<54>J'apprends de mon maître Épicure
Que du temps la cruelle injure
Dissout les êtres composés;
Que ce souffle, cette étincelle,
Ce feu vivifiant des corps organisés,
N'est point de nature immortelle.
Il naît avec le corps, s'accroît dans les enfants,
Souffre de la douleur cruelle;
Il s'égare, il s'éclipse, il baisse avec les ans;
Sans doute il périra quand la nuit éternelle
Viendra pour nous voiler l'empire des vivants.
Je vois, quand l'âme est éclipsée,
Qu'il n'est plus hors des sens mémoire ni pensée,
Et que l'instant qui suit la mort
Se trouve en un parfait rapport
Avec le temps dont l'existence
A précédé notre naissance.
Ainsi par un ancien accord
Tout homme est obligé de rendre
Au sein divers des éléments
Ces principes moteurs, invisibles agents
Que la nature avait su prendre
Pour former la texture et le jeu de nos sens.
Tout disparaît enfin de ce songe bizarre;
Mégère, Tisiphone et le sombre Tartare,
La vérité détruit ces fantômes savants;
Lieux que la vengeance prépare,
Vous êtes vides d'habitants.
Ainsi donc, cher ami, d'avance je m'attends
Que ton esprit un peu profane
Ne prendra pas le ton des mystiques pédants
Dont la rigidité condamne
Tous sentiments hardis, des leurs trop différents.
Je ne m'étonne point, d'Argens,
Que ta sagesse aime la vie;
Enfant des arts et d'Uranie,
Bercé par la douceur des chants