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CHAPITRE XIX.

La rage des systèmes n'a pas été la folie privilégiée des philosophes, elle l'est aussi devenue des politiques. Machiavel en est infecté plus que personne : il veut prouver qu'un prince doit être méchant et fourbe; ce sont là les paroles sacramentales de sa religion. Machiavel a toute la méchanceté des monstres que terrassa Hercule, mais il n'en a pas la force; aussi ne faut-il pas avoir la massue d'Hercule pour l'abattre; car, qu'y a-t-il de plus simple, de plus naturel, et de plus convenable aux princes que la justice et la bonté? Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de s'épuiser en arguments pour le prouver. Le politique doit donc perdre nécessairement en soutenant le contraire. Car, s'il soutient qu'un prince affermi sur le trône doit être cruel, fourbe, traître, etc., il le fera méchant à pure perte; et s'il veut revêtir de tous ces vices un prince qui s'élève sur le trône, pour affermir son usurpation, l'auteur lui donne des conseils qui soulèveront tous les souverains et toutes les républiques contre lui. Car, comment un particulier peut-il s'élever à la souveraineté, si ce n'est en dépossédant un prince souverain de ses États, ou en usurpant l'autorité d'une république? Ce n'est pas assurément ainsi que l'entendent les princes de l'Europe. Si Machiavel avait composé un recueil de fourberies à l'usage des voleurs, il n'aurait pas fait un ouvrage plus blâmable que celui-ci.

Je dois cependant rendre compte de quelques faux raisonnements qui se trouvent dans ce chapitre. Machiavel prétend que ce qui rend un prince odieux, c'est lorsqu'il s'empare injustement du bien de ses sujets, et qu'il attente à la pudicité de leurs femmes.