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[HISTOIRE DE LA GUERRE DE SEPT ANS.]

AVANT-PROPOS.

J'avais écrit les deux guerres que nous avons faites en Silésie et en Bohême; c'était l'ouvrage d'un jeune homme, et la suite de cette démangeaison d'écrire qui, en Europe, est devenue une espèce de maladie épidémique. Depuis la paix de 1746, j'avais renoncé à l'histoire, parce que des intrigues politiques, si elles ne mènent à rien, ne méritent pas plus de considération que des tracasseries de société; et quelques détails sur l'administration intérieure d'un État ne fournissent pas une matière suffisante à l'histoire. La guerre qui survint en 1756, me fit changer de sentiment; elle avait été préparée avec tant d'art et d'artifice, le nombre des ennemis qui nous la firent, était si supérieur aux forces prussiennes, qu'une matière aussi impor<VI>tante ne me parut pas indigne d'être transmise à la postérité. Pour cet effet, à la fin de chaque campagne, je dressai des mémoires sur les événements qu'elle avait produits, dont j'avais le souvenir tout récent; et comme ces faits se trouvent si fort liés avec la politique, je fus obligé de la faire entrer dans mon plan.

J'ai eu en vue dans cet ouvrage deux objets principaux : l'un, de prouver à la postérité et de mettre en évidence qu'il n'a pas dépendu de moi d'éviter cette guerre; que l'honneur et le bien de l'État m'ont empêché de consentir à la paix à d'autres conditions qu'à celles où elle a été conclue; et mon second objet a été de détailler toutes les opérations militaires avec le plus de clarté et de précision qu'il m'a été possible, pour laisser un recueil authentique des situations avantageuses et contraires qui se trouvent dans les provinces et dans les royaumes où la guerre sera portée toutes les fois que la maison de Brandebourg aura des démêlés avec celle d'Autriche.

Le succès d'une guerre dépend en grande partie de l'habileté du général, de la connaissance des lieux qu'il possède, et de l'art avec lequel il sait tirer avantage du terrain, soit en empêchant l'ennemi d'occuper un poste qui pourrait le favo<VII>riser, soit en choisissant lui-même les plus convenables pour ses desseins : la lecture de ces mémoires en fournira quantité d'exemples. Pour peu qu'on y prête attention, on apercevra le parti que les Autrichiens ont tiré de certaines positions, et celui que les Prussiens ont tiré d'autres. A Dieu ne plaise qu'on revoie une seconde guerre aussi compliquée et aussi difficile que celle que nous venons de terminer! Il n'est pas probable qu'un pareil enchaînement de causes ramène de longtemps les mêmes conjonctures que celles où nous nous sommes trouvés.

Lorsque la Prusse n'aura pas à combattre contre tant de puissances, elle pourra toujours couvrir l'électorat de Brandebourg et la Silésie, l'un en poussant la guerre en Saxe, l'autre en entrant tout de suite avec l'armée en Bohême. C'est dans une occasion semblable où le détail des camps de la Saxe et de la Bohême, que j'ai rapporté, pourra être d'usage, et abrégera le travail de ceux qui conduiront les armées; car une des choses les plus difficiles à la guerre, c'est, lorsqu'on la porte dans quelque contrée peu connue, de savoir s'y orienter d'abord. On est souvent contraint de prendre des positions au hasard, faute de connaître les bonnes, qui se trouvent quelquefois dans le voisinage; on ne fait que tâtonner, et si<VIII> l'on se campe mal, on s'expose aux plus grands risques; au lieu qu'en trouvant des campements reconnus bons par l'expérience, on va plus à jeu sûr, et l'on y procède plus méthodiquement.

J'observerai cependant que les camps sont bons ou mauvais relativement aux circonstances : par exemple, celui de Torgau est admirable quand vous avez soixante-dix mille hommes pour le remplir; il est défectueux si vous n'en avez que trente mille, et l'ennemi soixante mille, parce qu'il vous étend trop; il vous affaiblit par conséquent, et l'ennemi, s'il veut, pourra percer d'un côté ou de l'autre à l'endroit que vous aurez le moins garni. Un camp est comme un vêtement : il ne doit être ni trop large ni trop étroit pour celui qui le porte. Cependant, s'il faut choisir, il vaut mieux avoir du monde de reste qu'on ne peut placer, que d'en avoir trop peu. Il est d'autres camps qui couvrent une partie du terrain, mais qui deviennent vicieux si l'ennemi, par ses mouvements, change de direction : par exemple, le camp de Landeshut, tout admirable qu'il est pour couvrir la Basse-Silésie, devient mauvais et d'aucune défense aussitôt que les Impériaux tiennent Glatz et Wartha, parce qu'ils le tournent tout à fait. Dans des cas semblables, le jugement doit dicter le parti qu'on<IX> doit prendre; il doit empêcher surtout qu'une imitation ne devienne servile, car, cela étant, on peut compter qu'elle est mauvaise; pourquoi? parce que deux hommes ne se trouvent jamais dans une situation tout à fait semblable. Il y aura quelque chose de comparable dans leur cas; examinez-le bien, vous trouverez des variétés infinies dans le détail, parce que la nature, féconde en tout sens, ne fait ni les mêmes physionomies, ni ne répète pas les mêmes événements. Ce serait donc mal raisonner que de dire : M. de Luxembourg s'est trouvé dans le cas où je suis; il s'en est tiré de cette manière : donc je ferai la même chose. Les faits passés sont bons pour nourrir l'imagination et meubler la mémoire : c'est un répertoire d'idées qui fournit de la matière que le jugement doit passer au creuset pour l'épurer. Je le répète donc, les détails de la dernière guerre ne doivent servir qu'à augmenter le magasin d'idées militaires, et pour constater quelques positions principales, qui demeureront fixes tant que les pays ne changeront pas de forme, et que la nature ne sera pas bouleversée. Ces points principaux sont : le camp de Péterswalde, pour qui veut pénétrer par la Saxe en Bohême; le camp de Schlettau et de Freyberg, pour qui ne peut occuper le fond de Plauen, ni Dippoldiswalda; celui de Landeshut à Friedland, en<X> Silésie, en y annexant un détachement dans le comté de Glatz, pour couvrir la frontière; ceux de Schmuckseiffen et de Löwenberg, pour couvrir la frontière de la Lusace; la position de la Hotzeplotz, pour couvrir la Haute-Silésie; le camp que nous avons occupé près d'Olmütz l'année 1758; le camp de Wisoka, près de Nachod; celui de Linay, en Bohème; ceux de Bunzelwitz, Pülzen, Siegroth, Neisse, le Zeiskenberg; les hauteurs de Bärsdorf et de Dittmannsdorf, etc.

Il est très-probable que les généraux autrichiens ne s'écarteront pas de la méthode du maréchal Daun, qui est sans contredit la bonne, et qu'à la première guerre, on les trouvera aussi attentifs à se bien poster qu'ils l'ont été dans celle-ci. Cela m'oblige d'observer qu'un général fera mal s'il se précipite d'attaquer l'ennemi dans des postes de montagnes ou dans des terrains coupés. La nécessité des conjonctures m'a forcé quelquefois d'en venir à cette extrémité; mais lorsqu'on fait une guerre à puissances égales, on peut se procurer des avantages plus sûrs par la ruse et par l'adresse, sans s'exposer à d'aussi grands risques. Accumulez beaucoup de petits avantages : leur somme en fait de grands. D'ailleurs, l'attaque d'un poste bien défendu est un morceau de dure digestion : vous pouvez facilement être repoussé et battu; vous ne l'em<XI>portez qu'en sacrifiant des quinze et des vingt mille hommes, ce qui fait une brèche cruelle dans une armée. Les recrues, supposé que vous en trouviez en abondance, réparent le nombre, mais non pas la qualité des soldats que vous avez perdus. Votre pays se dépeuple en renouvelant votre armée; vos troupes dégénèrent, et si la guerre est longue, vous vous trouvez, à la fin, à la tête de paysans mal exercés, mal disciplinés, avec lesquels vous osez à peine paraître devant l'ennemi. A la bonne heure, qu'on s'écarte des règles dans une situation violente : la nécessité seule peut faire recourir aux remèdes désespérés, comme on donne de l'émélique au malade lorsqu'il ne reste aucune autre ressource pour le guérir. Mais passé ce cas, il faut, selon mon sentiment, y procéder avec plus de ménagement, et n'agir qu'à poids et mesure, parce que celui qui à la guerre donne le moins au hasard, est le plus habile.

Il ne me reste plus qu'un mot à dire sur le style que j'ai adopté. J'ai été si excédé du Je et du Moi, que je me suis décidé à parler en troisième personne de ce qui me regarde. Il m'aurait été insupportable, dans un aussi long ouvrage, de parler toujours de moi en mon propre nom. Du reste, je me suis fait une loi de m'attacher scrupuleusement à la vérité, et<XII> d'être impartial, à cause que l'animosité et la haine d'un auteur n'instruit personne, et qu'il y a de la faiblesse et de la pusillanimité même à ne pas dire du bien de ses ennemis, et à ne leur pas rendre la justice qu'ils méritent. Si malgré moi je me suis éloigné de cette règle que je me suis prescrite, la postérité me le pardonnera, et me corrigera où je mérite d'être repris. Tout ce que je pourrais ajouter à ce que je viens de dire, serait superflu, et peut-être qu'un ouvrage fait, comme celui-ci, pour être lu par peu de personnes, pouvait se passer tout à fait d'avant-propos.

A Potsdam, le 3 de mars 1764.

Federic.

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HISTOIRE DE LA GUERRE DE SEPT ANS.

CHAPITRE Ier.

Des arrangements intérieurs de la Prusse et de l'Autriche durant la paix.

La paix dont jouissait l'Europe permit à toutes les puissances de tourner leur attention sur l'intérieur de leurs États. Le Roi commença par réformer les abus qui s'étaient introduits dans la police générale. Il travailla, par le moyen de nouveaux établissements, à l'augmentation de ses finances; il s'appliqua à raffermir la discipline dans ses troupes, à perfectionner les forteresses, et à faire les amas de toutes les armes et fournitures nécessaires pour une armée, dont la guerre fait une si prodigieuse consommation.

La justice, mal administrée durant le règne précédent, et qui était devenue très-injuste, méritait des soins et une attention parti<2>culière. Le public s'était accoutumé à éluder les lois. Les procureurs faisaient un trafic honteux de la bonne foi; il suffisait d'être riche pour gagner sa cause, et d'être pauvre pour la perdre. Ces abus, devenant de jour en jour plus intolérables, demandaient nécessairement une réforme, tant pour les personnes des juges, des avocats et des procureurs, que pour les lois mêmes, qu'il fallait éclaircir, et dont surtout il fallait retrancher ces espèces de formalités, qui, ne touchant point au fond de la cause, ne font que prolonger les procédures.

Le Roi chargea son grand chancelier de Cocceji de ce travail : c'était un homme d'un caractère intègre et droit, dont la vertu et la probité étaient dignes des beaux temps de la république romaine; savant et éclairé, et qui, comme Tribonien, semblait être né pour la législature et pour le bonheur des hommes. Ce savant jurisconsulte entreprit avec tant de zèle cet ouvrage pénible et délicat, qu'après un an d'un travail laborieux les cours souveraines de justice, purgées de tous les sujets qui en avaient fait la honte, furent remplies par des magistrats vertueux. Le nouveau code des lois, universel pour toutes les provinces de la domination prussienne, fut achevé; et après qu'il eut été approuvé par les états, ces lois furent promulguées.2-a On étendit ses vues jusque sur l'avenir; et comme l'expérience des choses humaines apprend que les meilleures institutions se corrompent, ou deviennent inutiles, si l'on en détourne les yeux, et qu'on ne ramène pas ceux qui doivent les observer aux premiers principes qui en ont posé les fondements, on régla qu'il se ferait tous les trois ans une visitation générale des cours souveraines de justice, pour tenir la main à l'observation des nouvelles lois, et pour punir les officiers de justice qui auraient prévariqué. Cet ordre nouveau introduit dans la justice, raffermit le bonheur des citoyens, en rendant les posses<3>sions de chaque famille certaines et assurées; les lois régnèrent seules, et tout le monde put vivre en paix sous leur abri.

Quelques soins que le feu roi se fût donnés pour régler et arranger les finances de l'État, il n'avait pas pu tout faire : il n'eut ni le temps ni les moyens d'achever un aussi grand ouvrage; et ce qui restait à perfectionner était immense, tant pour les terres à défricher, que pour les manufactures à établir, le commerce à étendre, et l'industrie à encourager. Les premières années du règne du Roi se passèrent dans la guerre, et il ne put tourner son attention sur l'intérieur, qu'après avoir pacifié l'étranger.

Il y avait le long du cours de l'Oder, depuis Swinemünde jusqu'à Cüstrin, de vastes marais incultes, qui peut-être avaient été sauvages de toute antiquité : on forma un projet pour défricher cette contrée. On tira un canal de Cüstrin jusqu'à Wrietzen, qui saigna ces terres marécageuses, où deux mille familles furent établies. On continua ces entreprises de Schwedt jusqu'au delà de Stettin, où douze cents familles trouvèrent une vie aisée et abondante; cela forma une nouvelle petite province que l'industrie conquit sur l'ignorance et la paresse. Les fabriques de laine, qui étaient assez considérables, manquaient cependant de fileurs; on en fit venir des pays étrangers, et l'on en forma différents villages de deux cents familles chacun. Dans le duché de Magdebourg c'était un usage immémorial que les habitants du Voigtland vinssent y faire la récolte, après quoi ils s'en retournaient chez eux. Le Roi leur donna des établissements dans le duché, et en fixa par là un grand nombre dans ses États. Par les différentes opérations que nous venons de rapporter, le pays augmenta pendant cette paix de deux cent quatre-vingts villages qui y furent nouvellement établis.

Le soin des campagnes ne fit pas négliger celui des villes. Le Roi en bâtit une nouvelle qui est un port en même temps sur la Swine<4> dont elle tire son nom, en approfondissant le canal et en nettoyant ce bassin. La ville de Stettin y profita le péage qu'elle payait autrefois aux Suédois en passant à Wolgast, ce qui contribua beaucoup à rendre son commerce plus florissant, et à y attirer des étrangers. On établissait dans toutes les villes de nouvelles manufactures : celles d'étoffes riches et de velours trouvèrent la place qui leur convenait le mieux à Berlin; les velours légers et les étoffes unies s'établirent à Potsdam; Splitgerber fournit à toutes les provinces le sucre qu'il raffinait à Berlin.4-a Une fabrique de basin rendit la ville de Brandebourg florissante; des faiseurs de cuir de Russie en fabriquèrent à Francfort-sur-l'Oder; des bas et des mouchoirs de soie furent travaillés à Berlin, à Magdebourg et à Potsdam; la fabrique de Wegely se doubla. Les plantations de mûriers furent encouragées dans toutes les provinces; les desservants des églises donnèrent l'exemple aux cultivateurs, pour leur apprendre à élever cet insecte précieux qui originairement vient des Indes, et dont le duvet fait la soie. Dans des lieux où il y avait du bois en abondance, que l'éloignement des rivières empêchait de débiter, on établit des ferronneries, qui dans peu fournirent les canons de fer, les boulets et les bombes aux forteresses, et pour les besoins de l'armée. On trouva dans la principauté de Minden et dans le comté de la Mark de nouvelles salines, qui furent raffinées. On perfectionna celles de Halle, en y introduisant, pour la gradation du sel, des bâtiments qui épargnent le bois; en un mot l'industrie fut encouragée dans la capitale et dans les provinces.

Le Roi remit en vigueur le droit d'échelle que les Saxons avaient chicané à la ville de Magdebourg, et par le moyen de quelques douanes établies sur les frontières, le commerce des provinces prussiennes se mit presque en équilibre avec celui de la Saxe. La com<5>pagnie d'Emden établit un négoce important à la Chine. En diminuant les droits d'exportation à Stettin, Königsberg et Colberg, les revenus des douanes augmentèrent du double. Il résulta de ces diverses opérations de finances, sans compter les revenus de la Silésie et de la Frise,5-a et sans que le Roi mît un denier de nouveaux impôts sur ses peuples, qu'en 1756 les revenus de la couronne se trouvèrent augmentés d'un million deux cent mille écus; et d'après un dénombrement que l'on fit des habitants de toutes les provinces, il se trouva que leur nombre montait à cinq millions trois cent mille âmes. Comme cet axiome est certain, que le nombre des peuples fait la richesse des États, la Prusse pouvait alors se compter du double plus puissante qu'elle ne l'avait été dans les dernières années de Frédéric-Guillaume, père du Roi.

Les finances et la justice n'absorbèrent pas toute l'attention du Roi; le militaire, cet instrument de la gloire et de la conservation des États, ne fut pas négligé. Le Roi y avait lui-même l'œil et y tint la main, pour que la discipline et la subordination fussent rigoureusement maintenues dans chaque province. Les troupes se rassemblaient régulièrement toutes les années dans des camps de paix, où on les dressait aux grandes évolutions et aux manœuvres de guerre. L'infanterie s'exerçait aux différents déploiements, aux formations, aux attaques de plaine, aux attaques de postes, aux défenses de villages et de retranchements, aux passages de rivières, aux marches couvertes à colonnes renversées, aux retraites, et enfin à toutes les manœuvres qu'il faut faire devant l'ennemi. La cavalerie s'exerçait aux différentes attaques serrées et à intervalles, aux reconnaissances, aux fourrages verts et secs, aux différentes formations, et à prendre des points de vue sur des alignements prescrits. On poussa, dans<6> quelques régiments dont les cantons étaient les plus peuplés, le nombre des surnuméraires par compagnie à trente-six hommes, et les moindres en avaient vingt-quatre; et quoiqu'on ne fît aucune nouvelle levée, le nombre de ces surnuméraires faisait sur le total de l'armée une augmentation de dix mille combattants. Tous les bataillons, tous les régiments de cavalerie avaient à leur tête de vieux commandeurs, officiers éprouvés, pleins de valeur et de mérite. Le corps des capitaines étaient des hommes mûrs, solides, et braves. Les subalternes étaient choisis; on en trouvait beaucoup remplis de capacité, et dignes d'être élevés à des grades supérieurs : en un mot, l'application et l'émulation qu'il y avait dans cette armée, étaient admirables. Il n'en était pas de même des généraux, quoiqu'il y en eût quelques-uns d'un grand mérite; le grand nombre avait, avec beaucoup de valeur, beaucoup d'indolence. On suivait l'ordre du tableau pour l'avancement, de sorte que l'ancienneté du service, et non les talents, décidait de la fortune. Cet abus était ancien; il n'avait porté aucun préjudice dans les guerres précédentes, parce que le Roi, n'agissant qu'avec une armée, n'avait pas besoin de faire beaucoup de détachements, et que les troupes et les généraux autrichiens auxquels il eut affaire, n'étaient que médiocres, et avaient entièrement négligé la tactique. Le Roi fit une bonne acquisition en attirant de Russie le maréchal Keith à son service.6-a C'était un homme doux dans le commerce, plein de vertus et de mœurs, rempli de connaissances de son métier, et qui, avec la plus grande politesse, était d'une valeur héroïque dans un jour de combat. Le corps de l'artillerie avait été augmenté. Le Roi le porta à trois bataillons, dont le dernier était destiné pour les garnisons. Il était bien exercé et en bon état, mais trop peu nombreux pour la profusion d'artillerie et de bouches à feu<7> que la mode introduisit bientôt dans les armées : il en aurait fallu avoir le double; mais comme cela n'avait point été usité dans les guerres précédentes, et que ces deux bataillons avaient suffi au service qu'on en demandait, on ne songea pas à en multiplier le nombre.

Durant la paix, on construisit les ouvrages de Schweidnitz, et l'on perfectionna ceux de Neisse, de Cosel, de Glatz et de Glogau. Schweidnitz devait servir de lieu de dépôt pour l'armée, au cas que la guerre se portât en Bohême sur cette frontière; et comme les Autrichiens avaient montré peu de capacité dans la dernière guerre pour l'attaque et la défense des places, on se contenta de construire légèrement ces ouvrages; ce qui était en effet très-mal raisonné, car les places ne se construisent pas pour un temps, mais pour toujours; et qui pouvait garantir d'ailleurs que l'Impératrice-Reine n'attirât pas quelque habile ingénieur à son service, qui apportant avec lui un art qui manquait à l'armée autrichienne ne le lui apprît, et ne le rendît commun? Mais si l'on fit des fautes, on eut dans la suite sujet de s'en repentir, et d'apprendre à raisonner plus solidement.

D'autre part, on prévit qu'une armée en bon état et bien entretenue ne suffit pas pour faire la guerre, mais qu'il faut de grosses provisions de réserve, pour l'armer, pour l'habiller, et la renouveler, pour ainsi dire; ce qui donna lieu à faire de grands amas de toutes sortes de fournitures, de selles, étriers, mors, bottes, gibecières, ceinturons, etc. On conservait dans l'arsenal cinquante mille fusils, vingt mille sabres, douze mille épées, autant de pistolets, de carabines et de bandoulières; en un mot tous les armements qu'il faut sans cesse renouveler, et que le temps ne donne pas toujours le moyen d'avoir assez promptement dans le besoin. On avait fait fondre une artillerie de siége considérable, consistant en quatre-vingts pièces de batterie, et en vingt mortiers, qui fut déposée dans la forteresse de Neisse. Les amas de poudre à canon que l'on avait faits, montaient à<8> cinquante-six mille quintaux, répartis dans les différentes places du royaume. Les magasins d'abondance étaient remplis de trente-six mille winspels de farine et de douze mille d'avoine; de sorte que par ces mesures et par ces arrangements préalables tout était préparé pour la guerre qu'on prévoyait, et qui ne paraissait pas éloignée.

Dans l'année 1755, le Roi fit même une augmentation dans les régiments de garnison : ceux de Silésie furent portés à huit bataillons, ceux de Prusse à trois, ceux de la Marche électorale à deux; ce qui fait en tout treize bataillons. Dans un pays pauvre, le souverain ne trouve pas de ressources dans la bourse de ses sujets, et son devoir est de suppléer par sa prudence et sa bonne économie aux dépenses extraordinaires qui deviennent nécessaires : les fourmis amassent en été ce qu'elles consomment en hiver; et il ménage durant la paix les sommes qu'il faut dépenser dans la guerre. Ce point, malheureusement si important, n'avait pas été oublié, et la Prusse se trouvait en état de faire quelques campagnes de ses propres fonds; en un mot, elle était prête à paraître dans l'arène au premier signal, et à se mesurer avec ses ennemis. Vous verrez dans la suite combien cette précaution fut utile, et la nécessité où se trouve un roi de Prusse, par la situation bizarre de ses provinces, d'être armé et préparé à tout événement, pour ne pas servir de jouet à ses voisins et à ses ennemis. Il aurait fallu au contraire en faire davantage, si les facultés de l'État l'avaient permis; car le Roi avait dans la personne de l'Impératrice-Reine une ennemie ambitieuse et vindicative, d'autant plus dangereuse qu'elle était femme, entêtée de ses opinions, et implacable.

Cela était si vrai, que dès lors l'Impératrice-Reine préparait dans le silence du cabinet les grands projets qui éclatèrent dans la suite. Cette femme superbe, dévorée d'ambition, voulait aller à la gloire par tous les chemins; elle mit dans ses finances un ordre inconnu à ses ancêtres, et non seulement répara par de bons arrangements ce<9> qu'elle avait perdu par les provinces cédées au roi de Prusse et au roi de Sardaigne, mais elle augmenta encore considérablement ses revenus. Le comte Haugwitz devint contrôleur général de ses finances; sous son administration les revenus de l'Impératrice montèrent à trente-six millions de florins ou vingt-quatre millions d'écus. L'empereur Charles VI son père, possesseur du royaume de Naples, de la Servie et de la Silésie, n'en avait pas eu autant. L'Empereur son époux, qui n'osait se mêler des affaires du gouvernement, se jeta dans celles du négoce : il ménageait tous les ans de grosses sommes de ses revenus de Toscane, qu'il faisait valoir dans le commerce; il établissait des manufactures; il prêtait à gages; il entreprit la livraison des uniformes, des armes, des chevaux et des habits d'ordonnance pour toute l'armée impériale; associé avec un comte Bolza et un marchand nommé Schimmelmann, il avait pris à ferme les douanes de la Saxe, et en l'année 1756 il livra même le fourrage et la farine à l'armée du Roi, tout en guerre qu'il était avec l'Impératrice son épouse. Durant la guerre, l'Empereur avançait des sommes considérables à cette princesse sur de bons nantissements : il était, en un mot, le banquier de la cour; et en qualité de roi de Jérusalem qu'il porte, il se conformait à l'usage immémorial de la nation judaïque.

L'Impératrice avait senti dans les guerres précédentes la nécessité de mieux discipliner son armée : elle choisit des généraux laborieux, et capables d'introduire la discipline dans ses troupes; de vieux officiers, peu propres aux emplois qu'ils occupaient, furent renvoyés avec des pensions, et remplacés par de jeunes gens de condition pleins d'ardeur et d'amour pour le métier de la guerre. On formait toutes les années des camps dans les provinces, où les troupes étaient exercées par des commissaires-inspecteurs instruits et formés aux grandes manœuvres de la guerre; l'Impératrice se rendit elle-même à différentes reprises dans les camps de Prague et d'Olmütz, pour<10> animer les troupes par sa présence et par ses libéralités : elle savait faire valoir mieux qu'aucun prince ces distinctions flatteuses dont leurs serviteurs font tant de cas; elle récompensait les officiers qui lui étaient recommandés par ses généraux, et elle excitait partout l'émulation, les talents, et le désir de lui plaire. En même temps se formait une école d'artillerie sous la direction du prince de Lichtenstein; il porta ce corps à six bataillons, et l'usage des canons à cet abus inouï auquel il est parvenu de nos jours; par zèle pour l'Impératrice il y dépensa au delà de cent mille écus de son propre bien. Enfin, pour ne rien négliger de ce qui pouvait avoir rapport au militaire, l'Impératrice fonda près de Vienne un collége où la jeune noblesse était instruite dans tous les arts qui ont rapport à la guerre; elle attira d'habiles professeurs de géométrie, de fortification, de géographie et d'histoire, qui formèrent des sujets capables; ce qui devint une pépinière d'officiers pour son armée. Par tous ces soins le militaire acquit dans ce pays un degré de perfection où il n'était jamais parvenu sous les Empereurs de la maison d'Autriche, et une femme exécuta des desseins dignes d'un grand homme.

Cette princesse, qui portait ses vues sur toutes les parties de l'administration, peu satisfaite de la manière dont les affaires étrangères et politiques s'étaient traitées, fit choix du comte Kaunitz sur la fin de l'année 1755. Elle lui donna la patente de premier ministre, pour qu'une seule tête réunît toutes les branches du gouvernement : nous aurons lieu dans son temps de faire connaître plus particulièrement cet homme, qui joua un si grand rôle; il entra dans tous les sentiments de sa souveraine; il eut l'art de flatter ses passions, et de s'attirer la confiance de l'Impératrice. Dès qu'il parvint au ministère, il travailla à former des alliances, et à isoler le roi de Prusse, pour préparer les voies à ce projet que l'Impératrice avait tant à cœur, de conquérir la Silésie, et d'abaisser le roi de Prusse; mais comme c'est<11> proprement la matière du chapitre suivant, nous n'en dirons pas davantage sur ce sujet.

Voilà comment ces deux puissances durant la paix se préparaient à la guerre, telles que deux athlètes qui aiguisent leurs armes, et qui brûlent de l'impatience de s'en servir.

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CHAPITRE II.

De la guerre et de la politique depuis 1746 jusqu'à 1756.

La paix de Dresde eut le destin de la plupart des traités qui se sont faits entre les souverains : elle suspendit les hostilités, sans déraciner les germes de discorde qui subsistaient entre l'Autriche et la Prusse. Quelque dissimulation qu'employât la cour de Vienne, elle avait le cœur trop ulcéré de la perte de la Silésie, pour que les effets de sa haine et de son animosité ne s'échappassent et ne se manifestassent pas, malgré les soins qu'elle employait pour les cacher, car la guerre entre ces deux puissances n'avait donc point été terminée proprement, mais elle avait changé de forme; et quoique les armées ne se combattissent plus en campagne, les Autrichiens continuaient les hostilités du fond de leur cabinet. L'intrigue, la ruse, la fraude, l'artifice étaient les armes dont ils se servaient pour brouiller les Prussiens avec toutes les cours de l'Europe, et leur susciter des ennemis, s'ils le pouvaient, jusques aux extrémités de notre globe : nous en rapporterons des témoignages suffisants dans cet ouvrage. Mais pour y mettre plus d'ordre et plus de clarté, nous parcourrons successivement les événements principaux qui arrivèrent dans les différentes<13> cours de l'Europe; et comme après la paix de Dresde la guerre ne laissa pas de continuer entre la cour de Vienne et l'Angleterre d'une part, et la France et l'Espagne de l'autre, nous nous voyons obligé d'en faire un tableau raccourci, pour ne rien omettre de ce qui peut servir à l'intelligence de cette histoire.

Les armées impériales et alliées ne prospérèrent pas en Flandre, où elles avaient le maréchal de Saxe en tête. A la fin de cette année ce maréchal gagna la bataille de Rocoux. On en attribua la perte en partie au prince de Waldeck, en partie pour s'être mal posté, et en partie aux Autrichiens, qui n'assistèrent pas les Hollandais. Le prince Charles de Lorraine, après avoir été spectateur de la défaite des Hollandais, envoya le prince Louis de Brunswic pour couvrir leur retraite; il s'en acquitta si bien, que les alliés gagnèrent Mastricht, sans que les Français, qui les poursuivaient, pussent les entamer.

Le maréchal de Saxe ouvrit la campagne suivante par la prise de la plupart des places de la Flandre hollandaise. Louis XV se rendit en personne à l'armée. La présence du roi et de ses ministres fut un surcroît d'embarras pour le comte de Saxe, et une charge pour l'armée. Les courtisans remplissaient le camp d'intrigues, et contrecarraient le général; et une cour aussi nombreuse demandait par jour dix mille rations pour les chevaux des équipages. Mais ni la cour de Versailles, ni les ennemis de la France ne purent empêcher le comte de Saxe de garder la supériorité de la campagne. Il avait d'abord formé le projet d'assiéger Mastricht; pour en imposer à l'ennemi, il feignit d'en vouloir à Bergen-op-Zoom : le duc de Cumberland s'aperçut de cette feinte; il se mit en marche, et gagna avec promptitude les environs de Mastricht. Le comte de Saxe, se voyant prévenu, quitta en hâte son camp de Malines, et se porta au delà de Saint-Trond sur les hauteurs de Herderen. Les alliés, qui se trouvaient dès la veille à la commanderie de Jonc,13-a négligèrent d'occuper cette hauteur importante;<14> irrésolus sur le choix de leur champ de bataille, et variables dans leurs résolutions, ils mirent le feu à des villages, ils l'éteignirent; ils les garnirent de troupes, ils les retirèrent; et après avoir embrasé le village de Laeffelt le matin de l'action, ils l'éteignirent, et le garnirent de troupes, quoiqu'il fût à deux mille pas au-devant de leur front. Ce fut à ce village que la bataille s'engagea. Le maréchal de Saxe, témoin des mouvements inconséquents des alliés, crut que Laeffelt était vide de troupes; il se proposa de s'en saisir, et le trouva garni d'ennemis. L'attaque commença sur-le-champ, et à force de la renouveler et d'y sacrifier du monde, les Français l'emportèrent : cette prise décida de l'action. Les alliés se retirèrent à Mastricht, sans que le maréchal de Saxe les poursuivît, parce que M. de Clermont-Tonnerre se dispensa de charger l'ennemi avec sa cavalerie, quoiqu'il en eût reçu des ordres réitérés : cette désobéissance à son général lui valut le bâton de maréchal de France. Louis XV ne gagna donc proprement par cette victoire que le stérile avantage de camper sur le champ de bataille; et le duc de Cumberland, quoique battu, garantit Mastricht d'un siége.

Pour ne pas laisser néanmoins écouler inutilement la campagne, le comte de Saxe se rabattit sur Bergen-op-Zoom. Il chargea M. de Löwendal de cette difficile entreprise. Les excellents ouvrages de Cœhorn, et l'art admirable dont il en avait construit les mines, défendirent presque seuls cette place. M. de Cronström en était gouverneur; il avait quatre-vingt-dix ans; son esprit était aussi caduc que son corps était infirme. La garnison n'était pas des meilleures, et les officiers sans expérience ne savaient s'ils devaient se déterminer pour les mines ou pour l'inondation dans leur défense; ils eurent le sort de cet âne fameux dans l'école, qu'on dit être mort de faim entre deux boisseaux d'avoine, faute d'avoir pu faire un choix. Les Français donnèrent l'assaut à la place, et l'emportèrent presque sans résistance : à peine le gouverneur eut-il le temps de se sauver en bonnet de nuit<15> et en robe de chambre; et cet exploit termina pour cette année les succès des Français en Flandre.

La fortune fut moins contraire aux Impériaux en Italie et en Provence. La révolution arrivée à Gênes fit à la vérité manquer l'expédition du comte de Browne sur Toulon. Cette révolution se fit par hasard. Les Autrichiens maltraitaient quelques bourgeois qui travaillaient à embarquer de l'artillerie pour Antibes; le peuple s'ameuta, soutint ses concitoyens insultés, et dans les premiers accès de sa fureur il chassa le marquis de Botta et toute la garnison autrichienne de Gênes. Ce contre-coup fit manquer l'armée de Provence de vivres et de munitions, et obligea M. de Browne à se retirer de cette province. Il mit à son retour le siége devant Gênes, et cette ville le soutint sans succomber; la France y envoya des secours sous M. de Boufflers, et depuis sous le duc de Richelieu, qui prirent tous deux de si justes mesures, qu'ils rendirent les efforts des Autrichiens inutiles. Les troupes combinées des Français et des Espagnols sous M. de Belle-Isle, voulurent, après la retraite de M. de Browne, se rouvrir le chemin de l'Italie. Les Français s'approchèrent les premiers du col de l'Assiette : M. de Belle-Isle trouvant ce poste faiblement défendu, le jugea insultable; il manda les Espagnols pour l'attaquer à forces réunies, et les Espagnols différèrent trois jours avant de le joindre. Cela donna le temps au roi de Sardaigne de renforcer ceux qui défendaient cette gorge, qu'il lui était si important de conserver : sur cela, les Espagnols arrivèrent, et quoique les conjonctures ne fussent plus les mêmes que lorsque M. de Belle-Isle les avait mandés, il n'en voulut point avoir le démenti; il attaqua les Sardois avec beaucoup de vigueur, et après avoir employé tout ce que lui pouvait inspirer l'audace et le courage, il se fit tuer en arrachant de ses mains une palissade du retranchement ennemi : ne pouvant surmonter les obstacles que la nature et l'art lui avaient opposés, ses efforts ne servirent qu'à augmenter ses pertes. Les troupes des deux couronnes<16> furent généralement repoussées, et la France fut en deuil pour le nombre d'officiers de condition et des plus grandes maisons qui y périrent. Le public, souvent injuste, rempli de préjugés, et apparemment mal instruit, taxa cette entreprise de témérité, qui, n'étant que hardie, aurait réussi, si M. de Belle-Isle eût pu exécuter son projet lorsqu'il le conçut, et si la lenteur des Espagnols ne lui eût pas fait perdre les lauriers qu'il était près de cueillir.

Cependant les Français se dédommageaient en Flandre des mauvais succès qu'ils avaient eus aux Alpes. Le génie du comte de Saxe avait pris de l'ascendant, par lequel il subjuguait tous les ennemis de la France. Ce maréchal ouvrit la campagne en mettant son armée en marche sur plusieurs colonnes. L'une menaçait Luxembourg, l'autre Bois-le-Duc, une autre Venlo; leurs mouvements vinrent se réunir à Mastricht, dont elles formèrent l'investissement, et y mirent le siége.

Quelque brillants que fussent les succès du comte de Saxe, ses triomphes mêmes commençaient à devenir onéreux à la France. On en était à la huitième campagne, et la durée d'une guerre dont les commencements avaient été funestes, épuisait la nation. Toutes les puissances belligérantes commençaient à se lasser de cette guerre, qui ayant souvent changé de cause, n'en avait à la fin aucune. Le moment de la frénésie était passé; elles pensèrent sérieusement à la paix, et entrèrent en négociation : chacune sentait ses plaies secrètes, et avait besoin de tranquillité pour les guérir. Les Anglais craignaient d'augmenter leur dette nationale, chef-d'œuvre du crédit idéal, dont l'abus pronostique une faillite générale. La cour impériale, soutenue des subsides anglais, aurait à la vérité continué la guerre autant que ses alliés lui en auraient fourni les moyens; cependant elle consentit à la paix, afin de ménager ses ressources pour un projet qui lui tenait plus à cœur que la guerre de Flandre. La France se ressentait de ses grandes dépenses; elle avait de plus à craindre que la disette n'occasionnât la famine dans ses provinces méridionales, dont les ports<17> étaient bloqués par les flottes anglaises. A ces raisons d'État, dont le ministère de Versailles faisait montre en public, se joignaient des causes secrètes, qui en furent les plus puissants motifs. Depuis peu madame de Pompadour était devenue maîtresse du Roi; elle craignait que la continuation de la guerre n'engageât Louis XV à se mettre tous les ans à la tête de son armée : les absences sont dangereuses pour les favoris et pour les maîtresses; elle comprit que pour fixer le cœur de son amant, il fallait écarter tout prétexte qui pût l'éloigner d'elle, en un mot, qu'il fallait faire la paix; et dès lors elle y travailla de tout son pouvoir. Lorsque M. de Saint-Séverin partit de Versailles comme plénipotentiaire pour Aix-la-Chapelle, elle lui dit ces propres mots : « Au moins souvenez-vous, monsieur, de ne pas revenir sans la paix; le Roi la veut à tout prix. »

Le congrès s'assembla donc à Aix-la-Chapelle. La ville de Mastricht se rendit, et la paix fut publiée. Par ce traité la France rendit à la maison d'Autriche toutes ses conquêtes en Flandre et en Brabant; moyennant quoi, l'Impératrice céda le Parmesan et le Plaisantin à Don Philippe, réversibles toutefois à la maison d'Autriche, puisqu'il était stipulé que lorsque Don Carlos monterait au trône d'Espagne, Don Philippe lui succéderait au royaume de Naples; et il est remarquable que cet article fut ainsi conçu sans que les rois d'Espagne et de Naples, ni Don Philippe en aient eu connaissance, et eussent consenti à cet arrangement; aussi en témoignèrent-ils leur mécontentement, en protestant contre toutes les mesures prises à Aix-la-Chapelle, contraires à l'indépendance de leurs couronnes. Les intérêts de la France et de l'Angleterre furent réglés dans le IXe article, où l'Angleterre s'engage de rendre le Cap-Breton aux Français, et où les deux couronnes se garantissent leurs possessions respectives en Amérique, selon la teneur du traité d'Utrecht; elles convinrent toutefois d'assembler quelques commissaires pour vider quelques<18> différends sur les limites du Canada. Enfin l'article XXIIe contient la garantie de la Silésie, que toutes les puissances donnèrent au roi de Prusse.

Il est visible, pour peu d'attention qu'on fasse à cette paix, que c'était l'ouvrage d'un mouvement précipité et fait à la hâte, où les puissances sacrifiaient à l'embarras présent de leurs affaires les intérêts de l'avenir : on éteignait d'une part l'incendie qui embrasait l'Europe, et de l'autre on amassait des matières combustibles, pour qu'elles prissent feu à la première occasion. Il ne fallait que la mort du roi d'Espagne pour exciter de nouveaux troubles, et les limites indéterminées du Canada ne pouvaient manquer de mettre un jour les Français aux prises avec les Anglais. Il ne s'agirait quelquefois que d'une campagne de plus, ou de quelque fermeté dans les négociations, pour terminer pour longtemps les querelles des souverains; mais on préfère les palliatifs aux topiques, et une trêve que l'on signe par impatience à une paix solide.

La cour de Vienne avait perdu par cette guerre les duchés de Silésie, le Parmesan et le Plaisantin; elle souffrait impatiemment cette diminution de sa puissance, et comme elle en rejetait la faute principale sur les Anglais, qu'elle n'accusait pas sans raison de sacrifier les intérêts de leurs alliés aux leurs propres, cela lui donnait du dégoût de cette alliance, et la portait à sonder le terrain à la cour de Versailles, pour essayer de détacher cette puissance de la Prusse, et pour éprouver en même temps s'il ne se trouverait pas quelque expédient par lequel on pourrait concilier les intérêts des deux cours. Le comte Kaunitz, duquel ce projet venait particulièrement, étant plénipotentiaire de l'Impératrice-Reine à Aix-la-Chapelle, ne tarda pas à en faire les premières propositions à M. de Saint-Séverin; il lui dit, par manière d'insinuation, que si la France voulait s'entendre avec la maison d'Autriche, il y aurait des engagements de bienséance à prendre entre<19> les deux cours, moyennant lesquels la Flandre et le Brabant pourraient demeurer en propriété à Sa Majesté Très-Chrétien ne, pourvu qu'elle voulût obliger le roi de Prusse à restituer la Silésie à l'Impératrice-Reine. L'appât était séduisant, et capable de tenter la cour de Versailles, si Louis XV, excédé de la guerre qu'il venait de terminer, n'eût craint d'en recommencer une nouvelle pour exécuter ce projet; de sorte que M. de Saint-Séverin déclina ces offres, tout avantageuses qu'elles étaient.

Le comte Kaunitz ne s'en tint pas là; cet homme si frivole dans ses goûts et si profond dans les affaires, fut envoyé comme ambassadeur à Paris. Il y travailla avec une assiduité et une adresse infinie pour faire revenir les Français de cette haine irréconciliable qui, depuis François Ier et Charles-Quint, subsiste entre les maisons de Bourbon et d'Habsbourg : il répétait souvent aux ministres que l'agrandissement des Prussiens était leur ouvrage; qu'ils en avaient été payés d'ingratitude, et qu'ils ne tireraient aucun parti d'un allié qui n'agissait que pour ses propres intérêts. D'autres fois il leur disait, comme si la force de la conviction lui arrachait ces paroles : « Il est temps, messieurs, que vous sortiez de la tutelle où les rois de Prusse et de Sardaigne et nombre de petits princes vous tiennent : leur politique ne tend qu'à semer la zizanie entre les grandes puissances, ce qui leur procure des moyens d'agrandissement; et nous ne faisons la guerre que pour eux. Il n'y a qu'à nous entendre, et à nous prêter mutuellement à des arrangements qui, en ôtant tout sujet de dispute entre les premières puissances de l'Europe, serviront de base à une paix solide et permanente. » Ces idées parurent du commencement bizarres à une nation qui avait pris l'habitude, par une longue suite de guerres, de regarder la maison impériale comme son ennemie perpétuelle. Cependant le ministère français se sentit flatté de l'idée de ces grandes puissances qui donneraient des lois à l'Europe, et de cette<20> paix perpétuelle, quoique d'autres considérations le retinssent encore. Le comte Kaunitz, sans se rebuter, revint souvent à la charge; à force de répéter les mêmes propos, la cour de France s'apprivoisa avec ces idées, et elle vint à se persuader insensiblement que l'union de ces deux grandes maisons n'était pas aussi incompatible que leurs ancêtres l'avaient cru. Il fallait du temps à ce germe pour se développer et pour se fortifier; toutefois la doctrine du comte Kaunitz fit des disciples, et causa quelques refroidissements entre la cour de Versailles et celle de Berlin. On le remarqua surtout à la mission de mylord Tyrconnel20-a à Berlin. Ce ministre, effarouché de cette idée de tutelle que le comte Kaunitz avait tant rebattue, parlait sans cesse avec affectation de l'indépendance des grandes puissances. Un jour il tint même des propos assez imprudents, dont le sens était : « Pour peu que le roi de Prusse tergiverse avec nous, nous le laisserons tomber, et il sera écrasé. » Les Français conservèrent cependant les dehors d'une amitié de bienséance vis-à-vis du Roi, quoique la cour de Versailles ne regardant pas des liaisons à prendre avec l'Impératrice-Reine comme impossibles, ne se sentît plus d'éloignement pour elle. Les choses restèrent en France sur ce pied, jusqu'à ce que les vexations des Anglais obligèrent Louis XV à recourir aux armes.

La cour de Vienne ne trouvant pas dans celle de Versailles autant de facilité qu'elle se l'était promis, toujours occupée cependant à lier sa partie, se tourna vers celle de Pétersbourg, où elle mit tout en mouvement pour rendre son union plus étroite avec la Russie, et pour brouiller l'impératrice Élisabeth avec le roi de Prusse. Un ministre russe était sûr que sa haine contre la Prusse lui était payée, et les Autrichiens en augmentaient le salaire à mesure qu'il y mettait<21> plus d'aigreur : ceux qui étaient à la tête du gouvernement, ne cherchaient donc qu'à mettre la disharmonie entre les cours de Pétersbourg et de Berlin, et une chose innocente d'elle-même leur en fournit le prétexte. La nécessité d'établir une balance dans le Nord avait déterminé la France, la Prusse et la Suède à faire une triple alliance. Le comte Bestusheff affecta d'en prendre ombrage; il remplit l'Impératrice d'appréhensions, et porta les choses au point que tout de suite les Russes assemblèrent des camps considérables en Finlande sur la frontière des Suédois, et en Livonie vers la frontière de la Prusse. Ces ostentations se renouvelèrent, depuis, toutes les années. Dans des conjonctures aussi critiques, il s'éleva une dispute entre la Russie et la Suède touchant les limites de la Finlande, qu'on n'avait pas assez exactement déterminées par le traité d'Åbo : ce prétexte fâcheux donnait aux Russes la liberté de commencer la guerre lorsqu'ils le jugeraient à propos. La cour de Vienne fomenta ces dissensions, dans le dessein d'inquiéter le roi de Prusse, et de l'induire à quelque fausse démarche qui pût le commettre avec la Russie. Cependant l'Impératrice-Reine se contenta de fournir des aliments à l'aigreur des deux cours, sans précipiter le moment de la rupture.

La situation où le Roi se trouvait, était délicate et embarrassante; elle aurait pu devenir dangereuse, si l'on n'avait pas eu le bonheur de corrompre deux personnes, par le moyen desquelles le Roi était informé des desseins les plus secrets de ses ennemis : l'un s'appelait Weingarten; il était secrétaire du comte de La Puebla, envoyé d'Autriche à la cour de Berlin; l'autre était un clerc21-a de la chancellerie secrète de Dresde. Le secrétaire rendait la copie de toutes les dépêches que le ministre recevait de Pétersbourg, de Vienne et de Londres; le clerc de la chancellerie secrète de Dresde donnait la copie des traités entre la Russie et la Saxe, et de la correspondance que le comte<22> Brühl entretenait, tant avec le comte Bestusheff, que des dépêches du comte Flemming de Vienne. Le comte de Brühl se sentait humilié par la paix de Dresde; il était jaloux de la puissance du Roi, et il travaillait, de concert avec la cour de Vienne, à Pétersbourg, pour y communiquer la haine et l'envie dont il était dévoré. Ce ministre ne respirait que la guerre : il se flattait de profiter des premiers troubles de l'Europe, pour abaisser un voisin dangereux de la Saxe; il comprenait que cet électorat ne serait pas épargné, et que les premiers efforts des Prussiens s'y porteraient; et toutefois il laissait dépérir l'état militaire de la Saxe. Nous n'examinerons pas si sa conduite fut bien conséquente : il ne devait pas ignorer que tout État se trompe, qui au lieu de se reposer sur ses propres forces, se fie à celles de ses alliés. Ainsi par le ministère de ces deux hommes dont nous venons de parler, il n'y avait rien de caché pour le Roi, et leurs fréquentes nouvelles lui servaient comme de boussole pour se diriger entre les écueils qu'il avait à éviter, et l'empêchaient de prendre de pures démonstrations pour un dessein formé de lui déclarer incessamment la guerre.

Cependant l'ascendant de la cour de Vienne sur celle de Pétersbourg s'augmentait de jour en jour; il devait s'accroître rapidement, parce que l'esprit du ministre était préparé à recevoir favorablement les insinuations qu'on pouvait lui faire contre les Prussiens. Le comte de Bestusheff avait soupçonné M. de Mardefeld, ministre du Roi, d'être d'intelligence avec M. de La Chétardie pour lui faire perdre son poste. A ce sujet de haine s'en joignait un autre. L'an 1745, lorsqu'en automne le Roi entra en Saxe, avant que la bataille de Kesselsdorf se donnât, M. de Mardefeld eut ordre d'offrir quarante mille écus à M. de Bestusheff, pour que la Russie ne se mêlât point de cette guerre, et après la paix de Dresde, par une économie déplacée, ou soit par un effet d'inimitié personnelle, M. de Mardefeld se dispensa de payer cet argent au grand chancelier; ce qui fit que ce ministre<23> comprit dans la haine qu'il avait pour M. de Mardefeld, tout ce qui avait le nom prussien. Pour se venger de ces offenses particulières, il engagea l'Impératrice à conclure une alliance avec les cours de Vienne et de Londres. Ce traité était avantageux à la Russie par deux raisons : premièrement, parce que l'union de la maison d'Autriche était convenable à la Russie, pour s'opposer conjointement aux entreprises de la Porte; et en second lieu, par les subsides anglais, qui depuis inondèrent Pétersbourg. Les choses étant ainsi disposées, il ne fut pas difficile à l'Impératrice-Reine de rompre toute correspondance entre la Prusse et la Russie; ni les ménagements que le Roi gardait dans ces circonstances scabreuses, ni une conduite toujours mesurée qu'il tint vis-à-vis de la cour de Pétersbourg, ne purent empêcher que les choses n'en vinssent bientôt à un éclat.

