<158> prince qui pouvait pousser ses projets d'agrandissement bien loin, s'il n'était arrêté au commencement de sa course. La France demeurait dans une espèce d'apathie, et elle voyait en même temps les deux plus puissants princes d'Allemagne qui s'affaiblissaient réciproquement.

Telles étaient les dispositions de la cour de Versailles, sur lesquelles on pouvait compter. Il restait à pénétrer avec le même soin quelles étaient les vues et les sentiments de la cour de Pétersbourg. L'impératrice de Russie était l'alliée du roi de Prusse; mais elle se trouvait à la veille d'une nouvelle guerre avec la Porte, ce qui devait la gêner, en lui ôtant les moyens de remplir ses engagements envers la Prusse. Il était facile de prévoir que les Autrichiens mettraient la ruse, la fourberie et la corruption en œuvre pour accélérer les hostilités entre les Russes et les Turcs; c'était une diversion qui, en occupant ailleurs la cour de Pétersbourg, l'empêcherait de fournir des secours aux Prussiens, et donnerait par conséquent beau jeu aux vastes desseins de l'Empereur. Il était important pour les Prussiens de prévenir la cour de Vienne, et de contrecarrer les intrigues qu'elle se préparait à mettre en œuvre à Constantinople. Ce fut à cette fin que le Roi eut recours aux bons offices de la France auprès de la Porte. La cour de Versailles s'en chargea, et l'on verra, par la suite de ces mémoires, que ses soins ne furent pas perdus. La négociation des Français fut secondée par un fléau épouvantable : une peste plus maligne qu'à l'ordinaire affligea la ville de Constantinople, où elle fit de terribles ravages; et en pénétrant dans l'intérieur du sérail, elle obligea le Grand Seigneur à se réfugier dans une de ses maisons de plaisance, à quelque distance de la capitale. Une calamité aussi générale inspira à cette nation des sentiments plus pacifiques : elle ralentit l'esprit remuant et inquiet de Hassan-Pacha, grand amiral de la Porte, qui était le vrai promoteur de la guerre que le Grand Seigneur méditait contre la Russie; ce qui aplanissait le chemin aux insinuations pacifiques des Français.