<269> faudra que je renonce au système d'indépendance que je m'étais si commodément arrangé, et que vos arguments vainqueurs m'obligeront de me tracer un nouveau plan de conduite plus conforme aux devoirs de ma condition que celui que j'avais suivi jusqu'à présent.

Mais il s'élève sans cesse de nouveaux doutes en mon esprit. Vous êtes le médecin auquel je confie les maux de mon âme; c'est à vous à les guérir. Vous m'avez parlé d'un pacte social; personne ne me l'a fait connaître. Si ce contrat existe, jamais je ne l'ai signé. Selon vous, je suis engagé avec la société; je l'ignore. Je dois acquitter selon vous une dette; à qui? A la patrie. Pour quel capital? Je n'en sais rien. Qui m'a prêté ce capital? quand? où est-il? D'ailleurs je conviens avec vous que si tout le monde demeurait oisif et désœuvré, notre espèce périrait nécessairement; c'est toutefois ce qu'on n'a pas à craindre, parce que le besoin contraint le pauvre au travail, et que si quelque riche s'en dispense, cela ne tire guère à conséquence. Selon vos principes, tout serait en action dans la société, tout agirait, tout travaillerait. Un État de cette espèce serait pareil à ces ruches d'abeilles où chaque mouche est occupée, l'une à distiller le suc des fleurs, l'autre à pétrir le miel dans les alvéoles, et une troisième à la propagation de l'espèce, et où l'on ne connaît de crime irrémissible que l'oisiveté. Vous voyez que j'y procède de bonne foi. Je ne vous cache rien, je vous expose tous mes doutes. J'ai de la peine à me défaire si promptement de mes préjugés, s'ils sont tels. La coutume, cette maîtresse impérieuse des hommes, m'a façonné à certain genre de vie auquel je suis attaché; peut-être qu'il faudra me familiariser davantage avec les idées nouvelles que vous me présentez; je vous avoue que j'ai encore quelque répugnance à plier sous le joug que vous m'imposez. Renoncer à ma tranquillité, vaincre ma paresse, cela demande de terribles efforts; m'occuper sans cesse des affaires d'autrui, me tracasser pour le bien public, cela m'effarouche. Aristide, Thémistocle, Cicéron, Régulus, me présentent sans doute