Un homme d'une extraction obscure, revêtu du caractère de ministre de Russie, nommé Gross, fut l'instrument dont M. de Bestusheff se servit pour brouiller les deux cours. Ce ministre, chargé de saisir la première occasion pour en venir à un éclat, prit le premier prétexte qui se présenta pour remplir les intentions de sa cour. Le Roi donnait des fêtes à Charlottenbourg à l'occasion du mariage du prince Henri avec la princesse de liesse. Les ministres étrangers y parurent. Le fourrier de la cour eut ordre de les inviter tous à souper; il s'acquitta de sa commission, mais il ne put trouver le sieur Gross, qui était parti exprès une demi-heure avant les autres. Ce ministre déclara le lendemain qu'il ne paraîtrait plus à la cour, après l'affront fait à l'Impératrice en sa personne, et qu'il attendrait le retour de son courrier de Pétersbourg pour régler sa conduite ultérieure sur les ordres qu'il en recevrait. Ce courrier arriva; Gross partit sur-le-champ furtivement de Berlin,23-a escorté pendant qu'il traversait la ville<24> par les secrétaires de légation autrichiens et anglais. L'évasion de ce ministre obligea le Roi à rappeler également le comte Finck de Pétersbourg, où il avait succédé à M. de Mardefeld.

Dès que les Autrichiens furent délivrés en Russie d'un ministre prussien qui les gênait, ils lâchèrent le frein à leur mauvaise volonté, et ils n'eurent point honte de débiter les mensonges et les calomnies les plus atroces, pour envenimer l'esprit de l'impératrice Élisabeth contre le Roi. Ils lui persuadèrent que ce prince avait tramé un complot contre sa vie, pour élever le prince Iwan sur le trône. L'Impératrice, qui était d'un caractère indolent et facile, les en crut sur leur parole, pour s'épargner la peine d'examiner la chose; et elle fit donner un philtre au prince Iwan, qui lui dérangea les organes du cerveau, et elle conçut pour le Roi une haine irréconciliable. La France n'avait dans ce temps aucun ministre à Pétersbourg; celui que la Suède y entretenait, était plus russe que suédois, et par conséquent peu propre à servir le Roi; de sorte qu'il n'y avait aucune voie pour parvenir à l'Impératrice, et pour la tirer de l'erreur où la jetaient le ministre d'Autriche et ses créatures. La cour de Vienne, satisfaite des sentiments de haine et d'animosité dont elle avait rempli la cour de Pétersbourg pour la Prusse, était trop habile pour pousser les choses plus loin; elle se contenta d'avoir disposé les esprits à la rupture, mais elle n'en voulut pas précipiter l'événement, pour achever ses arrangements intérieurs, et pour attendre qu'une occa<25>sion favorable lui permît de mettre au jour ses vastes projets. C'était ainsi que l'Impératrice-Reine agitait toute l'Europe par ses intrigues, et tramait une conspiration sourde contre la Prusse, que le premier événement important devait faire éclater.

Cependant les différends que la Suède avait avec la Russie pour les frontières de la Finlande, furent terminés à l'amiable; mais vers la fin de l'année 1756 il se fit dans ce royaume une espèce de révolution, dont nous ne saurions nous dispenser de parler en peu de mots, parce que ses suites influèrent dans les affaires générales de l'Europe. Voici ce qui y donna lieu. La cour s'était depuis longtemps brouillée avec les sénateurs du parti français, à cause d'une place de général-major vacante que le Roi destinait à M. de Lieven, et le sénat, à M. de Fersen; le sénat l'emporta. La cour, vivement piquée de cet affront, contraria depuis dans toutes les occasions le parti français. Les comtes de Bonde et de Horn, et le sieur de Wrangel, avec nombre de seigneurs des premières familles du royaume, attachés au parti de la cour, la flattèrent de lui procurer la supériorité à la diète en faisant élire un maréchal qui fût entièrement à sa dévotion. Cependant l'événement tourna d'une manière toute contraire, et ce comte Fersen, ennemi de la cour, obtint cette charge par les intrigues et l'appui de la faction française. Dans cette diète, commencée le 17 octobre 1755, le sénat, fier de sa supériorité, présenta un mémoire aux états, pour décider la grande querelle qui était entre lui et le Roi touchant la distribution des charges. Comme les juges étaient à la disposition de l'ambassadeur de France, le sénat triompha; il abusa de sa victoire, et s'en servit pour diminuer cette ombre d'autorité dont le Roi avait joui jusqu'alors selon les lois du royaume. L'insolence de ces magistrats alla même jusqu'à dépouiller la Reine des joyaux de la couronne, et de ceux qui lui avaient été donnés; il s'en fallut peu qu'au mépris de la majesté souveraine ces sénateurs sédi<26>tieux n'entreprissent de renverser le trône. Ces procédés outrageants firent de vives impressions sur la cour, et sur ceux qui lui étaient attachés, principalement sur l'esprit des comtes Bonde et Horn et du sieur de Wrangel. Ces seigneurs s'assemblèrent dans les premiers mouvements de leur indignation, et résolurent de changer par un coup hardi la forme de leur gouvernement. Le Roi n'eut pas assez d'ascendant pour leur faire tempérer le parti violent qu'ils avaient pris; leurs mesures furent concertées tumultuairement, et plus mal exécutées encore; et par un mélange de sentiments audacieux et de timidité, ils hésitèrent au moment de l'exécution. Une entreprise différée est d'ordinaire découverte : quelques amis faibles, auxquels ils s'étaient confiés, les trahirent. Le sénat prit des mesures vigoureuses, pour se mettre à l'abri de toute entreprise : le comte Bonde fut arrêté; le sieur de Wrangel et quelques autres seigneurs de ce parti eurent le bonheur de se sauver. Le nom du Roi se trouva impliqué dans la déposition des conjurés. Enfin, le comte Bonde et plusieurs personnes d'une naissance obscure périrent sur l'échafaud,26-a et le Roi fut entièrement dépouillé des prérogatives dont son prédécesseur et lui avaient joui selon la forme de gouvernement établie depuis la mort de Charles XII. Depuis ce temps, il n'y eut que M. d'Havrincourt, ambassadeur de France, qui fût véritablement roi de Suède; il gouverna despotiquement cette nation, et l'engagea depuis dans la guerre d'Allemagne d'une manière irrégulière, et contraire aux constitutions du gouvernement; ce qui ne serait pas arrivé si le roi légitime avait conservé l'autorité dont il devait jouir selon les lois. Tout le service que le roi de Prusse put rendre à son beau-frère, fut de représenter à la cour de Versailles de faire changer de conduite au ministre arro<27>gant qui mettait toute la Suède en subversion; mais la France aimait mieux voir M. d'Havrincourt à la tête de ce royaume, que celui qui en était le roi légitime.

L'année précédente il était survenu un autre démêlé, mais moins fâcheux, entre la Prusse et le Danemark : c'était au sujet d'un procès que la comtesse de Bentinck avait avec son mari. Cette femme, décriée par ses mœurs, avait cédé au comte de Bentinck une terre située sur la frontière de l'Ost-Frise, et depuis elle s'était repentie du contrat formel quelle en avait passé. Les juges ordonnèrent le séquestre : le Roi, en qualité de directeur du cercle de Westphalie, devait en être chargé; la cour de Vienne en donna la commission au roi de Danemark. Ce prince y envoya des troupes; les Prussiens les prévinrent; le roi de Danemark prit feu, et il aurait employé des menaces si sa modération ne l'avait retenu. Cependant cette affaire fut apaisée par la médiation de la France. Le roi de Danemark et tout le monde était content; mais la comtesse de Bentinck, qui aimait à chicaner, rompit l'accord qu'on lui avait moyenné; elle alla plaider à Vienne, d'où elle fut chassée depuis, pour avoir favorisé le dessein insensé du duc de Würtemberg, d'enlever l'archiduchesse Élisabeth. Cette dame retourna dans son comté; et comme elle ne trouva personne disposé à se mêler de son affaire, son procès demeura indécis.

Il semblait que, durant cette paix, un esprit de discorde se fût répandu en Europe, qui se plaisait à semer la division entre toutes les cours. Il survint au Roi des différends avec l'Angleterre, qui pensèrent le commettre avec cette couronne. Durant la dernière guerre, les pirates anglais avaient enlevé quelques vaisseaux appartenant à des marchands prussiens : les Anglais étaient juge et partie dans leur propre cause, de sorte que le tribunal de leur amirauté déclara ces vaisseaux de bonne prise. Le Roi, après avoir fait les représentations convenables à la cour de Londres, mit l'affaire en négociation. Les<28> Anglais ne se relâchèrent point, et tinrent peu de compte de ce qu'on alléguait du droit sur l'illégalité de leurs procédés; enfin, après avoir inutilement épuisé toutes les voies de conciliation, il ne resta d'autre expédient, pour indemniser les sujets prussiens, que de mettre un séquestre sur la somme que le Roi devait aux Anglais, selon qu'il s'y était engagé par la paix de Breslau. C'était le remboursement d'une somme d'un million huit cent mille écus que la maison d'Autriche avait empruntés sur la Silésie pour soutenir la guerre contre la Porte en 1737 et 1738. Le dernier terme qui restait à acquitter, de trois cent mille écus, fut arrêté. Les Anglais en furent irrités; cela donna lieu à des déclarations assez vives de part et d'autre : le ministre d'Autriche qui siégeait à Londres, se donna de grands mouvements pour envenimer cette affaire, et peut-être aurait-elle eu des suites, si une querelle beaucoup plus grave entre la France et l'Angleterre au sujet du Canada n'y eût fait diversion.

Il n'y eut pas jusqu'au duc de Mecklenbourg qui, se reposant sur la protection de la cour impériale dont il jouissait, ne s'émancipât à chicaner le Roi. Il s'agissait des levées prussiennes dans le Mecklenbourg, dont les ancêtres du Roi, autorisés par d'anciens pactes de famille, avaient été en possession de temps immémorial. Le Duc s'y opposa, à l'instigation de la cour de Vienne; le Roi se fit justice à lui-même : on enleva quelques soldats mecklenbourgeois, et l'on arrêta quelques baillis qui s'étaient opposés aux enrôlements. Le Duc fit grand bruit; mais voyant que ses éclats n'aboutissaient à rien, il prit le parti de s'accommoder, et l'affaire fut terminée à l'amiable. Bientôt après, lorsque l'Impératrice-Reine vit la guerre sur le point de s'allumer entre l'Angleterre et la France, elle chercha un prétexte pour rompre avec la Prusse; pour cet effet, elle persuada au duc de Mecklenbourg de porter ses plaintes à la diète de Ratisbonne. La cour de Vienne s'efforçait à faire passer cette affaire pour une violation de la<29> paix de Westphalie; elle voulut se servir de ce prétexte pour déclarer la guerre au Roi, et pour réclamer en même temps l'assistance des puissances qui avaient garanti cette paix. Nous verrons dans la suite de cet ouvrage que, quoique ce prétexte manquât à la cour de Vienne, il ne lui fut pas difficile d'en trouver un autre. L'occasion qu'elle désirait avec impatience, ne tarda pas à se présenter, et elle la saisit avec empressement : quand les souverains veulent en venir à une rupture, ce n'est pas la matière du manifeste qui les arrête; ils prennent leur parti, ils font la guerre, et ils laissent à quelque jurisconsulte laborieux le soin de les justifier.

Si nous n'avons pas fait mention de la Hollande dans cet ouvrage, c'est que depuis la guerre de 1740, surtout depuis la mort du stadhouder, elle ne jouait aucun rôle en Europe. Il ne nous reste qu'à rapporter succinctement une calamité singulière dont le Portugal se ressentit, et qui faillit à bouleverser ce royaume. Un tremblement de terre se fit sentir, dont les secousses furent si violentes, qu'elles renversèrent la ville de Lisbonne; les maisons, les églises, les palais, tout fut bouleversé, englouti, ou dévoré par les flammes qui s'échappèrent des gouffres de la terre : il y périt entre quinze et vingt mille âmes; beaucoup d'autres villes et villages dans ce royaume furent ébranlés ou renversés. Ce tremblement de terre se fit sentir le long des côtes de l'Océan jusqu'aux frontières de la Hollande. On ne peut attribuer la cause de ce malheur qu'aux efforts d'un feu souterrain qui, resserré dans les entrailles de la terre, s'est creusé quelque canal, et a formé quelque gouffre sous le Portugal, d'où il tend à s'échapper et à se mettre en liberté; et peut-être qu'un jour la postérité verra naître un volcan à la place où Lisbonne a subsisté jusqu'à présent. Mais il sembla que ce n'en fût pas assez des fléaux du ciel qui affligèrent ce malheureux globe; peu après, la méchanceté des hommes arma leurs mains impies; ils se déchirèrent pour un vil amas de boue; la haine,<30> l'obstination, la vengeance se portèrent aux derniers excès. Toute l'Europe nagea dans le sang, et le mal moral dont le genre humain fut la victime, surpassa de beaucoup le mal physique dont Lisbonne avait éprouvé la rigueur.

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CHAPITRE III.

Cause de la rupture entre la France et l'Angleterre; négociation de mylord Holdernesse; alliance de la Prusse et de l'Angleterre; offres de M. Rouillé; ambassade du duc de Nivernois; la France piquée; guerre déclarée aux Anglais; le duc de Richelieu prend Port-Mahon; bateaux plats qui épouvantent les Anglais : ils font venir des Hanovriens et des Hessois; les Russes se renforcent sur la frontière de la Prusse; l'espion Weingarten découvert et sauvé; les Autrichiens rassemblent deux armées en Bohême; intelligence dans les archives de Dresde, où tout le mystère d'iniquité se découvre; brouilleries avec l'Autriche; raisons pour déclarer la guerre; première disposition des troupes; projet de campagne.

Après nous être fait une idée de la situation où se trouvaient les puissances de l'Europe au commencement de l'année 1755, il faudra vous mettre sous les yeux les causes des dissensions et des brouilleries qui donnèrent lieu à la guerre qui éclata entre la France et l'Angleterre. Les affaires présentes tiennent si fort aux événements passés, qu'il faut remonter au traité d'Utrecht pour arriver aux sources de ces brouilleries. Elles tirent leur origine d'anciens démêlés que les Français avaient eus avec les Anglais sur les limites du Canada. Louis XIV, pressé de conclure le traité d'Utrecht pour séparer la reine Anne de la grande alliance, ordonna à ses plénipotentiaires de<32> signer sans chicane. Ces plénipotentiaires se servirent de termes équivoques pour marquer les limites du Canada, sur lesquelles roulait le litige : ce que la France gagnait par cette paix valait plus que toutes ses possessions dans cette contrée stérile. Mais dès que les troubles de l'Europe furent apaisés, les Anglais et les Français interprétèrent chacun à leur avantage l'article des limites de leurs possessions de l'Amérique. Il y eut quelques débats entre les colonies de ces deux nations, sans cependant que ces querelles sourdes dégénérassent en hostilités ouvertes. Par le traité de paix d'Aix-la-Chapelle, on aurait dû aplanir toutes ces différences. M. de Saint-Séverin et ses collègues, qui y étaient de la part de la France, obligés par les ordres réitérés de la cour d'accélérer la prompte signature des préliminaires, renvoyèrent la discussion des limites de ces colonies à l'examen de commissaires que les deux cours nommeraient après la conclusion de la paix : ces commissaires s'assemblèrent, mais loin que leurs conférences rapprochassent les esprits des deux nations, le mécontentement et l'aigreur n'allèrent qu'en augmentant. L'ambassade du duc de Mirepoix, et la négociation qu'il entama à Londres, ne produisit rien : chaque peuple reprochait à l'autre sa mauvaise foi; les troupes anglaises et françaises dans l'Amérique en venaient à des hostilités; elles s'enlevaient mutuellement des forts; ils se faisaient déjà la guerre sans se l'être déclarée. Dans les relations de ces contrées, les officiers anglais ne manquaient pas de rejeter la faute de leurs violences sur les Français; ils envoyaient chacun des factums pour justifier leur conduite; la ville de Londres en était inondée.

Cette nation, facile à s'enflammer lorsqu'elle croit avoir à se plaindre de la France, déjà mécontente de la paix d'Aix-la-Chapelle, ne respirait que la guerre : la conduite du duc de Cumberland acheva de rendre cette fermentation générale. Il voyait que le grand âge du roi son père l'approchait des bornes de la vie; pour augmenter son crédit, et pour avoir plus d'influence dans le règne suivant, il avait<33> formé le dessein de remplir le conseil de ses créatures, et de faire passer tous les grands emplois de la couronne à des personnes qui lui fussent entièrement dévouées. Son choix s'était préférablement déterminé en faveur du sieur Fox, qu'il destinait à la place de chef de la trésorerie, et à tous les emplois dont le duc de Newcastle était revêtu. L'élévation du sieur Fox ne pouvait avoir lieu que par le déplacement du duc de Newcastle, et cela était d'autant plus difficile, que ce seigneur jouissait d'un grand crédit sur l'esprit du Roi; qu'il était considéré dans le parlement par ses longs services, par sa vertu et par son bon naturel; qu'il était estimé de la nation par ses immenses richesses, par toutes les places qu'il avait à donner, et enfin par un nombre de membres du parlement que ses seigneuries lui donnaient le droit d'élire. Le duc de Cumberland imagina que le meilleur moyen pour faire abandonner au duc de Newcastle ses grands emplois, serait d'engager la nation dans une guerre avec la France, par où il mettrait le ministre dans la nécessité d'ajouter de nouvelles dettes à celles dont le gouvernement était déjà surchargé; ce qui fournirait des griefs à l'opposition : ou bien il se flattait de profiter de tous les mauvais succès qui pourraient arriver au commencement d'une guerre, pour en rejeter la faute sur le ministre, et le déterminer, à force d'inquiétudes et de persécutions, à se retirer de lui-même des emplois. Ce projet était vaste et compliqué. Pour le mettre en exécution, il fallait commencer par envenimer les querelles des deux nations, pour les porter à la rupture de la paix. Cela fut facile : au seul nom de Français le peuple de Londres entre en fureur; les matières combustibles étaient assemblées, elles s'embrasèrent bien vite; bientôt ce peuple fougueux et féroce obligea le roi George à faire quelques armements. Une démarche en entraîna insensiblement une autre; on en vint de là à des voies de fait; des violences donnèrent lieu à des représailles, et dès la fin de 1754 la guerre entre ces deux peuples parut inévitable. On remarquait cependant que le ministère de Versailles agit avec plus de<34> mesure et de modération, et que les mauvais procédés étaient tous commis de la part des Anglais.

Ces deux rois, se voyant menacés de la guerre, tâchèrent chacun de leur côté de fortifier leur parti, en resserrant les vieilles alliances, ou en en formant de nouvelles. Le Roi fut alors recherché par les Français et par les Anglais : son alliance avec la cour de Versailles n'était point expirée; toutefois les possessions des Français aux Indes étaient exceptées des garanties de la Prusse; et dans ces conjonctures il paraissait que le partage des Prussiens serait de demeurer neutres pendant ces troubles, et d'en être de simples spectateurs. Ce n'était pas ce que l'on pensait à Versailles : la cour comptait le roi de Prusse à l'égard de la France, comme un despote de Valachie à l'égard de la Porte, c'est-à-dire, comme un prince subordonné à l'autre, et dans l'obligation de faire la guerre dès qu'on lui en envoie l'ordre; la cour se persuadait de plus qu'en portant la guerre dans l'électorat de Hanovre, elle ferait mollir le roi de la Grande-Bretagne, et terminerait ainsi au centre de l'Empire les différends qui subsistaient aux Indes entre elle et les Anglais. M. Rouillé, alors ministre des affaires étrangères, dit un jour à M. de Knyphausen, dans l'intention d'engager le Roi à contribuer à cette diversion : « Écrivez, monsieur, au roi de Prusse qu'il nous assiste dans l'expédition de Hanovre; il y a là de quoi piller : le trésor du roi d'Angleterre est bien fourni; le Roi n'a qu'à le prendre; c'est, monsieur, une bonne capture. » Le Roi lui fit répondre que de pareilles propositions étaient convenables pour négocier avec un Mandrin,34-a et qu'il espérait qu'à l'avenir M. Rouillé voudrait bien apprendre à distinguer les personnes avec lesquelles il avait à traiter. Ces négociations devinrent plus vives sur la fin de 1755.

Le roi George, informé du dessein des Français, alarmé de l'orage qui menaçait son électorat, se persuada que la manière la plus sûre<35> de le conjurer était de conclure une alliance défensive avec la Prusse : il savait que les liens qui unissaient le roi de Prusse au roi de France étaient sur le point de finir, parce que le terme du traité de Versailles expirait au mois de mars35-a de l'année 1756, et il chargea mylord Holdernesse, son secrétaire d'État, d'entamer la négociation avec la cour de Berlin. Mylord Holdernesse, incertain des dispositions du roi de Prusse pour cette alliance, afin de ne point exposer son maître à un refus direct, en hasarda les premières propositions par le duc de Brunswic. Ces ouvertures se firent sous le prétexte d'assurer le repos de l'Allemagne contre le danger dont la menaçait une guerre prête à s'allumer. On demandait au Roi d'entrer dans des mesures qui pussent assurer et affermir la tranquillité publique; cette proposition tirait à grande conséquence : dans la situation où se trouvait alors la Prusse, le parti pour lequel le Roi allait se décider, influait sur la paix et sur la guerre. En renouvelant le traité avec la France, il fallait attaquer l'électorat de Hanovre; ce qui était s'attirer sur les bras les forces des Anglais, des Autrichiens et des Russes; en concluant une alliance avec l'Angleterre, il était probable que les Français ne porteraient point la guerre dans l'Empire, et que la Prusse se trouverait liée avec la Grande-Bretagne et avec la Russie; ce qui semblait obliger l'Impératrice-Reine à demeurer en paix, quelque envie qu'elle eût de reconquérir la Silésie, et quelques préparatifs qu'elle eût faits pour agir aussitôt que l'occasion le lui permettrait.

Avant que de se déterminer, le Roi jugea néanmoins à propos de s'assurer de la façon de penser de la cour de Russie; mais comme il avait dans la personne du chancelier Bestusheff un ennemi déclaré, il ne pouvait pas s'en éclaircir directement à Pétersbourg, où toute<36> intelligence entre les deux cours était rompue; il eut recours au sieur de Klinggräff, son ministre à la cour impériale, et à mylord Holdernesse même, pour savoir en quels termes la Russie en était avec l'Angleterre, et surtout si la cour de Vienne ou celle de Londres avait plus d'influence à Pétersbourg. Le sieur de Klinggräff répondit que les Russes étant une nation mercenaire et intéressée, il n'y avait aucun doute qu'ils ne fussent plus attachés à ceux qui pouvaient les acheter, qu'à ceux qui n'avaient rien à leur donner; que l'Impératrice-Reine manquait souvent de ressources pour ses propres dépenses; qu'ainsi les Russes s'en tiendraient aux Anglais, que des richesses immenses mettaient en état de leur payer de gros subsides. La réponse de mylord Holdernesse portait que, l'intelligence entre l'Angleterre et la Russie étant parfaite, le roi George comptait fermement sur l'amitié de l'impératrice Élisabeth. Les informations que le Roi tirait de son ministre à la Haye, se trouvèrent cadrer si bien avec ce qu'on lui avait écrit de Vienne et de Londres, qu'il crut que tant de personnes pouvaient difficilement se tromper toutes sur le même sujet : leurs conjectures, étant les mêmes, devaient être justes; ce fut ce qui le détermina d'entrer en négociation avec l'Angleterre. Il fit répondre à mylord Holdernesse qu'il n'était pas éloigné de prendre avec le roi de la Grande-Bretagne des mesures innocentes, défensives, et uniquement relatives à la neutralité de l'Allemagne. Ces deux puissances se trouvant d'accord sur les principes de leurs liaisons, elles parvinrent bientôt à la conclusion du traité, qui fut signé à Londres le 16 janvier 1756. Ce traité contenait quatre articles, dont les trois premiers étaient relatifs aux garanties réciproques que ces deux puissances se donnaient pour la sûreté de leurs propres États; le dernier regardait directement l'Allemagne, et les engagements pour empêcher que des troupes étrangères n'y pussent entrer. Par deux articles secrets on convenait : par l'un, que les Pays-Bas autrichiens seraient exceptés de la garantie de l'Allemagne; et par l'autre, l'Angle<37>terre s'engageait à payer vingt mille livres sterling aux négociants prussiens, qu'ils avaient à prétendre en dédommagement des prises non restituées que les Anglais leur avaient faites pendant la dernière guerre.

Ce traité arriva signé à Berlin environ un mois après que le duc de Nivernois s'y fut rendu : Louis XV envoyait ce seigneur à la cour du Roi, pour renouveler l'alliance de Versailles prête à s'écouler, plus encore pour faire entrer la Prusse dans le projet que la France méditait contre l'électorat de Hanovre. L'argument le plus fort qu'employa le duc de Nivernois pour persuader au Roi cette alliance et cette guerre, ce fut de lui offrir la souveraineté de l'île de Tabago. Il faut savoir qu'après la guerre de 1740 les Français avaient donné cette île au comte de Saxe; et comme les Anglais en parurent très-mécontents, il fut stipulé qu'elle demeurerait déserte, et ne pourrait être cultivée par aucune nation. Cette offre était trop ridicule pour être reçue : le Roi tourna la chose en plaisanterie, et pria le duc de Nivernois de jeter les yeux sur quelqu'un qui fût plus propre à être gouverneur de l'île de Barataria que lui;37-a il déclina de même le renouvellement d'alliance et la guerre dont il avait été question, et pour en agir avec la plus grande candeur vis-à-vis de la France, pour la convaincre de l'innocence des nouveaux engagements qu'il avait pris avec l'Angleterre, il ne fit point difficulté de montrer en original au duc de Nivernois le traité qui venait d'être signé à Londres. La nouvelle de cette alliance causa une vive sensation à Versailles dans l'esprit de Louis XV et de son conseil; il s'en manqua peu qu'ils ne dissent que le roi de Prusse s'était révolté contre la France. Le fait examiné par des yeux impartiaux était différent. L'alliance de la Prusse avec la France allait expirer dans deux mois; le Roi, comme souverain, était autorisé de contracter des liaisons avec des peuples où ses États trouvaient leur plus grand avantage : il ne manquait donc<38> ni à sa parole, ni à son honneur en s'unissant avec le roi d'Angleterre, surtout dans la vue de maintenir en paix par ces nouveaux arrangements et ses États et toute l'Allemagne. Mais les Français n'entendirent pas raison : il ne s'agissait à Versailles que de la défection du roi de Prusse, qui abandonnait perfidement ses anciens alliés; et la cour se répandit en reproches qui firent juger qu'elle ne bornerait pas son ressentiment à de simples paroles.

Nous avons vu dans le chapitre précédent par combien de ruses et de souplesse la cour de Vienne tâchait de se rapprocher de celle de Versailles, et avec combien d'application le comte Kaunitz avait profité de son séjour à Paris, pour familiariser l'esprit de la nation française avec l'idée de l'alliance autrichienne. Un moment d'humeur où se trouvait Louis XV, et la mode qui s'introduisait dans le conseil de Versailles de déclamer contre le roi de Prusse, firent tout d'un coup germer cette semence : la vivacité extrême de la nation française lui fit envisager l'alliance avec la maison d'Autriche comme un raffinement supérieur de politique. Sur cela, le comte de Starhemberg fut chargé par l'Impératrice-Reine de proposer l'alliance entre les deux cours. On fut bientôt d'accord, parce qu'on voulait la même chose des deux côtés; et cette alliance fut signée au nom du Roi Très-Chrétien par M. Rouillé et l'abbé de Bernis38-a le 1er de mai 1756. Ce fameux traité de Versailles, annoncé avec tant d'ostentation, nommé l'Union des grandes puissances, était de sa nature défensif, et contenait en substance la promesse d'un secours de vingt-quatre mille hommes, au cas qu'une des puissances contractantes fût attaquée; ce fut cependant cette alliance qui encouragea l'Impératrice-Reine à l'exécution du grand projet qu'elle méditait de longtemps.

<39>L'union que les maisons d'Autriche et de Bourbon venaient de former, commençait à donner des soupçons que le traité de Londres pourrait ne pas maintenir la tranquillité de l'Allemagne : la paix ne tenait plus qu'à un cheveu; il ne s'agissait que d'un prétexte, et quand il ne faut que cela, la guerre est autant que déclarée; bientôt elle parut inévitable, car on apprit que tous les politiques s'étaient trompés sur le compte de la Russie. Cette puissance, où les intrigues des ministres autrichiens prévalurent, rompit avec l'Angleterre en haine de l'alliance que le roi de la Grande-Bretagne avait conclue avec le roi de Prusse. M. de Bestusheff s'était trouvé un moment indécis entre sa passion des guinées, et la haine qu'il avait pour le Roi; mais la haine l'emporta. L'impératrice Élisabeth, ennemie de la nation française depuis la dernière ambassade de M. de La Chétardie, aima mieux se liguer avec elle que de conserver une ombre d'union avec une puissance qui avait la Prusse pour alliée : la cour de Vienne, agissant dans toutes les cours de l'Europe, profitait des passions des souverains et de leurs ministres, pour les attiser, et les gouverner selon les fins qu'elle se proposait.

Durant ces revirements de systèmes si subits et si inattendus, les vaisseaux anglais ne gardaient plus de ménagements envers les Français : leurs vexations et les attentats qu'ils commettaient, poussèrent le roi de France presque malgré lui à leur déclarer la guerre. Les Français annoncèrent avec ostentation qu'ils se préparaient à faire de leur côté une descente en Angleterre; ils répandirent des troupes le long des côtes de la Bretagne et de la Normandie; ils firent construire des bateaux plats, pour transporter ces troupes, et ils assemblèrent quelques vaisseaux à Brest. Ces ostentations épouvantèrent les Anglais; il y eut des moments où cette nation, qui passe pour si sage, se crut perdue. Le roi George, pour la rassurer, eut recours à des troupes hanovriennes et hessoises, qu'il fit passer dans le royaume. On prit ainsi le change à Londres; les Français y trouvèrent leur<40> compte, et tandis qu'ils faisaient cet appareil pour un débarquement vis-à-vis des côtes de la Grande-Bretagne, ils firent une descente dans l'île de Minorque. Le duc de Richelieu, chargé de cette expédition, mit le siége devant Port-Mahon. Les Anglais ne s'aperçurent du dessein des Français que lorsqu'ils l'eurent exécuté; ils envoyèrent néanmoins une flotte dans la Méditerranée au secours de la place assiégée; leur amiral Byng fut battu par l'escadre française. Le gouvernement anglais, pour se disculper devant une populace effrénée, et furieuse du malheur qui venait d'arriver, fut obligé de lui sacrifier une victime, et fit trancher la tête à l'amiral Byng,40-a dont bien des personnes sensées prétendaient prouver l'innocence. Le duc de Richelieu essaya en vain de faire brèche à Port-Mahon, dont les ouvrages sont taillés dans le roc; impatient de ce que le siége tirait en longueur, il fit donner un assaut général à la place; les Français l'escaladèrent et la prirent.

Pendant que la fortune favorisait les Français dans le sud de l'Europe, les affaires du Nord devenaient de jour en jour plus critiques : les Russes assemblaient en Livonie des camps plus forts et plus considérables que tous ceux qu'ils y avaient eus les années précédentes. La cour de Russie était induite à ces ostentations par celle de Vienne, qui réclamait le traité de Pétersbourg, comme si la guerre était déclarée, et comme si le cas de l'assistance avait lieu. Une armée de cinquante mille Moscovites sur la frontière de la Prusse devenait un objet important : quelle que fût la cause de cet armement, l'effet en paraissait redoutable.

Il arriva dans ce temps de crise que le Roi perdit par malheur la seule boussole qui l'avait orienté jusqu'alors dans les ténèbres de la politique qui l'environnaient. Un nommé Weingarten, secrétaire de La Puebla, ministre autrichien à Berlin, s'était laissé employer par le Roi à lui fournir la correspondance la plus secrète que son maître<41> entretenait avec la cour de Vienne et avec celle de Pétersbourg : ces dépêches avaient répandu des lumières sur les vues de ces puissances, en développant leurs desseins. Cet homme, dont les services devenaient plus importants que jamais dans ces conjonctures délicates, fut soupçonné par son maître : Weingarten fut assez heureux pour s'en apercevoir; il s'échappa et réclama la protection du Roi. On le déroba avec peine aux recherches et aux perquisitions du ministre autrichien, et on l'envoya à Colberg, où il changea de nom.41-a Quoique cette source de nouvelles fût tarie, il restait encore un canal, duquel le Roi tirait des avis certains sur les projets que ses ennemis formaient, et qui étaient prêts à éclater; c'était un commis de la chancellerie secrète de Dresde, qui remettait toutes les semaines au ministre prussien les dépêches que sa cour recevait de Pétersbourg et de Vienne ainsi que la copie de tous les traités qu'il avait trouvés dans les archives. Il parut par ces écrits que la cour de Russie s'excusait de ne pouvoir entreprendre la guerre cette année, à cause que sa flotte n'était pas en état d'entrer en mer; mais elle promettait en revanche de plus grands efforts pour l'année prochaine. Sur ces éclaircissements, le Roi prit le parti d'envoyer, en guise de réserve, un corps en Poméranie, formé de dix bataillons et de vingt escadrons. Ces troupes se cantonnèrent aux environs de Stolp, où elles ne pouvaient donner aucune jalousie à la Russie, et où néanmoins elles étaient à portée de renforcer le maréchal de Lehwaldt, dès qu'il aurait pu appréhender quelque entreprise de la part des ennemis.

Bientôt la cour de Vienne rassembla plus de troupes en Bohême qu'à son ordinaire; elle en forma deux armées : l'une, sous les ordres du prince Piccolomini, campa près de Königingrätz; la principale, commandée par le maréchal Browne, s'établit aux environs de Prague. Ce n'était pas assez; la cour fit dresser en Bohême des magasins de<42> guerre; elle fit rassembler des chevaux pour le train des vivres, et pour la nombreuse artillerie qu'elle voulait mettre en usage dans son armée; en un mot, elle faisait de ces préparatifs qui d'ordinaire n'ont lieu que lorsqu'une puissance se propose d'en attaquer une autre. Les dépêches de Dresde qui venaient au Roi, étaient remplies des projets que formait la cour de Vienne d'attaquer les États du Roi, et que faute de trouver un meilleur prétexte, l'Impératrice-Reine s'en tiendrait à celui que fournissait le différend que le Roi avait eu avec le duc de Mecklenbourg. Ce différend était une bagatelle, et l'affaire était accommodée et assoupie; il s'était agi du droit de lever des recrues, que le Brandebourg avait eu de tout temps dans le Mecklenbourg : le duc s'était avisé de le trouver mauvais; après qu'on lui eut prouvé la justice de la cause, et qu'il ne voulait pas se rendre, le Roi se fit justice à lui-même. Quoiqu'il ne fût plus question de cette bagatelle, l'Impératrice voulut la rappeler : elle prétendait faire envisager les procédés du Roi comme contraires aux lois de l'Empire, et comme une violation de la paix de Westphalie; ce qui devait l'engager de prendre fait et cause, d'embrasser le parti du duc de Mecklenbourg, et de réclamer l'assistance de tous les garants de cette paix de Westphalie. La connaissance qui vint au Roi de ce dessein, jointe à l'assemblée de trois armées sur ses frontières, qui menaçaient d'un jour à l'autre d'une rupture ouverte, donna lieu à l'explication que demanda le Roi à la cour de Vienne sur la cause de ce grand armement : on la pria de vouloir y faire une réponse catégorique, pour qu'on sût si son intention était de maintenir la paix avec le Roi, ou de la rompre. La réponse du comte Kaunitz se trouva conçue en termes ambigus et d'un sens équivoque; mais il s'expliqua plus ouvertement envers le comte de Flemming, ministre du roi de Pologne à Vienne : celui-là rendit compte de cet entretien dans une relation à sa cour. La copie de cette dépêche fut envoyée incontinent de Dresde à Berlin; le comte Flemming y dit : « Le comte Kaunitz se propose d'in<43>quiéter le Roi par ses réponses, et de le pousser à commettre les premières hostilités. » Il est vrai que le style en était si arrogant et si fier, qu'il en résultait assez clairement que l'Impératrice-Reine voulait la guerre, et même qu'elle voulait de plus que le Roi portât le nom d'agresseur.

Il était néanmoins probable que cette année s'écoulerait encore sans que les ennemis de la Prusse en vinssent aux dernières extrémités, parce que la cour de Pétersbourg voulait différer la guerre jusqu'à l'année suivante, et qu'il était apparent que l'Impératrice-Reine attendrait que tous ses alliés fussent prêts, pour attaquer le Roi à forces réunies. Ces considérations donnèrent lieu d'examiner ce problème : s'il était plus avantageux de prévenir ses ennemis en les attaquant incontinent, ou s'il valait mieux attendre qu'ils eussent achevé leurs grands préparatifs, pour remettre les entreprises qu'ils jugeraient bon de former, à leur discrétion. Quelque parti que l'on prît dans ces conjonctures, il est certain que la guerre était également sûre et inévitable; il restait donc à calculer s'il y aurait plus d'avantage à la différer de quelques mois, ou à la commencer incessamment. Vous verrez, par les Pièces justificatives annexées à la suite de ce chapitre, que le roi de Pologne était un des plus zélés partisans de la conjuration que l'Impératrice-Reine avait formée contre la Prusse. L'armée saxonne était faible : on savait que le fond en montait à peu près à dix-huit mille hommes; mais on savait aussi que pendant l'huer même cette armée devait être augmentée, et qu'on voulait la porter au nombre de quarante mille combattants. En différant la guerre, le Roi donnait donc le temps à ce voisin malintentionné de se mettre dans une posture plus formidable; sans compter que la Russie ne pouvant pas entrer en action cette année, et la Saxe n'ayant pas achevé de perfectionner ses arrangements, ces conjonctures paraissaient favorables pour gagner sur les ennemis des avantages en les prévenant dès la première campagne, qu'on perdrait par une délicatesse déplacée,<44> en renvoyant les opérations à l'année suivante. De plus, par cette inaction on facilitait aux ennemis le moyen de fondre à forces réunies sur les États du Roi, qui auraient servi de théâtre à la guerre dès l'ouverture de la première campagne; au lieu qu'en portant la guerre chez ces voisins dont les mauvais desseins étaient mis en évidence, on l'établissait chez eux, et l'on ménageait par là les provinces de la domination prussienne. Et quant à ce nom si terrible d'agresseur, c'était un vain épouvantail, qui ne pouvait en imposer qu'à des esprits timides, auquel il ne fallait donner aucune attention dans une conjoncture importante où il s'agissait du salut de la patrie, puisque le véritable agresseur est sans doute celui qui oblige l'autre à s'armer, et à le prévenir par l'entreprise d'une guerre moins difficile, pour en éviter une plus dangereuse, parce que de deux maux il faut choisir le moindre. Après tout, que les ennemis du Roi l'accusassent d'être agresseur, ou qu'ils ne le fissent point, cela revenait au même, et ne changeait rien au fond de l'affaire, car la conjuration des puissances de l'Europe contre la Prusse était toute formée. L'Impératrice-Reine, celle de Russie, les rois de France et de Pologne étaient d'accord, et sur le point d'entrer en action, de sorte que le Roi n'en aurait eu ni un ami de moins, ni un ennemi de plus. Enfin, il s'agissait du salut de l'État et du maintien de la maison de Brandebourg : n'aurait-ce pas été dans un cas aussi grave, aussi important, commettre en politique une faute impardonnable, que de s'arrêter à de vaines formalités, dont on ne doit pas s'écarter dans le cours ordinaire des choses, mais auxquelles il ne faut pas se soumettre dans des cas extraordinaires où l'irrésolution et la lenteur auraient tout perdu, et où l'on ne pouvait se sauver qu'en prenant une résolution vigoureuse et prompte, et en l'exécutant avec activité?

Les différentes raisons que nous venons d'alléguer, déterminèrent le Roi à prévenir ses ennemis : il fit signifier à la cour de Vienne qu'il prenait sa réponse pour une déclaration de guerre, et qu'il se prépa<45>rait à la lui faire; il travailla ensuite aux dispositions nécessaires pour mettre les troupes en mouvement. Pour cette année, la Prusse n'avait rien à craindre de la part de la Russie, par les raisons que nous avons rapportées plus haut; de sorte que le maréchal Lehwaldt se contenta de rassembler aux environs de Königsberg les troupes qu'il avait sous ses ordres, afin de les avoir à portée, et de pouvoir les mettre en campagne, si les circonstances l'exigeaient.

Le Roi se proposa d'attaquer les Autrichiens avec deux armées : le maréchal Schwerin, qui reçut le commandement de celle de Silésie, devait pénétrer dans le cercle de Königingrätz; l'autre, qui devait agir contre les Saxons et les Autrichiens en même temps, devant être naturellement la plus forte, fut formée des régiments de la Poméranie, de l'Électorat, du duché de Magdebourg, et des provinces de la Westphalie : le Roi voulut la commander en personne. Son dessein était d'entrer en Saxe sur plusieurs colonnes en même temps, ou pour désarmer les troupes, si on les trouvait répandues dans leurs quartiers, ou pour les combattre, si on les trouvait rassemblées en corps, afin de ne point garder un ennemi à dos en avançant en Bohême, et s'exposer à une perfidie semblable à celle que les Saxons firent aux Prussiens l'année 1744. Le Roi se trouvait autorisé à cette démarche par l'expérience du passé, par les engagements où les Saxons étaient avec la maison d'Autriche, enfin, par leurs mauvaises intentions, qui se manifestaient dans les dépêches de tous leurs ministres, que le Roi avait en main : ainsi, des raisons tirées du droit, de la politique et de la guerre, appuyaient et justifiaient sa conduite. Il fut en même temps résolu de gagner, cette première campagne, le plus de terrain qu'on pourrait, pour mieux couvrir les États du Roi, et en éloigner la guerre le plus qu'il serait possible, et enfin, d'établir l'état de la guerre en Bohême, pour peu que cela parût faisable. Telles furent les dispositions générales qu'opposa le Roi à la ligue des plus grandes puissances de l'Europe, qui allaient l'assaillir; bientôt<46> les troupes prussiennes se mirent en marche, et commencèrent leurs opérations en Saxe et en Bohême, comme nous en rendrons compte dans le chapitre suivant.

<47>

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

I. TRAITÉ DE PARTAGE ÉVENTUEL, DU 18 MAI 1745.

L'expérience n'ayant que trop fait connaître à quel point le roi de Prusse pousse ses mauvaises intentions pour troubler le repos de ses voisins, et ce prince ayant d'un côté et réitérativement envahi et dévasté les États de Sa Majesté la reine de Hongrie et de Bohême, et inquiété de l'autre Sa Majesté le roi de Pologne, électeur de Saxe, par plusieurs menaces, préparatifs de guerre et passages violents, sans qu'on en ait pu obtenir la satisfaction due pour le passé, ni sûreté suffisante pour l'avenir, il a été considéré que ce double but ne saurait être obtenu, tant que ledit voisin redoutable ne sera resserré dans des bornes étroites. C'est pourquoi Sa Majesté le roi de Pologne, électeur de Saxe, comme allié auxiliaire, et Sa Majesté la reine de Hongrie et de Bohême, comme partie attaquée et belligérante, sont convenus, par le présent acte séparé et secret, d'employer leurs efforts communs, non seulement à pleinement remplir l'acte passé entre Leurs Majestés le 6/13 mai 1744, et les mesures concertées sur les engagements pris par leur traité d'alliance, conclu le 8 janvier 1745<48> avec les puissances maritimes, mais encore de ne pas poser ni l'une ni l'autre bas les armes que, outre la conquête de toute la Silésie et de la comté de Glatz, on n'ait encore plus étroitement réduit le roi de Prusse.

Et pour qu'on soit entendu ensemble d'avance sur le partage des conquêtes à faire, pendant que le huitième article dudit traité de Varsovie n'établit qu'en gros que Sa Majesté le roi de Pologne, électeur de Saxe, doit participer aux avantages par des convenances, il a paru nécessaire de distinguer les cas qui pourraient arriver dans la suite, et de s'entendre sur un chacun d'iceux.

Supposé donc que, outre la réacquisition de toute la Silésie et de la comté de Glatz, on parvînt à conquérir sur ledit roi le duché de Magdebourg, le cercle de Saal y compris, la principauté de Crossen avec le cercle de Züllichau y appartenant, et les fiels de Bohême possédés par ce roi et situés dans la Lusace, nommément Cottbus, Peitz, Storkow, Beeskow, Sommerfeld et d'autres endroits et districts qui y appartiennent : en ce cas, toute la Silésie et la comté de Glatz, à Schwiebus près, devront revenir à Sa Majesté la reine de Hongrie et de Bohême, laquelle cède en échange tout le reste qu'on vient d'énoncer, avec le district de Schwiebus appartenant d'ailleurs à la Silésie, à Sa Majesté le roi de Pologne, électeur de Saxe.

Supposé au contraire que, outre la réacquisition de toute la Silésie et de la comté de Glatz, on ne parvînt à conquérir sur l'agresseur que le cercle de Saal, la principauté de Crossen avec le cercle de Züllichau et les susnommés fiefs de Bohême lui appartenant en Lusace : alors Sa Majesté Polonaise, électeur de Saxe, se contentera de ce dernier partage et du district de Schwiebus, en laissant pareillement à Sa Majesté la reine de Hongrie et de Bohême toute la Silésie et la comté de Glatz, à Schwiebus près.

Mais supposé enfin que, contre toute attente et nonobstant les efforts communs susdits, on ne parvînt qu'à conquérir, outre la comté<49> de Glatz, toute la Silésie, de même que la principauté de Crossen avec le cercle de Züllichau et les susdits fiefs de Bohême possédés par ledit roi en Lusace : en ce cas, Sa Majesté Polonaise aura, outre la principauté, le cercle et les fiefs qu'on vient de nommer, le district de Schwiebus, appartenant autrement à la Silésie.

Et pour que Sa Majesté le roi de Pologne, électeur de Saxe, soit d'autant plus assuré, du moins et pour le pis aller, de ces dernières acquisitions, Sa Majesté la reine de Hongrie et de Bohême s'engage de la manière la plus forte et la plus solennelle, que Sa Majesté le roi de Pologne, électeur de Saxe, doit avoir précisément les mêmes sûretés pour ces nouvelles acquisitions qu'elle aura ou pourra avoir pour la réacquisition de ses anciens États patrimoniaux, c'est-à-dire, la Silésie et la comté de Glatz; de sorte que tout doit aller à pas égaux, et qu'elle ne saurait se prévaloir plus tôt de la possession de toute la Silésie, que lorsque Sa Majesté le roi de Pologne se trouvera pareillement dans la possession de sa quote-part aux conquêtes. A cette fin, les troupes saxonnes de Sa Majesté Polonaise resteront dans la Silésie reconquise jusqu'à ce que sa quote-part sera effectuée, du moins selon le dernier des cas ci-dessus énoncés. Après quoi, les hauts contractants se garantiront réciproquement, pour eux et pour leurs héritiers et successeurs à perpétuité, tout ce qu'à l'un et à l'autre sera tombé en partage, en tâchant d'en obtenir aussi la garantie de leurs alliés.

En foi de quoi, Leurs Majestés ont signé, chacune de propre main, un exemplaire de la même teneur de cet acte séparé et secret, pour être échangé l'un contre l'autre, et y ont fait apposer leurs sceaux royaux.

Fait à Leipzig, ce 18 mai 1745.

(L. S.)Auguste, Roi.

<50>

II. TRADUCTION DU QUATRIÈME ARTICLE SÉPARÉ ET SECRET DU TRAITÉ DE PÉTERSBOURG, DU 22 MAI50-a 1746.

Sa Majesté l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohême, déclare qu'elle observera religieusement et de bonne foi le traité de paix conclu entre elle et Sa Majesté le roi de Prusse à Dresde, le 25 décembre 1745, et qu'elle ne sera point la première à se départir de la renonciation qu'elle a faite de ses droits sur la partie cédée du duché de Silésie et de la comté de Glatz.

Mais si, contre toute attente et les vœux communs, le roi de Prusse fût le premier à s'écarter de cette paix en attaquant hostilement, soit Sa Majesté l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohême, ou ses héritiers et successeurs, soit Sa Majesté l'impératrice de Russie, ou bien la république de Pologne, dans tous lesquels cas les droits de Sa Majesté l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohême, sur la partie cédée de la Silésie et la comté de Glatz, par conséquent aussi les garanties renouvelées dans le second et troisième article de la part de Sa Majesté l'impératrice de Russie, auraient de nouveau lieu et reprendraient leur plénier effet : les deux hautes parties contractantes sont convenues expressément que, dans ce cas inespéré, mais pas plus tôt, ladite garantie sera remplie entièrement et sans perte de temps, et elles se promettent solennellement que, pour détourner le danger commun d'une pareille agression hostile, elles uniront leurs conseils; qu'elles enjoindront la même confidence réciproque à leurs ministres dans les cours étrangères; qu'elles se communiqueront confidemment ce que, de part ou d'autre, on pourrait apprendre des desseins de l'en<51>nemi; et enfin Sa Majesté l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohême, tiendra prêt en Bohême, en Moravie et les comtés adjacentes de Hongrie, un corps de vingt mille hommes d'infanterie et de dix mille hommes de cavalerie; et que Sa Majesté l'impératrice de Russie tiendra prêt un corps pareil en Livonie, Esthonie et autres provinces voisines; de façon qu'en cas d'une attaque hostile de la part de la Prusse, soit contre l'une, soit contre l'autre partie, ces trente mille hommes pourront et devront aller au secours de la partie attaquée en deux ou tout au plus tard en trois mois, à compter du jour de la réquisition faite.

