<143> Dioclétien, d'un esclave; Valentinien, d'un cordier : ils furent tous respectés. Le Sforce qui conquit Milan était un paysan; Cromwell, qui assujettit l'Angleterre et fit trembler l'Europe, était fils d'un marchand; le grand Mahomet, fondateur de la religion la plus florissante de l'univers, était un garçon marchand; Samon, premier roi d'Esclavonie, était un marchand français; le fameux Piaste, dont le nom est encore révéré en Pologne, fut élu roi ayant encore aux pieds ses sabots, et il vécut respecté longues années. Que de généraux d'armée, que de ministres et de chanceliers roturiers! L'Europe en est pleine, et n'en est que plus heureuse, car ces places sont données au mérite. Je ne dis pas cela pour mépriser le sang des Witikind, des Charlemagne et des Ottoman;a je dois, au contraire, par plus d'une raison, aimer le sang des héros; mais j'aime encore plus le mérite.b

On ne doit pas ici oublier que Machiavel se trompe beaucoup lorsqu'il croit que du temps de Sévère il suffisait de ménager les soldats pour se soutenir; l'histoire des empereurs le contredit. Plus on ménageait les prétoriens indisciplinables, plus ils sentaient leur force; et il était également dangereux de les flatter, et de les vouloir réprimer. Les troupes, aujourd'hui, ne sont pas à craindre, parce qu'elles sont toutes divisées en petits corps qui veillent les uns sur les autres, parce que les rois nomment à tous les emplois, et que la force des lois est plus établie. Les empereurs turcs ne sont si exposés au cordeau que parce qu'ils n'ont pas su encore se servir de cette politique. Les Turcs sont esclaves du sultan, et le sultan est esclave des janissaires. Dans l'Europe chrétienne, il faut qu'un prince traite également bien tous les ordres de ceux à qui il commande, sans faire de différences qui causent des jalousies funestes à ses intérêts.

Le modèle de Sévère, proposé par Machiavel à ceux qui s'élèveront à l'empire, est donc tout aussi mauvais que celui de Marc-Aurèle


a Probablement des Othon.

b Voyez t. I, p. 1.