'approuve un philosophe qui sait se délasser auprès d'Émilie! Je sais bien que je préférerais infiniment sa connaissance à celle du centre de gravité, de la quadrature du cercle, de l'or potable, et du péché contre le Saint-Esprit.

Vous parlez, monsieur, en homme instruit sur ce qui regarde les princes du Nord. Ils ont incontestablement de grandes obligations à Luther et à Calvin (pauvres gens d'ailleurs), qui les ont affranchis du joug des prêtres et de la cour romaine, et qui ont augmenté considérablement leurs revenus par la sécularisation des biens ecclésiastiques. Leur religion cependant n'est pas purifiée de superstitieux et de bigots. Nous avons une secte de béats qui ne ressemblent pas mal aux presbytériens d'Angleterre, et qui sont d'autant plus insupportables, qu'ils damnent avec beaucoup d'orthodoxie, et sans appel, tous ceux qui ne sont pas de leur avis. On est obligé de cacher ses sentiments pour ne se point faire d'ennemis mal à propos. C'est un proverbe commun, et qui est dans la bouche de tout le monde, de dire : Cet homme n'a ni foi ni loi. Cela vaut seul la décision d'un concile. On vous damne sans vous entendre, et on vous persécute sans vous connaître. D'ailleurs, attaquer la religion reçue dans un pays, c'est attaquer dans son dernier retranchement l'amour-propre des hommes, qui leur fait préférer un sentiment reçu et la foi de leurs pères à toute autre créance, quoique plus raisonnable que la leur.

Je pense comme vous, monsieur, sur M. Bayle. Cet indigne Jurieu, qui le persécutait, oubliait le premier devoir de toute religion, qui est la charité. M. Bayle m'a paru d'ailleurs d'autant plus estimable, qu'il était de la secte des académiciens, qui ne faisaient que rapporter simplement le pour et le contre des questions, sans décider témérairement sur des sujets dont nous ne pouvons découvrir que les abîmes.

Il me semble que je vous vois à table, le verre à la main, vous ressouvenir de votre ami. Il m'est plus flatteur que vous buviez à ma santé que de voir ériger en mon honneur les temples qu'on érigeait à Auguste. Brutus se contentait de l'approbation de Caton; les suffrages d'un sage me suffisent.