Mais, comme il est facile à prévoir que soixante mille hommes ne suffiront pas pour détourner une pareille attaque, pour recouvrer les provinces cédées par la paix de Dresde, et pour assurer en même temps la tranquillité générale pour l'avenir, les deux parties contractantes se sont en outre engagées d'employer pour cet effet, le cas existant, non seulement trente mille hommes, mais même le double, savoir : soixante mille hommes de chaque côté; et d'assembler ce corps avec autant de célérité que la distance des provinces les moins éloignées le permettra. Les troupes de Sa Majesté Impériale de toutes les Russies seront employées par mer ou par terre, selon ce qui sera trouvé le plus convenable; mais celles de l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohême, ne seront employées que sur terre. Chaque partie commencera à faire du côté de ses propres États une diversion dans ceux du roi de Prusse; mais ensuite on tâchera de se joindre et de poursuivre les opérations conjointement : mais avant que cette jonction se fasse, il se trouvera un général de part et d'autre dans les deux armées respectives, tant pour concerter les opérations, que pour en être témoin oculaire, et pour se communiquer par ce canal les avis qu'on aura à se donner.

Sa Majesté l'impératrice de Russie, en promettant un si puissant secours à Sa Majesté l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohême,<52> n'a aucun dessein de faire des conquêtes à cette occasion; mais comme elle veut bien faire agir son corps de soixante mille hommes, tant par mer que par terre, et que l'équipement d'une flotte causerait des dépenses considérables, de sorte qu'en partageant ainsi les forces de l'ennemi, on aurait lieu de regarder le corps russien comme fort excédant le nombre de soixante mille hommes, Sa Majesté l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohême, s'engage et promet que, pour témoigner d'autant plus efficacement sa reconnaissance, elle payera à Sa Majesté l'impératrice de Russie la somme de deux millions de florins du Rhin dans un an, à compter du jour qu'elle aura la Silésie en son pouvoir, sans pouvoir en décourter quelque chose, sous titre de ce qu'on aura tiré du pays ennemi.

Ce quatrième article séparé et secret aura la même force que s'il était inséré mot pour mot au corps du traité défensif, et doit être ratifié en même temps. En foi de quoi, les ministres susmentionnés y ont apposé leur signature et cachet.

Fait à Saint-Pétersbourg, le 22 mai 1746.

(L. S.)Alexei comte Bestusheff-
Riumin
.

(L. S.)Jean-François de
Pretlack
.

(L. S.)Nicolas-Sébastien noble
de Hohenholtz
.

III. RÉSOLUTIONS ET INSTRUCTIONS POUR LE COMTE DE VICEDOM ET LE SIEUR DE PEZOLD, A SAINT-PÉTERSBOURG.

Rapport circonstancié ayant été dûment fait au Roi du contenu des dernières dépêches du 18, 19 et 23 d'avril, de son conseiller privé et<53> ministre plénipotentiaire à la cour impériale de Russie, le comte de Vicedom, et de son résident à la même cour, le conseiller privé d'ambassade sieur de Pezold, apportées ici de Pétersbourg par le courrier Consoli le 6 du courant, et Sa Majesté y ayant surtout pris en considération l'affaire d'accession que lui demandent avec instance les deux cours impériales à leur nouveau traité d'alliance défensive, et à ses articles séparés et secrets signés à Pétersbourg le 22 mai 1746, et ratifiés ensuite de part et d'autre, Sa Majesté a trouvé bon de faire pourvoir là-dessus ses susdits deux ministres en Russie des points de résolution et d'instruction suivants, qui leur doivent servir de règle pour y diriger leur négociation et conduite dans cette affaire aussi importante que délicate.

I.

Sur ce que le grand chancelier de Russie leur a fait connaître, et l'a fait témoigner aussi par son frère le grand maréchal ici, que les deux cours impériales seraient bien aises que l'affaire de l'accession du Roi se traitât et conclût préférablement à Pétersbourg, comme à l'endroit où le traité d'alliance défensive renouvelé entre elles, dont il s'agit, a été négocié, conclu et signé, Sa Majesté, pour y complaire, fait pourvoir à cet effet le comte de Vicedom et sieur de Pezold du ci-joint plein pouvoir avec la clause de samt und sonders, afin qu'en cas d'absence, d'indisposition ou d'autre empêchement de l'un, l'autre puisse continuer la négociation, en communiquant néanmoins ensemble et agissant dans un parfait concert.

II.

Ils feront valoir cet empressement du Roi auprès du grand chancelier et de l'ambassadeur Pretlack comme une preuve certaine du penchant d'attachement sincère de Sa Majesté pour les deux Impératrices, préférablement à toutes autres considérations qui pourraient l'engager à aller plus bride en main dans une affaire de cette étendue et conséquence.

<54>

III.

Le résident Pezold connaissant le mieux ce qui s'est passé il y a près de deux ans entre les deux cours, lorsque le Roi se trouva dans le cas de nécessité de réclamer le secours de la Russie, en vertu de leur traité d'alliance défensive renouvelé contre le roi de Prusse, et ledit résident ayant été témoin oculaire de l'indifférence, lenteur, et insuffisance avec lesquelles on répondit à la cour de Pétersbourg aux réquisitions réitérées de Sa Majesté, procédé auquel la Saxe doit principalement attribuer ses derniers malheurs, il fera bien d'en faire souvenir en particulier le grand chancelier, comte de Bestusheff, non pas tant sur le pied de reproches à lui en faire, mais plutôt sur un pied de réflexions confidentes, et pour le faire convenir que c'est une résolution bien généreuse du Roi de se prêter si promptement aux désirs des deux cours impériales, et qu'après ce qui lui est arrivé en dernier lieu avec celle de Russie, il n'y a que la grande confiance que Sa Majesté met en lui, grand chancelier, et dans son présent crédit et pouvoir, qui ait pu la déterminer si tôt pour l'accession, dans l'espérance que ce ministre principal songera à réparer le passé, en prenant de loin si bien ses mesures, pour qu'à l'avenir le Roi soit, en cas de besoin, non seulement secouru à temps et suffisamment, mais qu'aussi Sa Majesté, dans les occasions d'une assistance réciproque, trouve son compte, dédommagement et avantage réel.

IV.

Quant au traité principal des deux cours impériales, le Roi est tout disposé d'y accéder, sans autre restriction que celle du nombre des troupes qu'elles s'y sont stipulées réciproquement pour les cas ordinaires d'un secours à prêter; et il est nécessaire que les plénipotentiaires de Sa Majesté proposent et insistent à ce que son assistance soit réglée dans l'acte d'accession sur le double du secours promis de l'électorat de Saxe, d'autant plus que la cour de Vienne envoie au Roi et

<55>entretient à ses propres frais, dans tous les cas, les secours réciproques de six et douze mille hommes.

V.

Après que le comte de Vicedom et le sieur de Pezold en seront d'accord avec les ministres des deux cours contractantes, ils procéderont aussi à traiter sur l'accession du Roi aux six articles séparés, dont cinq sont secrets, et qui demandent beaucoup plus de réflexions et d'ajustement pour les convenances du Roi.

VI.

Comme cependant Sa Majesté, par inclination et zèle pour l'intérêt commun et pour le bien public, n'est pas éloignée de s'y joindre aussi au possible et à proportion de ses forces, ses plénipotentiaires prendront un soin particulier à s'expliquer là-dessus plus spécialement avec ceux des deux cours impériales, afin que leurs demandes et la condescendance du Roi à chaque article soient combinées aux intérêts de Sa Majesté.

VII.

Y ayant parmi les articles des points d'engagements qui ne regardent proprement que les deux cours impériales principalement contractantes, ils tâcheront d'obtenir que le Roi en soit dispensé, ou qu'ils soient tempérés pour Sa Majesté; comme aussi que toute guerre future en Italie soit exceptée, ainsi qu'elle l'est déjà dans le traité avec la cour de Vienne.

VIII.

Le premier et le quatrième des articles secrets étant les plus difficiles et onéreux si le Roi y accède dans leur sens et étendue, les deux cours impériales ne sauraient trouver à redire que Sa Majesté demande, outre plus de proportion dans les engagements qu'ils renferment, des conditions et avantages réciproques.

IX.

A l'égard du premier article secret, qui concerne la garantie des<56> possessions du grand-duc de Russie, comme duc de Holstein-Schleswig et de sa maison ducale, l'impératrice de Russie voudra bien considérer les grands ménagements que le Roi a à garder pour la cour de Danemark, à cause de son parentage et droit de succession éventuelle, et ainsi ladite souveraine, aussi bien que l'Impératrice-Reine et l'Empereur son époux même, ne refuseront pas en échange au Roi et à sa postérité, la garantie de la succession due avec le temps à un prince de la maison électorale de Saxe sur le trône de Danemark.

X.

Pour ce qui est enfin du quatrième article secret, qui regarde des mesures éventuelles et plus fortes contre une nouvelle attaque soudaine et inopinée du roi de Prusse, le Roi reconnaît en cela la sage prévoyance des deux Impératrices, en songeant de loin à se concerter et s'entr'aider avec force, si contre meilleure attente et malgré la plus scrupuleuse attention de leur part pour l'observation de leurs traités avec ledit prince, celui-ci se portait à envahir les États de l'une ou de l'autre, et le Roi est assez porté à concourir en ce cas aux mêmes mesures; mais comme il est le plus exposé au ressentiment d'un voisin si redoutable et inquiet, témoin la triste expérience que Sa Majesté en a eue en dernier lieu, Leurs Majestés Impériales ne pourront pas trouver étrange que le Roi, avant d'entrer dans un pareil engagement nouveau, éventuel et étendu, prenne mieux ses précautions, tant pour sa sûreté et défense mutuelle, que pour en être dédommagé et récompensé à proportion de ses efforts et des progrès contre un tel agresseur.

XI.

A cette fin, le comte de Vicedom et le sieur de Pezold demanderont aux ministres plénipotentiaires impériaux :

1o Quel nombre de troupes leurs souveraines désirent, pour tel cas, du Roi, et lui offrent en échange pour l'assister de part et d'autre?

<57>2o Et que ce secours désiré du Roi ne soit pas disproportionné aux forces de son armée.

3o Que les deux cours impériales en promettent le double au Roi.

4o Que les deux Impératrices s'engagent à tenir chacune, pour le moins, un tel corps de leurs troupes en état mobile et prêt à marcher au secours de Sa Majesté, d'un côté sur les frontières de Prusse, et de l'autre en Bohême.

5o Qu'elles s'obligent à faire participer le Roi des prisonniers, dépouilles et conquêtes qu'elles feront, ensemble ou séparément, sur l'agresseur et par là ennemi commun.

XII.

Par rapport à ce dernier point et partage de conquêtes à faire, les ministres plénipotentiaires du Roi auront à demander au ministre de Russie les offres de sa souveraine, et à déclarer relativement à l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohême, qu'en tout cas et si cette princesse, de nouveau attaquée par le roi de Prusse, parvenait à reconquérir non seulement la Silésie et la comté de Glatz, mais aussi à resserrer cet agresseur dans des bornes plus étroites, le roi de Pologne, comme électeur de Saxe, s'en tiendrait au partage stipulé entre elle et Sa Majesté par la convention signée à Leipzig le 18 mai 1745, dont le résident Pezold a reçu la copie par une lettre ministériale du 14 novembre de la même année; excepté le troisième degré de partage y défini, dont Sa Majesté ne saurait se contenter, puisqu'en cas que l'Impératrice-Reine ne pût parvenir qu'à conquérir, outre la comté de Glatz, toute la Silésie, de même que la principauté de Crossen, avec le cercle de Züllichau et les fiefs de Bohême possédés par le roi de Prusse en Lusace, il faudrait accorder éventuellement au Roi, électeur de Saxe, une part plus considérable à ces conquêtes que ladite principauté, le cercle et les fiefs; sur quoi, Sa Majesté attendra les offres de la cour de Vienne, et y fera négocier par le comte de Loss, souhaitant seulement que celle de Russie s'emploie à faire<58> obtenir pour ce cas de l'Impératrice-Reine un meilleur partage au Roi, et en assure et garantisse ensuite à celui-ci l'acquisition.

XIII.

Sur ce que dessus, le comte de Vicedom et le sieur de Pezold prendront tout ad referendum, et ne concluront rien avant que, sur leurs rapports, ils y soient autorisés par des ordres et résolutions finales du Roi.

XIV.

Le reste est remis à leur prudence, dextérité, et zèle pour le service et les intérêts et la gloire de Sa Majesté, qui les assure de sa protection et de ses bonnes grâces, lorsqu'ils s'appliqueront à remplir, avec toute l'exactitude dont ils sont capables, les points de cette instruction.

Écrit à Dresde, ce 23 mai 1747.

(L. S.)Auguste, Roi.
Comte de Br.
de Walther.

IV. TRADUCTION DU MÉMOIRE PRÉSENTÉ PAR LES MINISTRES DE SAXE A PÉTERSBOURG, LE 14/25 SEPTEMBRE 1747.

Dans la conférence tenue avec nous soussignés le 8 et 19 du courant, nous avons à la vérité déjà produit nos pleins pouvoirs, aussi bien que les déclarations et conditions sous lesquelles Sa Majesté le roi de Pologne, notre très-gracieux maître, comme électeur de Saxe est prêt d'accéder au traité d'alliance défensive conclu entre les deux<59> cours impériales à Pétersbourg le 22 mai 1746, aussi bien qu'aux articles secrets et séparés du même traité, selon les ordres et instructions que nous avons reçus là-dessus. Mais comme Leurs Excellences Messieurs les Ministres des deux cours impériales autorisés pour conférer avec nous, ont souhaité de recevoir de nous quelque chose par écrit, nous n'avons pas voulu manquer de récapituler ce qui suit :

I.

Sa Majesté Polonaise reconnaît, avec autant de gratitude que d'empressement, l'amitié que les deux cours impériales ont voulu lui témoigner, en lui faisant communiquer ledit traité avec les articles séparés et secrets, et en la faisant inviter d'y accéder; mais elle se flatte, en même temps, qu'ayant tant de raisons importantes de s'abstenir dans la crise présente de tous nouveaux engagements, les deux hautes parties contractantes regarderont la facilité que Sa Majesté témoigne dans cette occasion, comme une nouvelle marque de son amitié sincère et de sa parfaite confiance, et qu'elles en seront d'autant plus portées à régler ladite accession sur un pied que Sa Majesté soit non seulement secourue sans perte de temps et suffisamment dans le cas existant, mais qu'elle puisse aussi jouir d'un dédommagement convenable et d'avantages réels pour sa concurrence réciproque et réelle.

II.

Dans cette confiance, Sa Majesté est prête d'accéder purement au corps du traité, en y ajoutant la seule restriction que, en retour du nombre de troupes auxiliaires que Sa Majesté, comme électeur de Saxe, s'obligera de fournir, les deux cours impériales lui stipulent le double, selon l'exemple des engagements qui subsistent déjà entre elle et Sa Majesté l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohème. Pour ce qui regarde le nombre même des troupes auxiliaires à fournir par notre cour, nous avons ordre d'attendre là-dessus les premières ouvertures des deux hautes parties contractantes. Cependant nous<60> croyons, vu que le secours qu'on aurait à se fournir dans les cas ordinaires sur lesquels roule le corps du traité, est déjà déterminé par les traités que Sa Majesté a déjà avec les deux cours, qu'on pourrait s'y tenir aussi dans la présente accession, et se contenter de faire servir celle-ci à la confirmation des engagements précédents.

III.

Les circonstances étant fort différentes à l'égard des articles séparés et secrets, dont le premier et le quatrième méritent surtout une attention beaucoup plus sérieuse, nous sommes instruits, par rapport au premier article, qui regarde la garantie des possessions présentes de Son Altesse Impériale le grand-duc de Russie comme duc de Holstein-Schleswig en Allemagne, de représenter les grands ménagements que Sa Majesté est obligée de garder envers la cour de Danemark, en considération des liens du sang et de la succession éventuelle qui lui compète, et de proposer par cette raison qu'en retour de ladite garantie dont Sa Majesté doit se charger, on lui accorde la garantie des deux hautes parties contractantes, aussi bien que de l'Empereur, sur le susmentionné droit de succession éventuelle au trône de Danemark, et qu'on reconnaisse en attendant ce droit.

IV.

Quant au quatrième article, Sa Majesté approuve parfaitement les mesures sages et efficaces que les cours impériales ont prises éventuellement pour le cas que Sa Majesté le roi de Prusse, malgré l'exacte observation de la paix conclue avec elle, vînt à attaquer de nouveau hostilement les États de l'une ou de l'autre partie, et elle est prête d'y concourir. Mais comme Sa Majesté a encore plus de raisons que les deux cours impériales d'y penser mûrement, et qu'elle doit surtout considérer que, selon la triste expérience qu'elle en a eue en dernier lieu, le roi de Prusse a pris le secours qu'elle était obligée de fournir à Sa Majesté l'Impératrice, reine de Hongrie et de Bohême, pour prétexte de lui déclarer la guerre; qu'en outre l'électorat de Saxe par sa<61> situation est si fort exposé à son ressentiment, que, si elle n'était pas secourue sur-le-champ, il ne lui serait pas possible de se garantir par ses propres forces contre les attaques subites qu'on a vu exécuter au roi de Prusse; et enfin que, si on ne pourvoit pas avant toute chose à la sûreté et à la conservation dudit électorat, les deux hautes parties contractantes souffriraient elles-mêmes un préjudice infini par la ruine de cet État : en conséquence de ces considérations, Sa Majesté se flatte que les deux hautes parties contractantes reconnaîtront elles-mêmes la nécessité et la justice des conditions et modifications que nous sommes chargés de proposer; savoir :

1o Que le nombre des troupes auxiliaires qu'on exigera de Sa Majesté ne soit pas disproportionné aux forces de son armée.

2o Que chacune des deux cours impériales promette le double à Sa Majesté, et si cela ne suffisait pas, une assistance encore plus forte.

3o Que les deux Impératrices s'engagent à tenir chacune, pour le moins, un tel corps de leurs troupes mobile et prêt à marcher au secours de Sa Majesté, d'un côté sur les frontières de Prusse, et de l'autre en Bohême.

4o Que ces corps de troupes fassent une diversion dans les pays les plus proches dès le moment que les États de Saxe seront attaqués, ou que la guerre sera déclarée contre ces États; et cela sans qu'on puisse exiger un concert préalable, malgré ce qui est statué à cet égard dans le corps du traité aussi bien que dans l'article secret.

5o Que, dans le cas qu'une des deux cours impériales fût attaquée, Sa Majesté ne soit pas obligée de commencer les opérations avant que la seconde cour impériale n'ait commencé effectivement à agir, pour détourner l'effet de la prépondérance de l'ennemi, ou que du moins le danger évident d'être écrasé tout d'un coup soit venu à cesser.

6o Qu'on fasse participer Sa Majesté, en conséquence de l'article dixième du traité, non seulement au butin et aux prisonniers, mais aussi aux conquêtes qu'on pourra faire sur l'ennemi.

<62>7o Et enfin que, comme Sa Majesté l'impératrice de Russie a déclaré, dans le quatrième article secret, que dans le cas d'un secours à prêter ou d'une diversion à faire, elle n'avait aucun dessein de faire de nouvelles conquêtes, et que par conséquent il lui sera indifférent de quelle façon Sa Majesté s'arrangera avec la cour de Vienne sur le partage éventuel et un dédommagement convenable, Sadite Majesté Impériale de Russie veuille bien approuver d'avance cette convention, et se charger de la garantie.

V.

Pour ce qui regarde l'article séparé et le second, troisième et cinquième article secret, l'accession de Sa Majesté à ces articles doit cesser par soi-même, d'un côté, parce que lesdits articles roulent sur des engagements qui ne regardent que les deux cours impériales, et d'un autre côté, parce qu'en n'ayant pas communiqué à Sa Majesté l'article secrétissime allégué dans le troisième article secret, elles ont donné par là à connaître elles-mêmes qu'on ne demande pas la concurrence du Roi pour ces engagements, et que pour le reste on veut s'en tenir à ce qui a été stipulé antérieurement dans les traités qui subsistent entre Sa Majesté et l'une aussi bien que l'autre des deux cours impériales. Mais comme, dans le troisième et cinquième article secret, on a encore répété l'exception du casus fœderis déjà établi dans le traité même à l'égard des guerres futures d'Italie, et qu'on y a ajouté que, de la part de l'Impératrice-Reine, la guerre présente avec la maison de Bourbon, et, de la part de Sa Majesté l'impératrice de Russie, une agression hostile de son empire du côté du nord, ne doivent pas être censées des cas qui puissent empêcher ce qui a été statué dans le quatrième article secret à l'égard d'une rupture de la part de la Prusse, ainsi les deux hautes parties contractantes ne refuseront pas de faire aussi comprendre Sa Majesté dans cette stipulation.

Au reste, le Roi ne doute pas que les deux cours impériales ne trouvent dans toute cette proposition autant de preuves de son équité,<63> de sa confiance, et de son amitié sincère, et elle se flatte d'autant plus de recevoir une réponse favorable, qu'elle a mérité, par les malheurs qu'elle a encourus pour la cause commune, qu'à l'avenir on pourvoie d'autant mieux à sa sûreté et à son dédommagement.

Nous soussignés attendons ladite déclaration et réponse, pour pouvoir aller outre dans l'affaire de l'accession.

Saint-Pétersbourg, le 14/25 septembre 1747.

Louis-Sigefroi comte Vitzthum
d'Eckstädt
.
Jean-Sigismond de Pezold.

V. DÉPÊCHE DU ROI DE POLOGNE AU COMTE DE LOSS A VIENNE.

Du 21 décembre 1747.



Monsieur le comte de Loss,

Vous vous souviendrez indubitablement de ce que, dès que les deux cours impériales de Vienne et de Pétersbourg m'ont fait inviter par les comtes d'Esterhazy et de Bestusheff d'accéder au traité d'alliance défensive renouvelé entre les deux Impératrices le 22 mai 1746, je vous ai fait donner information entière de l'instruction envoyée là-dessus à mes ministres plénipotentiaires à la cour de Russie, où on était convenu que l'affaire de mon accession serait traitée. Ce fut le 23 mai dernier que je vous en fis donner part, et sur ce que la cour où vous êtes tardait de vous communiquer le traité en question, j'ordonnai de vous en faire tenir au mois de juillet suivant une copie, de même que de tous les articles séparés et secrets qui m'avaient été<64> communiqués par les ministres impériaux ici, à l'occasion de leur invitation commune. Les miens à Pétersbourg, après avoir déclaré en gros mes dispositions favorables pour l'accession et produit leur plein pouvoir, se sont tenus toujours prêts à entrer en matière là-dessus avec les ministres autorisés pour cela par les deux Impératrices sans avoir pu y parvenir plus tôt que le 8/19, septembre dernier dans une conférence; et ayant été requis de donner leurs ouvertures par écrit, ils s'y sont encore prêtés moyennant un Pro Memoria signé le 14/25 septembre, dont je vous fais joindre ici une copie sub A.

Comme en attendant que les deux cours impériales y fassent réponse par leurs ministres à Pétersbourg, et avant que je me détermine finalement là-dessus pour mon acte d'accession, il m'importe de m'être entendu avec l'Impératrice - Reine sur le partage éventuel qui doit me revenir pour ma portion, en cas que cette princesse, de nouveau attaquée contre meilleure attente par le roi de Prusse, fasse, par le concours de mon assistance, des dépouilles et conquêtes sur lui, ainsi que cela se trouve expliqué plus en détail dans le douzième article de l'instruction susmentionnée, dont mes ministres à Pétersbourg furent munis le 23 mai anni currentis, je vous charge de cette négociation, et vous autorise par le présent ordre; et mon intention est que ma convention signée ci-devant à Leipzig, le 18 mai 1745, avec la reine de Hongrie, dont vous trouverez ci-joint sub B la copie, pouvant servir de partage éventuel à l'avenir, excepté le troisième degré, ou en cas que la cour de Vienne ne pût reconquérir, outre la comté de Glatz, que toute la Silésie avec la principauté de Crossen, le cercle de Züllichau et les fiefs de Bohême que le roi de Prusse possède en Lusace, vous demandiez pour moi à l'Impératrice-Reine une part plus considérable à ces conquêtes que ladite principauté, le cercle et les fiefs, et que vous insistiez à ce que cette princesse m'en fasse l'offre, pour que je puisse voir ensuite si ce serait de ma convenance d'y acquiescer. En faisant l'ouverture à l'Impératrice-Reine et à son ministère confident de ma demande à cet égard, vous leur en exposerez la justice, et l'équité qu'il y a qu'on m'ac<65>corde une portion un peu plus avantageuse, pour me dédommager et consoler du sort malheureux, et des pertes que j'ai essuyées à mon secours antérieurement prêté de toutes mes forces à Sa Majesté Impériale.

Sur les rapports que vous me ferez successivement des progrès de votre négociation, je vous ferai parvenir mes ordres ultérieurs, priant, en attendant, Dieu qu'il etc.

Écrit à Dresde, ce 21 décembre 1747.

Auguste, Roi.
Comte de Brühl.

Au ministre de conférence et d'État
comte de Loss à Vienne.

VI. EXTRAIT DE L'AVIS DU CONSEIL PRIVÉ DE SA MAJESTÉ POLONAISE, AU SUJET DE L'ACCESSION AU TRAITÉ DE PÉTERSBOURG, DONNÉ LE 15 AOUT 1747.

Nous sommes aussi du sentiment que le quatrième article secret va au delà des règles ordinaires, en ce qu'il y est déclaré que non seulement le cas d'une agression hostile de la part de Sa Majesté Prussienne contre Sa Majesté l'Impératrice-Reine, mais aussi le cas d'une pareille agression contre l'empire de Russie ou contre la république de Pologne doit être regardé comme une violation de la paix de Dresde, et doit mettre Sa Majesté l'Impératrice-Reine en droit de revendiquer le duché de Silésie et la comté de Glatz. Si Votre Majesté approuvait cette stipulation par son accession, nos appréhensions de Sa Majesté Prussienne augmenteraient beaucoup, et nous reconnaîtrions par là<66> le principe, que nous avons d'ailleurs toujours combattu : qu'une puissance auxiliaire doit être regardée sur le même pied que la puissance belligérante, etc.

VII. EXTRAIT DE L'AVIS DU CONSEIL PRIVÉ DE SA MAJESTÉ POLONAISE, DU 17 SEPTEMBRE 1748.

On a stipulé, dans l'article secret, qu'on regardera pour une violation de la paix de Dresde, non seulement le cas où le roi de Prusse attaquerait Sa Majesté l'Impératrice-Reine, mais aussi toute agression contre l'empire de Russie ou contre la république de Pologne.

Si Votre Majesté approuvait donc par son accession un principe si opposé aux règles ordinaires, le roi de Prusse, s'il venait à l'apprendre, pourrait lui imputer une violation de la paix de Dresde, etc.

VIII. EXTRAIT D'UNE APOSTILLE DU COMTE DE BRÜHL AU COMTE DE LOSS A PARIS, DE DRESDE, LE 12 JUIN 1747.66-a

Quant aux deux points mentionnés dans la lettre de Votre Excellence du 8 du courant, sur lesquels elle demande les ordres du Roi, je dois<67> lui dire au nom de Sa Majesté que, quoique la prétention de la déclaration qu'on exige soit un peu extraordinaire, le Roi permet cependant que Votre Excellence donne une déclaration pour assurer que le traité dont il s'agit ne contient rien de plus que ce qui est porté dans la copie allemande qu'on a communiquée, et que nous ne savons rien d'aucun article séparé ou secret; mais que supposé aussi qu'il en existât, qu'on nous les communiquât, et qu'on nous invitât à y accéder pareillement, la France pouvait être sûre que nous n'entrerions dans aucun engagement qui tendît à son offense, ou qui fût contraire en façon quelconque à ceux que nous avons avec cette couronne.

IX. DÉCLARATION DU COMTE DE LOSS AU MINISTÈRE DE FRANCE. 1747.

Le soussigné ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté le roi de Pologne, électeur de Saxe, est autorisé de déclarer, au nom du roi son maître, que le traité entre la cour de Vienne et celle de Pétersbourg, auquel Sa Majesté a été invitée d'accéder, ne contient rien de plus que ce qui est porté dans la copie allemande, que l'ambassadeur susmentionné a eu l'honneur de remettre à M. le marquis de Puyzieulx, sans qu'aucun article séparé ou secret ait été communiqué au roi de Pologne de la part des cours susdites. A quoi il a ordre d'ajouter qu'au cas que cet article séparé ou secret existât, et qu'on invitât Sa Majesté Polonaise d'y accéder, qu'en ce cas, Sadite Majesté n'entrera en rien qui puisse tendre à offenser le Roi Très-Chrétien, ou qui<68> puisse être contraire en façon quelconque aux engagements qui subsistent entre le roi de Pologne et Sa Majesté Très-Chrétienne par le traité qui a été conclu entre eux le 21 d'avril 1746. En foi de quoi, j'ai signé cette déclaration, et y ai apposé le cachet de mes armes. Fait au camp de la Grande Commanderie, ce etc.

X. EXTRAIT DE L'INSTRUCTION DU GÉNÉRAL D'ARNIM POUR SA MISSION DE PÉTERSBOURG, DATÉE LE 19 FÉVRIER 1750.

b. Après cela, le général d'Arnim peut insinuer qu'on se souviendrait de quelle façon Sa Majesté avait fait déclarer depuis longtemps par ses ministres à Pétersbourg, le comte de Vicedom et le sieur de Pezold, son inclination d'accéder au traité de Pétersbourg du 22 mai 1746, et qu'on avait trouvé que la question an était si étroitement liée à celle du quomodo, qu'on ne pouvait pas décider l'une sans l'autre.

c. Que, dans la négociation sur la question quomodo, on avait rencontré toutes sortes de difficultés, comme cela paraît plus amplement par le Mémoire du ministère russien en date du 3 janvier 1748, servant de réponse au Mémoire des ministres du Roi du 14/25 septembre 1747; mais que Sa Majesté se flattait de l'amitié de Sa Majesté l'impératrice de Russie et des bonnes intentions du ministère de Russie, qu'on n'exigerait rien d'elle qui surpasse ses forces, et qu'on ne demanderait pas autrement son accession que sous la condition qu'on ne la chargerait de rien qu'elle ne fût pas capable d'effectuer; qu'on

<69>lui promette, d'un autre côté, de la part des deux cours impériales, dans le cas d'une invasion hostile dans ses États patrimoniaux en Allemagne, une assistance prompte, sûre et suffisante, moyennant deux armées à tenir toujours prêtes sur les frontières respectives, et qui puissent d'abord la secourir, ou faire une diversion selon l'exigence du cas; et enfin, qu'on détermine positivement la part qu'elle doit avoir aux avantages qu'on pourrait remporter par un heureux succès des armes.

XI. MÉMOIRE REMIS AU MINISTRE DE RUSSIE, COMTE DE KAYSERLING, A DRESDE, LE 26 JUIN 1751.

Le Roi n'a pas hésité de déclarer déjà de bouche, à Son Excellence M. le comte de Kayserling, les bonnes dispositions dans lesquelles Sa Majesté se trouve relativement au traité définitif d'alliance et de garantie conclu à Pétersbourg, le 22 de mai 1746, entre Leurs Majestés Impériales l'impératrice de Russie et l'Impératrice, reine de Hongrie, auquel traité le Roi a été invité d'accéder. Cette déclaration, joint à tout ce qui a été donné à connaître en même temps audit ministre de Russie, lui sera encore en fraîche mémoire.

Tout comme on réitère ici expressément la même déclaration amiable, qui tend, entre autres vues salutaires, principalement à prouver la haute considération que Sa Majesté porte à Leurs Majestés Impériales et aux autres alliés, et le cas qu'elle fait de leur amitié : ainsi Sa Majesté ne met non plus le moindre doute dans les assurances<70> si souvent données et réitérées de la précieuse amitié de Sa Majesté l'impératrice de Russie, qu'elle ne veuille en échange, à l'occasion de l'accession dont il s'agit, pourvoir préalablement et suffisamment à la sûreté des États héréditaires de Sa Majesté, et effectuer la même chose près des autres alliés.

Dans cette attente, Sa Majesté fera pourvoir au plus tôt son ministre à la cour de Russie des instructions nécessaires pour entrer plus avant en matière, et conduire la négociation dont il s'agit à une heureuse fin. C'est de quoi l'on n'a pas voulu manquer de faire part à Son Excellence le comte de Kayserling, pour qu'il en puisse informer sa cour, etc.

Dresde, ce 26 juin 1751.

Comte de Brühl.

XII. EXTRAIT D'UNE LETTRE DU COMTE DE FLEMMING AU COMTE DE BRÜHL, DE VIENNE, DU 28 FÉVRIER 1753.

En conformité de la dépêche dont Votre Excellence m'a honoré, du 19 du courant, j'ai témoigné à M. le comte d'Ulefeld la satisfaction du Roi notre maître de la déclaration claire et nette de Sa Majesté l'Impératrice-Reine sur l'agnition du traité qui subsiste entre les deux cours, et sur l'application au cas dont il s'agit avec le roi de Prusse.

J'ajoutai en même temps qu'il serait bon, et que le roi mon maître s'y attendait, qu'à l'exemple de la Russie l'on autorisât aussi éventuellement les ministres respectifs qui subsistent aux cours principalement intéressées au maintien de la paix, à pouvoir dans son temps,<71> et supposé que le besoin parût exiger, avant quoi nous ne le demanderions pas nous-mêmes, déclarer de quel œil les cours impériales envisageraient toute avanie qui nous serait faite de la part du roi de Prusse.

Le comte d'Ulefeld me répondit : « Qu'il n'y aurait point de difficulté sur les ordres à envoyer à cet égard à leurs ministres, si nous l'exigions; mais qu'il me donnait derechef à considérer à quoi nous pourrait servir, et quelle impression ferait sur l'esprit du roi de Prusse une pareille déclaration qu'on donnerait dans le sens du traité de 1743, vu l'insuffisance du secours y stipulé; qu'il me chargeait de représenter de nouveau, à cette occasion, à ma cour, qu'on ne pouvait pas prendre assez de mesures contre les vues ambitieuses du roi de Prusse; et que surtout la Saxe, comme la plus exposée, ne pouvait pas user d'assez de précautions pour s'en garantir; qu'il importait donc beaucoup de renforcer nos anciens engagements sur le pied proposé par le feu comte de Harrach en 1745; que cela pouvait se faire à l'occasion de notre accession au traité de Pétersbourg, ou de telle autre façon qui nous paraîtrait la plus convenable pour notre sûreté, et la plus propre pour garder le secret; qu'il croyait qu'il n'y avait point de temps à perdre pour se mettre en bonne posture et état de défense, les conjonctures présentes lui paraissant exiger absolument que les cours alliées s'unissent plus étroitement ensemble que jamais, et que chacune d'elles regardât les intérêts de son allié comme les siens propres, et pour me servir de ses termes : dass Alle vor Einem und Einer vor Alle stünde. »

<72>

XIII. EXTRAIT DE LA LETTRE DU COMTE DE BRÜHL AU COMTE DE FLEMMING A VIENNE, DE DRESDE, LE 8 MARS 1753.

Je profite en même temps de l'excursion de M. le chevalier de Williams et de cette occasion sûre pour vous communiquer, monsieur, un rapport du conseil privé du 3 du courant, contenant le sentiment de ce conseil sur des engagements plus étendus auxquels la cour de Vienne nous invite à l'occasion de notre prochaine accession au traité de Russie. Cette communication ne doit vous servir que pour que vous soyez informé comment on envisage la chose, et des difficultés qu'on y trouve. Mais d'ailleurs le Roi n'approuve pas l'expédient proposé, d'insérer d'abord dans notre acte d'accession l'engagement réciproque de s'entre-secourir de toutes ses forces. Sa Majesté n'est cependant pas éloignée de s'entendre par la suite, dans le dernier secret, avec la cour de Vienne sur un tel secours, par des déclarations particulières et confidentes relatives au quatrième article secret du traité de Pétersbourg, moyennant de justes conditions et avantages qu'en ce cas on doit aussi nous accorder, et à l'égard desquelles vous pourrez prendre ad referendum tout ce qu'on voudra vous proposer. Je pense d'avance que ce qui nous fut promis par la déclaration de l'Impératrice-Reine du 3 de mai 1745,72-a pourra servir de base.

<73>

XIV. EXTRAIT D'UNE DÉPÊCHE DU COMTE DE VICEDOM AU COMTE DE BRÜHL, DE SAINT-PÉTERSBOURG, LE 18 AVRIL 1747.

J'ai l'honneur de dire à Votre Excellence que Pretlack m'a confié que, dans une entrevue secrète qu'il a eue avec l'Impératrice et le grand chancelier, il avait trouvé moyen, par des communications confidentes de la part de sa cour au sujet de plusieurs menées de ce prince désavantageuses à Sa Majesté Impériale, d'inspirer des sentiments qui ont poussé l'inimitié au suprême degré, et au point que cet ambassadeur s'imagine qu'il ne faudrait plus que très-peu pour que sa colère éclatât par quelque voie de fait, etc.

J'ai donc commencé par m'adresser à l'ambassadeur de Pretlack, après lui avoir détaillé tous les avantages qui pourraient résulter de nos démarches amicales pour sa cour et même pour celle de Russie, en procurant, par un accommodement avec la France, plus de facilité à l'Impératrice-Reine à faire tête au roi de Prusse, etc.

XV. TRADUCTION DE LA LETTRE DU SECRÉTAIRE D'AMBASSADE DE WEINGARTEN AU COMTE D'ULEFELD, BERLIN, DU 24 AOUT 1748.

Avant-hier il passa ici un courrier du lord Hyndford qui m'a apporté une dépêche de la part du comte de Bernes, laquelle donne au comte<74> de Kayserling et à moi de grandes lumières sur les préparatifs militaires d'ici, puisque le comte Bernes marque que le parti français et prussien en Suède travaillait à toute force pour procurer la souveraineté au Prince successeur; qu'en considération de ces circonstances on souhaitait d'empêcher le voyage de l'Impératrice à Moscou, et que, comme personne ne pourrait y contribuer davantage que le comte Kayserling, eu égard aux préparatifs et desseins dangereux de la cour de Berlin, il devait animer ce ministre pour cet effet. Celui-ci étant déjà assez prévenu contre la cour d'ici, il ne m'a pas été difficile d'obtenir mon but, puisqu'il m'a fait lire hier sa relation dressée selon les désirs du comte Bernes, en promettant de continuer sur ce ton toutes les semaines.

XVI. LETTRE DU COMTE DE BERNES AU COMTE DE LA PUEBLA. DATÉE DE PÉTERSBOURG, LE 12 DÉCEMBRE 1749.

J'ose vous faire, dans le plus grand secret, la réquisition qui suit :

On souhaite que vous fassiez glisser à l'oreille de M. de Gross, ministre de Russie, mais cela avec tant de précaution qu'on ne puisse jamais soupçonner que la chose vient de vous, qu'il se machine en Suède des choses contre la personne de l'Impératrice, auxquelles la cour de Prusse a sa bonne part; et comme ledit ministre ne manquera probablement pas de vous faire confidence de cette découverte, vous êtes prié de lui répondre que, n'en sachant rien, vous feriez des recherches, et de la lui confirmer ensuite, comme chose que vous auriez apprise par perquisition.

<75>

XVII. EXTRAIT DE L'INSTRUCTION DONNÉE AU GÉNÉRAL D'ARNIM, DRESDE, LE 19 FÉVRIER 1750. TRADUIT.

Le général d'Arnim aura aussi soin d'entretenir la défiance de l'Impératrice et de ses ministres bien intentionnés contre la puissance prussienne, l'agrandissement, et l'abus qu'on en fait; en conséquence, il ne manquera pas de louer et d'applaudir à l'attention et à toutes les mesures que l'Impératrice pourrait y opposer, etc.

XVIII. EXTRAIT D'UNE LETTRE DU SIEUR DE FUNCK AU COMTE DE BRÜHL, DATÉE DE SAINT-PÉTERSBOURG, LE 6 DÉCEMBRE 1753. TRADUIT.

En racontant les motifs que lui Funck et le baron Pretlack, ministre de Vienne, avaient allégués aux ministres de Russie pour tenir toujours une forte armée sur les frontières de la Prusse, il dit leur avoir représenté entre autres :

« Que cette précaution était d'autant plus nécessaire, eu égard aux vues notoires des cours de France, de Prusse et de Suède, dans le cas de la vacance du trône de Pologne, que le roi de Prusse ne tarderait<76> alors pas d'exécuter ses desseins sur la Prusse polonaise et sur l'embouchure de la Vistule. »

« Qu'il fallait imiter l'exemple du roi de Prusse, qui ne regrettait aucunes dépenses qui pouvaient le rendre plus redoutable, venant de former encore trois nouveaux régiments; que la cour de Russie ne devait pas craindre d'être abandonnée par ses alliés lorsqu'elle en viendrait aux mains; qu'ils connaissaient trop bien leurs propres intérêts, etc. »

XIX. EXTRAIT DE LA DÉPÊCHE DU COMTE DE BRÜHL AU SIEUR FUNCK A PÉTERSBOURG, LE 6 FÉVRIER 1754. TRADUIT.

Je ne doute pas que la cour de Russie ne soit déjà informée des différents mouvements et arrangements que le roi de Prusse fait faire dans le royaume de ce nom, avec la plus grande célérité et dans le dernier secret, par rapport au commerce et aux monnaies et surtout pour des préparatifs militaires; j'espère aussi que cette cour y sera d'autant plus attentive, qu'on a remarqué ces préparatifs surtout après la grande augmentation de troupes que l'impératrice de Russie a fait faire en dernier lieu dans ses provinces limitrophes, et qu'ils paraissent y avoir rapport; j'ai pourtant cru devoir vous communiquer les avis qui nous en sont parvenus successivement, afin que vous en puissiez faire usage dans vos entretiens avec le ministère de la cour où vous êtes. Nous y sommes fort attentifs, d'autant que nous connaissons l'envie du roi de Prusse de se mêler des affaires domestiques de la Pologne; que ses projets pour ruiner le commerce de la Pologne<77> et surtout celui de Danzig, se manifestent de plus en plus; et que ses vues d'agrandissement de ce côté-là font sûrement un des objets les plus flatteurs de ses projets.

La dépêche du comte de Brühl du 13 février 1754 ne roule que sur le détail des préparatifs militaires que le Roi faisait faire en Prusse.

EXTRAIT DE LA LETTRE DU SIEUR FUNCK AU COMTE DE BRÜHL, du 31 juin (sic)77-a 1754.

Selon le rapport de M. l'envoyé de Gross, Votre Excellence l'a informé elle-même de la prochaine levée de sept nouveaux régiments prussiens. On remercie Votre Excellence de cet avis, en l'assurant qu'on ne manquera pas d'en faire bon usage, comme de toutes les autres nouvelles de cette nature.

XX. EXTRAIT DE LA DÉPÊCHE DU COMTE DE BRÜHL AU SIEUR FUNCK, DE VARSOVIE, LE 28 JUILLET 1754. TRADUIT.

Les desseins que quelques puissances malintentionnées couvent à l'égard de la Courlande, se manifestent, entre autres indices et pré<78>paratifs, par les gazettes publiques de Berlin, qui annoncent tantôt la mort et tantôt l'état désespéré de la santé du malheureux duc, pour préparer ainsi le public aux événements futurs, etc.

XXI. EXTRAIT DE LA DÉPÊCHE DU COMTE DE BRÜHL AU SIEUR FUNCK, DE VARSOVIE, LE 2 AOUT 1754. TRADUIT.

En parlant de l'ombrage que la Porte ottomane prenait au sujet de la forteresse que la cour de Russie faisait bâtir sur les frontières de la Turquie, il ajoute :

« Comme les cours de France et de Prusse ont jusqu'ici constamment travaillé à entraîner la Porte ottomane dans une guerre contre la Russie, cette affaire leur donnerait beau jeu; le roi de Prusse ne tarderait plus longtemps à se démasquer, et à faire paraître le but de ses armements continuels; dans lequel cas, la Courlande pourrait bien devenir le premier sacrifice de son ambition. »

<79>

XXII. EXTRAIT D'UNE DÉPÊCHE DU COMTE DE BRÜHL AU SIEUR FUNCK, DU 1er DÉCEMBRE 1754. TRADUIT.

Je ne saurais vous cacher un avis qui m'est parvenu, touchant un nouveau dessein du roi de Prusse pour faciliter ses vues d'agrandissement. On sait que ce prince travaille depuis longtemps à entraîner les deux cours de Suède et de Danemark dans ses intérêts. La tentative qu'il en a faite en Danemark, à l'occasion de la prolongation du traité de subsides entre cette cour et celle de France, ne lui ayant pas réussi, il pense à d'autres moyens de gagner la cour de Copenhague.

La naissance du jeune grand-duc de Russie doit lui avoir paru une occasion favorable pour parvenir à ce but. Car, comme il s'imagine qu'après cet événement, qui affermit la succession dans le duché de Holstein, la négociation touchant l'échange de ce duché contre la comté d'Oldenbourg deviendra plus difficile, et que la cour de Danemark sera fort fâchée de renoncer à un arrondissement si désiré, on prétend qu'il a fait proposer un autre plan à la cour de Danemark pour réussir dans ses vues. On n'a pas encore pu approfondir en quoi consiste ce plan, de quelle façon il a promis de le seconder, s'il vise même à des moyens violents, et ce qu'il se veut stipuler en retour; cependant mes avis font conjecturer que dans ce projet on n'aura pas oublié le prétexte de la religion grecque, que le grand-duc a embrassée et qui n'est pas une des religions tolérées dans l'Empire, et qu'on se flatte d'y mêler par ce moyen l'Empire et les garants de la paix de Westphalie.

<80>Quoique je ne prétende rien décider sur ce projet, d'ailleurs si conforme au génie du roi de Prusse, et que je sois aussi d'opinion que la cour de Danemark n'en sera pas la dupe, l'idée seule d'un pareil projet paraît pourtant être assez importante pour que vous en fassiez confidence au ministère de Russie, quoique avec le ménagement nécessaire, etc.

XXIII. EXTRAIT D'UNE LETTRE DU SIEUR FUNCK AU COMTE DE BRÜHL, DE PÉTERSBOURG, LE 9 JUIN 1755. TRADUIT.

On rendrait un bon service à la cause commune, si on suppéditait en confiance à M. de Gross qu'il fasse mention dans un de ses rapports, en termes généraux, uniquement pour avoir l'occasion de l'insinuer adroitement à l'Impératrice, que le roi de Prusse devait avoir trouvé un canal en Courlande pour être exactement informé des secrets de cette cour, etc.

<81>

XXIV. EXTRAIT DE LA DÉPÊCHE DU COMTE DE BRÜHL A M. DE FUNCK, DU 23 JUILLET 1755. TRADUIT.

En accusant votre dépêche du 30 passé, je vous dirai que je n'ai pas manqué de m'acquitter envers M. de Gross de la commission contenue dans votre lettre du 9 du passé. Il a reçu avec reconnaissance l'avis qu'on lui a donné, qu'il ne pourrait pas mieux faire sa cour qu'en faisant, dans ses rapports, souvent et adroitement mention des vues pernicieuses et des artifices de la cour de Prusse, qui ne sont que trop vrais, et il ne manquera pas de profiter de ce conseil, etc.

XXV. EXTRAIT DE LA LETTRE DU SIEUR FUNCK AU COMTE DE BRÜHL, DE PÉTERSBOURG, LE 20 OCTOBRE 1755.

Ce que je puis dire de positif de l'objet des délibérations du dernier grand conseil, consiste en ceci : qu'en prenant pour base le résultat connu du grand conseil de Moscou, on a établi de nouveau comme une maxime fondamentale pour le futur, de s'opposer de toutes ses forces à l'agrandissement ultérieur de la maison de Brandebourg, et de se mettre pour cet effet en si bon état, qu'on puisse profiter de la<82> première occasion qui se présentera; et l'on est résolu d'attaquer le roi de Prusse sans aucune discussion ultérieure, non seulement dans le cas que ce prince vînt à attaquer un des alliés de cette cour-ci, mais cela doit aussi avoir lieu si le roi de Prusse venait à être entamé par un desdits alliés de cette cour. On veut établir, pour cet effet, des magasins pour cent mille hommes à Riga, Mitau, Libau et Windau, et on a trouvé pour cela un fonds de deux millions et demi de roubles, et un autre fonds annuel d'un million et demi pour entretenir ces arrangements.

XXVI. EXTRAIT DE LA DÉPÊCHE DU COMTE DE BRÜHL AU SECRÉTAIRE PRASSE A PÉTERSBOURG, DU 2 JUIN 1756.

Pour ce qui regarde la commission secrète de faire parvenir à Pétersbourg, par des canaux cachés, l'avis des machinations prussiennes en Ukraine, nous sommes encore occupés à trouver un bon et sûr canal, et on s'apercevra bientôt, de façon ou d'autre, de l'effet de mon inclination personnelle à seconder une si bonne intention, quoique un peu artificieuse.

<83>

XXVII. EXTRAIT DE LA LETTRE DU COMTE DE FLEMMING AU COMTE DE BRÜHL, de vienne, le juin (sic) 1756.

Je dois encore ajouter qu'il a été enjoint à M. le comte de Kayserling, par le dernier rescrit, de ne ménager ni peines ni argent pour parvenir à une connaissance exacte de l'état des revenus de cette cour-ci. Il y a apparence qu'on en veut être informé pour savoir au juste si l'on est ici à même de pouvoir soutenir, par ses propres fonds et sans le secours de l'Angleterre, les frais d'une guerre, et si elle peut en outre fournir des subsides, etc.

DU MÊME, EN DATE DU 9 JUIN.

