<169> aurait-il laissé jouir l'homme seul de l'indépendance et de la liberté? Ce ne serait plus la Providence qui gouvernerait le monde, mais le caprice des hommes. Puis donc qu'il faut opter entre le Créateur et la créature, lequel des deux est l'automate, il est plus raisonnable de croire que c'est l'être en qui réside la faiblesse que l'être en qui réside la puissance. Ainsi la raison et les passions sont comme des chaînes invisibles par lesquelles la main de la Providence conduit le genre humain pour concourir aux événements que sa sagesse éternelle avait résolus, qui devaient arriver dans le monde, pour que chaque individu remplît sa destinée.

C'est ainsi que pour éviter Charybde on s'approche trop de Scylla, et que les philosophes se poussent mutuellement dans l'abîme de l'absurdité, tandis que les théologiens ferraillent dans l'obscurité, et se damnent dévotement par charité. Ces partis se font la guerre à peu près comme les Carthaginois et les Romains se la faisaient. Lorsqu'on appréhendait de voir les troupes romaines en Afrique, on portait le flambeau de la guerre en Italie; et lorsqu'à Rome on voulut se défaire d'Annibal, que l'on craignait, on envoya Scipion à la tête des légions assiéger Carthage. Les philosophes, les théologiens et la plupart des héros d'arguments ont le génie de la nation française : ils attaquent vigoureusement, mais ils sont perdus s'ils sont réduits à la guerre défensive. C'est ce qui fit dire à un bel esprit que Dieu était le père de toutes les sectes, puisqu'il leur avait donné à toutes des armes égales, de même qu'un bon côté et un revers. Cette question sur la liberté et sur la prédestination des hommes est transportée par Machiavel de la métaphysique dans la politique; c'est cependant un terrain qui lui est tout étranger, et qui ne saurait le nourrir; car, en politique, au lieu de raisonner si nous sommes libres ou si nous ne le sommes point, si la fortune et le hasard peuvent quelque chose ou s'ils ne peuvent rien, il ne faut proprement penser qu'à perfectionner sa pénétration et sa prudence.