<268>ment bouleversées ne lui offrent plus de but sur lequel elle puisse diriger ses coups. Oui, vous l'avez résolu, vous voulez à toute force que j'aime, que je serve, que je sois attaché à ma patrie, et vous me pressez de telle sorte, que je ne sais presque plus comment vous échapper. Cependant on m'a parlé de je ne sais quel encyclopédiste qui a dit que la terre est l'habitation commune des êtres de notre espèce, que le sage est citoyen du monde, et qu'il est partout également bien. J'entendis, il y a quelque temps, un homme de lettres disserter sur ce sujet; je me plaisais à l'écouter; tout ce qu'il disait s'insinuait avec tant de facilité dans mon esprit, qu'il me semblait l'avoir imaginé moi-même. Ces idées élevaient mon âme; ma vanité se complaisait quand je pensais que, cessant d'être le sujet obscur d'un petit État, je pouvais m'envisager désormais comme citoyen de l'univers; je devenais incontinent Chinois, Anglais, Turc, Français, Grec, selon qu'il plaisait à ma fantaisie. Mon imagination parcourait toutes ces nations en idée. Je me transportais tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre, et je m'arrêtais auprès de celle où je me plaisais le plus. Mais il me semble déjà vous entendre. Vous voudrez encore faire évanouir ce rêve agréable dont je m'occupe. Il sera facile de le dissiper, mais qu'y gagnerai-je? Les illusions qui nous charment ne valent-elles pas mieux que de tristes vérités qui nous répugnent? Je sais combien il est difficile de vous faire changer d'opinions; elles tiennent à des raisons si profondes, elles sont cramponnées dans votre esprit par tant d'arguments qui les y attachent, que j'essayerais en vain de les en arracher. Votre vie est une méditation continuelle; la mienne coule doucement, je me contente de jouir, j'abandonne les réflexions aux autres, je suis satisfait si je parviens à m'amuser et à me distraire. Voilà ce qui vous donne tant d'avantages sur moi, principalement lorsqu'il s'agit de traiter de matières graves qui exigent beaucoup de combinaisons. Je me prépare donc à vous voir armé de toutes pièces pour me forcer dans mes derniers retranchements. Je prévois qu'il