On a lieu de présumer qu'il a été concerté entre les deux cours impériales de Vienne et de Russie que celle-ci, pour masquer d'autant mieux les véritables raisons de son armement, le fasse sous le prétexte apparent de se trouver par là en état de satisfaire à ses engagements contractés dans la dernière convention subsidiaire avec l'Angleterre, en cas qu'il en fût besoin; et quand tous les préparatifs seront achevés, de tomber inopinément sur le roi de Prusse, etc.

DU MÊME, EN DATE DU 19 JUIN.

Par les ouvertures générales et obscures qu'un certain ministre a faites au sieur Prasse, touchant l'armement de la Russie, et que Votre Excellence a bien voulu me communiquer par ladite dépêche, j'ai remarqué que ce ministre commence à devenir plus réservé et mystérieux sur les intentions de sa cour. Cette retenue me paraît être<84> conforme à celle qu'on garde ici, où l'on se contente également de donner à entendre qu'on n'a d'autre dessein que de se tenir en repos, et se préparer en attendant à tout événement qui pourrait arriver dans les présentes conjonctures, etc.

XXVIII. LETTRE DU COMTE DE FLEMMING AU COMTE DE BRÜHL.

Vienne, ce 28 juillet 1756.



Monseigneur,

Monsieur de Klinggräff reçut samedi passé un exprès de sa cour, en conséquence duquel il envoya le lendemain un billet à M. le comte de Kaunitz, pour le prier avec beaucoup d'empressement de lui marquer une heure où il pouvait lui parler. Ce billet fut remis à ce chancelier d'État justement lorsqu'il se trouvait en conférence avec les maréchaux comtes de Neipperg et de Browne et avec le général prince Piccolomini. Et comme il était intentionné de se rendre d'abord après la conférence auprès de l'Impératrice-Reine, pour lui en faire son rapport, il fit répondre à M. de Klinggräff qu'il était à la vérité obligé d'aller à Schönbrunn, mais qu'il lui ferait cependant plaisir s'il voulait se hâter de venir dans l'instant même; ce que le ministre prussien n'a pas manqué de faire. M. le comte de Kaunitz m'a dit confidemment, dans un entretien que j'eus hier matin avec lui, que M. de Klinggräff, d'abord en entrant chez lui, avait donné à connaître, avec un certain embarras mêlé d'inquiétude, qu'il venait de recevoir un exprès de sa cour, qui lui avait apporté des ordres<85> dont il devait exposer en personne le contenu à l'Impératrice-Reine; et que pour cet effet il lui était enjoint de demander une audience particulière de Sa Majesté, qu'il le priait de vouloir bien lui procurer. Que lui comte de Kaunitz avait répondu qu'étant sur le point de se rendre à Schönbrunn, il se chargeait volontiers de demander pour lui l'audience qu'il désirait; mais qu'il ne pouvait se dispenser de lui faire entendre qu'il était à propos de le mettre en état de pouvoir, du moins en général, prévenir l'Impératrice sur la nature des insinuations qu'il avait ordre de faire à Sa Majesté. Que là-dessus M. de Klinggräff lui avait dit qu'il était chargé de demander amicalement et par voie d'éclaircissement, au nom du roi son maître, à quoi aboutissaient les armements et préparatifs guerriers qu'on faisait ici, et si peut-être ils le regardaient; ce qu'il ne saurait cependant s'imaginer, ne sachant point y avoir donné occasion en la moindre chose. Que lui Kaunitz avait répliqué qu'il ne pouvait lui répondre d'avance sur cette ouverture; qu'il ne manquerait pas d'en faire incessamment son rapport à l'Impératrice, et de lui procurer l'audience qu'il désirait; que cependant il ne pouvait s'empêcher de lui dire qu'il était surpris de l'explication que le roi son maître demandait au sujet des mesures qu'on prenait dans ce pays, après que, de ce côté-ci, on n'avait témoigné à ce prince aucune inquiétude ni ombrage des grands mouvements et préparatifs qu'on avait remarqués le premier dans son armée. Ce ministre m'a ajouté : qu'étant allé immédiatement après à Schönbrunn, il avait chemin faisant réfléchi sur la réponse qu'il conseillerait à sa souveraine de donner à M. de Klinggräff; et qu'ayant cru entrevoir que le roi de Prusse avait deux objets en vue qu'on voulait également éviter ici, savoir : d'en venir à des pourparlers et éclaircissements qui pourraient d'abord causer une suspension des mesures qu'on jugeait nécessaire de continuer avec vigueur; et en second lieu, d'amener les choses plus loin et à d'autres propositions et engagements plus essentiels, il avait jugé que la réponse devait être d'une nature qui éludât entièrement la question du roi de Prusse,<86> et qui, en ne laissant plus lieu à des explications ultérieures, fût en même temps ferme et polie, sans être susceptible d'aucune interprétation ni sinistre ni favorable. Qu'en conformité de cette idée, il lui avait paru suffire que l'Impératrice se contentât de répondre simplement : que dans la forte crise générale où se trouvait l'Europe, il était de son devoir et de la dignité de sa couronne de prendre des mesures suffisantes pour sa propre sûreté, aussi bien que pour celle de ses amis et alliés. Que l'Impératrice-Reine avait approuvé cette réponse; et que, pour montrer que la démarche et demande du roi de Prusse ne causait ici le moindre embarras, Sa Majesté avait fait fixer l'heure pour l'audience de M. de Klinggräff d'abord pour le lendemain, qui fut avant-hier; et après avoir écouté la proposition de ce ministre, comme il l'avait exposée la veille à M. le comte de Kaunitz, elle lui avait précisément répondu dans les termes mentionnés, et avait rompu par un signe de tête tout d'un coup l'audience, sans entrer dans aucun plus grand détail. Il est vrai que tout Vienne, qui était alors assemblé dans l'antichambre de l'Impératrice-Reine, à cause du jour de gala, a vu entrer et sortir le moment après M. de Klinggräff avec un air assez étonné. Je tiens toutes ces circonstances de la bouche de M. le comte de Kaunitz, qui m'a dans cette rencontre parlé avec plus d'ouverture et de confiance qu'il n'a fait jusqu'à présent, me chargeant même d'en faire usage dans mes dépêches à Votre Excellence, se réservant néanmoins là-dessus un secret des plus exacts.

On doute d'autant moins que cette réponse aussi énergique qu'obscure ne jette le roi de Prusse dans un grand embarras; et on prétend ici que ce prince doit être dans de grandes inquiétudes, et qu'il a déjà tiré de son trésor près de trois millions d'écus, que ses préparatifs et augmentations lui ont coûté.

On présume que le but qu'il s'est proposé par la demande susalléguée, a été probablement que si l'on avait répondu que c'était lui qui avait occasionné les armements qu'on faisait ici, il aurait tâché de s'en<87> disculper, en donnant pour preuve que par cette raison il n'avait pas même assemblé les camps qu'il avait fait déjà tracer pour exercer ses soldats, mais qu'il avait ordonné aux régiments de se séparer; imaginant peut-être de mettre cette cour dans la nécessité de suivre son exemple, en discontinuant également ses préparatifs : je crois cependant qu'il aurait de la peine à la détourner de son dessein par ces sortes d'illusions.

On a su par un exprès dépêché par le comte de Puebla, arrivé ici dimanche passé, que malgré les feintes dispositions du roi de Prusse, ses troupes ne cessaient pas de filer vers la Silésie. On comprend d'ailleurs fort bien que ce prince, par la position locale de son armée, qu'il peut assembler en autant de semaines qu'on a besoin ici de mois vu l'éloignement des quartiers où les troupes se tiennent, a un avantage trop marqué sur cette cour-ci, à laquelle il causerait, par de longues et continuelles marches, de si grandes dépenses, qu'elles deviendraient à la fin insoutenables. Je dis que l'on comprend fort bien qu'il est nécessaire de poursuivre sans interruption les mesures qu'on a déjà commencées, afin de se mettre dans les circonstances présentes à deux de jeu et en bon état; que le roi de Prusse se trouve par là obligé, pour soutenir ses armements et les augmentations faites et à faire, qui surpassent ses forces, ou de se consumer à petit feu, ou, pour prévenir cet inconvénient, de se laisser aller à une résolution précipitée : et c'est précisément là où il me semble qu'on l'attend.

Le retour du courrier de M. de Klinggräff, que ledit prince attend sans doute avec la dernière impatience, nous fera voir plus clair dans ses dispositions. Il est à croire que, s'il se croit menacé, il ne tardera plus à porter des coups et à prévenir ceux qu'il craint, pour profiter de la situation dans laquelle on se trouvera ici jusqu'à la fin du mois d'août, qui est le terme où toutes les troupes seront assemblées. Mais d'un autre côté, s'il reste tranquille, il peut être per<88>suadé qu'il ne sera point inquiété ni attaqué, du moins pas cette année. Cependant, par tout ce que je remarque, je ne saurais m'imaginer autrement que la cour d'ici doit être bien sûre de l'amitié et de l'attachement de la Russie; ce qui m'a paru se confirmer encore par une lettre que le ministre hollandais à Pétersbourg, M. Swart, a écrite du 6 du courant à M. de Burmannia, où il mande entre autres que l'émissaire français, le chevalier Douglas, gagnait de jour en jour plus de terrain.

Comme cela ne pourra manquer de produire en Russie une altération dans son ancien système, il ne paraît pas surprenant que le grand chancelier comte de Bestusheff, suivant ce que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire par sa dernière dépêche, a pris la résolution de se retirer à la campagne, sous prétexte de rétablir sa santé, et de s'éloigner pour quelque temps des affaires, voulant apparemment attendre quel pli elles prendront, et prévoyant peut-être que ce moment ne tardera plus d'arriver, puisque tout semble dépendre de la résolution du roi de Prusse, étant certain que, s'il se tient en repos, la cour de Vienne ne commencera non plus rien, du moins cette année; mais elle tâchera d'achever pendant cet intervalle ses préparatifs, pour se trouver l'année prochaine en situation de pouvoir prendre un parti convenable selon les circonstances et événements du temps.

Ce qui me confirme de plus en plus dans l'opinion que j'ai osé prendre la liberté de communiquer à Votre Excellence par mes précédentes, que notre cour n'a pas de moyen plus sûr de profiter des conjonctures présentes, qui n'ont peut-être jamais été si favorables sous le règne de notre auguste maître, qu'en se mettant en bonne posture pour se faire rechercher, c'est qu'un de mes amis, qui prétend en être informé par un des commis du trésor, m'assure que la cour d'ici avait fait passer un million de florins en Russie.

M. le comte de Kaunitz m'a dit que les avis que Votre Excellence<89> lui avait fait parvenir sur les bruits qu'avait répandus le roi de Prusse sur des alliances à faire entre lui et nous, de même qu'avec la Russie, et de plus que la cour d'ici se mêlait d'une médiation entre la France et l'Angleterre, lui étaient déjà parvenus d'ailleurs, et méritaient par conséquent d'autant plus d'attention et d'être contredits, comme on en donnerait l'ordre aux ministres de l'Impératrice-Reine dans les cours de l'Europe. Ce chancelier d'État m'a dit encore qu'il y avait des avis comme quoi le roi de Prusse avait voulu surprendre la ville de Stralsund dans la Poméranie suédoise, et qu'apparemment si cela se vérifiait, c'était en conformité de la trame découverte en dernier lieu à Stockholm.

Si Votre Excellence est à portée de pouvoir faire des insinuations avec sûreté à la cour de Londres, elle lui rendrait peut-être service en lui faisant connaître le danger dans lequel elle se trouve, et dans lequel les mauvais conseils de ceux qui sont le plus dans le crédit aujourd'hui, l'ont entraînée.

Cette cour ne sortira que difficilement de la bredouille où elle s'est précipitée, et si elle ne se sépare pas du roi de Prusse en faisant sa paix avec la France aux meilleures conditions possibles, cette dernière ira de succès en succès et de projets en projets, qui pourraient à la longue devenir funestes à la maison de Hanovre.

Je demande en grâce à Votre Excellence de ne rien communiquer en détail à M. de Broglie de ce que j'ai l'honneur d'écrire à Votre Excellence, cet ambassadeur étant en correspondance avec M. d'Aubeterre, qui m'a dit avec surprise que le comte de Broglie était entièrement persuadé qu'on en voulait ici au roi de Prusse, et qu'il l'accusait même de défiance et de trop de réserve sur les desseins de la cour de Vienne.

Le marquis d'Aubeterre ayant sollicité depuis longtemps la permission de pouvoir s'absenter de son poste pour quelques mois, afin<90> de vaquer à des affaires de famille qui exigent sa présence à Paris vient d'en obtenir l'agrément.

Le général Karoly, et non pas le général Nadasdy comme on l'a cru, vient d'être déclaré Bannus de la Croatie.

J'ai l'honneur d'être, avec un très-profond respect,



Monseigneur,

de Votre Excellence etc.
Comte de Flemming.

XXIX. LETTRE DU COMTE DE BRÜHL AU COMTE DE FLEMMING A VIENNE.

Dresde, le 1er juillet 1756.



Monsieur,

Je profite du départ d'un courrier que M. le comte de Sternberg dépêche à sa cour pour y porter les avis que M. le comte de Puebla lui a communiqués nouvellement touchant les grands préparatifs militaires du roi de Prusse, qui paraissent menacer de plus en plus d'une levée de boucliers de sa part.

Votre Excellence ne pourra pas manquer d'être informée du détail plus spécial de ces avis et apparences dangereuses par le ministère de Leurs Majestés Impériales, et je me contente de lui faire parvenir ci-joint l'extrait de la dernière lettre de M. de Bülow, qui parle des mêmes appréhensions. Venant de m'entretenir confidemment là-dessus avec M. le comte de Sternberg, je dois vous autoriser, monsieur, de conférer sur un objet aussi intéressant pour l'une et pour<91> l'autre cour avec le ministère de celle où vous subsistez; de lui faire comprendre la position difficile et dangereuse où le passage d'une armée prussienne par la Saxe, auquel notre situation ne nous permet aucunement de nous opposer, ou peut-être quelque proposition et demande ultérieure et plus significative que Sa Majesté Prussienne pourrait nous faire dans cette occasion, nous exposeraient; et de l'engager à s'ouvrir dans la dernière confidence envers nous sur les mesures qu'on se propose d'employer pour se garantir soi-même d'une injuste attaque, et pour couvrir et protéger en même temps les États du roi notre maître, qui se trouvent derechef menacés par notre attachement fidèle à nos alliés.

Dans cette dernière intention, il serait sans doute nécessaire qu'on rassemblât incessamment un corps d'armée suffisant dans les cercles de la Bohême les plus proches de nos frontières; et il serait également utile pour les deux cours s'il plaisait à Sa Majesté l'Impératrice - Reine d'enjoindre à M. le feld-maréchal Browne de communiquer et de se concerter, à tout événement et avec le ménagement et secret requis, avec notre feld-maréchal comte de Rutowski, qui vient d'y être déjà autorisé par le Roi.

Étant persuadé que la cour de Vienne trouve dans notre conservation et sûreté ses propres avantages, je me suis expliqué sur tout ceci plus au long avec M. le comte de Sternberg, qui ne manquera pas d'en rendre un compte exact par le même courrier, et je puis me rapporter au reste à vos lumières, monsieur, et à votre zèle et dextérité, pour me dispenser d'ajouter à ma présente toutes les réflexions et motifs essentiels, convenables à cette situation critique, et conformes aux liaisons qui subsistent entre les deux cours.

Je prie seulement Votre Excellence de hâter autant qu'il sera possible les éclaircissements qu'elle aura à me donner, étant d'ailleurs très-véritablement et avec etc.

<92>

CHAPITRE IV.

Campagne de 1756.

Marche en Saxe; fameux camp de Pirna; entrée en Bohême; bataille de Lowositz; campagne du maréchal Schwerin; secours de Schandau battu; prise des Saxons; quartiers d'hiver; cordon.

C'était un préalable en commençant cette guerre d'ôter aux Saxons le moyen de s'en mêler et de nuire aux Prussiens. Pour porter la guerre en Bohême, il fallait traverser cet électorat : si l'on ne s'en rendait pas maître, on laissait un ennemi derrière soi, qui en ôtant la libre navigation de l'Elbe aux Prussiens, les obligeait à quitter la Bohême aussitôt que le roi de Pologne le voudrait. Les Saxons en avaient usé ainsi dans la guerre de 1744, où en interdisant cette navigation aux troupes du Roi, ils rendirent son expédition infructueuse. On ne se fondait pas sur des conjectures vagues pour leur supposer le même dessein : on avait en main les preuves de leur mauvaise volonté; ainsi ç'aurait été commettre une faute irrémissible en politique, que de ménager par faiblesse un prince allié de l'Autriche, qui n'attendait à se déclarer ouvertement pour elle que le moment où il pourrait le faire impunément. De plus, comme le Roi prévoyait que la plus grande partie de l'Europe se préparait à l'attaquer, il ne pouvait pas autrement couvrir la Marche électorale de Brandebourg<93> qu'en s'emparant de la Saxe, où il valait mieux établir le théâtre de la guerre qu'aux environs de Berlin. Il fut donc résolu qu'on porterait la guerre en Saxe, qu'on s'assurerait de l'Elbe, et qu'on tâcherait, pour peu que l'occasion s'en présentât favorable, de désarmer les troupes saxonnes.

Au mouvement que quelques régiments firent pour se rendre en Poméranie,93-a les troupes saxonnes prirent position entre l'Elbe et la Mulde; elles entrèrent peu après dans leurs quartiers ordinaires, et bientôt elles se rassemblèrent de nouveau en cantonnements. Toutes ces marches et contre-marches ne donnèrent point le change : le Roi savait positivement que le dessein de la cour était d'assembler l'armée au camp de Pirna, où les Saxons, occupant une position inattaquable, croyaient pouvoir attendre en sûreté les secours que les Autrichiens leur avaient fait espérer, et d'où ils se flattaient d'amuser les Prussiens par de frivoles négociations; de sorte que, sans réfléchir aux différentes marches de ces troupes, on s'en tint au projet de se porter incessamment avec l'armée au débouché de la Bohème.

Le Roi divisa son armée en trois corps : la marche de ces trois colonnes se dirigea sur Pirna, qui fut le centre de leur réunion commune. La première partit de Magdebourg aux ordres du prince Ferdinand de Brunswic; elle prit le chemin de Leipzig et passa par Borna, Chemnitz, Freyberg et Dippoldiswalda, pour se rendre à Cotta. La seconde colonne, où se trouvait le Roi, marcha sur Pretzsch, tandis que le prince Maurice de Dessau se rendit maître de Wittenberg; après quoi ce détachement, réuni au reste du corps, passa l'Elbe à Torgau, d'où le Roi se porta par Strehlen et Lommatzsch à Wilsdruf. Ce fut là qu'on apprit avec certitude que toutes les troupes saxonnes s'étaient rendues à Pirna, que le Roi y était en personne, qu'il n'y avait point de garnison à Dresde, mais que la Reine y était demeurée.<94> Le Roi fit complimenter la reine de Pologne, et les troupes prussiennes entrèrent dans cette capitale, en observant une si exacte discipline, que personne n'eut à s'en plaindre. L'armée campa près de Dresde, d'où elle s'avança le lendemain vers Pirna, et se posta entre l'Elbe, Sedlitz94-a et Zehista. La troisième colonne, sous le commandement du prince de Bevern,94-b traversa la Lusace, où ayant été jointe à Elsterwerda par vingt-cinq escadrons de cuirassiers et de hussards venant de la Silésie, elle se porta sur Bautzen, sur Stolpen, et enfin sur Lohmen. Le prince Ferdinand arriva en même temps à Cotta, de sorte que, par la jonction de ces trois colonnes aux environs de Pirna, les troupes saxonnes se trouvèrent entièrement bloquées. Cependant le voisinage de tant d'armées ne donna lieu à aucun incident : on ne commit aucune hostilité; les Saxons souffrirent avec beaucoup de civilité qu'on les affamât, et chacun de son côté tâcha d'assurer son établissement le mieux qu'il put. Le roi de Pologne, dans l'intention de gagner du temps, entama une négociation :94-c il était plus aisé pour les Saxons décrire que de se battre; ils firent à plusieurs reprises des propositions qui, n'ayant rien de solide, furent rejetées. Leur but était d'obtenir une parfaite neutralité; c'était à quoi le Roi ne pouvait pas donner les mains, parce que les engagements du roi de Pologne avec la cour de Vienne, la Russie et la France lui étaient trop bien connus.

Les Saxons faisaient alors retentir toute l'Europe de leurs cris; ils répandaient les bruits les plus injurieux aux Prussiens sur leur invasion dans cet électorat : il était nécessaire de désabuser le public de<95> toutes ces calomnies, qui n'étant point réfutées, s'accréditaient, et remplissaient le monde de préjugés contre la conduite du Roi. Depuis longtemps le Roi possédait la copie des traités du roi de Pologne et des relations de ses ministres aux cours étrangères. Quoique ces pièces justifiassent pleinement les entreprises de la Prusse, on ne pouvait en tirer parti : si on les eût publiées, les Saxons les auraient taxées de pièces supposées et forgées à plaisir pour autoriser une conduite audacieuse qu'on ne pouvait soutenir que par des mensonges; cela obligea d'avoir recours aux pièces originales, qui se trouvaient encore dans les archives de Dresde. Le Roi donna des ordres pour qu'on les saisît; elles étaient toutes emballées et prêtes à être envoyées en Pologne : la Reine, qui en fut informée, voulut s'y opposer; on eut bien de la peine à lui faire comprendre qu'elle ferait mieux de céder par complaisance pour le roi de Prusse, et de ne point se roidir contre une entreprise qui, quoique moins mesurée qu'on le voudrait, était cependant la suite d'une nécessité absolue. Le premier usage qu'on fit de ces archives fut d'en donner l'extrait connu du public sous le titre de Pièces justificatives.95-a

Pendant que cette scène se passait au château de Dresde, les troupes prussiennes et saxonnes demeuraient dans l'inaction, le roi de Pologne s'amusant avec l'espérance des secours autrichiens qui devaient lui venir, et le roi de Prusse ne pouvant rien entreprendre contre un terrain vis-à-vis duquel le nombre des troupes et la valeur devenaient inutiles. Il ne sera pas hors de propos, pour l'intelligence des événements que nous aurons à rapporter dans la suite, que nous entrions<96> dans un détail circonstancié sur le fameux camp de Pirna, et de la position que les troupes saxonnes y occupaient. La nature s'était complu, dans ce terrain bizarre, à former une espèce de forteresse à laquelle l'art n'avait que peu ou rien à ajouter. A l'orient de cette position coule l'Elbe entre des rochers qui, en rétrécissant son cours la rendent plus rapide; la droite des Saxons s'appuyait à la petite forteresse de Sonnenstein près de l'Elbe; dans un bas-fond, au pied de ces rochers, est située la ville de Pirna dont le camp prend son nom; le front, qui fait face au nord, s'étend jusqu'au Kohlberg, qui fait comme le bastion de cette courtine; devant règne un ravin de soixante à quatre-vingts pieds de profondeur, qui de là tournant vers la gauche entoure tout le camp, et va aboutir au pied du Königstein. Du Kohlberg, qui forme une espèce d'angle, une chaîne de rochers dont les Saxons occupaient la crête, ayant l'aspect tourné vers l'occident, va, laissant Rottendorf96-a devant soi, et se rétrécissant vers Struppen et Leupoldishayn, se terminer aux bords de l'Elbe à Königstein. Les Saxons, trop faibles pour remplir le contour de ce camp, qui présentait de tous côtés des rochers inabordables, se bornèrent à bien garnir les passages difficiles, et cependant les seuls par lesquels on pût venir à eux; ils y pratiquèrent des abatis, des redoutes, et des palissades; à quoi il leur était facile de réussir, vu les immenses forêts de pins dont les cimes de ces monts sont chargées.

Ce camp, ayant été examiné et reconnu en détail, pouvant passer pour un des plus forts de l'Europe, fut jugé à l'abri des surprises et des attaques; et comme le temps et la disette pouvaient seuls vaincre tant d'obstacles, on résolut de le bloquer étroitement, pour empêcher les troupes saxonnes de tirer des vivres des environs, et d'en user en tout comme dans un siége en forme. Dans cette vue, le Roi destina une partie de ses troupes à former la circonvallation de ce camp, et l'autre fut employée à former l'armée d'observation. Cette dispo<97>sition, la meilleure qu'on pût faire dans ces conjonctures, était d'autant plus sage, que les Saxons, réfugiés en hâte sur ces rochers, n'avaient pas eu le temps d'amasser beaucoup de subsistances, et que ce qu'ils en avaient, ne pouvait les nourrir tout au plus que deux mois.

Bientôt les troupes du Roi occupèrent tous les passages par lesquels les secours ou les vivres auraient pu arriver aux Saxons. Le prince de Bevern avec sa division prit les postes de Lohmen, Wehlen, Ober-Rathen et Schandau tout le long de l'Elbe; sa droite communiquait à la division du Roi par le pont qui fut construit proche de la briqueterie; dix bataillons et dix escadrons, qui campaient auprès du Roi, occupaient l'emplacement depuis l'Elbe et le village de Sedlitz jusqu'à Zehista, où commençait la division du prince Maurice, qui s'étendait au delà de Cotta par des détachements qu'il avait poussés à Leupoldishayn, Markersbach, Hennersdorf97-a et Hellendorf : en tout trente-huit bataillons et trente escadrons servaient à former cette circonvallation dont nous venons de parler.

D'autre part, le maréchal Keith eut le commandement de l'armée d'observation; elle consistait en vingt-neuf bataillons et en soixante-dix escadrons. Le prince Ferdinand de Brunswic entra le premier en Bohême avec l'avant-garde;97-b ayant passé Péterswalde, il rencontra à Nollendorf M. de Wied, général autrichien, avec dix bataillons de grenadiers et de la cavalerie à proportion; il le délogea du village; l'Autrichien prit la fuite, et le prince poursuivit sa marche. Le maréchal Keith s'approcha immédiatement après d'Aussig, et se campa à Johnsdorf, d'où il détacha M. de Manstein,97-c qui s'empara du château de Tetschen, pour assurer la navigation de l'Elbe. Les choses en<98> restèrent là en Saxe et dans cette partie de la Bohême jusqu'à la fin du mois.

D'un autre côté, M. de Piccolomini campait proche de Königingrätz sur les hauteurs situées entre le confluent de l'Adler et de l'Elbe, dans une position forte. Son camp, en figure angulaire, n'était abordable d'aucun côté. Le maréchal de Schwerin venait de déboucher avec son armée par le comté de Glatz, d'où il s'avança premièrement à Nachod, puis sur les bords de la Mettau, et enfin sur Augezd, où il défit M. de Buccow, qui vint au-devant de lui avec un corps de cavalerie, se fit bien battre, et perdit deux cents hommes. Le maréchal de Schwerin ne pouvait point entreprendre sur M. de Piccolomini dans le poste où se tenaient les Autrichiens : il n'y avait aucun grand projet à former, ni pour des siéges, ni pour des batailles; et comme la saison était d'ailleurs assez avancée, il se contenta de consumer toutes les subsistances qu'il trouva en Bohême, et fourragea jusque sous les canons de l'armée impériale, sans que M. de Piccolomini fît mine de s'en apercevoir. Un détachement de hussards prussiens défit quatre cents dragons des ennemis proche de Hohenmauth, et en ramena la plus grande partie prisonniers. Ce fut où se bornèrent les entreprises que le maréchal de Schwerin pouvait faire, parce que M. de Piccolomini se gardait bien de faire des mouvements, et demeurait scrupuleusement renfermé dans son camp, qui valait mieux qu'une infinité de places de guerre.

Les grands coups ne purent se porter cette année que par l'armée du Roi : cette armée avait les Saxons à prendre, et les secours qui pouvaient leur venir, à éloigner. Les choses s'embrouillaient et devenaient de jour en jour plus compliquées de ce côté-là; quoiqu'on eût enfermé le camp de Pirna de manière à y défendre l'entrée des vivres et des secours, il avait été toutefois impossible d'occuper tous les sentiers qui traversent les forêts et les rochers des environs. Cela faisait que le roi de Pologne entretenait encore, quoique avec peine,<99> une correspondance avec la cour de Vienne; et l'on apprit sur la fin de septembre que le maréchal Browne avait reçu des ordres de sa cour de dégager à tout prix les troupes saxonnes que les Prussiens bloquaient à Pirna. Le maréchal Browne, qui s'était avancé avec son armée à Budin, avait trois moyens d'exécuter ce projet : l'un, de marcher sur le corps du maréchal Keith, et de battre cette armée, ce qui n'était pas facile; le second, de prendre le chemin de Bilin et de Teplitz, et d'entrer en Saxe, soit par le Basberg, soit par Hellendorf;99-a mais ce mouvement l'obligeait à prêter le flanc au maréchal Keith, et exposait à être ruinés tous les magasins qu'il avait entre Budin et Prague. Le troisième moyen qui lui restait, était d'envoyer un détachement à la rive droite de l'Elbe, qui, prenant par Böhmisch-Leipa, Schluckenau et Rumbourg, se rendît à Schandau. Cette dernière expédition ne pouvait mener à rien de décisif, parce que les Prussiens, par le moyen de leur pont de Schandau, pouvaient envoyer des secours dans cette partie, et parce que le terrain du côté d'Ober-Rathen et Schandau, coupé, difficile, et susceptible de chicanes, fournit des passages assez impraticables pour qu'un bataillon y puisse arrêter une armée entière.

Comme l'issue de ce moment critique décidait de toute cette campagne, le Roi jugea que sa personne serait nécessaire en Bohême, pour s'opposer aux entreprises que ses ennemis pouvaient former. Il arriva le 28 au camp de Johnsdorf; les troupes y étaient postées sur un terrain étroit dominé par des éminences, le dos appuyé contre un escarpement de rochers si serrés, qu'on aurait eu de la peine, au cas d'une action, de porter des secours d'une partie de ce camp dans l'autre, sans s'exposer à de grands embarras. Cette position se trouvant telle, qu'il fallait l'abandonner à l'approche de l'ennemi, elle fut quittée le lendemain.

On était trop éloigné du maréchal Browne pour en avoir des<100> nouvelles; et comme il était important d'observer ses mouvements de plus près, le Roi se mit à la tête de l'avant-garde, composée de huit bataillons et de vingt escadrons, et il s'avança à Türmitz, où il apprit que le maréchal Browne passerait le lendemain l'Éger proche de Budin : c'était précisément le temps de l'approcher pour éclairer ses démarches, et de le combattre même, si l'occasion s'en présentait. Dans la situation où se trouvaient les choses, les projets de ceux qui commandaient ces armées étaient si contraires et si opposés, qu'il fallait nécessairement qu'ils en vinssent à une décision, soit que le maréchal Browne voulût se frayer le passage en Saxe l'épée à la main, soit qu'il n'agît que par des détachements.

Le 30, l'armée du Roi le suivit sur deux colonnes; à peine l'avant-garde eut-elle gagné la croupe du Paschkopole, qu'elle découvrit un camp dans la plaine de Lowositz : sa droite s'appuyait à Welhota; Lowositz était devant son front; Sulowitz se trouvait devant sa gauche, dont l'extrémité se prolongeait derrière l'étang de Tschischkowitz. L'avant-garde poursuivit sa marche; elle délogea de Welmina quelques centaines de pandours qui y tenaient un poste d'avertissement. Ce village est situé dans un bassin entouré de rochers, dont la plupart sont taillés en forme de pain de sucre; cependant cette hauteur et le bassin même dominent de beaucoup les plaines des environs. Le Roi fit avancer en diligence son infanterie, pour occuper les vignes et les débouchés qui versent dans la plaine de Lowositz. Les troupes arrivèrent vers les dix heures, et passèrent la nuit au bivouac à peu de distance derrière l'avant-garde, qui était postée vis-à-vis de l'ennemi.

Le lendemain, 1er d'octobre, on fut reconnaître dès la pointe du jour ce camp qu'on avait découvert la veille; un brouillard épais étendu sur la plaine empêcha de distinguer les objets. On voyait comme à travers un crêpe la ville de Lowositz, et à côté, de la cavalerie en deux troupes, dont chacune paraissait être de cinq escadrons.<101> Sur cela, on déploya l'armée : une colonne d'infanterie se forma par la droite, l'autre par la gauche; la cavalerie se mit en seconde ligne; car le terrain, se trouvant trop étendu pour la petite armée du Roi, l'obligea d'employer vingt bataillons pour sa première ligne, de sorte qu'il ne lui en resta qu'une réserve de quatre. Les autres se trouvaient ou à la garde des magasins, ou bien en détachements. Le champ de bataille sur lequel les troupes du Roi se formèrent, allait en s'élargissant par la gauche. Le penchant des montagnes vers Lowositz est couvert de vignes divisées en petits enclos de pierre à hauteur d'appui, qui distinguent les limites des propriétaires : M. de Browne avait farci ces enclos de pandours, pour arrêter les Prussiens; ce qui fit qu'à mesure que les bataillons de la gauche se formaient, ils s'engageaient avec l'ennemi aussitôt qu'ils entraient en ligne. Cependant ce feu était mal nourri, et comme les pandours ne faisaient pas une résistance vigoureuse, l'on se confirma dans l'opinion où l'on était, que ce détachement qu'on avait vu la veille campé dans ces environs, se préparait à la retraite, et que les pandours qui tiraillaient dans ces vignes, et les troupes de cavalerie répandues dans la plaine, étaient destinés à faire l'arrière-garde des autres : cela paraissait d'autant plus plausible, que l'on ne découvrait aucune trace d'une armée. On se trompait beaucoup dans ces suppositions; car les premières troupes qu'on avait vues à Lowositz, étaient l'avant-garde de M. de Browne. Les Autrichiens ignoraient la marche de l'armée du Roi, et n'en furent informés qu'en la voyant déboucher de Welmina; le maréchal Browne en fut averti par son général commandant son avant-garde; sur quoi, la nuit même il vint le joindre avec son armée à Lowositz.

Le brouillard dont nous avons parlé, dura jusque vers les onze heures, et ne se dissipa tout à fait que lorsque l'action fut près de finir. En supposant toujours qu'on n'avait affaire qu'à une arrière-garde, on fit tirer quelques volées de canon contre la cavalerie autri<102>chienne; ce qui l'inquiéta et la fit changer de position et de forme à plusieurs reprises : tantôt elle se mettait en échiquier, quelquefois sur trois lignes, puis en ligne contiguë; quelquefois cinq ou six troupes tirant vers leur gauche disparaissaient, bientôt après elles paraissaient plus nombreuses que du commencement; enfin, ennuyé de cette manœuvre oiseuse, qui faisait perdre le temps et n'avançait point les affaires, le Roi crut qu'en faisant charger cette cavalerie par une vingtaine d'escadrons de dragons, cette arrière-garde serait bien vite dissipée, et le combat terminé. Sur quoi les dragons descendirent des hauteurs, et se formèrent au bas sous la protection de l'infanterie prussienne; ils choquèrent et renversèrent tout ce qu'ils trouvèrent vis-à-vis d'eux. En poursuivant les fuyards, ils reçurent du village de Sulowitz en flanc et de front un feu de petites armes et d'artillerie qui les ramena à la position où ils s'étaient formés au pied des vignes  : on jugea dès lors qu'il ne s'agissait plus d'arrière-garde, mais que le maréchal Browne se trouvait avec les Autrichiens vis-à-vis de l'armée.

Le Roi voulut retirer sa cavalerie, pour la remettre en seconde ligne sur la hauteur; mais, par des quiproquo malheureusement trop fréquents les jours de bataille, il arriva que tous les cuirassiers s'étaient joints aux dragons, et qu'avant que l'aide de camp pût leur apporter les ordres du Roi, s'abandonnant à leur impétuosité et au désir de se signaler, ils donnèrent pour la seconde fois; ils eurent bientôt culbuté la cavalerie ennemie; quoiqu'ils reçussent le même feu qui avait ramené les dragons à la première charge, ils poursuivirent les Autrichiens à trois mille pas; emportés par leur ardeur, ils franchirent un fossé large de dix pieds, à trois cents pas au delà duquel un autre fossé plus profond encore couvrait l'infanterie impériale. M. de Browne fit aussitôt exécuter soixante pièces de ses batteries contre la cavalerie prussienne, ce qui l'obligea de revenir se reformer au pied de la montagne, ce qu'elle exécuta avec ordre, n'étant point pour<103>suivie. Le Roi ne voulant plus risquer qu'elle se livrât à de pareilles saillies, la fit repasser en seconde ligne derrière son infanterie.

Comme cette cavalerie revenait, le feu de la gauche commençait à devenir et plus vif et plus considérable : le maréchal Browne voulait changer l'état de la question; se voyant sur le point d'être assailli, il aima mieux attaquer lui-même. Dans cette vue, il avait fait filer vingt bataillons derrière Lowositz, qui s'étant glissés successivement le long de l'Elbe, vinrent soutenir les pandours qui se battaient dans les vignes, et tâchèrent même de tourner le flanc gauche des Prussiens. L'infanterie les repoussa vigoureusement; elle força les enclos des vignes les uns après les autres, et descendant dans la plaine, elle poursuivit quelques bataillons ennemis, qui de frayeur se précipitèrent dans l'Elbe; une autre troupe de fuyards se jeta dans les premières maisons de Lowositz, faisant mine de s'y défendre; alors quelques bataillons de la droite furent détachés, pour renforcer la gauche de sorte que la gauche des Prussiens s'appuyât à l'Elbe, et dans cette disposition elle s'avança fièrement d'un pas déterminé sur Lowositz, sans que la droite de l'armée du Roi quittât la hauteur où elle était appuyée. Les grenadiers tirèrent dans les maisons par les portes et les fenêtres; ils y mirent enfin le feu, pour achever plus vite; et quoique ces troupes eussent consumé toute leur poudre, cela n'empêcha pas que les régiments d'Itzenplitz et de Manteuffel n'entrassent dans Lowositz la baïonnette baissée, et ne forçassent neuf bataillons tous frais que M. de Browne y avait envoyés, à leur céder la place et à prendre honteusement la fuite. Alors toutes les troupes de l'ennemi qui avaient combattu dans cette partie, lâchèrent le pied, et cédèrent la victoire aux Prussiens.

Le Roi ne put pas profiter de ce succès autant qu'il l'aurait souhaité, parce qu'il n'avait proprement battu que l'aile droite des Impériaux : ils occupaient encore le village de Sulowitz, et comme leur gauche se trouvait postée derrière le fossé dont nous avons parlé, ils<104> ne donnèrent point prise à la cavalerie prussienne. En même temps, M. de Browne fit faire un beau mouvement à ses troupes : il fit avancer quelques brigades de sa gauche qui n'avaient point combattu, dont il se servit pour couvrir ses troupes débandées, qui sortaient de Lowositz et s'enfuyaient en grand désordre. Il se retira la nuit, et fit occuper Leitmeritz par un détachement qui rompit le pont de l'Elbe qu'il avait devant soi. Le maréchal avec le gros de son armée reprit son camp de Budin, et détruisit tous les ponts de l'Éger, pour en interdire le passage aux Prussiens. L'armée du Roi perdit en morts et blessés douze cents hommes à ce combat; MM. de Quadt et de Lüderitz,104-a tous deux généraux de bataille, y furent tués;104-b on ne fit que sept cents prisonniers à l'ennemi, parmi lesquels un prince Lobkowitz, général des Impériaux : si la cavalerie avait pu être employée sur la fin de l'action, le nombre des prisonniers aurait été bien plus considérable.

Le prince de Bevern fut détaché le lendemain avec huit mille hommes à Tschischkowitz, village situé à la droite de la position du Roi, à demi-chemin de Budin. Le prince envoya de son camp des partis le long de l'Éger, pour en reconnaître les passages, mais plus encore pour donner de l'attention et causer de la jalousie à M. de Browne, afin de le contenir par ces démonstrations, et l'empêcher de penser à secourir le roi de Pologne et les troupes saxonnes. L'armée de Bohême s'en tint là; trop faible pour rien entreprendre contre<105> l'ennemi, elle se contenta de l'observer. Le Roi ne pouvait effectivement point agir offensivement. Pour donner de vraies jalousies à M. de Browne, il fallait passer l'Éger, et si on le faisait, le détachement des Impériaux de Leitmeritz, se trouvant à dos des Prussiens, était à portée de leur enlever leur magasin d'Aussig; de plus, en passant l'Éger on s'éloignait trop de sa ligne de défense, et l'on se mettait hors de portée d'envoyer en Saxe de prompts secours. Si l'on se déterminait à prendre Leitmeritz, loin de gagner par là, on se trouvait dans un plus grand embarras, parce qu'on s'affaiblissait par la garnison que demandait cette Aille, et que, ne pouvant pas garnir les hauteurs qui l'environnent et qui la dominent, on aurait exposé cette garnison à être enlevée sitôt que l'ennemi eût entrepris sur elle. Toutes ces raisons firent que le Roi fut obligé de se contenter d'avoir gagné une bataille au commencement d'une guerre, et qu'il borna ses projets à empêcher que M. de Browne ne fît des détachements, ou, s'il en faisait, d'en envoyer d'aussi forts au secours du camp de la Saxe.

L'armée prussienne de Bohême était de la moitié plus faible que celle des Impériaux; mais les troupes étaient si bonnes, si bien disciplinées, et les officiers si valeureux, qu'elles se comptaient, sinon supérieures, du moins égales à l'ennemi. Quelle que soit la bonne opinion qu'on a de soi-même, la sécurité est toujours dangereuse à la guerre, et il vaut mieux prendre des précautions superflues, que de négliger les nécessaires; et comme le nombre était du côté des Autrichiens, que d'ailleurs le Roi aurait pu se voir obligé à faire des détachements, il ordonna qu'on travaillât à élever quelques batteries et à retrancher les parties les plus faibles de son camp; cela se trouva d'autant mieux fait, qu'on apprit le 6 que M. de Browne avait détaché à la sourdine quelques régiments de son armée; que ce corps, taxé à six mille hommes, ayant passé par Raudnitz, s'avançait vers Böhmisch-Leipa, pour suivre de là la route qui mène en Saxe. Quoique ce détachement ne causât pas de grandes appréhensions, le<106> Roi en avertit le margrave Charles et le prince Maurice demeurés en Saxe, et il se mit à la tête d'un renfort de cavalerie, pour les mener au camp de Sedlitz, où il n'était resté que trente escadrons; ce qui n'était pas suffisant pour arrêter les Saxons, surtout s'ils avaient entrepris de percer du côté de Hellendorf et de Teplitz. Sa Majesté partit le 13 de Lowositz avec quinze escadrons, et arriva le 14 à midi à son armée, qu'elle trouva à Struppen, quartier que le roi de Pologne avait occupé durant tout le temps de la bloquade des Saxons.

Les choses avaient entièrement changé de face en Saxe, depuis que le Roi avait pris le commandement de son armée en Bohême : la bataille de Lowositz avait frappé la cour; elle n'espérait que faiblement dans l'assistance des Impériaux. Les troupes étaient menacées d'une disette prochaine, ce qui fit tenter aux généraux saxons de se frayer eux-mêmes un chemin à travers les Prussiens : leur projet étant de se sauver en passant l'Elbe, ils tentèrent de jeter un pont à Wehlstädtl; vis-à-vis de ce lieu se trouvait une redoute prussienne qui coula à fond quelques-uns de leurs bateaux, ce qui dérangea leurs mesures. Ils changèrent de dessein, et firent transporter leurs pontons à Halbstadt, qu'ils regardaient comme le lieu le plus propre et le plus convenable pour leur sortie, surtout à cause des secours que M. de Browne venait de leur promettre de nouveau.

Toutes les opérations que les armées firent alors dans ces contrées, se trouvaient si intimement liées avec le local du terrain, que nous sommes obligé pour l'intelligence du lecteur de lui en donner l'idée la plus nette que nous pourrons. Par la description que nous avons faite du poste de Pirna, on a pu juger de la force de son assiette : mais s'il était difficile de l'emporter, il n'était pas moins difficile d'en sortir. La plus naturelle, la plus aisée de ses issues est par Leupoldishayn; en descendant de leurs rochers, les Saxons prenaient, par Hermsdorf et Hellendorf, le chemin de la Bohême : ce n'est pas à dire qu'ils auraient forcé ce passage sans perte; il y avait toutefois<107> apparence qu'ils auraient sauvé une partie de leur monde. Teplitz une fois gagné, ils ne rencontraient plus que de légers obstacles, et personne ne pouvait les empêcher de se joindre par Éger aux Autrichiens. Il y a toute apparence que les généraux saxons ne connaissaient pas les situations de Halbstadt, de Burkersdorf, de Schandau, du Ziegenrück, et surtout qu'ils ignoraient la disposition dans laquelle les Prussiens occupaient ces postes; sans quoi ils ne se seraient jamais exposés dans une aussi mauvaise affaire.

M. de Lestwitz107-a était posté avantageusement avec onze bataillons et quinze escadrons entre Schandau et un village nommé Wendisch-Fähre; M. de Browne, qui était entré en Saxe à la tête de son détachement, vint se camper vis-à-vis de lui. Les Autrichiens occupèrent les villages de Mitteldorf et d'Altendorf; mais trouvant M. de Lestwitz plus en force qu'ils ne l'avaient prévu, ils eurent bien garde de l'attaquer. M. de Browne ne pouvait pas se porter sur Burkersdorf, dont une chaîne de rochers impraticables le séparait; il ne trouvait pas son compte à s'engager avec M. de Lestwitz; et cependant, pour prêter la main aux Saxons du côté d'Altstadt, il était obligé de faire défiler son monde deux à deux par des chemins étroits, vis-à-vis des Prussiens et sous le feu de leurs petites armes. De tous ces différents partis il n'y en avait aucun qu'un homme expérimenté, comme l'était M. de Browne, pût prendre sans risquer sa réputation; il aima donc mieux se tenir dans l'inaction, que de mener inutilement ses troupes à la boucherie.

Du côté d'Altstadt, où les Saxons avaient résolu de passer l'Elbe, il y a à la rive droite de ce fleuve une petite plaine dominée par le Lilienstein, rocher escarpé qui en borne une partie; aux deux côtés de ce rocher se présentaient cinq bataillons prussiens, aux ordres de M. de Retzow, derrière des abatis qui, en forme de croissant, allaient s'appuyer des deux côtés au coude que l'Elbe forme en cet endroit;<108> cinq cents pas derrière ce poste, six bataillons et cinq escadrons occupaient le défilé de Burkersdorf; derrière ce défilé se trouve une chaîne de rochers âpres et escarpés, nommée le Ziegenrück, qui embrassant tout ce terrain, aboutit des deux côtés à l'Elbe. Pour percer de ce côté-là, les Saxons avaient donc trois postes à forcer consécutivement, les uns plus redoutables que les autres; ce fut néanmoins pour tenter leur évasion de ce côté qu'ils commencèrent dès le 11 d'octobre à établir leurs ponts. Les Prussiens eurent bien garde de ne les point traverser dans cet ouvrage. Leur descente de Thürmsdorf vers l'Elbe se trouva assez praticable; mais lorsque leurs ponts furent achevés, et que de l'autre bord ils voulurent monter le rocher pour gagner la plaine d'Altstadt, ils ne trouvèrent qu'un sentier étroit, dont les pêcheurs se servaient. Une demi-journée s'écoula à y faire passer deux bataillons; les pluies abondantes qui tombèrent, achevèrent d'abîmer ce chemin; ils furent obligés de laisser leurs canons, qu'il était impossible de transporter à l'autre rive : ainsi toute leur artillerie resta sur les retranchements qu'ils venaient d'abandonner. La lenteur de leur passage fut cause que la cavalerie, l'infanterie, le bagage, l'arrière-garde de tout ce corps pêle-mêle et en désordre demeurèrent aux environs de Struppen.

Le 13, avant le jour, le prince Maurice d'Anhalt fut le premier averti de l'évasion des Saxons; l'armée prit sur-le-champ les armes, et se mettant sur sept colonnes, elle gravit encore avec peine ces rochers du camp de Pirna, tout privés qu'ils étaient de leurs défenseurs; les généraux la reformèrent sur la crête de ces montagnes, entre le Sonnenstein et Rottendorf.108-a M. de Zieten108-b avec ses hussards attaqua aussitôt l'arrière-garde de l'ennemi, et la poussa jusqu'à Thürmsdorf; les compagnies franches et les chasseurs prussiens se<109> logèrent dans un bois proche de cette arrière-garde, d'où ils l'incommodèrent beaucoup par leur feu. Le prince Maurice, qui survint, envoya le régiment de Prusse infanterie occuper une hauteur qui était à dos des Saxons. A peine eut-on tiré deux coups de canon de cette colline, que les Saxons, surpris du feu qu'ils recevaient d'un endroit où ils ne s'y attendaient pas, se mirent en désordre, et prirent soudain la fuite; les hussards se jetèrent sur le bagage, qu'ils pillèrent, et les chasseurs se glissèrent dans un bois proche de l'Elbe, d'où ils tirèrent sur l'arrière-garde saxonne, qui finissait de passer le pont.

