<153> plus nombreuse partie du genre humain, ne pouvant vivre que par un travail journalier, croupit dans une ignorance invincible; elle n'a le temps ni de penser ni de réfléchir. Comme son esprit n'est point rompu au raisonnement, et que son jugement n'est point exercé, il lui est impossible d'examiner selon les règles d'une saine critique les choses sur lesquelles elle veut s'éclaircir, ni de suivre une chaîne de raisonnements par lesquels on pourrait la détromper de ses erreurs. De là vient son attachement pour le culte qu'une longue coutume a consacré, dont rien ne la peut détacher que la violence. Aussi fut-ce par la force que les nouvelles opinions religieuses ruinèrent les anciennes; les bourreaux convertirent les païens, et Charlemagne annonça le christianisme aux Saxons en soutenant sa doctrine par le fer et par le feu. Il faudrait donc que notre philosophe, pour éclairer les nations, leur prêchât le glaive en main; mais comme la philosophie rend ses disciples doux et tolérants, je me flatte qu'il y pensera encore avant de s'armer de toutes pièces et de revêtir l'équipage d'un convertisseur guerrier.

La seconde cause de la superstition qui se trouve dans le caractère des hommes est ce penchant, cette forte inclination qu'ils ont pour tout ce qui leur paraît merveilleux. Tout le monde le sent, on ne peut s'empêcher de prêter attention aux choses surnaturelles qu'on entend débiter. Il semble que le merveilleux élève l'âme; il semble qu'il ennoblit notre être en ouvrant un champ immense qui étend la sphère de nos idées et laisse une libre carrière à notre imagination, qui s'égare avec complaisance dans des régions inconnues. L'homme aime tout ce qui est grand, tout ce qui inspire de l'étonnement ou de l'admiration; une pompe majestueuse, une cérémonie imposante le frappe, un culte mystérieux redouble son attention. Si on lui annonce, avec cela, la présence invisible d'une Divinité, une superstition contagieuse s'empare de son esprit, s'y fortifie, et s'accroît jusqu'au point de le rendre fanatique. Ces effets singuliers sont