Cela acheva de leur tourner la tête : ils coupèrent eux-mêmes les câbles de leur pont; le courant l'entraîna jusqu'à Rathen, où les Prussiens le prirent. Le prince Maurice fit aussitôt camper les troupes sur les hauteurs de Struppen; leur gauche allait vers l'Elbe, et leur droite se prolongeait derrière un ravin profond qui va se perdre du côté de Hennersdorf.109-a

Telle était la situation des choses lorsque le Roi arriva avec ses dragons à Struppen. Les Saxons attendaient un certain signal dont ils étaient convenus que les Impériaux devaient leur donner, pour attaquer de concert les Prussiens : ce signal ne se donna point; cela acheva de leur faire perdre l'espérance. Ils ne furent que trop convaincus alors, en voyant la manière dont M. de Retzow était posté, qu'il leur était impossible de se faire jour à eux-mêmes. D'un autre côté, le roi de Pologne, qui s'était réfugié au Königstein, pressait de là vivement ses généraux d'attaquer M. de Retzow au Lilienstein, et le comte Rutowski lui remontrait à son tour avec force l'inutilité de cette entreprise, qui mènerait à une effusion de sang et à un massacre dont après tout le Roi ne pourrait tirer aucun avantage. M. de Browne se trouvait dans un cas aussi embarrassant, mais moins fâcheux : il avait devant lui un corps de troupes prussiennes, supérieur en nombre; et comme toute communication lui était coupée avec<110> le Königstein, qu'il rencontrait des empêchements physiques dans toutes les entreprises qu'il pouvait former pour dégager les Saxons, et qu'il avait à craindre que, ces troupes se rendant prisonnières à son insu, il aurait aussitôt toute l'armée prussienne sur les bras, il jugea la situation de l'armée saxonne désespérée, et ne pensant plus qu'à sauver son propre détachement, il se retira le 14 en Bohême. Les hussards prussiens le suivirent; M. de Warnery110-a battit son arrière-garde, et passa trois cents grenadiers croates au fil de l'épée.

Cette entreprise si mal exécutée donna lieu aux reproches les plus injurieux que se firent les généraux saxons et les généraux autrichiens; ils avaient tort les uns et les autres : le général saxon qui avait fait le projet de cette évasion, était le seul coupable; il avait sans doute consulté des cartes fautives; il n'avait jamais été sur les lieux, dont le local lui était inconnu : car quel homme sensé choisira pour sa retraite un défilé qui passe par des rochers escarpés dont l'ennemi est le maître? Ces lieux, tout à fait contraires par leurs dispositions aux manœuvres que les Autrichiens et les Saxons avaient dessein d'y faire, furent les vraies causes des malheurs que les Saxons y trouvèrent; tant l'étude du terrain est importante, tant le local décide des entreprises militaires et de la fortune des États.

Le roi de Pologne fut du haut du Königstein spectateur de la situation déplorable où se trouvaient ses troupes, manquant de pain, entourées d'ennemis, et ne pouvant pas même par une résolution désespérée se faire jour aux dépens de leur sang, parce que toute ressource leur était ôtée; pour ne les point voir périr de faim et de misère, il fut obligé de consentir qu'elles se rendissent prisonnières de guerre, et qu'elles missent bas les armes. Le comte Rutowski fut chargé de dresser cette triste capitulation : tout ce corps se rendit<111> ainsi, et les officiers s'engagèrent sur leur honneur de ne plus servir contre les Prussiens durant cette guerre; sur quoi, comptant sur leur parole, on les relâcha. Pour ne point humilier un ennemi vaincu, le Roi fit rendre au roi de Pologne les drapeaux, les étendards et les timbales qui appartenaient à ses troupes; il consentit aussi d'accorder la neutralité à la forteresse de Königstein. Lors même qu'il tâchait d'adoucir le sort du roi de Pologne, Auguste II111-a concluait en secret un traité avec l'Impératrice-Reine, par lequel il lui cédait, moyennant un certain subside, quatre régiments de dragons et deux pulks d'uhlans, qu'il entretenait en Pologne : ces procédés ne servaient qu'à justifier la conduite que les Prussiens avaient tenue jusqu'alors. Le roi de Pologne, dégoûté de la guerre plus que jamais, après la scène qui venait de se passer, demanda le libre passage pour sa personne, afin d'aller s'établir en Pologne; non seulement on le lui accorda, mais on poussa l'attention jusqu'à faire retirer toutes les troupes prussiennes qui se trouvaient sur son passage, pour lui dérober des objets qui ne pouvaient que lui faire de la peine; il partit le 18 avec ses deux fils et son ministre pour Varsovie.

L'armée saxonne qui venait de se rendre, consistait en dix-sept mille têtes; l'artillerie qu'on prit, passait quatre-vingts pièces de canon. Le Roi distribua ces troupes, et en forma vingt nouveaux bataillons d'infanterie; mais il commit la faute de n'y point mêler de ses sujets, à l'exception des officiers, qui étaient tous de ses États : cette faute influa dans la suite sur le peu d'usage qu'on tira de ces régiments, et sur les mauvais services qu'ils rendirent.

Après la reddition des Saxons, le Roi retourna en Bohême, pour en retirer son armée. Le maréchal Keith quitta le 25 le camp de Lowositz,111-b et se replia sur Linay, sans que l'ennemi le suivît; le régi<112>ment d'Itzenplitz,112-a qui gardait un gué de l'Elbe au village de Salesel, fut attaqué cette nuit même, et se défendit si bien, que non content de repousser l'ennemi, il lui fit encore des prisonniers. De Linay l'armée continua paisiblement sa marche par Nollendorf, Schönwald, Gieshübel, et arriva le 30 en Saxe;112-b le Roi la fit cantonner entre Pirna et les frontières de la Bohême.

En même temps que l'armée du Roi entrait en Saxe, le maréchal de Schwerin quittait les environs de Königingrätz et se retirait en Silésie. Comme il était en marche vers Skalitz, il fut suivi par quelques milliers de Hongrois, qui harcelaient son arrière-garde. Le maréchal, qui n'entendait pas raillerie, se mit à la tête d'une partie de sa cavalerie, fondit brusquement sur eux, les défit, et les poursuivit jusqu'à Smirschitz; après quoi il reprit tranquillement sa marche, et se trouva avec son armée le 2 de novembre sur la frontière de la Silésie.

La tranquillité dans laquelle se tinrent les ennemis, permit de faire entrer de bonne heure les troupes dans leurs quartiers; on forma le cordon pour les quartiers d'hiver. Le prince Maurice eut le commandement de la division qu'on envoya à Chemnitz et à Zwickau, d'où il envoya des détachements pour garder les gorges de la Bohême, et fit retrancher les postes d'Asch, d'Oelsnitz et du Basberg; M. de Hülsen commandait les brigades de Freyberg et de Dippoldiswalda, et il tenait les postes de Sayda, de Frauenberg et d'Einsiedel. Le Roi confia à M. de Zastrow la gorge de Gieshübel et le passage de Hellendorf; de là, en passant l'Elbe, le cordon prenait de Dresde par Bischofswerda jusqu'à Bautzen, où une tête de dix bataillons et d'autant d'escadrons était prête à porter des secours où le besoin le demanderait. M. de Lestwitz se tenait à Zittau avec six ba<113>taillons; pour assurer sa communication, il avait des détachements à Hirschfeld, Ostritz et Marienthal. Le prince de Bevern avait les postes de Görlitz et de Lauban sous ses ordres, avec dix bataillons et quinze escadrons. M. de Winterfeldt et le prince de Würtemberg, qui allèrent avec un détachement en Silésie, continuaient le cordon, en prenant de Greifenberg et Hirschberg à Landeshut et Friedland. M. de Fouqué couvrait le comté de Glatz; un autre corps de l'armée du maréchal de Schwerin hiverna du côté de Neustadt, et servit à couvrir la Haute-Silésie contre les incursions que les Impériaux y auraient pu faire de la Moravie.

Ce fut dans cette disposition que les troupes prussiennes passèrent l'hiver de 1756 à 1757.

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CHAPITRE V.

De l'hiver de 1756 à 1757.

L'invasion des Prussiens en Saxe causa une vive sensation en Europe; plusieurs cours n'en savaient pas les raisons, ni ne voulant même les connaître, blâmaient et désapprouvaient la conduite du Roi. Le roi de Pologne criait contre la violence des Prussiens; ses ministres dans les cours étrangères exagéraient les maux de la Saxe, envenimaient et calomniaient les démarches les plus innocentes du Roi. Ces clameurs retentissaient à Versailles, à Pétersbourg, et par toute l'Europe. Le roi de France était déjà piqué de ce que le roi de Prusse, au lieu de renouveler le traité de Versailles, venait de conclure avec le roi d'Angleterre l'alliance de Londres. D'un côté, les ministres autrichiens aigrissaient l'esprit de la nation française, pour l'entraîner dans la guerre d'Allemagne; d'un autre, on se servait des larmes de la Dauphine pour émouvoir la compassion de Louis XV, afin qu'il prît le parti du roi de Pologne. Le Roi Très-Chrétien se rendit à d'aussi vives sollicitations, et résolut de porter la guerre en Allemagne. Il n'en suspendit les effets que pour colorer cette démarche par un pré<115>texte apparent et naturel; M. de Broglie,115-a ambassadeur de France en Saxe, eut ordre de le fournir en donnant lieu aux Prussiens d'insulter à son caractère : c'était l'homme le plus propre qu'on pût choisir pour brouiller des cours. La commission dont il était chargé, donna lieu à la conduite bizarre qu'il tint pendant que les Saxons étaient bloqués dans leur camp de Pirna : il était demeuré à Dresde; il voulut à différentes reprises se rendre à Struppen auprès du roi de Pologne; quoique cela fût généralement défendu, il voulut forcer les gardes, pour s'attirer des violences de leur part; il essaya inutilement de passer la chaîne des vedettes; on lui opposa, toutes les fois qu'il tenta de ces entreprises, tant de politesse et tant de fermeté, qu'il ne put aller auprès du roi de Pologne, ni trouver un prétexte léger pour brouiller le roi de Prusse et le roi de France. Cela impatienta la cour de Versailles, qui sans chercher d'autres détours renvoya M. de Knyphausen, ministre prussien à Paris, et rappela M. de Valori, qui résidait à Berlin. Cette démarche d'éclat obligea le Roi, à son retour de Bohême, de faire signifier à M. de Broglie à Dresde, où le Roi établissait son quartier, que toute intelligence venant d'être rompue entre les deux cours par le rappel des ministres, il n'était plus séant qu'un ambassadeur de France résidât dans un lieu où se trouvait Sa Majesté, et qu'il n'avait qu'à se préparer à partir incessamment pour se rendre auprès du roi de Pologne, auquel il était accrédité. M. de Broglie reçut cette déclaration avec cet air de dignité et de hauteur dont les ministres français savent se revêtir lorsqu'ils se souviennent des belles années de Louis XIV : cependant il n'en partit pas moins promptement pour Varsovie. La cour de Versailles, qui voulait la rupture, et qui, ayant perdu de vue le point fixe de sa politique de pousser la guerre par mer contre les Anglais, ne se conduisait que par ses caprices et par des impulsions étrangères, déclara<116> qu'elle regardait l'invasion des Prussiens en Saxe comme une violation de la paix de Westphalie, dont elle était garante; et elle crut le prétexte de cette garantie suffisant pour se mêler de cette guerre, et pour y entraîner même les Suédois.

L'abbé de Bernis, qui avait été le promoteur de l'alliance conclue avec la maison d'Autriche, reçut le poste qu'avait eu M. Rouillé, et devint ministre des affaires étrangères. Enfin l'impétuosité française, qui pousse l'esprit de cette nation d'un extrême à l'autre, l'inconséquence des ministres, l'animosité dont le roi de France était rempli contre le roi de Prusse, la nouveauté et la mode, accréditèrent cette alliance des Autrichiens à la cour au point qu'on la considérait comme un chef-d'œuvre de politique. Il n'y avait que les ministres impériaux à la mode; ces ministres usèrent si adroitement de l'influence qu'ils avaient dans le conseil de Louis XV, qu'au lieu de vingt-quatre mille hommes d'auxiliaires que la France était obligée de donner à l'Impératrice-Reine, ils intriguèrent si bien, que le printemps suivant cent mille Français passèrent le Rhin. Bientôt les Suédois furent sommés par le ministère de Versailles de remplir la garantie du traité de Westphalie; le sénat vénal de cette nation était depuis longtemps aux gages de la France. Quoique les constitutions du royaume défendent en termes exprès et positifs de ne point déclarer la guerre sans le consentement des trois ordres qui forment la diète ou les états généraux, les partisans de la France violèrent cette loi fondamentale, et passant par-dessus toutes les formalités usitées en pareils cas, ils adoptèrent aveuglément les mesures que le roi de France leur prescrivait.

Pendant que la cour de Versailles préparait si laborieusement les moyens de bouleverser l'Allemagne, un fol pensa causer une révolution en France; c'était un fanatique obscur qui, ayant servi comme domestique dans un couvent de jésuites en Flandre, se proposa d'assassiner Louis XV. Ce malheureux, nommé Damiens, se rendit à Versailles, et y épiait le moment pour exécuter cet abominable projet.<117> Un soir que le Roi devait partir pour Choisy, cet insensé se glisse clans la foule, approche du Roi par derrière, et lui plonge son couteau dans le côté. Il fut arrêté sur-le-champ; la blessure du Roi fut trouvée légère; le parlement se saisit du coupable; les prisons furent remplies de personnes qu'il avait chargées par ses dépositions, mais qui étant innocentes, recouvrèrent la liberté; et jusqu'à présent le public n'a été instruit que vaguement des motifs qui ont déterminé ce monstre à cet attentat atroce.

La cour de Vienne, qui agissait si puissamment à Versailles, n'était pas moins diligente à intriguer chez les autres puissances de l'Europe; elle dépeignait à Pétersbourg l'entrée des Prussiens en Saxe sous les couleurs les plus noires : c'était une injure faite à la Russie; c'était braver les forces de cet empire; c'était un mépris manifeste des garanties que l'impératrice Élisabeth avait données au roi de Pologne de son électorat. Pour appuyer ces insinuations, les Autrichiens prodiguaient à Pétersbourg des calomnies contre la Prusse, et les sommes d'argent qu'ils y répandaient. Pour hâter la marche des troupes russiennes, l'Impératrice-Reine promit de payer annuellement un subside de deux millions d'écus à l'impératrice Élisabeth : cette somme était proprement payée par la France; c'était l'évaluation du contingent qu'elle devait à l'Autriche, qui se servait de ce subside pour engager la Russie à déclarer la guerre à la Prusse.

Les ministres de l'Impératrice-Reine travaillaient avec non moins de zèle à Ratisbonne pour engager dans ces troubles les états de l'Empire; en même temps, les Français intimidèrent la diète par leurs menaces au point qu'elle souscrivit aveuglément aux volontés de la cour de Vienne : il fut résolu par les conclusions de cette diète que le Saint-Empire formerait une armée d'exécution, qui s'avancerait tout droit dans l'électorat de Brandebourg. Le commandement de cette armée fut décerné au prince de Hildbourghausen, maréchal au service d'Autriche. Alors le fiscal de l'Empire se mit sur les rangs : il avança que<118> les rois de Prusse et d'Angleterre devaient être mis au ban de l'Empire; quelques princes représentèrent que si autrefois l'électeur de Bavière avait été condamné à ce ban, cela ne s'était fait qu'après qu'il eut perdu la bataille de Höchstädt, et que, dès que les armées impériales en auraient gagné de pareilles, il serait libre à chacun de procéder contre ces deux rois. La France comprit que si l'on se précipitait à publier cet arrêt, la cour de Vienne commettrait sa dignité, et qu'il y aurait à craindre de plus que les deux rois et leurs adhérents ne formassent un schisme, et ne se séparassent entièrement du Saint-Empire romain : ils firent toutes ces représentations à Vienne, et conseillèrent à la Reine d'attendre les succès de la fortune pour régler dessus les mesures ultérieures qu'elle aurait à prendre.

Quoique cet avis prévalût, cela n'empêcha pas le fiscal d'agir avec une indécence et une grossièreté insupportables contre des rois, envers lesquels les ennemis même observent communément des procédés honnêtes et respectueux. Il aurait été difficile de répondre aux écrits injurieux et amers de cette diète, si M. de Plotho, ministre du Roi à Ratisbonne, n'eût pas eu le talent et l'adresse de tremper sa plume dans le même fiel. Le style de la cour impériale n'était pas plus doux; on le distinguait néanmoins des écrits du fiscal par des insolences pleines de fierté et par quelque chose de plus piquant, mêlé d'arrogance et de hauteur. Le Roi, indigné contre ces procédés, fit insinuer à l'Impératrice qu'on pouvait être ennemi sans se dire des injures; qu'il suffisait aux souverains de vider leurs débats par l'épée, sans se prostituer réciproquement devant le monde par des écrits faits pour les halles et indignes du trône : ces remontrances furent longtemps vaines, et n'acquirent du poids qu'après que le Roi eut gagné quelques batailles.

Tandis que toute l'Europe s'armait contre les rois de Prusse et de la Grande-Bretagne, l'Angleterre se trouvait dans une subversion générale, qui engourdissait le gouvernement, et serait devenue préju<119>diciable aux intérêts de la nation, si des changements survenus à propos n'avaient pas à temps redressé les choses. Les dissensions domestiques qui brouillaient l'intérieur de l'État, étaient fomentées par le duc de Cumberland, qui se flattait qu'à leur faveur il pourrait remplir de ses créatures les premiers postes : c'était lui qui avait soulevé la nation contre les Français; c'était lui qui avait allumé la guerre, dans l'espérance que le ministère ne pourrait pas se soutenir dans un temps de trouble. Les premières entreprises des Anglais tournèrent si mal, qu'ils perdirent Port-Mahon : ce fut là le prétexte dont se servit le parti de ce prince pour en rejeter la faute sur la malhabileté du duc de Newcastle. A l'ouverture du parlement, les esprits s'échauffèrent, l'animosité des partis redoubla, et tant de ressorts furent mis en œuvre par les intrigues du duc de Cumberland, que le duc de Newcastle, fatigué par la faction plutôt que vaincu, résigna ses emplois; le parti de Cumberland, triomphant, fit donner les sceaux au sieur Fox, créature du prince. Cependant ce nouvel arrangement, qui manquait de consistance, ne put se soutenir : M. Fox quitta de lui-même cette place qu'on lui avait fait obtenir par tant d'intrigues, et le duc de Newcastle rentra dans ses charges. Ces déplacements de ministres n'auraient cependant pas tiré à conséquence, s'il n'en était résulté une espèce d'inaction et de léthargie dans lesquelles restaient les affaires : les ministres et les grands étaient plus occupés de l'intérêt de leurs factions que des mesures à prendre contre la France. Plus animés contre les compétiteurs de leurs emplois que contre les ennemis de la nation, ils ne prenaient aucune mesure pour la campagne prochaine; personne ne pensait à former des projets pour la guerre de mer, jusqu'alors malheureuse, encore moins pour la guerre qui était sur le point d'embraser l'Allemagne.

Ce qui intéressait le plus le Roi dans ce moment, c'était de faire prendre aux Anglais des mesures relatives à la guerre du continent; et comme il prévoyait en gros sur quoi pourraient rouler les opéra<120>tions de l'armée française dans l'Empire, il envoya au roi de la Grande-Bretagne un projet qu'il avait dressé pour la défense commune de l'Allemagne. Ce mémoire roulait sur les points suivants : il proposait de maintenir Wésel, pour en faire la place de guerre des alliés, par où l'on restait le maître de passer le Rhin; il demandait qu'on assemblât l'armée en un lieu convenable derrière la Lippe entre Wésel et Lippstadt : cette position donnait l'avantage de porter les troupes selon le besoin, soit vers le Rhin, soit vers le Wéser. De plus, si les Français marchaient en Hesse, l'armée de la Lippe, en s'avançant vers Francfort, les obligeait à quitter prise, et dans le temps que les opérations auraient éloigné du Rhin l'armée alliée, la forteresse de Wésel aurait assez longtemps occupé les Français pour lui donner le temps de revenir à son secours; d'ailleurs, tant que cette place tenait, il n'était pas à présumer que les troupes françaises du Bas-Rhin s'enfonçassent profondément en Westphalie. Le roi d'Angleterre, qui s'était peu appliqué à ces sortes de matières, lut le projet sans en comprendre l'importance, et puisqu'il y était question de soutenir Wésel, il se défia des raisons dont le roi de Prusse se servait : il avait en revanche une confiance entière en ses ministres de Hanovre, qui ne cessaient de lui représenter qu'il fallait se borner à la défense du Wéser. Cette idée était fausse en tout sens, parce que le Wéser est presque généralement guéable, et que sa rive opposée à l'électorat de Hanovre domine l'autre, de sorte que la nature n'a pas voulu, quoi qu'en dît M. de Münchhausen, que jamais général habile se servît de cette rivière dans le sens qu'il proposait. Son avis prévalut néanmoins, et tout ce qu'on put obtenir du roi d'Angleterre, fut qu'il consentît à faire repasser les troupes hanovriennes et hessoises en Allemagne.

Le défaut de concert entre le Roi, les Anglais, et les Hanovriens, le mettait dans le cas de prendre des mesures différentes de ce qu'il s'était proposé pour le duché de Clèves et la forteresse de Wésel :<121> obligé d'abandonner cette place, il donna des ordres pour qu'on ruinât une partie des ouvrages; il fit transporter par mer à Magdebourg la nombreuse artillerie qui garnissait les remparts de la place; et la garnison eut ordre d'évacuer la ville et de se retirer à Bielefeld, pour se joindre au printemps à l'armée alliée, qui devait s'y assembler sous les ordres du duc de Cumberland.

Après la preuve que les ministres de Hanovre avaient donnée du crédit qu'ils avaient sur l'esprit du roi d'Angleterre, il était clair que pour aller à la source d'où partaient les résolutions, il fallait s'adresser à eux. On avait tout à craindre pour l'armée du duc de Cumberland, moins commandée par ce prince que par un tas de jurisconsultes qui n'avaient jamais vu de camp, ni lu de livre qui traitât de l'art militaire, mais qui se croyaient égaux aux Marlborough et aux Eugène. Les intérêts du Roi étaient trop liés avec ceux du roi d'Angleterre pour qu'il vît de sang-froid les mauvais partis qu'on allait prendre : se flattant de les prévenir, il envoya M. de Schmettau à Hanovre. Ce général fit à ces magistrats présomptueux et ignorants les représentations les plus énergiques, pour les faire renoncer au projet de campagne qu'ils avaient formé; il leur en démontra les défauts; il leur en prédit les conséquences; mais le tout en vain : s'il leur avait parlé arabe, ils l'auraient tout autant compris. Ces ministres, dont l'esprit était resserré dans une sphère étroite, ne savaient pas assez de dialectique pour suivre un raisonnement militaire; leur peu de lumières les rendait méfiants, et la crainte d'être trompés dans une matière qui leur était inconnue, augmentait l'opiniâtreté naturelle avec laquelle ils soutenaient leurs opinions : toutes ces causes firent que la mission de M. de Schmettau devint infructueuse.

Pour donner un échantillon de ces conférences, et pour se représenter à quels hommes M. de Schmettau avait affaire, le lecteur pourra en juger par ce trait : ce général s'informait des arrangements qu'ils avaient pris pour les vivres de l'armée. Oh! nous avons, lui dit<122> M. de Münchhausen, quelques amas de farines, et nous avons commandé cent chariots de paysans pour transporter le pain aux troupes. Or, ce corps que les alliés rassemblaient passant les trente mille hommes, il lui fallait trois cents fourgons pour le pain et quatre cents chariots pour le transport des farines. Voilà sur quel pied étaient les arrangements que ces ministres ignorants et stupides prenaient à Hanovre, pour résister aux forces considérables avec lesquelles les Français se proposaient d'agir contre eux. Mais la raison secrète et véritable de leur indolence provenait d'une autre cause. Les Français, plus fins qu'eux, leur avaient persuadé fermement qu'ils ne voulaient que traverser leur pays; que leur projet de campagne n'était calculé que contre le roi de Prusse; qu'en un mot, ils voulaient assiéger Magdebourg, et que, pourvu que les Hanovriens se tinssent spectateurs tranquilles de cette scène, durant le cours des opérations de la campagne leur pays serait épargné, et leurs personnes en considération. Ces idées flatteuses s'étaient si fort accréditées dans les têtes absurdes de ces ministres, que, lorsque l'armée française approcha des frontières hanovriennes, ils envoyèrent des chasseurs du roi d'Angleterre à la rencontre pour lui servir de guides. Ces ministres furent la dupe de leur crédulité envers les Français, qui les punirent de la perfidie qu'ils voulaient commettre envers le roi de Prusse, comme on le verra dans le récit de la campagne prochaine. Pendant toutes ces négociations qui agitaient l'Europe, le Roi était à Dresde, où la reine de Pologne lui donnait d'autres embarras. Cette princesse, en faisant complimenter tous les jours le Roi par son grand maître le comte de Questenberg,122-a en lui prodiguant des assurances d'amitié, entretenait des intelligences secrètes avec les généraux autrichiens, et les avertissait de toutes les choses qu'elle était à portée d'apprendre. Ces menées extraordinaires donnèrent lieu<123> aux précautions que l'on prit pour découvrir cette correspondance. Comme on fouillait exactement aux portes tous les ballots, les marchandises et les paquets qui venaient de Bohême, on ouvrit un jour une caisse de boudins adressés à madame Ogilvie, grande maîtresse de la Reine, qui avait des terres aux environs de Leitmeritz; en examinant ces boudins on les trouva tous farcis de lettres. Cette découverte rendit la cour plus retenue dans ses correspondances. Cependant le même train continuait toujours, avec la différence qu'elle s'y prit avec plus de finesse. Ce n'était pas où se bornait la mauvaise volonté de la Reine; car elle envoyait des émissaires dans toutes les garnisons où le Roi formait ces régiments nouvellement levés des Saxons pris au Lilienstein; elle les faisait exciter à la sédition, aux révoltes et à la désertion. Elle en débaucha beaucoup, et fut cause qu'au commencement de la campagne des corps entiers se soulevèrent, et prirent la fuite chez les ennemis.

Le dessein du roi de Pologne et de ses alliés était de rétablir ces corps en Hongrie, pour les mettre sur le pied où ils étaient avant que les Prussiens les prissent : ils assemblèrent des soldats; mais manquant d'officiers, ils eurent recours à un moyen dont l'histoire ne fournit aucun exemple qu'il ait été pratiqué par les princes laïques : l'Impératrice-Reine et le Roi Très-Chrétien dispensèrent les officiers saxons de la parole d'honneur qu'ils avaient donnée aux Prussiens de ne plus servir contre eux, et beaucoup d'officiers furent assez lâches pour leur obéir. Dans des siècles d'ignorance on trouve des papes qui relevaient les peuples du serment de fidélité qu'ils avaient prêté à leurs souverains; on trouve un cardinal Julien Césarini qui oblige un Ladislas, roi de Hongrie, à violer la paix qu'il avait jurée à Soliman.123-a Ce crime, qui autorisa le parjure, n'avait été que celui de<124> quelques pontifes ambitieux et implacables, mais jamais celui des rois, chez lesquels on devrait retrouver la bonne foi, fût-elle perdue sur toute la terre.124-a Si j'insiste sur de pareils traits, c'est qu'ils caractérisent l'esprit d'animosité et l'acharnement opiniâtre qui régnaient dans cette guerre, et qui la distinguent de toutes les autres. Cependant la France et l'Autriche ne retirèrent pas de ces régiments saxons les services qu'ils en attendaient : ils en furent pour leur argent et pour leur dispense.

Dans cette effervescence générale, les troupes ennemies ne furent pas plus tranquilles dans leurs quartiers que les négociateurs ne l'étaient pour leurs intrigues. Les corps que le Roi avait en Lusace, furent les plus exposés aux entreprises que les ennemis formaient. Cette province fait du côté de Zittau une espèce de pointe qui s'enfonce en Bohême, et va toujours en se rétrécissant. Les Autrichiens environnèrent cette partie de la Saxe par de gros détachements qu'ils avaient à Friedland, à Gabel et à Rumbourg. Ces détachements, commandés par de jeunes officiers qui cherchaient avec ardeur les occasions de se distinguer, furent presque pendant tout l'hiver en campagne. Le prince de Löwenstein était à la tête de l'un, et M. de Lacy, fils du maréchal, qui avait servi avec distinction en Russie, menait l'autre. Ils entreprirent tantôt sur le poste d'Ostritz, tantôt sur celui de Hirschfeld ou de Marienthal : quoiqu'ils ne parvinssent point à surprendre les officiers prussiens qui défendaient ces postes, ils tuèrent toutefois du monde inutilement.124-b M. de Blumenthal, major au régiment Henri, perdit la vie dans une occasion pareille, et beaucoup de<125> soldats, dont on aurait pu tirer de meilleurs services, y périrent. Le corps de M. de Lestwitz à Zittau, celui du prince de Bevern à Görlitz, furent fatigués par des alertes perpétuelles; ils étaient obligés d'envoyer des secours tantôt d'un côté, tantôt de l'autre : l'inquiétude et l'activité des Autrichiens les tinrent continuellement sur pied et en action.

Mais les ennemis se fortifièrent dans ces environs des troupes de Flandre qui venaient joindre leur armée : à la longue la partie serait devenue inégale; et comme il fallait nécessairement des renforts aux Prussiens pour qu'ils se soutinssent en Lusace, le Roi y fit avancer la réserve qui jusqu'alors avait occupé en Poméranie la partie de cette province la plus voisine de la Prusse. Du commencement, la destination de ces troupes avait été de joindre le maréchal de Lehwaldt, pour le mettre plus en état de résister à l'armée des Russes; alors, le besoin le plus pressant l'emporta sur celui qu'on ne voyait que dans l'éloignement : il fallait considérer qu'en partageant avec trop d'égalité l'armée en trois corps, aucun des trois ne serait assez en force pour frapper un coup vigoureux et décisif; au lieu qu'en rassemblant une grosse masse en Saxe, on pouvait espérer de remporter dès le commencement de la campagne un avantage assez considérable sur les Impériaux pour que leurs alliés en fussent étourdis, et que même quelques-uns d'eux se désistassent des desseins de guerre et de conquête qu'enfantait leur ambition.

Les régiments prussiens qui venaient de la Poméranie arrivèrent vers le milieu de mars à Görlitz; on les employa à fortifier les postes qui n'étaient pas assez pourvus de troupes, et depuis qu'ils furent en Lusace, les ennemis se tinrent tranquilles.

Vers ce temps-là le Roi fit un tour en Silésie,125-a pour s'aboucher avec le maréchal de Schwerin; ils se virent à Haynau. On y arrêta<126> le projet pour la campagne prochaine, et l'on prit les mesures les plus justes pour en dérober la connaissance à l'armée même; après quoi le Roi retourna en Saxe, et tout s'y prépara, tant en Saxe qu'en Silésie, pour exécuter ces desseins aussitôt que les arrangements pour les subsistances et la saison pourraient le permettre.

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CHAPITRE VI.

Campagne de 1757.

Les troupes prussiennes entrèrent en cantonnement sur la fin de mars; elles étaient partagées en quatre corps différents : le prince Maurice commandait aux environs de Zwickau; le Roi avec le gros de l'armée se tenait entre Dresde, Pirna, Gieshübel et Dippoldiswalda; le prince de Bevern avait rassemblé aux environs de Zittau le corps qui avait hiverné en Lusace; et le maréchal de Schwerin s'était avancé avec son armée sur les frontières de la Bohême entre Glatz, Friedland et Landeshut. Le projet de campagne qu'on avait formé, consistait en ce que ces quatre corps devaient à la fois pénétrer en Bohême et arriver par différentes directions à Prague, qui leur servirait de point de ralliement. On pouvait se promettre que ce grand mouvement jetterait une confusion étonnante dans les différents corps des ennemis répandus dans leurs quartiers; on pouvait espérer d'en surprendre quelques-uns, et d'avoir occasion d'engager des affaires particulières avec les autres, qui en en faisant périr une partie en détail, donnerait un ascendant et une supériorité aux Prussiens pour le reste de la campagne; ce qui pouvait mener à une action décisive, dont le succès fixerait le sort de cette guerre. Rien n'était plus important<128> que de cacher ce projet : il ne pouvait réussir qu'en en dérobant la connaissance et le soupçon même aux ennemis et à la cour de Saxe, qui trahissait les Prussiens, et à l'armée, pour que l'imprudence ne le divulguât pas.

Afin d'en imposer également à tout le monde, on fit fortifier et palissader la ville de Dresde, pour la mettre en état de défense. Le Roi choisit en même temps un nombre de camps forts à l'entour de Dresde, comme s'il se préparait à faire une guerre défensive : ces camps furent marqués à Cotta, Maxen, Possendorf, au Windberg et à Mohorn. Les chasseurs saxons qu'on y employa, n'eurent rien de plus pressé que d'en avertir la cour, et la reine de Pologne ne manqua pas aussitôt d'en informer les généraux autrichiens. On ne s'en tint pas uniquement à ces fausses démonstrations, et pour endormir davantage les généraux ennemis, on fit quelques faibles incursions en Bohême, comme pour se venger par là des partis que les ennemis avaient, l'hiver, conduits en Lusace pour inquiéter les Prussiens. Dans cette intention, le prince Maurice fit une course vers Éger; le maréchal Keith entreprit à Schluckenau contre un détachement autrichien, qui ne l'attendit pas; le prince de Bevern surprit à Böhmisch-Friedland quatre cents fantassins et pandours, qui se rendirent prisonniers. Toutes ces petites entreprises entretinrent les Impériaux dans leur sécurité; ils se persuadèrent que le Roi se bornait à leur donner de petites alarmes, et ils ne le soupçonnèrent pas de plus grands desseins.

Les différents corps de l'armée prussienne se mirent en mouvement, les uns le 20, les autres le 21 d'avril. Le prince Maurice pénétra en Bohême par le Basberg, d'où il s'avança sur Kommotau. Le Roi se campa à Nollendorf; il poussa son avant-garde à Karbitz, d'où M. de Zastrow fut détaché avec sa brigade, pour occuper Aussig, et chasser les Autrichiens du château de Tetschen. Le lendemain l'armée se rendit à Linay, où le prince Maurice, qui venait de Brix, la joignit. Tous les quartiers autrichiens se replièrent en delà de l'Éger<129> à l'approche des Prussiens; le château de Tetschen ne se rendit que le 27; M. de Zastrow129-a eut le malheur d'y être tué.

L'armée passa ensuite le Paschkopole, et traversant les plaines de Lowositz, elle vint se camper à Trebnitz. On occupa le Hasenberg, et la droite s'appuya au Paschkopole. Cette position se trouva vis-à-vis de celle que le maréchal Browne venait de prendre à Budin : on savait que ce maréchal y attendait le lendemain une division de ses troupes, qui avait hiverné dans les cercles de Saatz et d'Éger; on voulut tenter de prévenir cette jonction; on voulut même essayer si l'on ne pourrait pas combattre ce corps avant qu'il fût à portée du camp de Budin. Pour cet effet, il fut résolu que la nuit même l'armée passerait l'Éger à un mille et demi au-dessus du camp de M. de Browne; et si l'occasion ne se présentait pas de battre cette division qui était en chemin, du moins résulterait-il de cette manœuvre qu'en tournant la position de M. de Browne on l'obligerait à l'abandonner. On établit en conséquence deux ponts à Koschtitz; ils ne furent achevés que le lendemain matin, que les troupes passèrent l'Éger. Les hussards qu'on envoya aussitôt à la découverte, rencontrèrent près de Penich129-b la division qui devait joindre M. de Browne. Cette division, étant informée du passage des Prussiens, se replia sur Welwarn, sans qu'il fût possible de l'entamer, parce que la moitié de l'armée avait à peine passé la rivière. Le maréchal Browne ne tarda pas à s'apercevoir que son poste était tourné : il comprit qu'il ne pouvait se joindre avec les troupes qui lui venaient qu'en se retirant à Welwarn, et il se mit aussitôt en marche pour y arriver; les hussards<130> prussiens harcelèrent son arrière-garde, et lui prirent quelques prisonniers.

L'armée du Roi se campa à Budin, et employa le lendemain à réparer les ponts de l'Éger, pour assurer la communication de la Saxe; les magasins importants que les ennemis avaient à Martinowes, à Budin et à Charwatetz, tombèrent entre les mains des Prussiens; ce qui facilita considérablement la subsistance des troupes. De Budin l'armée s'avança sur Welwarn, que l'ennemi venait d'abandonner, et l'on poussa jusqu'à Tuchomierzitz une avant-garde composée de quarante escadrons et de tous les grenadiers de l'armée; le Roi, qui s'y trouvait, vit l'armée de M. de Browne, qui était encore en marche; derrière ces colonnes qui défilaient, suivait une arrière-garde dont la contenance mal assurée fit naître l'envie de l'attaquer : M. de Zieten donna dessus, et fit trois cents prisonniers. Les ennemis, du commencement, s'étaient postés au Weissenberg; ils l'abandonnèrent le 2 de mai; l'avant-garde prussienne s'en saisit, et elle vit l'ennemi qui passait la ville de Prague, et prenait un camp à l'autre bord de la Moldau. L'armée du Roi occupa le même jour tous les environs de la ville, dont elle formait une espèce de circonvallation : sa droite s'appuyait à la haute Moldau, d'où le camp allait, en embrassant Saint-Roch, le couvent de la Victoire et Weleslawin, s'appuyer à Podbaba à la basse Moldau.

Durant cette marche de l'armée du Roi, le prince de Bevern avait poussé de son côté les opérations avec vigueur; il était entré le 20 d'avril en Bohême, en s'avançant par Krottau et Kratzau sur Machendorf; sa cavalerie battit en marche un détachement autrichien qui s'avançait pour faire une reconnaissance. L'ennemi avait pris à Reichenberg une position avantageuse; le comte de Königsegg commandait ce corps, dont on évaluait la force à vingt-huit mille combattants. Ce fut le 21 d'avril que le prince de Bevern se mit en mouvement pour l'attaquer : il s'avança sur deux colonnes, prenant<131> le chemin de Habendorf, vers l'armée ennemie; il fallait passer une chaussée pour y arriver. Ce défilé, que les ennemis ne pouvaient défendre avec la mousqueterie, n'arrêta guère les Prussiens. Au delà de ce passage se trouvait le corps de M. de Königsegg, auquel il avait donné la forme d'un cercle concave. La cavalerie autrichienne occupait le centre de ce cercle, et se trouvait rangée en trois lignes sur une petite plaine, enchâssée entre les deux ailes d'infanterie qui allaient en avançant, le dos appuyé à d'épaisses forêts, ayant en quelques endroits des abatis devant elle, et des redoutes garnies d'artillerie, dont le feu protégeait la cavalerie. La droite du prince de Bevern attaqua la gauche de l'ennemi; quinze escadrons prussiens chargèrent en même temps cette cavalerie impériale dans la plaine, et la mirent en déroute. Le prince de Würtemberg131-a y fit des prodiges de valeur. Alors M. de Lestwitz attaqua la droite de l'ennemi et les redoutes qui couvraient Reichenberg, et quoiqu'il traversât différents défilés avant que d'y arriver, néanmoins le régiment de Darmstadt131-b força ces redoutes, et obligea l'ennemi à prendre la fuite; on le poursuivit de hauteur en hauteur jusqu'à Röchlitz et à Dörfel; la difficulté de ce terrain montueux, et l'impossibilité qu'il y a que des troupes qui veulent demeurer en ordre, puissent atteindre un ennemi qui fuit à la débandade, empêchèrent le prince de Bevern de ruiner entièrement ce corps. Les Autrichiens perdirent environ dix-huit cents hommes à cette action, dont huit cents furent pris par le prince de Bevern. La perte des Prussiens ne passa pas trois cents hommes, parce que l'ennemi ne leur avait pas opposé une résistance opiniâtre.<132> Le prince de Bevern suivit à Liebenau M. de Königsegg, où un défilé impraticable, derrière lequel ce général avait formé son monde, l'empêcha de tenter de nouvelles entreprises.

De ce côté, les Prussiens n'auraient pu pénétrer plus avant en Bohême, si le maréchal de Schwerin en survenant ne les eût secondés à propos. L'armée de Silésie fut la première qui entra en Bohême, le 18 d'avril; elle déboucha dans ce royaume par cinq différents chemins : une de ces colonnes qui se dirigeait sur Schatzlar, pensa y surprendre les princes de Saxe, qui s'y trouvaient; celle qui prenait la route de Golden-Oelse, rencontra trois cents pandours qui d'un rocher escarpé défendaient le passage aux Prussiens : M. de Winterfeldt trouva le moyen de faire gravir sur ces rocs quelques troupes qui prirent ces pandours à revers et les passèrent au fil de l'épée; les trois autres colonnes, qui débouchèrent par le comté de Glatz, n'ayant point rencontré d'ennemis sur leur chemin, joignirent toutes le maréchal de Schwerin à Königinhof. Ce maréchal, ayant des nouvelles de ce qui s'était passé du côté du prince de Bevern, se porta à dos de M. de Königsegg, qu'il pensa surprendre dans son camp de Liebenau; les Autrichiens décampèrent en hâte, et voulurent diriger leur marche sur Jung-Bunzlau; M. de Schwerin les y prévint encore, et il s'empara en même temps du magasin considérable que les ennemis avaient formé à Kosmanos. Ce fut à cet endroit que le corps de la Lusace joignit l'armée de la Silésie.

Cependant M. de Königsegg s'avançait à grandes journées vers Prague; le maréchal le suivit à Bénatek, d'où il détacha, pour talonner l'ennemi de plus près, M. de Wartenberg, qui défit près d'Alt-Bunzlau l'arrière-garde autrichienne, forte de quinze cents hommes, dont le plus grand nombre fut tué ou pris. Ce brave général, un des meilleurs officiers de cavalerie de l'armée, y perdit la vie,132-a et fut universelle<133>ment regretté. M. de Fouqué marcha sur cela avec l'avant-garde du maréchal à Bunzlau, et il s'y arrêta jusqu'au 4 de mai, pour rétablir les ponts de l'Elbe, que l'ennemi avait rompus pour assurer sa retraite. Le même jour, le maréchal fit passer la rivière à son armée, et se campa à un mille et demi de Prague.

Une partie des troupes que M. de Piccolomini avait commandées l'année précédente, n'était pas encore assemblée; le maréchal Daun en avait reçu le commandement après la mort du premier. Sur le bruit de ces différentes invasions des Prussiens, ce maréchal reçut ordre de rassembler son armée, et de la mener droit à Prague; M. de Browne l'attendait avec d'autant plus d'impatience, qu'il voyait que toutes les forces des Prussiens allaient incessamment fondre sur lui. Le Roi était instruit de la marche du maréchal Daun; son armée ne pouvait rien entreprendre contre M. de Browne, qui était couvert par la Moldau et par la ville de Prague; d'ailleurs les choses en étaient venues au point que le sort des deux armées devait nécessairement se décider par une bataille; et puisqu'on ne pouvait l'engager qu'à l'autre rive de la Moldau, le Roi résolut d'attaquer M. de Browne avant sa jonction avec M. Daun. Pour cet effet, on construisit un pont sur la Moldau près de Seltz, et le Roi le passa à la tête d'un détachement de vingt bataillons et de quarante escadrons; c'était le 5 de mai. Ce prince eut le temps de reconnaître la position des ennemis : il trouva le front de M. de Browne d'un trop difficile abord pour l'attaquer, et il s'aperçut qu'en tournant la droite des ennemis, le terrain présentait un aspect plus avantageux pour un engagement.

Le lendemain, de grand matin, les deux armées prussiennes se joignirent à la portée du canon des ennemis, et l'on résolut de les attaquer tout de suite. La gauche des Autrichiens s'appuyait sur la montagne de Ziska, et se trouvait protégée par les ouvrages de Prague; un ravin de plus de cent pieds de profondeur couvrait son front; la droite se terminait sur une hauteur au pied de laquelle se<134> trouve le village de Sterboholy. Pour rendre plus égal le combat qu'on méditait, il fallait contraindre M. de Browne d'abandonner une partie de ces montagnes et de longer dans la plaine. A cette fin, le Roi changea son ordre de bataille : l'armée avait défilé en colonnes rompues; on la mit sur deux lignes, et on la fit marcher par la gauche, en prenant le chemin de Potschernitz. Dès que M. de Browne s'aperçut de ce mouvement, il prit sa réserve de grenadiers, sa cavalerie de la gauche et sa seconde ligne d'infanterie, avec lesquelles il côtoya les Prussiens, en tenant une ligne parallèle; c'était précisément ce qu'on voulait. L'armée du Roi poussa à Piechowitz par des défilés et des marais qui séparèrent un peu les troupes; la cavalerie prussienne fila au travers de ce village, où elle trouva une plaine bornée par un étang, qui lui présentait précisément la distance qu'il lui fallait pour se former, et, emboîtée entre ce village et cet étang, ses flancs se trouvaient à l'abri d'insulte; elle attaqua vigoureusement la cavalerie autrichienne; après trois charges consécutives, elle l'enfonça et la mit entièrement en déroute. A peine dix bataillons de la gauche étaient formés, avant que la seconde ligne pût les joindre, qu'ils attaquèrent l'ennemi avec plus de précipitation et de courage que de prudence; ils essuyèrent un feu d'artillerie prodigieux, et furent repoussés, mais certainement pas avec honte; car les plus braves officiers et la moitié des bataillons étaient couchés sur le carreau. Le maréchal de Schwerin, qui malgré son grand âge conservait encore tout le feu de sa jeunesse, voyant avec indignation des Prussiens repoussés, se mit à la tête de son régiment, et prenant un drapeau à la main, il le conduisit à la charge et y fit des efforts de valeur extraordinaires; mais comme il n'y avait point encore de troupes pour le soutenir, il y succomba et y fut tué, en terminant une vie glorieuse par une mort qui y ajoutait un nouveau lustre. La seconde ligne arriva dans ces entrefaites; le Roi attira encore à lui le prince Ferdinand de Brunswic avec quelques régiments, et le combat<135> se redressa d'autant plus facilement, que M. de Treskow135-a avec sa brigade, qui était tant soit peu plus à droite, avait percé la ligne des ennemis. Le Roi fit alors avancer les régiments de Charles135-b et de Jeune-Brunswic;135-c il joignit M. de Treskow, et avec ce corps il poussa l'infanterie autrichienne au delà de ses tentes, qu'elle n'avait pas eu le temps d'abattre. Dès ce moment, la déroute devint générale à la droite des ennemis; on demanda de la cavalerie, pour profiter de ce désordre; le malheur voulut que les hussards et les dragons tombèrent sur du bagage ennemi qui s'enfuyait, et ils arrivèrent trop tard pour donner dans l'infanterie, qui sans cet accident aurait toute été prise ou passée au fil de l'épée. Cela n'empêcha pas que le Roi ne poursuivît vivement l'ennemi. On envoya M. de Puttkammer135-d avec des hussards vers la Sasawa, où s'était sauvée une partie des fuyards, et avec le gros des troupes on s'avança vers le Wyssehrad, de sorte que la gauche des Autrichiens était entièrement coupée de sa droite. La droite de l'armée du Roi n'était point destinée à combattre, à cause de ce profond ravin dont nous avons parlé, qui était devant elle, et du désavantage que le terrain lui donnait; elle fut cependant engagée par l'imprudence de M. de Manstein, qu'un courage trop bouillant emportait quelquefois. Cette valeur fougueuse, qui s'embrasait à la vue de l'ennemi, le fit avancer sans qu'il en eût reçu l'ordre; il attaqua l'ennemi tout de suite. Le prince Henri et le prince de Bevern, qui, en désapprouvant sa conduite, ne voulurent cependant pas l'abandonner, furent forcés de le soutenir; l'infanterie prussienne<136> gravit sur des rochers escarpés, défendus par toute la gauche des Autrichiens et par une nombreuse artillerie. Le prince Ferdinand de Brunswic, s'apercevant que le combat s'engageait de ce côté-là et devenant d'ailleurs inutile à la gauche, où il n'y avait plus d'ennemis vis-à-vis de lui, prit les Autrichiens en flanc et à dos : ce secours seconda si à propos les efforts du prince Henri, qu'il s'empara de trois batteries des ennemis, et qu'il les poursuivit de montagne en montagne. Les vaincus, qui se virent coupés de la Sasawa par le corps avec lequel le Roi leur était à dos au village de Saint-Michel,136-a ne virent d'autre salut pour eux que de se jeter dans la ville de Prague : ils tentèrent de se sauver du côté du Wyssehrad, où la cavalerie du Roi les repoussa à trois reprises; ils essayèrent encore de se sauver du côté de Königssaal, mais cela leur était interdit par le maréchal de Keith, dont l'armée occupait toutes les hauteurs au pied desquelles ils devaient passer. On savait à la vérité que des fuyards de l'armée impériale s'étaient jetés dans Prague; toutefois on en ignorait le nombre, de sorte que l'on se contenta d'investir la ville et de la bloquer le mieux que put le permettre l'obscurité et l'espèce de confusion qui suit les victoires.

Cette bataille, qui s'engagea vers les neuf heures du matin, dura, y compris la poursuite, jusqu'à huit heures du soir. Ce fut une des plus meurtrières de ce siècle : les ennemis y perdirent vingt-quatre mille hommes, dont trente officiers et cinq mille hommes furent faits prisonniers; on leur prit d'ailleurs onze étendards et soixante pièces de canon; la perte des Prussiens monta à dix-huit mille combattants, sans compter le maréchal de Schwerin, qui seul valait au delà de dix mille hommes. Sa mort flétrissait les lauriers de la victoire, qui avait été achetée par un sang trop précieux. Ce jour vit périr les colonnes de l'infanterie prussienne : MM. de Fouqué et de Winterfeldt furent dangereusement blessés; là périrent M. de Hautcharmoy, M. de Goltz,<137> le prince de Holstein, M. de Manstein d'Anhalt137-a et nombre de vaillants officiers et de vieux soldats, qu'une guerre sanglante et cruelle ne donna pas le temps de remplacer.

Le lendemain, le Roi envoya M. de Krockow à Prague, pour sommer la ville de se rendre; ce général fut bien étonné d'y trouver le prince Charles de Lorraine, et d'apprendre avec certitude que quarante mille Autrichiens, sauvés de la bataille, étaient enfermés dans ses murailles. Cette nouvelle obligea le Roi à prendre des mesures différentes; il s'empara de la montagne de Ziska, où se campa la droite de l'armée, d'où le front, allant en occupant toutes les vignes qui versent vers Prague, allait par Saint-Michel aboutir à Podoly à la Moldau. On y construisit un pont, pour avoir la communication assurée de ce côté-là avec le maréchal Keith, et on en fit un de même à Branik sur la basse Moldau.

La ville de Prague ne saurait être considérée comme une place de guerre; située dans un fond, elle est entourée par des vignes et des rochers qui la dominent également de tous les côtés; ses fossés sont secs, ses ouvrages revêtus d'une maçonnerie légère, les parapets en beaucoup d'endroits trop minces, les courtines trop longues; tous ces ouvrages avaient été si fort négligés pendant la paix, qu'en différents endroits ils étaient insultables; mais la garnison ne l'était pas  : pour l'attaquer en forme, il fallait une armée plus nombreuse que la prussienne, surtout après les détachements qu'on avait été obligé de<138> faire, et dont nous aurons lieu de parler incessamment. Ces raisons firent que le Roi se contenta de bloquer la ville, en essayant si l'on pourrait prendre la garnison par la famine. On se flatta de mettre le feu par un bombardement aux magasins d'abondance; on fit venir des mortiers et du canon; on établit trois grandes batteries, l'une à la montagne de Ziska, l'autre devant Saint-Michel, et la troisième du côté du maréchal Keith vers le Strahov; mais tout cela fut inutile : la ville avait des bastions casematés, où les vivres trouvèrent un abri contre tous les efforts de l'artillerie prussienne.

Pendant que ces arrangements se faisaient autour de Prague, le maréchal Daun s'était avancé avec son corps à Teutsch-Brod; d'abord le Roi lui opposa M. de Zieten, et peu de temps après le prince de Bevern, qui, se trouvant à la tête de vingt mille hommes, se porta premièrement à Kaurzim, puis à Kuttenberg, faisant toujours reculer devant lui le maréchal Daun, qui se retira jusqu'à Habr; mais chaque pas que l'Autrichien faisait en arrière, l'approchait de ses secours, et lui donnait le moyen d'attirer à lui les débris de la bataille de Prague, qui, s'étant sauvés au delà de la Sasawa, purent le rejoindre.

D'un autre côté, le Roi fit partir pour l'Empire le colonel Mayr138-a avec ses volontaires et environ cinq cents hussards, pour donner l'épouvante aux princes d'Allemagne, ralentir l'assemblée de l'armée des cercles, et en même temps pour alarmer les pédants de Ratisbonne, dont l'éloquence insultante violait toutes les règles de la bienséance. Mayr entra dans l'évêché de Bamberg; de là il s'étendit vers Nuremberg; il fit déserter de Ratisbonne ces députés arrogants qui se croyaient les juges des rois, et de là il pénétra dans le Haut-Palatinat. L'électeur de Bavière et beaucoup de princes, qui conçurent de l'inquiétude de cette irruption, députèrent vers le Roi pour traiter<139> relativement à leurs intérêts; enfin tout l'Empire aurait abandonné le parti de l'Impératrice-Reine, si une des révolutions ordinaires de la guerre et de la fortune n'eût traversé la prospérité des Prussiens. Nous verrons, dans la continuation de cette guerre, combien de ces vicissitudes arrivèrent, et renversèrent tantôt les espérances des Prussiens, tantôt celles des Impériaux.

Cependant le blocus de Prague continuait; on bombardait la ville; mais les Autrichiens faisaient des sorties fréquentes. Un jour, ils voulurent attaquer les batteries du Strahov. Le prince Ferdinand de Prusse y accourut, et les rechassa jusqu'à leur chemin couvert avec une perte de douze cents hommes. Une autre fois, ils tentèrent une sortie du côté du Wyssehrad, avec si peu de précaution et de prévoyance, que prêtant le flanc à des batteries prussiennes placées vers Podoly, le canon les mit en une telle confusion, qu'ils rentrèrent dans Prague en pleine fuite. Une autre fois, le prince de Lorraine fit avec quatre mille hommes une sortie du Petit-Côté; ces troupes prirent une flèche défendue par cinquante soldats; bientôt M. de Retzow139-a les repoussa, et les poursuivit jusqu'aux portes de la ville. Les Prussiens eurent dans ce siége les ennemis et les éléments à combattre : un orage violent et des nuages qui crevèrent, gonflèrent subitement les eaux de la Moldau; leur impétuosité brisa le pont de Branik; le courant l'entraîna vers le pont de Prague; les ennemis en enlevèrent vingt-quatre pontons; vingt autres furent assez heureux pour leur échapper, et on les rattrapa à Podoly. Tant de bombes que les Prussiens avaient jetées dans Prague, avaient considérablement endommagé certains quartiers de la ville; le feu avait même consumé une boulangerie des ennemis; les déserteurs déposaient unanimement que les vivres commençaient à manquer, et qu'au lieu de viande de boucherie, la garnison se nourrissait de chair de cheval.<140> Il était fâcheux qu'en pressant cette ville on ne pût rien gagner par la force ni par la ruse, et qu'il fallût tout attendre du bénéfice du temps; il n'y avait que la famine et le désespoir qui pût forcer le prince de Lorraine à se faire jour à travers les Prussiens l'épée à la main; car la façon dont ces quartiers étaient fortifiés, n'étant point attaquables, l'aurait obligé, après quelques efforts inutiles, à se rendre.

Le projet de prendre Prague avec l'armée qui la défendait, aurait cependant réussi, si l'on avait pu lui donner le temps de parvenir à sa maturité; mais il fallut s'opposer au maréchal Daun, il fallut se battre, et l'on fut malheureux. Nous avons laissé le prince de Bevern campé à Kuttenberg, et le maréchal Daun à Habr; ce maréchal y fut joint par tout ce que la cour put tirer des garnisons des pays héréditaires et de troupes de la Hongrie, outre les fuyards de la bataille de Prague, qui fortifièrent son armée tellement, que de quatorze mille hommes qu'elle avait été au commencement de la campagne, elle se trouvait alors composée de soixante mille combattants. L'accroissement des forces de cette armée dérangeait toutes les combinaisons précédentes des projets du Roi : il fallait nécessairement renforcer le prince de Bevern, pour qu'il pût au moins se soutenir contre une armée du triple supérieure à la sienne; d'un autre côté, il était hasardeux d'affaiblir l'armée du siége, qui avait une vaste circonférence à défendre, et qui pouvait être attaquée d'un jour à l'autre par quarante mille hommes renfermés dans cette ville. On trouva cependant moyen, en économisant les postes, en fortifiant les uns, en resserrant les autres, de faire une épargne de dix bataillons et de vingt escadrons. Ce détachement pouvait s'éloigner, mais il ne devait pas être de durée, ou le blocus en aurait souffert. Pour que l'on prît Prague et l'armée qui la défendait, il était indispensable d'éloigner le maréchal Daun de cette contrée, parce que les troupes employées à en faire la circonvallation, quoique bien postées pour repousser des sor<141>ties, n'étaient que sur une ligne, et ne pouvaient défendre leur front et leur dos en même temps; parce qu'en se laissant resserrer autour de Prague, la subsistance aurait manqué aux Prussiens, dont la cavalerie était obligée de chercher le fourrage à quatre ou cinq milles du camp. Ces considérations importantes déterminèrent le Roi à se mettre en personne à la tête de ce détachement, pour joindre le prince de Bevern, et juger sur les lieux du parti qu'il serait le plus convenable de prendre.

Le Roi partit le 13 de Prague; M. de Treskow fut détaché en même temps, pour nettoyer les bords de la Sasawa, que les troupes légères du maréchal Daun commençaient d'infester. Le Roi poursuivit sa marche par Schwarz-Kosteletz à Malotitz, où il fut joint par M. de Treskow, qui avait pris une route à droite. L'intention du Roi était d'arriver à Kolin, pour se joindre au prince de Bevern; il trouva devant lui un corps considérable, qui campait à Zasmuk; c'était M. de Nadasdy, qui avait pris cette position, par laquelle il coupait déjà en quelque manière le prince de Bevern de l'armée prussienne. Bientôt on découvrit de loin sur le chemin de Kolin deux colonnes qui prenaient la route de Kaurzim; on apprit par ceux qui furent les reconnaître, que c'était le prince de Bevern qui venait se joindre aux troupes du Roi. Le jour tombait; la nuit survint avant l'arrivée du prince, de sorte que l'on se contenta de faire camper les troupes aussi bien que l'obscurité voulut le permettre. On fut étonné du mouvement du prince de Bevern, auquel on ne s'attendait pas; il se fit à l'occasion de ce qui s'était passé la veille : il avait été attaqué le 13 à Kuttenberg par M. de Nadasdy, qu'il avait repoussé, en même temps que le maréchal Daun avait fait un mouvement sur son flanc qui l'obligea, pour ne point être tourné, de quitter sa position de Kuttenberg et de prendre celle de Kolin; là il reçut des avis que les Autrichiens, campés à Wisoka, se préparaient à l'attaquer le lendemain; pour n'en point courir le risque, il aima mieux aller au-devant<142> du détachement prussien qu'il savait en marche pour le renforcer. On voulut le lendemain reconnaître les chemins de Wisoka, pour juger de la disposition où se trouvaient les ennemis; cependant on ne put y réussir, à cause de l'épaisseur des forêts et du nombre des pandours qui les remplissaient. Le même jour, quatre mille Croates attaquèrent un convoi qui venait de Nimbourg à l'armée; il était escorté par deux cents fantassins aux ordres de M. de Billerbeck, major dans le régiment Henri : ce brave officier se défendit trois heures contre le nombre qui l'assaillait, jusqu'à l'arrivée du secours qui le dégagea, sans avoir perdu la moindre chose de son convoi, et l'on ne trouva à redire à son monde que sept blessés; ce qui est une perte peu considérable, en comparaison du corps dont il fut attaqué. D'aussi petits détails ne deviennent dignes de l'histoire qu'autant qu'ils peuvent servir d'exemple de ce que peuvent à la guerre la valeur et la fermeté, soutenues par une bonne disposition.

Le terrain où les Prussiens étaient campés, n'était pas assez avantageux pour qu'on pût y attendre l'ennemi avec sûreté : le Roi voulait se porter avec l'armée à Swoyschitz, où l'on trouve des environs susceptibles de défense; mais à peine l'armée se fut-elle mise en marche pour prendre cette position, qu'on vit paraître celle du maréchal Daun, qui se forma près de Swoyschitz en une espèce de triangle, dont la gauche tirait vers Zasmuk et la droite vers l'Elbe; le front vis-à-vis de Kaurzim et de Malotitz était couvert par une prairie bourbeuse, à travers laquelle serpentait un ruisseau marécageux. Ce mouvement des ennemis produisit un changement nécessaire dans la disposition des Prussiens : l'armée changea de direction; elle prit plus vers la gauche, et s'approcha de Nimbourg; elle se campa ayant Planian vers la gauche de son front, et à sa droite Kaurzim, où l'on jeta un bataillon pour assurer le flanc de l'armée. On rencontra près de Planian un corps d'Autrichiens, dont l'intention ne pouvait être que de s'emparer du dépôt que les Prussiens avaient à Nimbourg; on con<143>traignit ce corps à se replier, et il prit position sur une hauteur derrière Planian, où il demeura la nuit.

La situation du Roi devenait de jour en jour plus critique et plus embarrassante; sa position ne valait rien; son camp était étroit, acculé à des montagnes; son front se trouvait à la vérité inabordable par le marais et le ruisseau qui séparaient les deux armées; mais il n'en était pas de même de la droite, mal appuyée à Kaurzim, et que le maréchal Daun était maître de tourner dès qu'il le voudrait, en se portant de Zasmuk sur Malotitz : si les ennemis eussent fait ce mouvement, toute l'armée était prise en flanc et battue sans ressource. Il se présentait d'autre part une multitude d'objets à remplir, trop contraires pour qu'on les pût tous concilier ensemble, et il n'y en avait aucun à négliger sans que cela ne portât un préjudice considérable aux affaires : il fallait couvrir les magasins de Brandeis et de Nimbourg, d'où l'armée d'observation tirait son pain; il fallait protéger le blocus de Prague, en empêchant avec un corps faible une armée supérieure du double d'y détacher ou d'en approcher. Plus l'infériorité des Prussiens se découvrait aux ennemis, plus ils avaient à craindre à la longue d'essuyer quelque échec considérable : car en supposant même qu'ils eussent pu se soutenir dans le camp où ils étaient, il ne leur en était pas moins impossible d'empêcher le maréchal Daun d'envoyer un gros détachement, qui, longeant les bords de la Sasawa, serait venu à dos des corps prussiens qui campaient entre Branik et Saint-Michel; et cette armée du siége, attaquée par derrière pendant que de la ville le prince de Lorraine aurait fait une sortie, se serait trouvée entre deux feux, et aurait par conséquent été totalement battue. Si le Roi, prenant un autre parti, eût trouvé convenable de se retirer à Kosteletz ou à Teutsch-Brod, il y trouvait des camps plus avantageux; mais les inconvénients dont nous venons de parler subsistaient également : car en s'approchant de l'Elbe on couvrait les magasins, en laissant le chemin libre vers Prague; et en<144> tirant plus vers la Sasawa, on protégeait mieux le siége, et l'on découvrait les dépôts, dont la perte se serait promptement ensuivie, sans compter qu'en perdant du terrain où il y avait du fourrage, l'armée en se retirant se resserrait dans un pays mangé, où les vivres avaient été consumés d'avance. Il se présentait d'autres considérations plus fortes encore : le maréchal Daun commandait une armée de soixante mille hommes, que l'Impératrice-Reine avait rassemblée à grands frais; était-il à croire qu'on souffrît impunément à Vienne, ayant autant de troupes en Bohême, que les Prussiens fissent dans Prague le prince de Lorraine et quarante mille hommes prisonniers de guerre en présence de cette armée? On savait même que le maréchal Daun avait des ordres de tout risquer pour délivrer le prince de Lorraine. Ainsi il s'agissait proprement de se déterminer dans le choix, s'il valait mieux laisser aux ennemis la liberté d'attaquer les troupes prussiennes dans leur poste, ou s'il valait mieux les prévenir et les attaquer soi-même. Ajoutons à ces considérations que, depuis que le maréchal Daun se trouvait en force, il était impossible de prendre Prague sans gagner une seconde bataille, et qu'il aurait été honteux pour l'honneur des armes d'en lever le siége à l'approche de l'ennemi, vu que tout ce qui pouvait arriver de pis était d'abandonner cette entreprise, au cas que l'ennemi remportât la victoire. Outre tout ce que nous venons de dire, une raison plus importante encore obligeait d'en venir à une décision; c'est qu'en gagnant encore une bataille le Roi prenait sur les Impériaux une entière supériorité. Les princes de l'Empire, déjà incertains et indécis, l'auraient conjuré de leur accorder la neutralité; les Français se seraient trouvés dérangés et peut-être arrêtés dans leurs opérations en Allemagne; les Suédois en seraient devenus plus pacifiques et plus circonspects; la cour de Pétersbourg même aurait fait des réflexions différentes, parce que le Roi se serait vu dans une situation à pouvoir envoyer sans risque des secours à son armée de Prusse, et même à celle du duc de Cumber<145>land. Voilà quels furent les motifs importants qui engagèrent le Roi à attaquer le lendemain le maréchal Daun dans son poste.

On se mit en marche le 18 de grand matin. M. de Treskow avec l'avant-garde délogea d'abord ce corps des ennemis qui s'était campé la veille sur les hauteurs derrière Planian; ce début était nécessaire pour nettoyer le chemin de Kolin, sur lequel l'armée devait marcher en deux colonnes. Elle défila sur deux lignes par la gauche vis-à-vis celle des ennemis. Le maréchal Daun, qui découvrit le mouvement, changea aussitôt son front, et, marchant par sa droite, longea la croupe des montagnes qui vont vers Kolin. M. de Nadasdy s'était placé devant l'armée du Roi avec quatre à cinq mille hussards, qu'un corps de cavalerie poussait d'espace en espace; ce qui ralentit la marche des colonnes. On continua de presser ainsi ces troupes légères, jusqu'à ce qu'on eût gagné une éminence qu'il fallait occuper nécessairement pour attaquer l'ennemi.

Comme les troupes n'arrivèrent pas aussi promptement pour le bien des affaires qu'il aurait été à désirer, le Roi employa ce temps pour assembler les officiers généraux, et pour convenir avec eux de la disposition de la bataille. Une auberge se trouvait sur le chemin que tenaient les troupes, d'où l'on découvrait distinctement l'ordre dans lequel le maréchal Daun avait rangé ses troupes, et toutes les parties du terrain sur lequel il fallait agir. Ce fut dans ce lieu qu'on prit les mesures suivantes : il fut résolu d'attaquer la droite de l'ennemi, parce qu'elle était mal appuyée, et parce que c'était l'endroit le plus facile; le front des Autrichiens s'étendait sur des rochers âpres et escarpés, au pied desquels quelques villages semés dans la plaine étaient farcis de pandours; plus ils étaient inexpugnables dans cette partie, moins ils l'étaient à leur droite : l'endroit par lequel la gauche des Prussiens devait attaquer, était une hauteur qu'ils occupaient déjà; de là se présentait un cimetière isolé, garni de Croates, et qu'il fallait emporter; ensuite, en tournant un peu plus à gauche on prenait l'ar<146>mée du maréchal Daun à dos et en flanc. Pour soutenir cette attaque, il fallait la nourrir de toute l'infanterie prussienne qui se trouvait dans l'armée; par cette raison, le Roi se proposa de refuser entièrement sa droite aux ennemis, et il défendit sévèrement aux officiers qui la commandaient de dépasser le grand chemin de Kolin; cela était d'autant plus sensé, que la partie de l'armée autrichienne exposée vis-à-vis de cette droite occupait un terrain inabordable : si la position que le Roi avait prescrite à ses troupes avait été observée, il aurait été maître durant l'action de faire filer, selon le besoin, des bataillons, pour soutenir les brigades qui avaient la première attaque. Outre ce que nous venons de dire, M. de Zieten eut ordre de tenir tête à M. de Nadasdy avec quarante escadrons, pour qu'il ne troublât pas l'infanterie prussienne dans ses opérations; Je reste de la cavalerie fut placé en réserve derrière les lignes.

Lorsque tout fut réglé, M. de Hülsen146-a partit à la tête de sept bataillons et de quatorze pièces d'artillerie, pour engager l'action; des vingt et un bataillons qui restaient, six formèrent la seconde ligne, et les quinze autres la première. Telle fut cette disposition, qui aurait rendu les Prussiens victorieux, si elle avait été suivie; mais voici ce qui arriva. M. de Zieten attaqua le corps de Nadasdy; il le mit dans une déroute générale et le poursuivit jusqu'à Kolin, de sorte qu'il fut séparé des Autrichiens, et que de cette journée-là il ne pouvait plus nuire aux entreprises du Roi. A une heure de l'après-midi, M. de Hülsen attaqua le cimetière et le village de la hauteur, où il ne rencontra pas grande résistance; il se rendit ensuite maître de deux batteries, chacune de douze pièces de canon.

Tout succédait aux vœux des Prussiens dans cette première attaque; mais voici les fautes qui causèrent la perte de la bataille. Le<147> prince Maurice, qui conduisait la gauche de l'infanterie, au lieu de l'appuyer derrière ce village que M. de Hülsen venait d'emporter, la forma à mille pas de cette hauteur : cette ligne était en l'air;147-a le Roi s'en aperçut, et la mena près du pied de cette hauteur; en même temps on entendit un feu assez vif qui se faisait à la droite. Il fallut qu'il se dépêchât, et ne pouvant faire autrement, il remplit les vides qui se trouvaient dans sa ligne, par les bataillons de la seconde; il se rendit de là en hâte vers la droite, pour savoir de quoi il était question; il trouva que M. de Manstein, qui avait engagé sa brigade si mal à propos à la bataille de Prague, venait de retomber dans la même faute. M. de Manstein avait aperçu des pandours dans un village proche du chemin que la colonne tenait; la fantaisie le prend de les en déloger : il entre contre ses ordres dans le village, il en chasse l'ennemi, le poursuit, et se trouve sous le feu de mitraille des batteries autrichiennes; à son tour on l'attaque, et la droite de l'infanterie marche à son secours.

Lorsque le Roi arriva sur les lieux, l'affaire était si sérieusement engagée, qu'il n'y avait plus moyen de retirer les troupes sans être battu; bientôt la gauche entra également en jeu, ce que les généraux auraient pu cependant empêcher. Alors la bataille devint générale, et ce qu'il y avait de fâcheux, c'est que le Roi n'en pouvait être que spectateur, n'ayant pas un bataillon de reste dont il pût disposer. Le maréchal Daun profita en grand général des fautes des Prussiens : il fit filer derrière son front sa réserve, qui vint à son tour attaquer M. de Hülsen, jusqu'alors victorieux; il se soutint néanmoins, et si l'on avait pu lui fournir quatre bataillons frais, la bataille était gagnée; il repoussa encore cette réserve autrichienne; les dragons de Nor<148>mann148-a donnèrent alors dans l'infanterie ennemie, la dispersèrent et lui prirent cinq drapeaux; ils attaquèrent ensuite les carabiniers saxons, qu'ils chassèrent jusqu'à Kolin. Pendant ces entrefaites l'infanterie prussienne du centre et de la droite avait gagné quelque terrain, sans cependant avoir emporté d'avantage considérable. Ces bataillons, qui tous avaient beaucoup souffert du canon et du feu des petites armes, étant fondus à moitié, faisaient entre eux des intervalles du triple plus spacieux qu'ils ne devaient l'être, et puisqu'il n'y avait ni seconde ligne ni réserve, il fallut y suppléer par des régiments de cuirassiers qu'on plaça à quelque distance derrière ces ouvertures. Le régiment de Prusse cavalerie148-b attaqua même un gros de l'infanterie ennemie, et l'aurait détruit, si une batterie chargée à mitraille n'eût pas été exécutée à propos contre lui; il rebroussa chemin en confusion, et renversa les régiments de Bevern et de Henri qui étaient derrière lui; l'ennemi s'aperçut de ce désordre; il lâcha aussitôt sa cavalerie, qui, profitant de ce moment, rendit le désordre général. Le Roi voulut faire charger des cuirassiers qui étaient à portée, et qui auraient pu réparer les choses en partie; il lui fut impossible de les mettre en mouvement : il eut recours à deux escadrons de Truchsess,148-c qui prirent la cavalerie ennemie en flanc, et la ramenèrent au pied de ses montagnes. Il n'y avait de cette ligne d'infanterie que le premier bataillon des gardes qui tînt encore à la droite; il avait repoussé quatre bataillons d'infanterie et deux régiments de cavalerie qui avaient voulu l'entourer; mais un bataillon, quelque brave qu'il soit, ne saurait seul gagner une bataille. M. de Hülsen, avec son infanterie, et quelque cavalerie qu'on lui avait envoyée, maintenait encore son terrain, savoir, cet emplacement dont il avait chassé les Autri<149>chiens au commencement de l'action; il y resta jusqu'au soir à neuf heures, qu'il fut obligé de se retirer, de même que l'armée. Le prince Maurice mena les troupes à Nimbourg, où il passa l'Elbe, sans qu'un seul hussard de l'ennemi le suivît.

Cette action coûta au Roi huit mille hommes de sa meilleure infanterie;149-a il y perdit seize pièces de canon, qui ne purent se transporter, les chevaux en ayant été tués. Après que le Roi eut donné ses ordres aux généraux pour la retraite des troupes, il accourut au plus pressé; il se rendit à son armée de Prague, où il ne put arriver que le lendemain au soir, et l'on fit les dispositions pour lever le blocus de la ville, que le funeste événement de Kolin ne permettait plus de continuer.

Ce qu'il y eut de singulier dans l'action que nous venons de rapporter, fut que déjà l'infanterie autrichienne commençait à se retirer, que la cavalerie devait en faire autant, lorsqu'un colonel d'Ayasassa149-b de son propre mouvement attaqua l'infanterie prussienne avec ses dragons, au moment que les cuirassiers de Prusse l'avaient mise en désordre, et que les succès firent révoquer les premiers ordres. Sans doute que le dérangement où se trouvaient les Autrichiens après une affaire aussi opiniâtre, les empêcha de poursuivre les Prussiens; cependant ils étaient victorieux. Sans doute que si le maréchal Daun avait eu plus de résolution et d'activité, son armée aurait pu arriver le 20 devant Prague, et les suites de la bataille de Kolin seraient devenues plus funestes pour les Prussiens que leur défaite même.

Le 20, de grand matin, les Prussiens levèrent le blocus de Prague.<150> Le corps qui avait campé du côté de Saint-Michel, se retira au delà de l'Elbe par Alt-Bunzlau et Brandeis, pour se joindre à l'armée de Kolin, qui campait à Nimbourg. Le corps du maréchal Keith devait se replier sur Welwarn, pour couvrir les magasins de Leitmeritz et d'Aussig; des contre-temps s'en mêlèrent, les ponts ne furent pas relevés assez vite, on fut obligé d'attendre, et le maréchal Keith ne put quitter son camp qu'à onze heures. Les Prussiens de Saint-Michel étaient partis à trois heures du matin. Le prince de Lorraine, qui eut d'abord des avis de la bataille que le maréchal Daun venait de gagner, se prépara à faire une sortie sur les troupes du maréchal Keith prêtes à lever le piquet. Il sortit du Petit-Côté, et canonna vivement les deux colonnes prussiennes qui se retiraient par le couvent de la Victoire; les grenadiers de l'arrière-garde calmèrent l'impétuosité des ennemis, et le prince de Prusse prit une position à Russin, d'où il protégea la retraite des troupes. Les Prussiens ne perdirent que deux cents hommes de tués et de blessés dans cette affaire; le prince de Lorraine y gagna deux pièces de trois livres dont les chevaux furent tués, seul trophée qu'il remporta de son expédition.

Le corps avec lequel le Roi avait marché à Brandeis, prit le lendemain le camp de Lissa, où il se joignit avec les débris des troupes de Kolin. L'on supposait que le maréchal Daun agirait contre l'armée du Roi, et le prince de Lorraine contre celle du maréchal Keith, et l'on se trompa. Les Autrichiens perdirent beaucoup de temps à faire avancer leurs magasins; après huit jours, les deux armées autrichiennes se joignirent à Brandeis. Le prince de Prusse prit le commandement de l'armée de Lissa, avec laquelle il marcha à Jung-Bunzlau, et bientôt à Böhmisch-Leipa. Le Roi prit le chemin de Melnik, pour se joindre au maréchal Keith avec un renfort qu'il lui mena; il passa l'Elbe à Leitmeritz : pour ne pas perdre cependant la communication avec le prince de Prusse, il laissa le prince Henri avec un<151> détachement à Trebotschan,151-a à la rive droite de l'Elbe. L'armée du Roi s'étendait dans la plaine entre Leitmeritz et Lowositz; quelques bataillons occupaient le Paschkopole et le défilé de Welmina; les gorges de la Saxe étaient gardées par de nouvelles levées. La ville de Leitmeritz avait servi de dépôt pour le siége de Prague; c'était le grand magasin et l'hôpital de l'armée : cette ville, située dans un fond, ne pouvait se défendre que par les camps qui occupaient les montagnes qui l'environnent; on travailla, du moment que les troupes y arrivèrent, à la déblayer des amas de malades, des munitions et de l'artillerie qu'on y gardait; quelque activité qu'on mît pour presser ces transports, on ne put les finir que le 20 de juillet.

Au commencement de ce mois, M. de Nadasdy s'était approché de l'armée; il se campa à Gastorf vis-à-vis du corps du prince Henri, et le Hongrois mit tout en œuvre pour interrompre la communication que les Prussiens entretenaient entre le camp de Leitmeritz et celui de Leipa; en quoi il n'eut pas de peine à réussir, en répandant ses pandours dans les forêts et les défilés abondants qui se trouvent dans cette partie de la Bohême. A la rive gauche de l'Elbe, il ne parut qu'un petit corps autrichien commandé par le sieur Loudon. Ce partisan, à la tête de deux mille pandours, s'était niché au pied du Paschkopole, d'où il infestait les grands chemins, inquiétait les détachements, et faisait des coups peu considérables. Celui qui lui réussit le mieux devint funeste à M. de Manstein,151-b célèbre pour avoir engagé la bataille de Prague, et avoir causé la perte de celle de Kolin. Ce général se faisait transporter en Saxe, pour y chercher la guérison de ses blessures; il était escorté par deux cents hommes de nouvelles levées : Loudon l'attaque en chemin, l'escorte se met en désordre, Manstein sort de sa voiture, prend son épée, se défend<152> en désespéré, et, refusant le quartier qu'on lui offre, se fait tuer sur la place.

La guerre se faisait avec plus de vigueur du côté du prince de Prusse. Après la jonction du prince de Lorraine et du maréchal Daun, ils quittèrent Brandeis, ils suivirent le prince de Prusse; ils se campèrent à Niemes, où ils tournaient son flanc gauche, et gagnaient sur les Prussiens une marche sur Gabel. Le général Puttkammer152-a défendait le château de cette ville, où le prince de Prusse l'avait envoyé avec quatre bataillons, pour faciliter les convois que son armée tirait de Zittau. Si le prince de Prusse eût pris le parti de marcher incontinent à Gabel, les Autrichiens n'auraient rien gagné par leur mouvement; mais le prince, qui n'en sentit pas d'abord les conséquences, demeura tranquille dans son camp, et laissa faire à l'ennemi ce qu'il lui plut. Le maréchal Daun fit partir un détachement de vingt mille hommes, qui attaqua M. de Puttkammer à Gabel; ce général, après une vigoureuse résistance et trois jours de tranchée ouverte, n'étant point secouru, fut obligé de se rendre prisonnier de guerre. Le prince de Prusse comprit l'importance de ce poste après l'avoir perdu : le droit chemin de son camp à Zittau passe par Gabel; ce chemin lui était interdit; celui qui lui restait passe par Rumbourg, et fait un détour de quelques milles; on ne peut y passer que sur une colonne. L'armée fut obligée de le prendre : elle y perdit du bagage, et des pontons qui se brisèrent dans des chemins étroits entre des rochers. Le prince arriva à Zittau en décrivant un arc, et le maréchal Daun par la corde. M. de Schmettau, qui commandait l'avant-garde des Prussiens, trouva en approchant de Zittau les Autrichiens établis sur l'Eckartsberg; c'est le poste le plus important de cette contrée; il domine sur la ville et commande aux environs. L'armée du prince de Prusse occupa une hauteur opposée au camp des ennemis, la ville de Zittau devant sa droite entre les deux armées; il étendit sa<153> gauche sur la montagne de Hennersdorf. Le prince pouvait soutenir la ville, sans qu'il pût néanmoins empêcher les Impériaux de l'insulter. Le maréchal Daun, instigué par le prince Charles de Saxe, fit bombarder la ville. Zittau a des rues étroites, la plupart des toits sont en bardeaux : le feu y prit, ces bardeaux communiquèrent l'incendie aux différents quartiers de la ville à la fois, les maisons s'écroulèrent, les passages furent comblés par les débris. Le prince de Prusse se vit obligé d'en retirer la garnison; les troupes qui occupaient l'extrémité opposée, ne purent se faire des routes pour regagner l'armée, ne trouvant que des flammes et des ruines sur leur passage, de sorte que le colonel Diericke avec cent cinquante pionniers, et le colonel Kleist avec quatre-vingts soldats du margrave Henri, tombèrent entre les mains des ennemis. La ville de Zittau n'est en soi-même d'aucune conséquence : on ne fut sensible au malheur qui y arriva que par rapport à la perte du magasin considérable qui y fut brûlé. Après la perte de ce magasin, l'armée du prince de Prusse ne pouvait tirer sa subsistance et son pain que de Dresde; il aurait fallu transporter ce pain de douze milles, pour qu'il arrivât au camp. Il se rencontrait des difficultés insurmontables à ce transport, qui obligèrent le prince de se rapprocher de ses vivres; il décampa de Zittau sans être suivi par l'ennemi, et prit une position pour l'armée à l'entour de Bautzen.

Dès que le Roi fut informé de la perte de Gabel, il se proposa d'évacuer Leitmeritz, pour retourner en Saxe. La ville de Leitmeritz était vide; les munitions de guerre et de bouche étaient déjà arrivées à Dresde, et comme il n'y avait point de temps à perdre, le prince Henri passa l'Elbe; après qu'il eut rejoint le Roi, l'armée alla se camper entre Sulowitz et Lowositz. M. de Nadasdy, qui avait suivi l'arrière-garde de S. A. R., attaqua les grand'gardes du camp; on le reçut vertement; il fut repoussé avec perte, et repassa promptement l'Elbe. Les jours suivants, l'armée se replia sur Linay, de là sur Nol<154>lendorf et sur Pirna. Un détachement de deux cents hommes de nouvelles levées qui gardait le Schreckenstein, fut attaqué et pris par M. Loudon; les postes d'Aussig et de Tetschen furent évacués sans perte. Le Roi laissa le prince Maurice à Gieshübel; il lui donna quatorze bataillons et dix escadrons pour défendre cette gorge, et se mit en marche avec le reste de ses troupes pour joindre le prince de Prusse à Bautzen. Ce prince, qui était devenu malade, quitta l'armée et ne fit depuis que languir. Le Roi s'avança d'abord avec un détachement de Bautzen au Weissenberg; il en délogea M. de Beck, qui se replia vers Bernstadt. Les arrangements qu'il fallut faire pour rétablir l'ordre dans les vivres et préparer de nouveaux caissons, arrêtèrent le Roi quinze jours.

Ce prince était pressé par les progrès des Français à sa droite et des Russes à sa gauche; il était obligé de détacher; ce qui lui inspira le dessein de marcher aux Autrichiens, et d'essayer si l'on pourrait s'en délivrer, avant que de s'affaiblir par des détachements. Il se mit en marche le 15 pour Bernstadt; le Roi menait la colonne de la gauche, le prince de Brunswic celle de la droite. Ils pensèrent entourer M. de Beck sur une montagne près de Sohland, et ce partisan ne se sauva qu'en perdant une partie de son monde. On apprit à Bernstadt qu'un détachement des ennemis s'assemblait à Ostritz; M. de Werner154-a y fut aussitôt envoyé; il manqua de peu M. de Nadasdy, dont il prit le bagage et les troupes qui l'escortaient. On trouva parmi ses papiers des lettres originales de la reine de Pologne, qui donnait des avis à ce général de tout ce qu'elle savait des Prussiens, et lui suppéditait quelques projets de surprise; le Roi envoya ces originaux à M. de Finck,154-b commandant de Dresde, pour les mon<155>trer à la Reine, afin qu'elle comprît qu'on était au fait de toutes ses manigances.

Le Roi détacha cinq bataillons de Bernstadt pour prendre poste à Görlitz, et avec le gros de l'armée il marcha droit aux Autrichiens. Le maréchal Daun campait encore à l'Eckartsberg; il ne fit faire qu'un mouvement à ses troupes, pour qu'elles présentassent le front aux Prussiens. Ce poste était inattaquable : à la gauche, une montagne taillée en forme de bastion, hérissée de soixante pièces de douze livres, flanquait la moitié de son armée; devant son front s'étend dans un bas-fond le village de Wittgenau, au long duquel coule un ruisseau entre des rochers escarpés. Trois chemins se présentaient pour traverser ce village, qui menaient à l'ennemi, dont le plus large pouvait contenir une voiture. La droite du maréchal s'appuyait à la Neisse; au delà de cette rivière campait M. de Nadasdy, avec la réserve de l'armée, sur une hauteur d'où il pouvait, avec trente pièces de gros calibre, balayer tout le front de l'armée impériale. Les deux armées n'étaient séparées que par le fond de Wittgenau; toute la journée se passa à se canonner réciproquement. Le lendemain, on fit passer la Neisse à Hirschfeld à un corps aux ordres de M. de Winterfeldt, pour reconnaître s'il n'y aurait pas moyen d'engager une affaire avec M. de Nadasdy; ce qui aurait engagé le maréchal Daun à le secourir, et aurait donné lieu à un combat général : mais la difficulté du terrain s'opposa encore à cette entreprise, et il fallut y renoncer. Ç'aurait été d'un grand avantage si, dans ces circonstances, le Roi avait pu engager une affaire décisive : il n'avait aucun temps à perdre; un gros de Français était à Erfurt; l'armée du duc de Cumberland était recognée à Stade; le duché de Magdebourg et la Vieille-Marche, exposés aux incursions des Français; une armée suédoise avait passé la Peene près d'Anclam; les troupes des cercles étaient en mouvement pour s'avancer en Saxe. Mais l'impossibilité de combattre dans ce terrain difficile et impraticable, et la nécessité de faire de<156> prompts détachements, obligèrent le Roi à se retirer. L'infanterie se replia par ligne, sans que l'ennemi fît mine de s'en apercevoir.

L'armée marcha à Bernstadt, et se campa sur les hauteurs de Jauernick jusqu'à la Neisse; au delà de cette rivière, le corps de M. de Winterfeldt s'étendit jusqu'à Radmeritz. On envoya un détachement pour relever la brigade de Görlitz, avec laquelle M. de Grumbkow156-a eut ordre de se rendre en Silésie, pour nettoyer les frontières des partis ennemis qui y commettaient des désordres, et pour veiller en même temps à la sûreté de la forteresse de Schweidnitz. Le Roi remit le commandement de l'armée au prince de Bevern, en lui adjoignant M. de Winterfeldt, qui était proprement son homme de confiance; il leur recommanda surtout de couvrir avec soin les frontières de la Silésie; après quoi il partit avec dix-huit bataillons et trente escadrons, pour s'opposer aux entreprises des Français et des troupes de l'Empire. Pour ne point interrompre les faits de cette campagne, tous liés les uns aux autres, nous n'avons pas fait mention de la campagne de l'armée alliée, commandée par le duc de Cumberland; la connexion des choses exige que nous en fassions à présent une courte récapitulation.

Dès le commencement d'avril, les Français occupèrent les villes de Clèves et de Wésel, où ils ne rencontrèrent aucune résistance. Le comte de Gisors s'empara de Cologne, dont les Français avaient dessein de faire leur place de guerre. M. d'Estrées, qui devait prendre le commandement de l'armée, y arriva les premiers jours du mois de mai; il s'avança le 26 et campa avec toutes ses troupes à Münster. Le duc de Cumberland rassembla les siennes à Bielefeld, d'où il avait poussé un détachement à Paderborn à l'approche de M. d'Estrées, dont l'armée se campa à Rhéda. Le duc se retira à Herford, sur quoi les Français envoyèrent un détachement en Hesse, qui, n'y trouvant aucune opposition, s'empara de tout le pays; Cassel même,<157> la capitale du Landgraviat, se rendit après une faible résistance. Le duc de Cumberland ne voulait tenir ferme que derrière le Wéser, selon le projet des ministres de Hanovre, qui regardaient le passage de cette rivière comme plus difficile que celui du Rhin; le prince la fit passer à ses troupes sur les ponts qu'il avait fait préparer dans les villages de Rehme et de Vlotho; il donna en même temps des ordres pour qu'on travaillât à fortifier les villes de Münden et de Hameln : c'était y penser bien tard.

Les Français de leur côté se portèrent sur Corbie; un de leurs détachements, ayant passé le Wéser, donna lieu au duc de changer sa position, et il se campa, la droite à Hameln, la gauche à Afferde. Le duc d'Orléans fit en même temps établir des ponts à Münden pour y passer le Wéser. Le duc de Cumberland, qui s'attendait à être attaqué dans peu, rappela à lui tous ses détachements, et les rassembla à Hastenbeck, dont on lui avait dépeint la position comme étant admirable. La droite de son armée s'y trouvait bien appuyée, au centre les troupes se repliaient en forme de coude, devant elles se trouvait un bois, et dans ce bois un ravin assez considérable. L'armée française s'approcha de celle des alliés; le 25 se passa en reconnaissances de la part de M. d'Estrées, et en canonnades de la part du duc de Cumberland.

Le lendemain, les Français attaquèrent sa gauche en se glissant par ce ravin au fond du bois; ils emportèrent la batterie du centre des alliés. Le prince héréditaire de Brunswic157-a la reprit l'épée à la main, et fit connaître par ce coup d'essai que la nature le destinait à devenir un héros. En même temps, un colonel hanovrien, nommé Breitenbach, se détache de lui-même, rassemble les premiers bataillons qu'il<158> rencontre, entre dans le bois, prend les Français à dos, les chasse; il leur prend leurs canons et leurs drapeaux : tout le monde croit la bataille gagnée par les alliés; M. d'Estrées, qui voit ses troupes en déroute, ordonne la retraite; le duc d'Orléans s'y oppose; enfin, au grand étonnement de toute l'armée française, on apprend que le duc de Cumberland est en pleine marche, et qu'il se replie sur Hameln. Le Prince héréditaire fut obligé d'abandonner cette batterie qu'il avait reprise avec tant de gloire, et cette retraite se fit avec tant de précipitation, qu'on oublia même ce brave colonel Breitenbach qui avait si bien mérité cette journée : ce digne officier demeura seul maître du champ de bataille; il partit la nuit pour joindre l'armée; il apporta ses trophées au duc, qui pleura de désespoir de s'être trop précipité la veille à quitter un champ de bataille dont on ne lui disputait plus la possession. Quelques représentations que lui fissent le duc de Brunswic et des généraux de son armée, on ne put jamais le dissuader de continuer sa retraite. Il marcha d'abord à Nienbourg, ensuite à Verden, d'où il prit par Rotenbourg et Bremervörde le chemin de Stade. Par cette manœuvre malhabile il abandonna tout le pays à la discrétion des Français : Hameln fut d'abord occupé par le duc de Fitzjames; mais ce qu'il y eut de singulier et de remarquable, fut que M. d'Estrées fut rappelé pour avoir remporté une victoire.

Le duc de Richelieu, auquel la cour donna le commandement de cette armée, arriva le 7 à Münden; il prit Hanovre, le duc d'Ayen, Brunswic, et M. Le Voyer, Wolfenbüttel. Il envoya le prince de Soubise avec un détachement de vingt-cinq mille hommes à Erfurt, où il devait être joint par l'armée des cercles et un détachement d'Autrichiens. Le duc de Richelieu se mit de son côté aux trousses des alliés; il passa l'Aller, et se campa à Verden. M. d'Armentières s'empara en même temps de Brême le 1er de septembre. L'armée française s'avança vers Rotenbourg, dans l'intention d'attaquer le duc de Cumberland;<159> elle ne l'y trouva plus; ce prince s'était déjà replié sur Bremervörde, et évitait depuis la journée de Hastenbeck tout engagement avec l'ennemi. Dès que le Roi eut remarqué par les manœuvres du duc de Cumberland qu'il se bornait à défendre le Wéser, il prévit tout ce qui en résulterait, et rappela les six bataillons qu'il avait dans cette armée, pour les jeter dans Magdebourg, ce qui se fit très-à propos, comme nous le verrons dans la suite.

On voit par le tableau que nous venons de présenter, que le duché de Magdebourg était menacé de l'invasion des Français, et la ville, d'un siége; que la Saxe allait devenir la proie de cette armée qui s'assemblait à Erfurt; que les garnisons de Dresde et de Torgau allaient être perdues; enfin, que Berlin, cette capitale sans défense, était sur le point d'être envahie par les Suédois, qui avaient pénétré dans la Marche-Ukraine, et qui ne trouvaient qu'une poignée de monde qui s'opposât à leurs progrès. Dans ces conjonctures, les raisons les plus pressantes demandaient qu'un corps de troupes fît tête à tant d'ennemis. Le Roi se chargea de ce commandement, et se mit à la tête de peu de monde, pour ne point affaiblir son armée de Silésie, qui avait à combattre l'ennemi le plus redoutable.

Le prince de Bevern, auquel il restait cinquante bataillons et cent dix escadrons, se campa après le départ du Roi à la Landeskrone, près de Görlitz. M. de Winterfeldt plaça son détachement de l'autre côté de la Neisse sur le Holzberg,159-a proche du village de Moys. Le prince fit transporter son magasin de Bautzen à Görlitz. Le maréchal Daun et le prince de Lorraine se campèrent vis-à-vis de lui à Ossig, et ils détachèrent M. de Nadasdy à Schönberg, pour observer M. de Winterfeldt. Le comte de Kaunitz venait d'arriver à l'armée autrichienne, pour s'aboucher avec les généraux et régler les opérations ultérieures de la campagne. M. de Nadasdy, pour lui faire une galanterie, se proposa d'attaquer le poste de M. de Winterfeldt au Holzberg.<160> Ce poste n'était garni que de deux bataillons; les dix autres du même corps campaient à trois mille pas en arrière plus près de Görlitz. Le jour que l'attaque se fit, M. de Winterfeldt était pour sa personne auprès du duc de Bevern, avec lequel il avait quelques arrangements à prendre; on vint lui dire que l'ennemi attaquait son poste; il y accourut : le Holzberg était emporté avant qu'il y arrivât; il voulut en déloger l'ennemi; il s'avança à la tête de quatre bataillons, et eut le malheur d'être blessé mortellement. M. de Nadasdy, content de l'avantage qu'il venait de remporter, se retira de lui-même à Schönberg; les Prussiens perdirent douze cents hommes à cette affaire, et nombre de braves officiers. M. de Winterfeldt mourut de sa blessure,160-a et fut d'autant plus regretté dans ces circonstances, qu'il était l'homme le plus nécessaire à l'armée du prince de Bevern, et que le Roi n'avait compté que sur lui dans les mesures qu'il avait prises pour la défense de la Silésie.

Le lendemain de cette affaire, le prince de Bevern leva son camp; il se rendit par Catholisch-Hennersdorf et Naumbourg à Liegnitz, et négligea de prendre le camp de Löwenberg ou celui de Schmuckseiffen, par lesquels il aurait couvert la Silésie; et non content d'abandonner les frontières, il acheva de s'affaiblir en détachant quinze mille hommes, qu'il jeta dans les différentes places : ces fautes entraînèrent les fatalités qui l'accablèrent à la fin de la campagne.

Le maréchal Daun suivit les Prussiens; il marcha par Löwenberg et Goldberg, et se campa sur les hauteurs de Wahlstatt. Les Prussiens étaient dans un fond, la droite à Liegnitz, la Katzbach à dos, et la gauche au village de Beckern :160-b ils avaient tout à craindre dans ce terrain, un ennemi entreprenant en eût profité; le maréchal Daun<161> ne l'était pas. Cependant une après-midi, animé par le vin et par les discours du chevalier de Montazet, le prince de Lorraine voulut emporter quelque avantage sur l'ennemi; il fit avancer huit à dix bataillons de grenadiers et du canon, avec lesquels il fit attaquer le village de Beckern. Ce détachement était trop faible contre une armée; il n'était point soutenu : il fut repoussé par les troupes que le prince de Bevern fit avancer de la ligne pour soutenir le village; le régiment de Prusse infanterie161-a se distingua surtout à cette action. Cet essai fit comprendre au prince de Bevern que sa position était vicieuse, son camp mal pris, sa situation hasardée. Appréhendant d'être attaqué le lendemain avec des forces plus considérables, il repassa la nuit même la Katzbach, et marcha à Parchwitz; y ayant trouvé un corps d'Impériaux qui lui disputait le passage de la Katzbach, il fit des ponts sur l'Oder, passa la rivière, et se rendit par la rive droite de ce fleuve à Breslau, où il arriva le 1er d'octobre. Il repassa la rivière sur le pont de la ville, et prit position derrière le petit ruisseau de la Lohe, où il se retrancha; les Autrichiens se placèrent vis-à-vis de lui à Lissa. La cour de Vienne avait négocié des troupes de l'électeur de Bavière et du duc de Würtemberg,161-b qu'elle envoya alors en Silésie; ces corps se joignirent à la réserve de M. de Nadasdy aux environs de Schweidnitz, dont on les destinait de faire le siége. Nous suspendrons pour quelques moments le récit de la campagne de Silésie, pour suivre le Roi dans son expédition contre les Français.

Le Roi se rendit161-c d'abord à Dresde, d'où il détacha M. de Seydlitz161-d avec un régiment de hussards et un régiment de dragons pour<162> Leipzig, afin de donner la chasse à M. de Turpin, qui avec des troupes légères rôdait du côté de Halle. Les Français se retirèrent à l'approche des Prussiens, de sorte que M. de Seydlitz, devenant inutile dans cette partie, vint rejoindre le Roi entre Grimma et Rötha. De Rötha les troupes marchèrent à Pégau; l'ennemi y avait détaché deux régiments de hussards impériaux, Szeczini et Esterhazy. Cette ville est située de l'autre côté de l'Elster, sur laquelle un pont de pierre aboutit à la porte. L'ennemi avait garni cette porte et quelques toits des maisons voisines, pour en défendre l'entrée. M. de Seydlitz fit mettre pied à terre à une centaine de hussards, qui forcèrent la porte; le gros du régiment les suivit et entra dans Pégau en pleine carrière; MM. de Székely162-a et de Kleist162-a la traversèrent; en sortant par la porte opposée, ils trouvent ces deux régiments ennemis postés derrière un chemin creux; ils les attaquent, les renversent, les poursuivent jusqu'à Zeitz, et en ramènent trois cent cinquante prisonniers.

Le lendemain, l'armée du Roi se porta sur Naumbourg; l'avant-garde y rencontra six escadrons de ceux qu'elle avait battus la veille; ils furent bientôt dissipés, et perdirent surtout beaucoup de monde en passant le pont de la Saale, proche de Schulpforte; on rétablit ce pont, et les troupes le passèrent pour se rendre à Buttstedt. Ce fut là qu'on reçut la nouvelle de cette fameuse convention signée entre le duc de Cumberland et le duc de Richelieu à Kloster-Zeven : ce traité fut négocié par un comte Lynar, ministre du roi de Danemark; il y fut stipulé que les hostilités cesseraient; que les troupes de Hesse, de Brunswic et de Gotha seraient renvoyées dans leur pays; que celles<163> de Hanovre demeureraient tranquillement à Stade à l'autre bord de l'Elbe, dans un district qui leur fut assigné; rien ne fut réglé touchant l'électorat de Hanovre, ni des contributions, ni des restitutions, de sorte que cet État se trouvait abandonné à la discrétion des Français. A peine cette convention fut-elle conclue, que, sans en attendre la ratification, le duc de Cumberland s'en retourna en Angleterre, et le duc de Richelieu se prépara de son côté à faire une invasion dans la principauté de Halberstadt.

Dans ce temps, on intercepta dans l'armée prussienne des lettres du comte Lynar au comte de Reuss; ces deux hommes, de la secte qu'on nomme piétistes, avaient l'esprit abruti par le fanatisme. Le comte de Lynar, en parlant à son ami de cette négociation, lui dit : « L'idée qui me vint de faire cette convention, était une inspiration céleste; le Saint-Esprit m'a donné la force d'arrêter les progrès des armes françaises, comme autrefois Josué arrêta le soleil; Dieu tout-puissant, qui tient l'univers en ses mains, s'est servi de moi indigne, pour épargner ce sang luthérien, ce précieux sang hanovrien qui allait être répandu. »163-a Le malheur a voulu que le comte Lynar s'est applaudi tout seul : nous le laisserons entre Josué et le soleil, pour en revenir à des objets plus intéressants.

Cette indigne convention acheva de déranger les affaires du Roi; sa soi-disant armée était de dix-huit mille hommes, et il se trouvait réduit à faire un détachement pour couvrir Magdebourg, ou pour en renforcer la garnison. Cependant, comme M. de Soubise se trouvait à Erfurt, il voulut tenter les moyens de l'en éloigner, afin de pouvoir s'affaiblir ensuite avec moins de danger. Le Roi s'avança pour cet effet à Erfurt avec deux mille chevaux, un bataillon franc<164> et deux bataillons de grenadiers; sa surprise fut extrême lorsqu'il vit l'armée française décamper de la Cyriaksbourg en sa présence. M. de Soubise, ne se croyant pas en sûreté à Erfurt, se retira effectivement à Gotha. A peine fut-il parti, qu'on somma la ville de se rendre, et l'on convint par la capitulation que le fort de Saint-Pierre demeurerait neutre, que la ville serait occupée par les Prussiens, et que l'ennemi évacuerait la Cyriaksbourg.

Dès que les troupes eurent pris une espèce de position auprès d'Erfurt, le prince Ferdinand de Brunswic partit de l'armée avec cinq bataillons et sept escadrons, pour couvrir Magdebourg et tenir tête à l'armée de M. de Richelieu. Ce prince pouvait encore se renforcer de six bataillons qu'il pouvait tirer de la place; mais ces mesures, les seules que l'on pût prendre dans ces conjonctures, étaient faibles, et insuffisantes pour résister à cinquante mille Français, surtout s'ils avaient voulu agir avec vigueur. Le prince Ferdinand, bien résolu de suppléer par son habileté au peu de moyens qu'on lui fournissait, prit un détour pour se rendre à Magdebourg; en marchant par Égeln, il donna sur le régiment de Lusignan, dont il fit quatre cents hommes prisonniers; de là il vint se poster fièrement à Wanzleben, d'où il semblait défier M. de Richelieu, qui campait à Halberstadt. Les partis prussiens eurent de la supériorité sur les Français pendant tout ce bout de campagne, et il se passa peu de jours sans qu'ils n'amenassent des prisonniers au prince.

Dans l'état où se trouvait le Roi, il fallait avoir recours à tout, employer la ruse et la négociation, enfin tous les moyens possibles, pour adoucir la situation des affaires; d'ailleurs on ne perdait, en faisant des tentatives, que la peine d'avoir imaginé des expédients frivoles. Dans cette intention, le colonel Balbi partit déguisé en bailli, pour se rendre auprès du duc de Richelieu; il connaissait ce duc, pour avoir fait quelques campagnes en Flandre avec lui. Balbi devait faire des propositions pour ramener la cour de Versailles à des sentiments<165> plus doux et plus pacifiques; il s'aperçut que le duc de Richelieu, se défiant de son crédit, ne croyait pas avoir assez d'influence auprès du ministère et du Roi, pour leur faire changer de système et d'opinion sur l'alliance avec la maison d'Autriche, qui, étant récemment conclue, plaisait par sa nouveauté même. Cet émissaire, voyant que tout ce qu'il pourrait dire sur ce sujet ne mènerait à rien, se rabattit à demander au duc qu'il voulût au moins avoir quelques ménagements pour les provinces du Roi où il faisait la guerre. En même temps, on régla avec lui les contributions; et il n'est pas douteux que les sommes qui passèrent entre les mains du maréchal, ne ralentirent dans la suite considérablement son ardeur militaire.

Bientôt le Roi fut encore obligé d'affaiblir son armée par un nouveau détachement : il envoya le prince Maurice à Leipzig avec dix bataillons et dix escadrons; il s'y tint comme dans une position centrale, d'où il fût à portée de se joindre dans le besoin au Roi ou au prince Ferdinand, et d'où il pût avoir l'œil sur M. de Marschall, campé à Bautzen avec quinze mille Autrichiens : ce corps de M. de Marschall inquiétait avec d'autant plus de raison, que, la Lusace étant ouverte, tout était à craindre qu'il ne fît une irruption dans l'Électorat et même à Berlin. Cette capitale était également menacée du côté de la Poméranie par les Suédois, dont M. de Manteuffel avec cinq cents hussards et quatre bataillons retardait les progrès. Après que ces deux corps eurent quitté le camp d'Erfurt, il ne resta plus au Roi que huit bataillons et vingt-sept escadrons. Si l'ennemi s'était aperçu de la faiblesse de ce corps, il n'est pas douteux qu'il ne se fût mis en action; c'est ce qu'il fallait empêcher sur toute chose, et ce qui fit recourir à différents expédients pour en imposer au peuple d'Erfurt et aux Français mêmes : par cette raison, les troupes ne campèrent point; l'infanterie était répandue dans les villages voisins de la ville; on lui fit changer à différentes reprises de quartiers, et comme chaque fois les régiments changeaient de nom, cela multipliait l'ordre<166> de bataille, que les espions recueillaient avec soin pour en instruire le prince de Soubise.

Deux jours après que les Prussiens eurent pris Erfurt, le Roi fit une reconnaissance vers Gotha avec vingt escadrons de hussards et de dragons, pour éprouver si l'on n'en pourrait pas déloger ces deux régiments de hussards impériaux si souvent battus; cela réussit au delà de ce qu'on devait espérer : l'appréhension que ces hussards avaient des Prussiens, précipita leur retraite; proche de Gotha, ils avaient un défilé à passer, où ils perdirent cent quatre-vingts hommes; on les poursuivit même jusqu'à la vue d'Eisenach, où campait M. de Soubise, qui venait d'être joint par le prince de Hildbourghausen, général en chef de l'armée des cercles. La maison ducale fut charmée de se voir débarrassée de ces hôtes indiscrets; elle avait également à se plaindre des Français et des Autrichiens : les Français avaient commis des violences au château, dont ils avaient enlevé les canons par force; et les officiers autrichiens, peu mesurés dans leurs propos, s'étaient comportés avec une arrogance peu convenable envers des princes souverains d'une des plus anciennes maisons de l'Empire.

M. de Seydlitz demeura avec cette cavalerie à Gotha, pour veiller de là sur les mouvements de l'ennemi, et avertir à temps la petite armée d'Erfurt, pour que dans le besoin elle pût se replier avant l'approche de l'armée d'Eisenach. Peu de jours après, M. de Seydlitz fut attaqué par un corps bien supérieur au sien. Le prince de Hildbourghausen voulut signaler son commandement par un coup d'éclat : il proposa au prince de Soubise de déloger les Prussiens de Gotha. Tous deux se mirent en marche avec les grenadiers de leur armée, la cavalerie autrichienne, Loudon et ses pandours, et toutes les troupes légères de l'armée française. M. de Seydlitz fut averti à temps du projet que les ennemis formaient contre lui; bientôt il les vit paraître : une colonne de cavalerie embrassait Gotha par la droite, en cheminant sur la crête des hauteurs qui vont vers la Thuringe; une autre<167> colonne de cavalerie, ayant les hussards devant elle, venait à gauche du côté de Langensalza; les pandours à la tête des grenadiers formaient la colonne du centre. M. de Seydlitz s'était mis en bataille à une certaine distance de Gotha, les hussards en première ligne, les dragons de Meinike167-a en seconde; il avait envoyé les dragons de Czettritz167-b à un défilé qui était à un demi-mille derrière lui, avec ordre de se mettre sur un rang, pour former un front étendu qui pût en imposer aux ennemis; cela n'empêchait pas que ce régiment ne fût très-à portée de protéger sa retraite, s'il s'était vu obligé de céder au nombre. Cette manœuvre habile et rusée fit prendre le change au prince de Hildbourghausen; il crut que l'armée prussienne, qu'il croyait considérable, était en marche pour soutenir M. de Seydlitz, et que cette grande ligne de cavalerie qu'il découvrait, allait incessamment fondre sur lui. M. de Seydlitz s'aperçut, par la contenance mal assurée des hussards autrichiens, que son stratagème faisait impression; il les poussa insensiblement, et de choc en choc gagnant toujours du terrain, il les obligea à repasser ce défilé où ils avaient peu de jours auparavant tant souffert; la colonne de cavalerie qui faisait la droite des ennemis, se retira en même temps. M. de Seydlitz alors envoya quelques hussards et dragons dans Gotha; ils y entrèrent précisément comme le prince de Darmstadt167-c avec les troupes<168> des cercles commençait à s'en retirer, et y firent nombre de prisonniers. La précipitation avec laquelle le prince de Darmstadt abandonna Gotha, pensa devenir funeste à M. de Soubise; il était au château, et ne s'attendait pas à une aussi prompte évacuation; il n'eut que le temps de se jeter à cheval pour s'enfuir bien vite; cent soixante soldats et trois officiers de marque furent pris dans cette journée par les Prussiens. Tout autre officier que M. de Seydlitz se serait applaudi de se tirer de ce mauvais pas sans perte; M. de Seydlitz n'aurait pas été satisfait de lui-même, s'il ne s'en fût pas tiré avec avantage. Cet exemple prouve que la capacité et la résolution d'un général décident plus à la guerre que le nombre des troupes : un homme médiocre qui se fût trouvé dans de pareilles circonstances, découragé par l'appareil imposant des ennemis, se serait retiré à leur approche, et aurait perdu la moitié de son monde dans une affaire d'arrière-garde, que cette cavalerie supérieure aurait engagée au plus vite. Le bon emploi de ce régiment de dragons étendu et montré de loin à l'ennemi procura à M. de Seydlitz le moyen de se tirer avec autant de gloire d'une affaire aussi épineuse.

Le Roi n'avait pu jusqu'alors que tenir les choses en suspens; il ne pouvait rien entreprendre, et devait tout attendre du bénéfice du temps. Il se tint tranquillement à Erfurt, jusqu'à ce qu'il apprit qu'un détachement français de l'armée de Westphalie était en chemin pour se rendre par la Hesse à Langensalza. Comme il ne devait pas attendre l'arrivée de ce corps, qui pouvait lui tomber à dos, il résolut de se retirer avant son approche. Le bruit se répandant d'ailleurs que M. de Hadik traversait la Lusace pour pénétrer dans le Brandebourg, le prince Maurice avait été obligé de gagner Torgau à tire-d'aile; il devait vraisemblablement pousser de là jusqu'à Berlin. Le Roi, n'ayant donc aucun secours à attendre, ne jugea pas à propos de prolonger davantage son séjour à Erfurt, et pour ne rien hasarder mal à propos, il se replia sur l'Eckartsberg; des courriers fréquents<169> y arrivèrent de Dresde; M. de Finck marquait que le corps de Marschall était sur le point de quitter Bautzen pour suivre celui de Hadik : il était certain que le prince Maurice n'était pas assez fort pour résister à ces deux généraux; cela fit résoudre le Roi à lui mener un renfort, Les troupes repassèrent la Saale à Naumbourg; le maréchal Keith se jeta avec quelques bataillons dans Leipzig; le Roi passa l'Elbe à Torgau, et marcha sur Annabourg, où il apprit que Berlin en avait été quitte pour une contribution de deux cent mille écus qu'elle avait payée aux Autrichiens; que M. de Hadik n'avait pas attendu l'arrivée du prince Maurice pour se retirer, et que M. de Marschall était demeuré immobile dans son camp de Bautzen. La première idée qui lui vint alors, fut de couper la retraite à M. de Hadik; il se rendit en conséquence à Herzberg. Le prince Maurice était déjà sur son retour; le Roi voulut l'attendre, parce que Hadik avait déjà repassé Cottbus; il demeura quelques jours dans cette position, pour s'éclaircir sur les projets ultérieurs des Français, qui devaient décider du parti qu'il avait à prendre, soit de s'opposer à leurs entreprises, soit, au cas que la campagne de Thuringe fût finie, de tourner vers la Silésie, pour dégager Schweidnitz, dont M. de Nadasdy commençait à former le siége.

Mais les événements entraînèrent le Roi dans des opérations qu'il ne pouvait pas prévoir alors. Le départ des Prussiens d'Erfurt engagea M. de Soubise à passer la Saale et à s'approcher de Leipzig; le maréchal Keith en donna avis, et demanda avec empressement des secours : il fallut accourir au plus pressé. Le Roi prit sur-le-champ avec sa petite troupe le chemin de Leipzig; il nettoya d'abord la rive droite de la Mulde, où M. de Custine s'était avancé avec quelques brigades; après quoi il entra à Leipzig, où il fut joint par le prince Maurice et par le prince Ferdinand de Brunswic. On se rendit d'abord maître de la grande chaussée qui mène à Lützen. Le 30, l'ar<170>mée se trouvant rassemblée, elle alla se camper à Alt-Ranstädt, d'où M. de Retzow fut détaché en avant pour garder le défilé de Rippach. La nuit même, le Roi se mit en marche pour tomber sur les quartiers ennemis dispersés à l'entour de Weissenfels; la plupart se sauvèrent, hors celui de Weissenfels. On attaqua les trois portes de la ville, avec ordre aux officiers de gagner sans délai le pont de la Saale, pour qu'on fût maître de ce passage important. La ville fut forcée, on y prit cinq cents hommes; mais ceux de la garnison qui s'étaient sauvés, avaient mis le feu au pont couvert, qui étant tout de charpente s'embrasa facilement; il n'y eut pas moyen déteindre l'incendie, parce que l'ennemi, embusqué derrière des murs à l'autre bord, faisait un si gros feu de mousqueterie, que tous ceux qui s'empressaient à sauver le pont, étaient tués ou blessés. Bientôt de nouvelles troupes parurent de l'autre côté de la rivière, dont le nombre, allant toujours en grossissant, convainquit de l'impossibilité de tenter le passage de la Saale à cet endroit. Mais comme ce n'était que la tête de l'armée qui était arrivée à Weissenfels, et que la partie la plus considérable des troupes était encore en pleine marche, on leur fit prendre la direction de Mersebourg, dans l'espérance de pouvoir se servir du pont de cette ville.

Lorsque le maréchal Keith y arriva, il trouva que les Français y étaient établis, et que le pont était rompu; il ne balança pas sur le parti qui lui restait à prendre : il prit quelques bataillons, et se rendit à Halle, dont il délogea les Français, et rétablit le pont qu'ils y avaient également détruit. L'armée du Roi se trouvait donc alors avoir sa droite à Halle, son centre vis-à-vis de Mersebourg, et sa gauche à Weissenfels, couverte par la Saale, assurant sa communication derrière cette rivière par des corps détachés, qui veillaient également sur les démarches des ennemis. Le maréchal Keith passa le premier cette rivière proche de Halle; sur ce mouvement, qui ne pouvait être d'aucune conséquence pour les Français, M. de Soubise abandonna<171> tous les bords de la Saale, et se replia sur le village de Saint-Michel.171-a Les Prussiens employèrent ce jour et la nuit suivante à rétablir les ponts de Weissenfels et de Mersebourg. Le 3, de grand matin, le Roi et le prince Maurice passèrent ces ponts; leurs colonnes et celle du maréchal Keith se dirigèrent sur Rossbach, où elles avaient ordre de se joindre. Le Roi se détacha de la marche avec quelque cavalerie, pour reconnaître la position des ennemis : elle était des plus mauvaises. Les hussards, par étourderie, poussèrent dans le camp, et enlevèrent des chevaux de la cavalerie, et des soldats qu'ils arrachèrent de leurs tentes; ces circonstances, jointes au peu de précautions des généraux français, déterminèrent le Roi à marcher le lendemain pour les attaquer.

L'armée quitta son camp avant la pointe du jour; toute la cavalerie faisait l'avant-garde. Comme elle arriva sur les lieux d'où on avait la veille reconnu le poste des ennemis, elle ne les y trouva plus; sans doute que M. de Soubise, ayant fait réflexion sur la défectuosité de son camp, en avait changé la nuit même; il avait étendu ses troupes sur une hauteur devant laquelle régnait un ravin : sa droite s'appuyait à un bois qu'il avait fortifié d'un abatis et de trois redoutes garnies d'artillerie; sa gauche était environnée par un étang assez spacieux pour qu'on ne le pût pas tourner. L'armée du Roi se trouvait trop faible en infanterie pour brusquer un poste aussi formidable : pour peu que la défense eût été opiniâtre, on ne l'aurait emporté qu'en y sacrifiant vingt mille hommes. Le Roi jugea que cette entreprise surpassait ses forces, et il envoya des ordres à l'infanterie de passer un défilé marécageux qui se trouvait près de là, pour prendre le camp de Braunsdorf; la cavalerie la suivit, faisant l'arrière-garde. Dès que les Français virent que les troupes prussiennes se repliaient, ils firent avancer leurs piquets avec de l'artillerie, et canonnèrent beaucoup, mais sans effet. Tout ce qu'ils avaient de musiciens<172> et de trompettes faisaient des fanfares; leurs tambours et leurs fifres faisaient des réjouissances, comme s'ils avaient gagné une victoire. Quelque fâcheux que fût ce spectacle pour des gens qui n'avaient jamais craint d'ennemi, il fallut dans ces circonstances le considérer avec des yeux indifférents, et opposer le flegme allemand à l'étourderie et à la fanfaronnade française.

On apprit, la nuit même, que l'ennemi faisait un mouvement de sa gauche à sa droite : les hussards se mirent en campagne dès la pointe du jour; ils entrèrent dans le camp que les Français venaient de quitter, et ils apprirent des paysans que les Français avaient pris le chemin de Weissenfels. Peu après, un corps assez considérable se forma vis-à-vis de la droite des Prussiens; il avait l'aspect d'une arrière-garde, ou d'une troupe qui couvre la marche d'une armée. Les Prussiens tenaient peu de compte de ces mouvements, parce que leur camp était couvert, tant le front que les deux ailes, par un marais impraticable, et qu'il n'y avait que trois chaussées étroites par lesquelles on pût venir à eux. On ne pouvait donc prêter que trois desseins à l'ennemi : celui de se retirer, par Freybourg, dans la haute Thuringe, parce que les subsistances lui manquaient; celui de prendre Weissenfels, mais les ponts en étaient détruits; ou celui de gagner Mersebourg avant le Roi, pour lui couper le passage de la Saale : or, l'armée prussienne en était beaucoup plus près que celle des Français; cette manœuvre était d'autant moins à craindre, qu'elle menait à une bataille dont on pouvait se promettre un succès heureux, puisqu'on n'aurait point de poste à forcer. Le Roi envoya beaucoup de partis en campagne, et attendit tranquillement dans son camp jusqu'à ce que les intentions des ennemis se fussent plus clairement développées; car un mouvement fait à contre - temps ou précipité aurait gâté toutes les affaires. Des nouvelles, tantôt fausses, tantôt vraies, que rapportaient les batteurs d'estrade, entretinrent cette incertitude jusque vers midi, qu'on aperçut la tête des colonnes françaises, qui,<173> à une certaine distance, tournaient la gauche des Prussiens. Les troupes des cercles se perdirent aussi insensiblement de leur vieux camp, de sorte que ce corps qu'on prenait pour une arrière-garde, et qui était en effet la réserve de M. de Saint-Germain, demeura seul vis-à-vis des Prussiens. Le Roi fut lui-même reconnaître la marche de M. de Soubise, et il fut convaincu qu'elle était dirigée sur Mersebourg : les Français marchaient très-lentement, parce qu'ils avaient formé différents bataillons en colonnes, qui les arrêtaient chaque fois que les chemins étroits les obligeaient de se rompre.

Il était deux heures lorsque les Prussiens abattirent leurs tentes; ils firent un quart de conversion à gauche et se mirent en marche. Le Roi côtoya l'armée de M. de Soubise; ses troupes étaient couvertes par le marais qui vient de Braunsdorf, et qui, s'étendant à un gros quart de lieue de là, se perd à deux mille pas de Rossbach. M. de Seydlitz faisait l'avant-garde du Roi avec toute la cavalerie; il eut ordre de se glisser par des bas-fonds dont cette contrée est remplie, pour tourner la cavalerie française, et fondre sur les têtes de leurs colonnes avant qu'elles eussent le temps de se former. Le Roi ne put laisser au prince Ferdinand, qui commandait ce jour-là la droite de l'armée, que les vieilles gardes de la cavalerie, qu'il mit sur un rang pour en faire montre; ce qui se pouvait d'autant mieux, qu'une partie du marais de Braunsdorf couvrait cette droite. Les deux armées, en se côtoyant, s'approchaient toujours davantage. L'armée du Roi tenait soigneusement une petite élévation qui va droit à Rossbach; celle des Français, qui ne connaissait pas apparemment le terrain, marchait par un fond. Le Roi fit établir une batterie sur cette hauteur, dont les effets devinrent décisifs dans l'action : les Français en établirent une vis-à-vis dans un fond, et comme elle tirait de bas en haut, elle ne produisit aucun effet.

Pendant qu'on prenait ces arrangements de part et d'autre, M. de Seydlitz avait tourné la droite des ennemis, sans qu'ils s'en aper<174>çussent; il fondit alors avec impétuosité sur cette cavalerie; les deux régiments autrichiens formèrent un front et soutinrent le choc; mais se trouvant abandonnés par les Français, à l'exception du régiment de Fitzjames, qui donna, ils furent presque entièrement détruits. L'infanterie des deux armées était encore en marche, et leurs têtes n'étaient qu'à la distance de cinq cents pas : le Roi aurait voulu gagner le village de Reichartswerben; mais comme il restait encore six cents pas pour y arriver, et qu'on s'attendait d'un moment à l'autre de voir engager l'action, il y détacha le maréchal Keith avec cinq bataillons, en quoi consistait toute sa seconde ligne; le Roi s'avança en même temps à deux cents pas des deux lignes françaises, et il s'aperçut que leur ordre de bataille était composé de bataillons en colonnes alternativement enlacés dans des bataillons étendus. Cette aile de M. de Soubise était en l'air, la cavalerie prussienne encore occupée à poursuivre celle des ennemis, de sorte qu'on ne put se servir que de l'infanterie pour la déborder : pour cet effet, le Roi mit en ligne deux bataillons de grenadiers qui faisaient un crochet à son flanc gauche; ils eurent ordre, au moment que les Français avanceraient, de faire une demi-conversion à droite, ce qui les portait nécessairement sur le flanc de l'ennemi. Cette disposition fut exécutée ponctuellement : aussi, dès que les Français avancèrent, ils reçurent le feu de ces grenadiers en flanc, et, après avoir essuyé tout au plus trois décharges du régiment de Brunswic, on vit que leurs colonnes se pressaient vers leur gauche; elles eurent bientôt resserré ces bataillons étendus qui les séparaient; la masse de cette infanterie devenait de moment en moment plus grosse, plus lourde et plus confuse; plus elle se précipitait sur sa gauche, plus elle était débordée par le front des Prussiens. Et tandis que le désordre allait en s'accroissant dans l'armée de M. de Soubise, le Roi fut averti qu'un corps de cavalerie ennemie se présentait à dos de ses troupes : il fit rassembler en hâte les premiers escadrons que l'on put trouver; à peine les eut-il<175> opposés à ceux qui se montraient derrière son front, que ces derniers se retirèrent avec promptitude; alors les gardes du corps et les gendarmes furent mis en œuvre contre l'infanterie française, qui se trouvait dans le plus grand dérangement; la cavalerie l'attaqua, et l'ayant facilement dispersée, elle fit un nombre considérable de Français prisonniers. Il était six heures du soir quand ce choc se donna; le temps était couvert, et l'obscurité si grande, qu'il y aurait eu de l'imprudence à poursuivre l'ennemi, quelle que fût la confusion dans laquelle il poursuivait sa déroute. Le Roi se contenta d'envoyer à ses trousses différents partis de cuirassiers, de dragons et de hussards, dont aucun ne passait trente maîtres. Pendant cette action, dix bataillons de la droite des Prussiens avaient gardé le fusil sur l'épaule sans charger; le prince Ferdinand de Brunswic, qui les commandait, n'avait pas quitté le marais de Braunsdorf, qui couvrait une partie de son front; il avait chassé les troupes des cercles qui lui étaient opposées, par quelques volées de canon qui leur firent lâcher pied. Il n'y eut que sept bataillons de l'armée du Roi qui furent dans le feu, et tout l'engagement du combat, jusqu'à la décision, ne dura qu'une heure et demie.

Le lendemain, le Roi partit dès la pointe du jour avec les hussards et les dragons; il suivit les traces des ennemis, qui s'étaient retirés par Freybourg. L'infanterie eut ordre de prendre le même chemin; l'arrière-garde française y était encore; les dragons mirent pied à terre, et chassèrent des jardins quelques détachements ennemis; ensuite on fit des dispositions pour attaquer le château; mais l'ennemi n'en attendit pas l'exécution : il repassa l'Unstrut en hâte et brûla ses ponts. Les détachements que le Roi avait faits la veille, arrivèrent alors successivement : les uns amenaient des officiers, d'autres des soldats, d'autres des canons; enfin aucun d'eux ne revint les mains vides. On travailla cependant avec tant de diligence à rétablir le pont de l'Unstrut, qu'en moins d'une heure il fut en état de servir.<176> L'armée de M. de Soubise s'était répandue par tant de chemins, qu'on ne savait par lequel la suivre. Les paysans assuraient que le plus grand nombre des fuyards avait pris la route de l'Eckartsberg, et le Roi y marcha avec ses troupes. Toute cette journée ne s'employa qu'à augmenter le nombre des prisonniers : les détachements qui s'envoyèrent en différents lieux en amenèrent tous. Cependant on trouva l'Eckartsberg garni par un corps des cercles, qui pouvait être de cinq à six mille hommes. Le Roi, qui n'avait d'autre infanterie que les volontaires de Mayr, les embusqua avec des hussards dans un bois voisin de ce camp, avec ordre d'alarmer l'ennemi toute la nuit  : les cercles, mécontents de ce qu'on troublait leur sommeil, abandonnèrent leur poste, et ils y perdirent quatre cents hommes, avec dix pièces de canon. M. de Lentulus,176-a qui les suivit le lendemain jusqu'à Erfurt, leur enleva encore huit cents hommes, qu'il ramena au Roi.

La journée de Rossbach avait coûté dix mille hommes à l'armée de M. de Soubise. Les Prussiens en prirent sept mille prisonniers; ils y gagnèrent de plus soixante-trois canons, quinze étendards, sept drapeaux et une paire de timbales. Il est certain qu'en considérant la conduite des généraux français, on aura de la peine à l'approuver  : leur intention était sans contredit de chasser les Prussiens de la Saxe; mais l'intérêt de leurs alliés ne demandait-il pas plutôt qu'ils se bornassent simplement à contenir le Roi vis-à-vis d'eux, pour donner au maréchal Daun et au prince de Lorraine le temps d'achever la conquête de la Silésie? Pour peu qu'ils eussent encore arrêté le Roi en Thuringe, cette conquête était non seulement faite, mais la saison devenait de plus si rude et si avancée, qu'il aurait été impossible aux Prussiens de faire en Silésie les progrès dont nous aurons incessam<177>ment occasion de parler; et quant à la bataille qu'ils engagèrent si mal à propos, il est certain que M. de Soubise, par son incertitude et par sa disposition, mit de la possibilité à ce qu'une poignée de monde vînt à bout de le vaincre. Mais la manière dont la cour de France distinguait le mérite de ses généraux, parut plus surprenante que le reste : M. d'Estrées, pour avoir gagné la bataille de Hastenbeck, fut rappelé; M. de Soubise, pour avoir perdu celle de Rossbach, fut déclaré peu après maréchal de France. La bataille de Rossbach ne valait proprement au Roi que la liberté d'aller chercher de nouveaux dangers en Silésie. Cette victoire ne devint importante que par l'impression qu'elle fit sur les Français et sur les débris de l'armée du duc de Cumberland. D'un côté, M. de Richelieu, dès qu'il en reçut la nouvelle, quitta son camp de Halberstadt et se retira dans l'électorat de Hanovre; de l'autre, les troupes alliées, prêtes à mettre les armes bas, reprirent courage et relevèrent leurs espérances.

Un changement avantageux, arrivé à peu près en même temps dans le ministère britannique, dont nous parlerons bientôt, donna un nouveau nerf au gouvernement anglais. Ces ministres, honteux de l'affront que la convention de Kloster-Zeven imprimait à leur nation, résolurent avec d'autant plus de justice de la rompre, qu'elle n'avait été ratifiée ni par le roi d'Angleterre ni par le roi de France; ils travaillèrent d'abord à remettre l'armée de Stade en activité. Le roi d'Angleterre, dégoûté du duc de Cumberland, qui avait perdu la confiance des troupes, voulut mettre un autre général à leur tête; il demanda au Roi le prince Ferdinand de Brunswic, dont la réputation justement acquise s'était répandue en Europe : quoique les Prussiens perdissent par son absence un bon général dont ils avaient besoin, il était toutefois si important de relever cette armée des alliés, que le Roi ne put refuser la demande qu'on lui faisait.177-a Le prince Ferdinand<178> partit, se rendit à Stade par des chemins détournés, et il y trouva répandu aux environs un corps de trente mille hommes, que les Français, par inconséquence et par légèreté, avaient négligé de désarmer.

Pendant cette campagne de Thuringe, on découvrit qu'un Français nommé Fraigne, qui se tenait à la cour de Zerbst, envoyait des quincailliers et d'autres gens déguisés dans l'armée prussienne, pour rapporter ce qu'ils pouvaient y apprendre aux généraux français. On envoya un détachement à Zerbst, qui saisit cet aventurier, et le mena à la forteresse de Magdebourg.178-a Il se trouva que, par une de ces bizarreries de l'amour dont on ne saurait rendre raison, la princesse douairière de Zerbst avait épousé cet homme en secret. Elle fit grand bruit de cet événement, et se retira par dépit à Paris. Cette affaire pouvait avoir des suites par l'impression qu'elle aurait pu faire sur l'esprit de la grande-duchesse de Russie, fille de la princesse de Zerbst. Elle ignora ou désapprouva peut-être les engagements que sa mère avait pris avec cet aventurier, et il n'en résulta rien de fâcheux pour le Roi.

Ce prince revint de l'Eckartsberg à Freybourg, en même temps qu'un détachement que le maréchal Keith avait envoyé à Querfurt, retourna de la poursuite des Français. Jusqu'aux paysans des environs amenaient des prisonniers; ils étaient outrés des sacriléges que les soldats de M. de Soubise avaient commis dans les églises luthériennes : les choses auxquelles le peuple attache le plus de vénération,<179> avaient été profanées avec une indécence grossière, et la fougue effrénée des Français avait mis tous les paysans de la Thuringe dans les intérêts de la Prusse.

Cependant le Roi était sur son départ : les affaires de la Silésie demandaient sa présence et des secours; il se proposa de marcher droit à Schweidnitz, pour en faire lever le siége à M. de Nadasdy. Il partit pour la Silésie le 12 de novembre, de Leipzig, à la tête de dix-neuf bataillons et de vingt-huit escadrons. Le maréchal Keith marcha en même temps avec un petit corps pour pénétrer en Bohême du côté de Leitmeritz, afin de faciliter au Roi le passage de la Lusace, et d'obliger par cette diversion M. de Marschall à quitter les environs de Bautzen et de Zittau. Le maréchal Keith prit un magasin considérable que les ennemis avaient à Leitmeritz, d'où il fit mine de s'avancer vers Prague. Le Roi entra en même temps en Lusace; il délogea M. de Hadik de Grossenhayn, et M. de Marschall à son approche se replia sur Lobau; en marche de Bautzen au Weissenberg, on fit tourner une tête de colonne vers Löbau, et à son aspect M. de Marschall se replia sur Gabel : le Roi poursuivit ensuite sa route sans empêchement. En arrivant à Görlitz, il reçut la fâcheuse nouvelle de la reddition de Schweidnitz. Cette place fut prise de la manière suivante : M. de Nadasdy avait ouvert la tranchée le 27 d'octobre, entre le fort de Bögendorf et la tuilerie; sa troisième parallèle était achevée le 10 de novembre. La garnison avait fait quelques sorties avec succès; quoique les bombes eussent ruiné une partie de la ville, l'ennemi n'avait encore emporté aucun ouvrage; impatient d'être aussi peu avancé, M. de Nadasdy se détermina à risquer un coup de main : la nuit du 11, il fit donner un assaut général à toutes les redoutes qui environnent le corps de la place, et deux furent emportées. Ce malheur fit tourner la tête à M. de Seers,179-a qui en était gouverneur, et<180> à M. de Grumbkow, qui lui était adjoint : ils capitulèrent et se rendirent prisonniers de guerre avec leur garnison, consistant en dix escadrons de hussards et dix bataillons d'infanterie. Les Autrichiens désarmèrent ces troupes, et comme elles étaient la plupart silésiennes, ils leur donnèrent des passe-ports et la liberté de retourner à leurs villages. Cet événement ne pouvait pas arriver plus mal à propos pour déranger les projets du Roi. Toutefois sa jonction avec le prince de Bevern en devenait d'autant plus nécessaire, qu'il était aisé de prévoir que M. de Nadasdy, ayant pris Schweidnitz, joindrait le maréchal Daun, pour accabler ce qui restait de Prussiens auprès de Breslau.

Le Roi avait à la vérité ordonné au prince de Bevern d'attaquer l'ennemi, et de ne pas souffrir qu'on prît Schweidnitz pour ainsi dire à sa vue : la chose était très-faisable, vu la position des Autrichiens à Lissa; le prince de Bevern n'avait qu'un mouvement à faire pour se porter sur le flanc de l'ennemi, qu'il aurait battu probablement; alors le siége de Schweidnitz était levé, et les Impériaux déconcertés : au lieu qu'en demeurant dans l'inaction, M. de Nadasdy ne pouvait pas manquer à la longue de prendre une place qui n'avait point de secours à espérer; et toutes ces troupes ennemies, venant à fondre sur les Prussiens, auraient enfin forcé les retranchements de la Lohe. Le malheur voulut que ce prince ne comprît pas la force de ces raisons; les généraux le déterminèrent cependant un jour à tenter cette entreprise; il sortit de son camp, et battit les troupes légères qui couvraient le flanc droit des Autrichiens : alors, au lieu d'attaquer l'armée et de la pousser dans l'Oder, comme cela serait arrivé, son incertitude, sa timidité, le peu de confiance qu'il avait en lui-même, et la crainte d'une entreprise dont l'événement n'est jamais d'une sûreté évidente, le retinrent; il crut en avoir fait assez, et il ramena les troupes dans ses retranchements.

Le Roi arriva à Naumbourg-sur-le-Queis le 24 de novembre; il y apprit la victoire des Autrichiens sur le prince de Bevern, et la<181> perte de Breslau. Tout ce dont on avait averti le prince de Bevern était malheureusement arrivé trop exactement : M. de Nadasdy avait joint le prince de Lorraine et le maréchal Daun, et les ennemis, impatients d'achever leur conquête, ne perdirent point de temps pour mettre leur projet en exécution. La nuit du 21 au 22 de novembre, ils construisirent devant le front des Prussiens quatre grandes batteries de grosses pièces de canon; les emplacements qu'ils prirent étaient entre Pilsnitz et Gross-Mochber. Le prince de Bevern se contenta d'être spectateur de cet ouvrage, qu'il leur laissa achever tranquillement, tandis que ces apprêts annonçaient les desseins du maréchal Daun sur les retranchements prussiens. M. de Nadasdy longea la Lohe et se forma vers Gabitz; le prince de Bevern crut que c'était pour lui venir à dos, quoique cela fût difficile, et il s'affaiblit encore par un détachement, qui marcha à Gabitz aux ordres de M. de Zieten, pour s'opposer de ce côté aux entreprises des ennemis. Le front du camp prussien derrière la Lohe était couvert par des redoutes ouvertes par les gorges, mal placées, dont quelques-unes même étaient dominées de l'autre rive. Le prince de Bevern n'avait pas même eu l'attention d'y faire distribuer suffisamment de canon; la plupart de son artillerie demeura dans un retranchement qu'il avait fait faire dans un bas-fond, pour couvrir son flanc de la Lohe vers le faubourg de Breslau. Le maréchal Daun, qui avait eu le temps de bien voir et de bien examiner toutes ces négligences et toutes ces bévues, les fit tourner à son avantage.

L'attaque commença le 22, à neuf heures du matin; quelques redoutes furent prises et reprises alternativement; on fit agir la cavalerie prussienne dans un marais, où elle ne pouvait pas combattre, et où elle fut foudroyée par soixante canons que les Autrichiens avaient en batterie au delà du ruisseau. Cependant, malgré tant de fausses mesures, les Prussiens soutenaient encore leur terrain. A la gauche, vers Gabitz, M. de Zieten non seulement repoussa les at<182>taques, mais il poursuivit M. de Nadasdy jusqu'au delà de la Lohe, et les ennemis en déroute se retirèrent au delà du ruisseau de Schweidnitz. Pendant ce temps-là, les Autrichiens qui attaquaient le prince de Bevern, avaient passé la Lohe sous la protection de leur artillerie; ils prirent aussitôt les redoutes prussiennes par les gorges; les troupes se défendirent bien, et les Prussiens les en délogèrent même à diverses fois : le prince Ferdinand de Prusse repoussa même une partie des ennemis jusqu'à la Lohe; mais ils étaient trop en force, le camp était perdu et la nuit close.182-a Quoiqu'il y eût encore des ressources, le prince de Bevern ne les vit pas; il repassa l'Oder dans la première consternation, et jeta M. de Lestwitz avec huit bataillons dans Breslau; il perdit ainsi quatre-vingts pièces de canon et près de huit mille hommes, que l'attaque du camp de Lissa ne lui aurait pas coûtés. Les Autrichiens prétendirent que cette action leur avait mis dix-huit mille hommes hors de combat, et il est vrai que les villages des environs étaient remplis de leurs blessés. Le lendemain, ou pour mieux dire la nuit, le prince de Bevern s'avisa d'aller reconnaître le corps de M. de Beck, qui campait près de lui; il était seul, et se laissa prendre par des pandours. M. de Kyau, qui était après lui le plus ancien des généraux, prit le commandement des troupes, et sans aviser à ce qu'il y avait à faire, il prit le chemin de Glogau. A peine M. de Lestwitz se crut-il isolé dans Breslau, qu'il perdit la tramontane : les Autrichiens s'approchèrent de cette capitale, et M. de Lestwitz, qui jusqu'alors avait eu la réputation d'un brave officier, sans attendre que l'ennemi tirât un seul coup de canon contre les remparts, demanda à capituler, et obtint la libre sortie avec armes et bagages; il suivit, deux jours après, avec sa garnison dont la moitié déserta, le chemin que M. de Kyau avait pris.

<183>Le Roi reçut à la fois toutes ces nouvelles accablantes; sans s'appesantir sur les désastres qui venaient d'arriver, il ne songea qu'au remède, et il força de marche pour gagner les bords de l'Oder. En chemin, il se détourna de Liegnitz, que les Autrichiens avaient fait fortifier, et poussant droit à Parchwitz, son avant-garde donna à l'improviste sur un détachement des ennemis, qui fut bien battu et dont trois cents hommes furent pris prisonniers, et il arriva à Parchwitz le 28, ayant fait le chemin de Leipzig à l'Oder en douze jours.183-a Le Roi voulait que M. de Kyau passât l'Oder à Köben; mais il ne put pas y réussir, parce que la plupart des troupes avaient déjà gagné Glogau. Dans ces conjonctures, le temps était ce qu'il y avait de plus précieux; il n'y avait point de moment à perdre : il fallait ou attaquer incessamment les Autrichiens à tout prix, et les mettre hors de la Silésie, ou il fallait se résoudre à perdre cette province pour jamais.

L'armée qui repassa l'Oder à Glogau, ne put joindre les troupes du Roi que le 2 de décembre; cette armée était découragée et dans l'accablement d'une défaite récente. On prit les officiers par le point d'honneur; on leur rappela le souvenir de leurs anciens exploits; on tâcha de distraire les idées tristes dont l'impression était fraîche, par la gaieté; le vin fut même une ressource pour ranimer ces esprits abattus. Le Roi parla aux soldats; il leur fit distribuer des vivres gratis; enfin on épuisa tous les moyens que l'imagination pouvait fournir et que le temps permettait, pour réveiller dans les troupes cette confiance sans laquelle l'espérance de la victoire est vaine. Déjà les physionomies commençaient à s'éclaircir, et ces troupes qui venaient de battre les Français à Rossbach, persuadèrent à leurs com<184>pagnons qu'ils devaient prendre bon courage. Quelque peu de repos refit le soldat, et l'armée se trouva disposée à laver, aussitôt que l'occasion s'en présenterait, l'affront qu'elle avait reçu le 22. Le Roi chercha cette occasion, et bientôt elle se trouva. Il avança le 4 à Neumarkt; il était avec l'avant-garde des hussards, et apprit que l'ennemi établissait sa boulangerie dans cette ville, qu'elle était garnie de pandours, et qu'on y attendait dans peu l'armée du maréchal Daun. La hauteur située au delà de Neumarkt donnait un avantage considérable à l'ennemi, si on lui permettait de l'occuper : la difficulté était de prendre ce lieu; l'infanterie n'était point arrivée, et ne pouvait joindre l'avant-garde qu'au soir; on n'avait point de canon; les seules troupes dont on pouvait tirer parti étaient des hussards : on se résolut à faire de nécessité vertu. Le Roi, ne voulant pas souffrir que le prince de Lorraine vînt se camper à sa barbe vis-à-vis de lui, fit mettre pied à terre à quelques escadrons de hussards; ils enfoncèrent la porte de la ville; un régiment qui les suivait à cheval, y entra en pleine carrière; un autre régiment qui fit le tour par des faubourgs, gagna la porte de Breslau, et l'entreprise réussit au point que huit cents Croates furent pris prisonniers par les hussards. On occupa aussitôt l'emplacement du camp, et l'on y trouva des piquets, et les traces que les ingénieurs autrichiens y avaient laissées pour marquer la position de leurs troupes. Le prince de Würtemberg prit le commandement de l'avant-garde; on le renforça le soir de dix bataillons, avec lesquels il se campa à Kammendorf. Le même jour, la cavalerie passa encore le défilé; le gros de l'infanterie cantonna dans la ville de Neumarkt et dans les villages voisins. Des nouvelles positives arrivèrent alors au Roi, par lesquelles il apprit que le prince de Lorraine avait quitté le camp de la Lohe, et s'était avancé au delà de Lissa; que son armée avait sa droite appuyée au village de Nippern, sa gauche à Gohlau, et à dos le petit ruisseau de Schweidnitz. Le Roi se réjouit de trouver l'ennemi dans une telle position, qui facili<185>tait son entreprise; car il était obligé et déterminé d'attaquer les Autrichiens partout où il les trouverait, fût-ce même au Zobtenberg.

On travailla d'abord à la disposition de la marche, et l'armée se mit en mouvement le 5, avant l'aube du jour; elle était précédée par une avant-garde de soixante escadrons et de dix bataillons, à la tête de laquelle le Roi s'était mis en personne; les quatre colonnes de l'armée la suivaient à une petite distance; l'infanterie formait celles du centre, et celles des ailes étaient composées de cavalerie. L'avant-garde, en approchant du village de Borne, découvrit une grande ligne de cavalerie, dont la droite tirait vers Lissa, et dont la gauche, qui était plus avancée, s'appuyait à un bois que l'armée du Roi avait à sa droite. Du commencement, on crut que c'était une aile de l'armée autrichienne, dont on ne découvrait pas le centre; ceux qui en firent la reconnaissance, assurèrent que c'était une avant-garde; on apprit même qu'elle était commandée par le général Nostitz, et que le corps consistait en quatre régiments de dragons saxons et deux de hussards impériaux. Pour jouer à jeu sûr, on fit glisser les dix bataillons dans le bois qui couvrait le flanc gauche de M. de Nostitz; sur quoi la cavalerie prussienne, qui s'était formée, fondit dessus avec beaucoup de vivacité : dans un moment ces régiments furent dissipés et poursuivis jusque devant le front de l'armée autrichienne; on leur prit cinq officiers et huit cents hommes, qu'on renvoya le long des colonnes à Neumarkt, pour animer le soldat par l'exemple de ce succès. Le Roi eut de la peine pour arrêter la fougue des hussards, que leur ardeur transportait : ils étaient sur le point de donner au milieu de l'armée autrichienne, lorsqu'on les rassembla entre les villages de Heydau et de Frobelwitz, à une portée de canon de l'ennemi. On distinguait si bien de là l'armée impériale, qu'on aurait pu la compter homme par homme; sa droite, qu'on savait à Nippern, était cachée par le grand bois de Lissa; mais du centre jusqu'à la gauche, rien n'échappait à la vue. A la première inspection de ces<186> troupes, on jugeait par le terrain qu'il fallait porter les grands coups à l'aile gauche de cette armée : elle était étendue sur un tertre chargé de sapins, mais mal appuyée. Dès qu'on avait forcé ce poste, on gagnait l'avantage du terrain pour le reste de la bataille, parce que de là il va toujours en descendant et en baissant vers Nippern; au lieu qu'en s'attachant au centre, les troupes de l'aile droite autrichienne auraient pu, en traversant le bois de Lissa, tomber en flanc des assaillants, et qu'il aurait fallu toutefois finir par l'attaque de ce tertre, qui dominait sur toute cette plaine. C'aurait été réserver la besogne la plus dure et la plus difficile pour la fin, lorsque les troupes, harassées et fatiguées du combat, ne sont plus propres aux grands efforts; au lieu qu'en commençant par l'opération la plus rude, on profitait de la première ardeur du soldat, et le reste de l'ouvrage devenait aisé. Par une suite de ces raisons, on disposa incessamment l'armée pour l'attaque de la gauche. Les colonnes qui étaient dans l'ordre du déploiement furent renversées; on les mit sur deux lignes, et les pelotons par quart de conversion se mirent à défiler par la droite. Le Roi avec ses hussards côtoya la marche de son armée sur une chaîne de tertres qui cachait à l'ennemi les mouvements qui se faisaient derrière; et le Roi, se trouvant entre les deux armées, observait celle des Autrichiens et dirigeait la marche de la sienne. Il envoya des officiers de confiance, les uns pour observer la droite du maréchal Daun, les autres vers Canth pour veiller aux démarches de M. de Draskovics, qui y avait son camp. Des reconnaissances se firent en même temps le long du ruisseau de Schweidnitz, pour être sûr que rien ne vînt à dos de l'armée, lorsqu'elle s'engagerait avec l'ennemi.

Le projet que le Roi se préparait d'exécuter, était de porter toute son armée sur le flanc gauche des Impériaux, de faire les plus grands efforts avec sa droite, et de refuser sa gauche avec tant de prévoyance, qu'il n'eût point à craindre des fautes semblables à celles qui arri<187>vèrent à la bataille de Prague, et qui causèrent la perte de celle de Kolin. Déjà M. de Wedell,187-a qui devait avoir avec ses dix bataillons de l'avant-garde la première attaque, s'était rendu à la tête de l'armée; déjà les têtes des colonnes avaient gagné le ruisseau de Schweidnitz, sans que l'ennemi s'en aperçût. Le maréchal Daun prit le mouvement des Prussiens pour une retraite, et dit au prince de Lorraine : « Ces gens s'en vont, laissons-les faire. » Cependant M. de Wedell s'était formé devant les deux lignes d'infanterie de la droite; son attaque était soutenue par une batterie de vingt pièces de douze livres, dont le Roi avait dépouillé les remparts de Glogau. La première ligne reçut ordre d'avancer en échelons, les bataillons à cinquante pas de distance en arrière les uns des autres, de sorte que, la ligne étant en mouvement, l'extrémité de la droite se trouvait avancée de mille pas de plus que l'extrémité de la gauche, et cette disposition la mit dans l'impossibilité de s'engager sans ordre. Sur cela, M. de Wedell attaqua le bois où commandait M. Nadasdy; il n'y trouva pas grande résistance, et l'emporta assez vite. Les généraux autrichiens, se voyant tournés et pris en flanc, essayèrent de changer de position; ils voulurent, mais trop tard, former une ligne parallèle au front des Prussiens : tout l'art des généraux du Roi consista à ne leur en pas donner le temps. Les Prussiens s'établissaient déjà sur une hauteur qui commande le village de Leuthen; dans l'instant que l'ennemi voulut y jeter de l'infanterie, une seconde batterie de vingt pièces de douze livres s'exécuta sur eux si à propos, qu'ils en perdirent l'envie et se retirèrent. Du côté de l'attaque de M. de Wedell, les Autrichiens se saisirent d'une butte voisine du ruisseau, pour l'empêcher de balayer leur ligne d'une aile à l'autre; M. de Wedell ne les y souffrit pas long<188>temps, et après un combat plus long et plus opiniâtre que le précédent, il les força à lui céder le terrain. M. de Zieten, en même temps, chargea la cavalerie ennemie et la mit en déroute; quelques escadrons de sa droite reçurent une décharge à mitraille dans le flanc, des broussailles qui bordaient le ruisseau : ce feu reçu à l'improviste les ramena, et ils se reformèrent auprès de l'infanterie.

Les officiers qui avaient eu la commission d'observer la droite du maréchal Daun, vinrent sur cela avertir le Roi qu'elle traversait le bois de Lissa, et allait paraître incessamment dans la plaine; sur quoi M. de Driesen188-a reçut ordre d'avancer avec l'aile gauche de la cavalerie prussienne. Lorsque les cuirassiers autrichiens commencèrent à se former près de Leuthen, la batterie du centre de l'armée du Roi les salua par une décharge de toute son artillerie; M. de Driesen, en même temps, les attaqua : la mêlée ne fut pas longue; les Impériaux furent dispersés et s'enfuirent à vau-de-route. Une ligne d'infanterie qui s'était formée à côté de ces cuirassiers derrière Leuthen, fut prise en flanc par le régiment de Baireuth, qui, la rejetant sur les volontaires de Wunsch,188-b en prit deux régiments entiers avec officiers et drapeaux. Alors, la cavalerie ennemie étant tout à fait dissipée, le Roi fit avancer le centre de son infanterie sur Leuthen. Le feu fut vif et court, parce que l'infanterie autrichienne n'était qu'éparpillée entre les maisons et les jardins. En débouchant du village, on aperçut une nouvelle ligne d'infanterie que les généraux autrichiens formaient sur une éminence près du moulin à vent de Sagschütz : l'armée du Roi eut quelque temps à souffrir de leur feu; mais les ennemis ne s'étaient<189> pas aperçus dans cette confusion que le corps de M. de Wedell était dans leur voisinage; ils furent tout à coup pris en flanc et à dos par ce brave et habile général, et sa belle manœuvre, en fixant la victoire, termina cette importante journée.

Le Roi, ramassant les premières troupes qui se présentèrent, se mit à la poursuite des ennemis avec les cuirassiers de Seydlitz et un bataillon de Jeune-Stutterheim;189-a il s'avança dirigeant sa marche entre le ruisseau de Schweidnitz et le bois de Lissa. L'obscurité devint si grande, qu'il poussa quelques cavaliers en avant pour reconnaître les forêts et pour donner des nouvelles; de temps à autre, il fit tirer quelques volées de canon vers Lissa, où le gros de l'armée autrichienne s'était enfui : en approchant de ce bourg, l'avant-garde essuya une décharge d'environ deux bataillons, dont personne ne fut blessé; elle y répondit par quelques volées de canon, en poursuivant toujours sa marche. Chemin faisant, les cuirassiers de Seydlitz amenaient des prisonniers par bandes. En arrivant à Lissa, le Roi trouva toutes les maisons pleines de fuyards et de gens débandés de l'armée impériale; il s'empara d'abord du pont, où il plaça ses canons, avec ordre de tirer tant qu'il y aurait de la poudre. Sur le chemin de Breslau, où l'ennemi avait pris sa retraite, il fit jeter des pelotons d'infanterie dans les maisons les plus voisines du ruisseau de Schweidnitz, pour tirer, tant que la nuit dure, sur l'autre bord, tant pour entretenir la terreur chez les vaincus, que pour les empêcher de jeter quelques troupes de l'autre bord pour en disputer le passage le lendemain. Cette bataille avait commencé à une heure de l'après-midi; il en était huit lorsque le Roi avec son avant-garde arriva à Lissa.<190> Son armée était forte de trente-trois mille hommes lorsqu'elle entra en action avec celle des Impériaux, qu'on disait monter à soixante mille combattants. Si le jour n'eût pas enfin manqué aux Prussiens, cette bataille aurait été la plus décisive de ce siècle.

Les troupes n'eurent pas le temps de se reposer : elles partirent de Lissa qu'il était encore nuit, elles amassèrent en marche nombre de traîneurs des ennemis, et elles arrivèrent vers les dix heures sur les bords de la Lohe, où, malgré une forte arrière-garde, commandée par M. de Serbelloni, postée auprès de Gross-Mochber, dix bataillons passèrent ce ruisseau; on les forma dans un ravin à l'abri du canon des Autrichiens, et l'on embusqua les hussards derrière des villages et des censes, où ils étaient couverts et à portée d'agir aussitôt que cela deviendrait nécessaire. M. de Serbelloni hâta sa retraite autant qu'il put, et se replia vers les deux heures de l'après-midi sur Breslau; M. de Zieten, avec tous les hussards, vingt escadrons de dragons et seize bataillons, le suivit sur le pied. Une partie du monde de l'Autrichien se jeta sans ordre dans Breslau. Cette arrière-garde, pleine de terreur et se retirant en confusion, perdit beaucoup de soldats dans sa marche. M. de Zieten poursuivit l'armée du maréchal Daun par Borau, Reichenbach, Kunzendorf, à Reichenau, où il fut joint par M. de Fouqué, qui venait avec quelques troupes de Glatz. Ces deux généraux poussèrent les Autrichiens jusqu'en Bohême.

Le Roi, de son côté, forma le 7 la circonvallation de Breslau; on prit poste au faubourg de Saint-Nicolas, à Gabitz, aux Lehmgruben, à Hube et Dürrjentsch;190-a et comme la raison de guerre voulait qu'on enfermât la ville également de l'autre côté de l'Oder, le Roi envoya ordre à M. de Wied, qui avait été malade à Brieg, d'en sortir avec trois bataillons, auxquels on joignit cinq escadrons, pour se poster sur la grande chaussée qui mène de Breslau à Hundsfeld : il s'y retrancha le mieux qu'il put, pour empêcher la garnison de se sauver<191> en Pologne, au cas qu'elle l'eût voulu tenter. On se prépara à faire le siége de la ville : le Roi tira les munitions, les canons, les mortiers dont on avait besoin, des forteresses de Brieg et de Neisse. Ces préparatifs étant achevés le 10, six bataillons prirent possession du faubourg d'Ohlau; ces troupes s'établirent au couvent des frères de la Miséricorde, dont ils chassèrent les pandours. M. de Forcade191-a s'établit au cimetière de Saint-Maurice, où l'on construisit une batterie sous l'abri des murailles qui couvraient les travailleurs; et pour distraire l'attention du commandant et de la garnison, le prince Ferdinand de Prusse établit au faubourg de Saint-Nicolas une batterie et un bout de tranchée, qui firent croire à l'ennemi que c'était de ce côté-là que les Prussiens voulaient pousser leurs attaques, tandis que M. de Balbi191-b faisait sa parallèle du cimetière de Saint-Maurice jusque vis-à-vis de la porte de Schweidnitz; de cette parallèle, deux grandes batteries en croisière dirigeaient leur feu sur le Taschenbastion et sur le cavalier qui le commande. Les assiégés se défendirent mollement; ils tentèrent par le faubourg polonais, du côté de M. de Wied, une faible sortie, où ils perdirent trois cents hommes. Le 16, une bombe mit par hasard le feu au magasin de poudre du Taschenbastion; l'épaule sauta, et ses décombres formèrent une espèce de brèche. Le froid devint si violent, que le commandant craignit que malgré ses précautions, les fossés étant gelés, les Prussiens ne donnassent un assaut à la place; il craignit d'être pris d'emblée : il savait d'ailleurs que, l'armée impériale étant rechassée en Bohême, il n'avait aucun secours à en attendre. Ces différentes considérations le portèrent à capituler, et il se rendit lui et toute sa garnison prisonniers de guerre; il se trouva que quatorze mille hommes en avaient assiégé<192> dix-sept mille. Mais il fallait considérer qu'une partie de cette garnison était des fuyards de Leuthen, et qu'en général ni les fortifications ni le nombre des soldats ne défendent une ville, mais que tout dépend de la tête plus ou moins forte et du courage déterminé de celui qui y commande.

Nous avons rapporté sans interruption les événements de cette expédition de Silésie; peut-être ne serez-vous pas fâché de trouver ici le résumé des pertes qu'y firent les deux parties belligérantes.

Les Prussiens ne perdirent à la bataille de Leuthen, en morts et blessés, que deux mille six cent soixante hommes,192-a à cause qu'ils eurent, en exceptant la première attaque, un terrain qui les favorisa.

Les Autrichiens y perdirent trois cent sept officiers, vingt et un mille soldats, cent trente et un canons, cinquante et un drapeaux. MM. de Zieten et de Fouqué leur firent deux mille cinq cents prisonniers dans la poursuite. La prise de Breslau leur coûta treize généraux, six cent quatre-vingt-cinq officiers, et dix-sept mille six cent trente-cinq soldats;192-b somme totale : quarante et un mille quatre cent quarante-deux hommes, dont l'armée impériale fut affaiblie à son retour en Bohême.

Quoique cette campagne eût été longue, dure et pénible; quoique sa fin fût aussi heureuse qu'on eût pu l'espérer, il restait encore une expédition à faire, tant les dérangements arrivés en Silésie étaient considérables : il fallait reprendre la ville de Liegnitz, à laquelle les Impériaux avaient ajouté des inondations et des ouvrages. Le Roi y avait envoyé M. de Driesen, qui, avec un corps de cavalerie, tenait<193> cette ville investie depuis le 16. Le prince Maurice y arriva le 25 avec un détachement d'infanterie, pour en faire le siége dans les règles. Les apprêts s'en firent, le canon arriva. M. de Bülow, que le maréchal Daun y avait établi en qualité de commandant, préféra la conservation de sa garnison à une défense qu'il n'aurait pu soutenir à la longue : il demanda à capituler, et la libre sortie pour ses troupes; ce qu'on lui accorda volontiers, parce que les troupes étaient fatiguées à l'excès, et la gelée si forte, que les pelles et les pioches ne pouvaient plus ouvrir la terre. Les ouvrages et les écluses de la ville furent rasés, pour que, si les ennemis s'en emparaient une seconde fois, ils ne pussent pas si vite la remettre en état de défense et en faire une place de guerre. Toute la cavalerie fut employée ensuite à former le blocus de Schweidnitz; on réserva le siége de cette place pour le printemps prochain. Le corps de M. de Zieten forma un cordon qui prit de Schmiedeberg par Landeshut, Friedland, Braunau, et se terminait à Glatz. Les troupes entrèrent le 6 de janvier en quartier d'hiver, et le Roi demeura à Breslau, pour veiller lui-même à tout, et pour préparer ce qui était nécessaire pour que l'armée rétablie et en bon état pût de bonne heure ouvrir la campagne prochaine.

Pour terminer tous les événements de cette année, il nous reste à rapporter ce qui se passa en Prusse entre MM. de Lehwaldt et d'Apraxin, et ce que firent les Suédois en Poméranie. Le maréchal Apraxin s'approcha au mois de juin des frontières de la Prusse. Il se trouvait à la tête de cent mille hommes : le gros de son armée marcha vers Grodno, capitale de la Lithuanie polonaise; M. de Fermor, avec un corps de vingt mille hommes, secondé de la flotte russe, mit le siége devant Memel. La ville fut rendue par capitulation le 5 de juillet. M. de Lehwaldt s'était proposé de défendre les bords du Prégel, et s'était campé à Insterbourg, d'où il observait M. d'Apraxin. Après la<194> prise de Memel, l'armée ennemie pénétra en Prusse, en s'approchant d'Insterbourg; M. de Fermor s'avança, de son côté, vers le Prégel. Il semble que c'était le moment où le maréchal Lehwaldt aurait dû prendre un parti décisif pour se battre avec un de ces généraux; il n'en trouva peut-être pas l'occasion favorable. Le corps de M. de Fermor, qui arriva à Tilsit, lui donna des jalousies; il craignit d'être tourné, et se retira à Wehlau. Il avait dans son armée deux régiments de hussards qui faisaient au plus deux mille quatre cents hommes, et ces hussards non seulement résistèrent à douze mille Tartares et Cosaques que les Russes traînaient avec eux, mais remportèrent de plus, durant toute cette campagne, des avantages signalés contre ces barbares. Après la retraite du maréchal Lehwaldt, M. d'Apraxin, n'étant gêné par personne, se joignit à Insterbourg avec M. de Fermor; ils s'avancèrent tous les deux en côtoyant l'Alle, et vinrent se camper à Jägersdorf,194-a à un mille et demi de l'armée prussienne.

Le Roi avait donné carte blanche à M. de Lehwaldt194-b pour prendre tel parti qu'il jugerait à propos, tant à cause de l'éloignement des lieux, que des partis qui souvent rôdaient autour de l'armée du Roi, et qui auraient pu intercepter des dépêches de cette conséquence. M. de Lehwaldt, qui craignait qu'un corps de Russes ne s'approchât de Königsberg, dont les ouvrages sont trop vastes pour être défendus, et ne prît cette capitale, où il avait ses magasins, pendant qu'il serait contenu par le maréchal Apraxin, crut qu'il ne pouvait empêcher l'ennemi de tenter une pareille entreprise qu'en lui livrant bataille, et résolut d'aller l'attaquer dans son camp de Jägersdorf. Il se mit en marche le 29, et se porta dans un bois où il était précisé<195>ment dans le flanc des Russes; s'il avait attaqué cette armée tout de suite, il y a apparence qu'il l'aurait fait avec succès. Quoique son corps ne montât qu'à vingt-quatre mille hommes, il pouvait s'attendre à remporter des avantages, parce que les Russes furent surpris de le voir arriver, qu'ils ne s'attendaient pas à être attaqués, et qu'il régnait une grande confusion dans leur camp; ils étaient, outre cela, mal postés, et rien ne l'empêchait de marcher droit à eux. Il est impossible de dire quelles raisons le retinrent, et lui firent différer au lendemain ce qu'il pouvait exécuter sur-le-champ.

Il engagea l'affaire le 30. D'abord les hussards et les dragons prussiens firent plier devant eux la cavalerie russe et les Cosaques qui leur étaient opposés, et les rechassèrent jusqu'à leur camp. Les ennemis avaient changé, la nuit, de position, d'où il résulta que les dispositions que le maréchal de Lehwaldt avait faites la veille pour les attaquer dans le terrain où il les avait trouvés, ne cadraient plus avec l'emplacement actuel où il les trouvait alors; sa cavalerie de la gauche attaqua néanmoins celle des Russes, et la rejeta derrière son front; mais elle y essuya un feu si violent d'artillerie et de mitraille, qu'elle fut obligée de rejoindre l'infanterie prussienne. C'était dans le moment que M. de Lehwaldt attaquait un bois rempli d'abatis, dans lequel les Russes avaient placé leurs grenadiers; le bois était au centre de l'armée de M. d'Apraxin; ces grenadiers furent battus et presque tous détruits; mais le terrain fourré où cette action se passa, cachait aux Prussiens une manœuvre que faisaient alors les ennemis, et qui leur devint funeste : M. de Romanzoff s'avançait avec vingt bataillons de la seconde ligne des Russes, pour soutenir ces grenadiers; il se porta en flanc et à dos de l'infanterie prussienne; elle perdit insensiblement du terrain, et fut enfin obligée de se retirer. Cela se fit avec bonne contenance; les dragons et les hussards couvrirent sa retraite. Ce corps, qui ne fut point poursuivi par l'ennemi, revint à Wehlau re<196>prendre son ancien camp. Le maréchal ne perdit dans cette affaire en morts, blessés et prisonniers que quatorze cents hommes, et treize canons.

M. d'Apraxin demeura encore quelques jours dans son camp de Jägersdorf. Le 7 de septembre, il fit mine de vouloir passer l'Alle pour se porter en droiture sur Königsberg : il fallait bien qu'il ne prît pas cette expédition fort à cœur; car ayant trouvé un corps prussien qui lui disputait le passage de cette rivière, il se désista de son entreprise. Dix jours après, il décampa subitement de Jägersdorf, et se retira vers les frontières de la Pologne. Le maréchal de Lehwaldt le suivit pour la forme jusqu'à Tilsit, moins dans le dessein d'engager quelque affaire d'arrière-garde que pour en imposer au public. La disproportion des forces était trop grande entre ces deux armées, et l'échec qu'il avait reçu était trop récent; d'ailleurs il obtenait son but sans courir de risques; car l'ennemi se retirant de soi-même en Pologne, il n'y avait qu'à le laisser tranquillement poursuivre sa marche : M. d'Apraxin évacua toute la Prusse, à l'exception de Memel, dont les Russes demeurèrent en possession.

L'armée prussienne s'arrêta aux environs de Tilsit, trop heureuse de s'être débarrassée d'un ennemi aussi formidable, à si bon marché. Mais si elle avait échappé aux malheurs qui la menaçaient dans cette campagne, il n'était pas probable qu'elle jouît à la longue de la même fortune. Quand même le maréchal de Lehwaldt eût possédé tous les talents du prince Eugène, comment pouvait-il dans la suite de la guerre résister avec vingt-quatre mille Prussiens à cent mille Russes? Le Roi avait tant d'ennemis à combattre, et ses troupes étaient si considérablement fondues, qu'il lui était impossible d'envoyer des secours à son armée de Prusse; il était à craindre, et l'on pouvait même le prévoir, que les Russes, étendant leurs connaissances et leurs vues, ne corrigeassent les fautes qu'ils avaient faites, et ne déta<197>chassent, en ouvrant la campagne suivante, un corps considérable vers la Vistule, qui mettrait M. de Lehwaldt au risque d'être coupé de la Poméranie. On avait tout lieu de croire qu'étant entouré par des ennemis aussi nombreux, il aurait le même sort que le duc de Cumberland, avec la différence que les Russes, moins polis que les Français, l'auraient contraint de mettre les armes bas.

D'une autre part, les Suédois n'avaient fait des progrès en Poméranie que parce qu'ils n'avaient rencontré aucune résistance; ils étaient en possession d'Anclam, de Demmin, et du fort de Peenemünde, qu'ils avaient pris après un siége de quinze jours. La garnison de Stettin consistait en dix bataillons de milice, que les états de la Poméranie avaient levés. M. de Manteuffel,197-a à la tête de quatre bataillons, n'était pas en état de former de grandes entreprises. En laissant la distribution des armées telle qu'elle était alors, le Roi courait les plus grands hasards pour celle de Prusse, et risquait en même temps de voir la Poméranie envahie par les Suédois. Ces raisons le déterminèrent à concentrer davantage ses forces pour procéder avec plus de sûreté, et d'abandonner les extrémités de ses États, que le nombre de ses ennemis ne lui permettait plus de défendre. Ces motifs firent rappeler de Tilsit M. de Lehwaldt avec son armée; il marcha d'abord en Poméranie contre les Suédois, qu'il délogea promptement d'Anclam et de Demmin; il les poussa bientôt sous le canon de Stralsund, où ces troupes ne se croyant pas en sûreté, se réfugièrent dans l'île de Rügen. Une grande gelée qui survint ensuite, fit prendre tout le trajet, ou pour mieux dire, ce bras de mer qui sépare la Poméranie de cette île. Le maréchal de Lehwaldt aurait pu profiter de l'occasion, si son grand âge ne l'en eût empêché, pour passer avec son armée sur la glace à Rügen, où il aurait détruit toutes ces troupes<198> suédoises : au moins un coup pareil aurait-il délivré le Roi pour un temps d'un ennemi qui faisait une diversion fâcheuse. Quoique le maréchal de Lehwaldt n'eût pas entrepris tout ce qui était faisable, il fit toutefois dans cette courte expédition trois mille prisonniers sur les Suédois. Un détachement qu'il envoya assiéger le fort de Peenemünde, ne le reprit qu'au mois de mars de l'année suivante.

La multitude d'objets qu'il y avait à remplir pendant cette campagne, était immense; et comme on se trouvait pressé de faire de tous les côtés des efforts, on ne pouvait y réussir qu'en employant les mêmes troupes en différents endroits. Le prince Ferdinand de Brunswic avait trop peu de cavalerie dans son armée; il lui en fallait nécessairement pour l'entreprise qu'il méditait. Il importait au Roi que les Français fussent chassés de la Basse-Saxe et du Bas-Rhin, et pour y contribuer de sa part autant que sa situation le lui permettait, il détacha dix escadrons de dragons et cinq escadrons de hussards de l'armée du maréchal de Lehwaldt, avec ordre de joindre le prince Ferdinand de Brunswic à Stade. Ce prince tenta d'abord une entreprise sur Celle, qui ne réussit pas, d'un côté, parce que le maréchal de Richelieu, l'ayant prévenu, l'empêcha de passer l'Aller, et de l'autre, parce que ce pays aride, où il n'y a que des bruyères, ne put fournir à sa subsistance. Nonobstant que cette entreprise était manquée, il se rendit pourtant peu après maître de Haarbourg. Le Roi convint ensuite avec le prince Ferdinand du projet de sa campagne. Son avis allait à ce que les alliés se portassent sur le Wéser, par deux raisons, dont la première était pour ne point ruiner les capitales de l'électorat de Hanovre et du duché de Brunswic par les siéges qu'il faudrait y mettre pour les reprendre; la seconde raison portait sur ce que la crainte d'être coupés du Rhin porterait les Français à évacuer d'eux-mêmes ces provinces, surtout si un détachement des troupes prussiennes se montrait en même temps du côté de Brunswic. Le<199> prince Henri, qui était demeuré en Saxe pour se faire guérir d'une blessure qu'il avait reçue à Rossbach, devait commander ce détachement. On convint de tout, le concert fut bien pris, et nous verrons, au commencement de la campagne prochaine, les succès qui accompagnèrent le prince Ferdinand dans l'exécution de cette entreprise.

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CHAPITRE VII.

De l'hiver de 1757 à 1758.

Jamais campagne n'avait été plus féconde en révolutions subites de la fortune que celle que nous venons de décrire. Cette espèce de hasard qui préside aux événements de la guerre, s'était insolemment joué du destin des parties belligérantes : tantôt il avait favorisé les Prussiens de succès brillants, et tantôt il les avait précipités dans un abîme de malheurs. Les Russes avaient gagné une bataille en Prusse, et se retiraient de ce royaume comme s'ils avaient été battus. Les Français, sur le point de désarmer le duc de Cumberland, paraissaient les arbitres de l'Allemagne; mais à peine cette nouvelle a-t-elle le temps de se répandre en Europe, qu'on apprend la défaite d'une de leurs armées, et qu'on voit comme ressusciter cette armée du duc de Cumberland qu'on croyait n'exister déjà plus. Cette suite d'événements décisifs et contraires avait comme étourdi l'Europe : tout le monde voyait l'incertitude de ses projets, des desseins renversés autant que de conçus, et de nombreux corps de troupes presque détruits en un seul jour. Il fallut quelques moments de tranquillité pour que les esprits se recueillissent, et que chaque puissance pût<201> considérer de sang-froid la situation où elle se trouvait. D'un côté, l'ardent désir de la vengeance, l'ambition blessée, le dépit, le désespoir remirent les armes à la main des empereurs et des rois qui formaient la grande alliance; de l'autre, la nécessité de continuer la guerre, et quelques rayons d'espérance portèrent la Prusse à faire les plus grands efforts pour se soutenir. Un nouveau ferment donna un nouveau degré d'activité à la politique, et les cours respectives se préparèrent, chacune de son côté, à pousser la guerre avec plus d'acharnement, de fureur et d'opiniâtreté que par le passé. Voilà, en général, le tableau des passions qui agitaient les princes et leurs ministres. La nature de cet ouvrage exige que nous descendions en de plus grands détails, et que nous parcourions successivement toutes les cours de l'Europe, pour nous représenter distinctement ce qui se passait dans chacune.

Il s'était fait, dès l'automne dernière, un changement dans le ministère britannique. M. Fox, que le duc de Cumberland y avait intrus par ses intrigues, s'aperçut qu'il ne pouvait plus se soutenir dans ce poste, à cause que la cabale qui lui était opposée, gagnait la supériorité; il résolut de se démettre volontairement de ses charges : il fut remplacé par M. Pitt, que l'éloquence et le génie élevé rendaient l'idole de la nation; c'était la meilleure tête de l'Angleterre. Il avait subjugué la chambre basse par la force de la parole, il y régnait, il en était, pour ainsi dire, l'âme. Parvenu au timon des affaires, il appliqua toute l'étendue de son génie à rendre sa patrie la dominatrice des mers, et pensant avec grandeur et élévation, il fut indigné de la convention de Kloster-Zeven, qu'il regardait comme l'opprobre des Anglais. Ses premiers pas dans sa nouvelle carrière allèrent tous à faire abolir jusqu'à la mémoire de ce traité honteux : ce fut lui qui persuada au roi d'Angleterre de mettre le prince Ferdinand de Brunswic à la tête de l'armée des alliés, et de le demander au roi de Prusse; ce fut lui qui proposa de renforcer les troupes d'Allemagne<202> par un corps d'Anglais, qui les joignit effectivement dans l'année 1758. De plus, il jugea convenable à la gloire de sa nation de renouveler les alliances qu'elle avait contractées tant avec le roi de Prusse qu'avec divers princes d'Allemagne. Il envoya à cette fin M. Yorke202-a en Silésie, où une nouvelle convention fut signée : par l'un des articles, le roi d'Angleterre s'engageait à payer au roi de Prusse un subside annuel de quatre millions d'écus, pour la durée de cette guerre. Le Roi se trouvait dans la nécessité d'accepter ce subside, qui d'ailleurs répugnait à sa façon de penser : mais les Français l'avaient dépouillé des provinces qu'il possédait dans le Bas-Rhin; il était à la veille de voir envahir la Prusse par les Russes. Cela pouvait d'autant moins s'empêcher, que le maréchal Lehwaldt avait été obligé d'accourir en Poméranie pour s'opposer aux Suédois. Après tout, ce subside était le seul secours à tirer de l'Angleterre, puisqu'elle avait décliné à plusieurs reprises la demande qu'on lui avait faite d'envoyer une escadre dans la Baltique.

M. Pitt envoya dans ce temps le chevalier Keith en Russie, pour balancer par ses intrigues celles du parti français et autrichien, et pour tenter de dessiller les yeux de l'Impératrice, fascinés et aveuglés par les préventions qu'on lui avait inspirées contre le roi de Prusse. M. Goderich partit, dans une vue à peu près semblable, pour la Suède; mais le parti français, qui dominait despotiquement dans le sénat de Stockholm, fit jouer tous ses ressorts pour interdire à cet Anglais l'entrée du royaume : M. Goderich resta en Danemark, et les sénateurs s'applaudirent d'avoir empêché que l'argent de l'Angleterre ne culbutât leur système. Tandis que M. Pitt prenait de si justes mesures pour la politique, les ports de la Grande-Bretagne se remplissaient de vaisseaux; les projets pour la campagne de mer et de terre étaient arrêtés, et une activité nouvelle ranimait toutes les branches du gouvernement.

<203>Le chevalier Keith, qui, pendant ces entrefaites, était arrivé à Pétersbourg, n'y trouva point la cour dans une disposition avantageuse aux commissions dont il était chargé; les ministres d'Autriche, de France, de Saxe, y étaient tout-puissants par le moyen de leurs intrigues et de leurs profusions; ils avaient gagné le comte Iwan Schuwaloff, favori d'Élisabeth, qui gouvernait alors l'Impératrice et par conséquent l'empire. Les ministres, mécontents du peu de progrès de l'armée russe, surtout de sa retraite à la fin de la campagne dernière, tâchaient de faire passer leur enthousiasme pour cette guerre dans l'esprit de l'Impératrice, et l'excitaient à faire, la campagne prochaine, de plus grands efforts que par le passé; ils s'aperçurent que leurs menées étaient secrètement traversées par le grand chancelier Bestusheff, et ils résolurent de le culbuter, comme en effet ils y réussirent. Nous avons dépeint dans cet ouvrage ce comte Bestusheff comme un homme qui, par passion, s'était fait un principe d'être l'ennemi juré des Prussiens. Deux raisons, ayant altéré ces sentiments de haine, avaient influé sur son changement de conduite : l'une était sa forte pension, que les Anglais continuaient de lui payer, et l'autre, la possession où le Roi se trouvait des archives de Dresde. On avait trouvé dans ces archives une lettre où il conseille au comte de Brühl de se défaire par le poison d'un résident russe à Varsovie, dont ces deux ministres étaient également mécontents, comme lui, disait-il, s'était défait du sieur de Castéras, dont il craignait l'esprit délié. M. de Bestusheff n'avait point de répugnance pour commettre des crimes, mais il ne voulait pas qu'on le sût; et la crainte que cette lettre odieuse ne fût publiée, l'engagea de promettre au Roi de lui rendre des services importants, pour qu'il consentît à la supprimer. C'était à quoi le Roi fut facile à disposer, et le ministre fut exact, de son côté, à remplir son engagement : car il dressa l'instruction du maréchal Apraxin d'une manière aussi favorable aux intérêts du Roi que les conjonctures le permettaient; ce fut l'unique cause de ce<204> que les Russes évacuèrent les États du Roi à la fin de la campagne. M. de Bestusheff fut encouragé dans cette conduite par les conseils du grand-duc et de la grande-duchesse de Russie, qui tous les deux avaient les sentiments les plus favorables pour la cause du Roi. Le Grand-Duc, prince de Holstein par sa naissance, avait puisé dans l'histoire de ses ancêtres une haine implacable contre les Danois, causée par les injustices criantes que les rois de Danemark avaient faites à sa famille; le Grand-Duc, craignant alors que les affaires du Roi ne prissent une tournure qui l'obligeât à se lier avec les Danois, lui offrit son crédit et tous les services qu'il pourrait lui rendre en Russie, pourvu qu'il n'entrât en aucun engagement avec ces ennemis constants du Holstein. Le Roi accepta l'offre; il promit de ne faire aucun traité avec le Danemark, et quoique cette condescendance ne lui valût pas d'avantages récents, on verra, par la suite de cet ouvrage, que cette liaison étroite avec le grand-duc de Russie bouleversa les grands projets des Autrichiens. Avec quelque secret que toutes ces affaires se traitassent, il en perça cependant quelque chose; les ministres de France et d'Autriche s'aperçurent d'une variation de conduite du côté du grand chancelier; ils eurent vent des ordres qu'il avait expédiés pour le maréchal Apraxin, et ils se servirent du favori de l'Impératrice, Iwan Schuwaloff, pour faire disgracier ce ministre et causer toutes sortes de déboires à la jeune cour. Depuis ce moment, tout plia devant ces ambassadeurs en Russie, et ils entraînèrent l'impératrice Élisabeth dans des mesures violentes et peu conformes aux véritables intérêts de son empire.

La cour de Vienne avait reçu des secousses si fortes à la fin de la dernière campagne, que sa constance en fut ébranlée. Elle s'était crue sur le point de terminer la guerre, et regardait comme faite la conquête de la Silésie; déchue tout à coup de ces idées flatteuses, elle vit son armée ruinée, dont les débris à peine purent se sauver en Bohême. Ces malheurs inattendus ralentirent son ardeur pour la<205> guerre, et tant de projets avortés firent qu'elle ne sentit plus le même éloignement ni cette aversion insurmontable pour la paix. Le style de sa chancellerie et les écrits de Ratisbonne s'adoucirent. Cependant l'aigreur et la grossièreté y reparurent aussitôt que les espérances revinrent. Tant que dura la première impression de l'infortune, l'Impératrice-Reine voulut se rapprocher du Roi, soit pour entamer une négociation, soit pour se faire une réputation de magnanimité. Le comte Kaunitz avertit le Roi d'une conspiration imaginaire formée contre lui, dans laquelle deux Napolitains et un Milanais avaient trempé. Le Roi lui fit répondre, par le comte Finck, qu'il était obligé à l'Impératrice de l'information qu'elle voulait bien lui donner; mais que comme il y avait deux manières d'assassiner, l'une par le poignard, l'autre par des écrits injurieux et déshonorants, il assurait l'Impératrice qu'il faisait peu de cas de la première, et qu'il était infiniment plus sensible à la seconde. Cela n'empêcha pas que l'indécence et le scandale de ces écrits ne continuât, et ne s'accrût même, selon que les succès de la guerre favorisèrent les armes autrichiennes. La France apprit avec un sensible chagrin les dispositions pacifiques de l'Impératrice-Reine, parce que la défection de cette princesse aurait porté un préjudice considérable à ses affaires. Tant qu'elle demeurait en guerre avec l'Angleterre sur mer et en Allemagne, Louis XV, piqué de l'affront que l'affaire de Rossbach avait imprimé à ses armes, espérait de trouver dans la continuation de la guerre l'occasion de prendre sa revanche; et les ministres de la France travaillèrent à Vienne avec une application infinie à ranimer toutes les passions calmées de cette cour. La honte, pour une grande puissance, d'être abattue par un petit prince fit le plus d'impression sur l'esprit de l'Impératrice; l'ancienne animosité contre la Prusse se réveilla, les dispositions pour la paix s'évanouirent, et les liaisons d'amitié et d'intelligence entre les cours de Vienne et de Versailles se resserrèrent plus intimement : ainsi, au lieu que les succès des Prussiens dégoû<206>tassent les puissances avec lesquelles ils étaient en guerre, ils les firent redoubler d'efforts pour paraître plus redoutables et plus dangereux que jamais à l'ouverture de la campagne prochaine.

Des mesures semblables se prenaient de la part du Roi pour rétablir pendant l'hiver l'armée, et la remettre en état d'agir avec vigueur. Il y avait à réparer les pertes qu'entraînaient sept batailles rangées que les Prussiens avaient livrées à leurs ennemis; mais quelque monde qu'eût consumé la guerre, cela n'approcha pas des ravages que des maladies épidémiques faisaient dans les hôpitaux; c'étaient des espèces de fièvres chaudes accompagnées de tous les symptômes de la peste; les malades tombaient en délire le premier jour de la maladie; ils prenaient des charbons au cou ou bien aux aisselles : que les médecins saignassent ou ne saignassent point, cela était égal; la mort emportait indifféremment tous ceux qui se trouvaient atteints de ce mal; le poison était même si violent, que, par des progrès rapides, les effets devenaient si prompts, que dans trois jours il mettait un homme au tombeau. On se servit sans effet de toutes sortes de remèdes; enfin, on eut recours à l'émétique, qui réussit; on en délaya trois grains dans une mesure d'eau, on en fit boire au malade jusqu'à ce que le remède commençât d'opérer, et ce fut un spécifique souverain contre cette maladie, car depuis que l'on s'en servit, de cent personnes à qui on le fit prendre, il en périt à peine trois. Sans doute que les causes de la maladie ne venaient que d'une transpiration arrêtée par le froid, et des indigestions causées par de mauvaises nourritures, qui ne pouvaient être guéries que par de fortes évacuations, et non par d'autres remèdes. Quoique le monde que l'armée perdit dans les hôpitaux fût considérable, on parvint cependant à rassembler pendant l'hiver la plupart des recrues dont on avait besoin pour recompléter l'armée; mais il fut impossible de s'en servir d'abord au printemps, parce que c'étaient, la plupart, des paysans qu'il fallait exercer et discipliner, et que la campagne commença de très-bonne heure.

<207>La maison royale perdit cette année la Reine mère.207-a Le Roi reçut cette funeste nouvelle après la bataille de Kolin et dans un temps où la fortune s'était le plus déclarée contre les Prussiens; il en fut vivement touché : il avait vénéré et adoré cette princesse comme une tendre mère, que ses vertus et ses grandes qualités rendaient l'admiration de ceux qui avaient le bonheur de l'approcher. Sa mort causa, non un deuil de cérémonie, mais une calamité publique : les grands regrettèrent son abord facile et gracieux; les petits, sa débonnaireté; les pauvres, leur refuge; les malheureux, leur ressource; les gens de lettres, leur protectrice; et tous ceux de sa famille qui avaient l'honneur de lui appartenir de plus près, croyaient avoir perdu une partie d'eux-mêmes, et se sentaient plus frappés qu'elle du coup qui venait de l'emporter.

On ne peut pas en dire autant de la reine de Pologne, qui mourut à Dresde, détestée des Saxons pour son intolérance, de la cour pour ses tracasseries, de sa famille pour son austérité rigoureuse, mais canonisée par les jésuites pour avoir fondé une église catholique dans le sein de l'hérésie. On disait à Dresde que le Te Deum de la bataille de Rossbach avait tué cette princesse, en irritant la haine qu'elle avait contre les Prussiens, et qu'elle était obligée de supprimer. Cependant un abcès qui lui creva tout à coup dans la poitrine, fut la cause véritable de sa mort. Lorsque cette nouvelle arriva à Varsovie, le comte de Brühl avait tout préparé pour faire saigner le roi de Pologne en la lui apprenant; mais ce prince la reçut avec assez de sang-froid, et répondit au comte de Brühl que ce n'était pas la peine de le saigner. La perte d'un de ses bouffons, nommé Joseph, qui mourut peu après, lui fut plus sensible, et on ne put l'en consoler qu'en le menant à la chasse pour dissiper sa douleur.

Cette même année finit ses jours le sultan Osman; son successeur passa pour un prince plus hardi et plus entreprenant que lui. Le<208> bruit de sa réputation réchauffa, dès son avénement au trône, les intrigues du ministre de Prusse à la Porte. Il s'agissait d'être admis aux audiences du Grand Seigneur. Il y avait plus d'un an que le sieur de Rexin postulait cette faveur sans pouvoir l'obtenir; et il fallait avoir été admis à cette audience pour entamer les négociations dont il était chargé, avec le grand vizir et avec les principaux officiers de la couronne. Nous verrons dans la suite de cet ouvrage les différentes formes que prit cette négociation, et nous aurons lieu de remarquer souvent combien peu les nations orientales sont susceptibles de suivre les principes d'une bonne et saine politique. Ce défaut vient surtout de leur grande ignorance sur les intérêts des princes de l'Europe, de la vénalité de ces peuples, et du vice du gouvernement, qui assujettit tout ce qui est relatif à la paix et à la guerre aux décisions du mufti, sans le fetfa duquel il serait impossible de mettre en mouvement les troupes ottomanes.

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CHAPITRE VIII.

Campagne de 1758.

Le prince Ferdinand de Brunswic fut, cette année, le premier qui ouvrit la campagne : il avait une forte tâche à remplir; il ne s'agissait pas de moins que de chasser quatre-vingt mille Français de la Basse-Saxe et de la Westphalie, avec trente mille Hanovriens qui, trois mois auparavant, avaient été près de mettre les armes bas et de signer un traité honteux. Il détacha un corps sur le Wéser, qui se rendit maître de Verden, et un autre sous le Prince héréditaire, qui marcha des deux côtés de cette rivière, arriva à Hoya, dont ce jeune héros s'empara par sa valeur et par sa bonne conduite. M. de Saint-Germain fut à peine instruit de ces progrès, qu'il évacua Brême, où il avait une garnison de douze bataillons. Il en attira à lui quatorze autres qui hivernaient dans le voisinage, avec lesquels il prit le chemin de la Westphalie. Tandis que le Prince héréditaire prenait Hoya, dont le pont sur le Wéser devenait important pour les alliés, le prince Ferdinand de Brunswic passait l'Aller avec le gros de ses troupes. M. de Beust,209-a qui faisait son avant-garde, surprit aux environs de Hanovre<210> le régiment de Poleretzky, et le fit prisonnier. Cet accident, joint à la marche du prince Henri, qui, par le Mansfeld et le Hildesheim, s'était approché de la ville de Brunswic, déconcerta les généraux français, et détermina M. de Clermont, qui venait de relever le maréchal de Richelieu, à évacuer Brunswic, Wolfenbüttel et Hanovre en même temps. L'armée du prince Ferdinand marcha droit à Minden, où s'étant jointe aux détachements du Wéser, elle assiégea d'abord cette ville. Le comte de Clermont, ayant passé le Wéser à Hameln, envoya M. de Broglie aux environs de Bückebourg, pour secourir Minden; mais ce général, ne trouvant pas l'occasion d'entreprendre contre les alliés, ne fut que spectateur de la prise de cette ville, dont la garnison se rendit prisonnière de guerre. Après cet événement, M. de Broglie tourna vers Paderborn, pour rejoindre le prince de Clermont. L'armée des alliés marcha à Bielefeld; sur quoi les Français, étourdis de cette révolution subite dans leurs affaires, évacuèrent Lippstadt, Hamm et Münster. Le comte de Clermont, qui n'avait plus de pied en Allemagne, repassa le Rhin à Wésel, et cantonna son armée à l'autre bord de ce fleuve. Le prince Ferdinand s'arrêta à Münster, et répandit ses troupes aux environs, pour leur donner le temps de se refaire des fatigues qu'elles avaient souffertes par des opérations continuelles dans une saison rude et peu avancée. Les alliés prirent onze mille Français prisonniers dans cette courte expédition, qui peut être comparée à cette belle campagne du maréchal de Turenne, lorsque, pénétrant par Thann et Belfort, il surprit les Impériaux répandus dans leurs quartiers en Alsace, et les força de repasser le Rhin.

Ce fut le 2 de juin que le prince Ferdinand passa ce fleuve avec son armée au-dessous d'Emmerich; il avait gagné des bateliers hollandais, qu'il ne put engager néanmoins à construire ce pont que sur le territoire de la République; de là il s'avança bientôt dans le pays de Clèves. Quelques troupes françaises furent surprises dans leurs quartiers; mais le gros joignit l'armée, qui s'était assemblée proche<211> de Créfeld. Le prince Ferdinand occupa la ville de Clèves; il laissa quelques troupes aux ordres de M. d'Imhof pour couvrir son pont d'Emmerich, et avec l'armée alliée il remonta la rive gauche du Rhin, où il se trouva vers le 20 du mois à une marche du comte de Clermont; il résolut d'attaquer l'armée française, dans l'espérance que s'il gagnait sur elle une victoire complète, il pourrait reprendre Wésel, et retransporter le théâtre de la guerre au delà du Rhin. Le prince se fit joindre pour cet effet par M. de Wangenheim, qui avait été du côté de Kayserswerth, et se porta sur Kloster-Kamp. A son approche, M. de Saint-Germain abandonna la ville de Créfeld, et se retira à un mille en arrière, pour se rapprocher du comte de Clermont, qui campait alors à Nuys; M. de Clermont le joignit à Vischeln.

Ce fut le 23 juin que le prince Ferdinand quitta son camp de Hüls et de Kempen pour attaquer M. de Clermont; il divisa son armée en trois corps, dont l'un, commandé par M. de Wangenheim, se présenta sur le front de l'ennemi pour le contenir, pendant que le gros des alliés, tournant la gauche des Français, se présenta sur leur flanc entre Vischeln et Anradt; il y avait dans cette partie, derrière un ruisseau, un boulevard ou Landwehr dont les Français avaient profité pour se poster; l'infanterie des alliés les en délogea après un combat assez rude. Les carabiniers français volèrent alors au secours de cette infanterie, et le comte de Gisors, qui les menait, attaqua vivement l'infanterie du prince Ferdinand; il y fut tué, et sa troupe découragée prit la fuite; alors le prince de Holstein211-a donna dessus avec les dragons prussiens, et acheva de la dissiper. Pendant ce choc, le Prince héréditaire avec une partie de la droite des alliés avait gagné sur les derrières de la position des Français; ce qui acheva de décontenancer le comte de Clermont, qui, se croyant sur le point d'être entamé sur son front par M. de Wangenheim, se voyant pris en flanc par le prince Ferdinand, et près d'être entièrement tourné par le<212> Prince héréditaire, abandonna le champ de bataille; il se retira à Nuys, puis à Woringen, et ensuite à Cologne. Le prince Ferdinand, pour profiter de sa victoire, détacha le Prince héréditaire, qui prit Ruremonde par capitulation, et poussa des partis jusqu'aux portes de Bruxelles, tandis que M. de Wangenheim, qui avait été envoyé avec quatre bataillons dans le duché de Berg, assiégea Düsseldorf, où il y en avait huit, et la ville se rendit par capitulation le 8 de juillet. On y trouva un magasin considérable, construit pour l'armée française. Cependant le prince Ferdinand, apprenant que l'ennemi rassemblait des forces contre lui, se fit rejoindre par le corps du Prince héréditaire au couvent de Saint-Nicolas, où il campait.

Le mauvais début de M. de Clermont engagea la cour de Versailles à le rappeler, et il fut remplacé par M. de Contades. Ce maréchal fit incessamment avancer l'armée, pour lui rendre la confiance qu'elle avait perdue; pendant ce temps-là, M. de Chevert, qui était à Wésel, où les Français avaient laissé une nombreuse garnison, sortit de cette place avec un corps considérable pour battre M. d'Imhof, qui gardait le pont des alliés proche d'Emmerich. Ce général en eut vent : il se mit avec tout son corps en embuscade sur le chemin que M. de Chevert devait tenir, le battit, et lui prit beaucoup de monde. Ces heureux succès du prince Ferdinand auraient empêché les Français de repasser le Rhin, et l'auraient enfin mené à la prise de Wésel sur la fin de la campagne, si une diversion ne l'avait obligé lui-même à repasser ce fleuve, pour redresser les affaires en Hesse et dans la Basse-Saxe.

Dès le 11 de juillet, M. de Soubise s'était mis en marche; il avait été joint à Hanau par quinze mille Würtembergeois. Le prince Ferdinand avait laissé en Hesse le prince d'Ysenbourg avec environ sept mille hommes; celui-ci se retira de Marbourg à l'approche de l'avant-garde française, commandée par M. de Broglie,212-a et passa la Fulde;<213> les Français l'attaquèrent dans la position qu'il avait prise près de Sangerhausen, et il fut obligé de céder au nombre après un combat qui dura six heures; il se retira à Eimbeck, et s'établit dans les montagnes, se bornant à conserver sa communication avec Hanovre. Le prince de Soubise, ne trouvant nulle part aucune résistance, occupa en ce temps Nordheim, Münden et Göttingue. Cependant M. de Contades, qui jugeait que la diversion de M. de Soubise en Hesse obligerait promptement les alliés à rétrograder, s'avança sur eux, et occupa même le poste de Brüggen, qui était sur leur gauche; mais le prince Ferdinand, qui ne pouvait souffrir ce voisinage dangereux, en fit déloger les Français par le Prince héréditaire; il résolut en même temps de se replier sur la Niers, pour s'approcher des secours qui lui venaient d'Angleterre. Les Français, qui firent la même marche, furent cependant prévenus par les alliés. Le prince Ferdinand, qui voyait que la seule façon de se soutenir au delà du Rhin était de battre M. de Contades, fit toutes les dispositions pour engager une affaire; M. de Contades ne trouva pas à propos de risquer le combat, et se retira à Dalen; sur quoi le prince Ferdinand se porta sur Wachtendonk; le Prince héréditaire, qui menait l'avant-garde, en chassa les Français, et toute l'armée repassa la Niers. Le prince Ferdinand, ne trouvant plus de possibilité à se soutenir avec son armée au delà du Rhin, retira à lui la garnison de Ruremonde, qui trouva le moyen de se dérober dans le temps même que l'ennemi sommait la place. Toute cette armée repassa le Rhin sur son pont de Griethausen entre le 8 et le 10 d'août. On fut obligé d'évacuer Düsseldorf en même temps, et M. de Hardenberg,213-a qui y commandait, se rendit en diligence à Lippstadt,<214> pour mettre en défense ce poste important. Peu de jours après, les Français passèrent le Rhin, et s'étendirent jusqu'à Dorsten, en se couvrant de la Lippe.

Le 14, le prince Ferdinand fut joint à Bocholt par douze mille Anglais que lui amenait mylord Marlborough. M. de Contades fut joint en même temps dans son camp de Halteren par cinq à six mille Saxons que les Autrichiens avaient rassemblés en Hongrie, et dont le prince Xavier, second fils du roi de Pologne, avait pris le commandement. Le prince Ferdinand détacha en même temps M. d'Imhof à Coesfeld, et M. de Post à Dülmen; mais sur les mouvements que firent les ennemis vers Lünen, le Prince héréditaire fut détaché pour renforcer le corps de Dülmen. Le prince Ferdinand le suivit promptement avec l'armée, et le Prince héréditaire repoussa les Français jusqu'à Halteren. Dans ces circonstances, on trouva bon de détacher M. d'Oberg avec un corps de neuf mille hommes, pour passer la Lippe et se porter dans l'évêché de Paderborn, tant pour interrompre la communication des deux armées françaises, que pour être à portée, dans le besoin, de pouvoir prêter la main au prince d'Ysenbourg.

Dans ces entrefaites, et pendant que le prince d'Ysenbourg s'était tenu près d'Eimbeck, M. de Soubise avait occupé Cassel, Göttingue, et quelques places sur la Werra; alors il forma le dessein de s'emparer de Hameln; mais il fut obligé de s'en désister lorsqu'il apprit que le prince Ferdinand avait repassé le Rhin; il évacua ensuite Münden, Göttingue, et tout ce qu'il avait occupé dans le pays de Hanovre, pour se renforcer sur la Diemel; il resta dans cette position jusqu'au 5 de septembre, et n'opposant à M. d'Oberg que M. Du Mesnil, qu'il laissa sur la Diemel, il s'avança successivement de Münden, Göttingue, à Nordheim. Le prince d'Ysenbourg fut obligé d'abandonner Eimbeck à l'approche des Français, et se retira à Coppenbrügge, où il fut joint par quelques régiments de l'armée des alliés; alors le prince d'Ysen<215>bourg s'avança en même temps que M. d'Oberg sur Holzmünden. Ce mouvement fit craindre à M. de Soubise, qui était à Göttingue, qu'on ne le coupât de Cassel, et repliant aussitôt ses corps, il se rendit en diligence dans la Hesse. Les troupes des alliés et des Français arrivèrent presque en même temps devant Cassel, où elles se campèrent vis-à-vis les unes des autres. Ces mouvements de la Hesse n'avaient pas influé sur les opérations du prince Ferdinand; il suivait son objet, qui était d'observer l'armée de M. de Contades.

Les Français, ayant vainement tenté de surprendre le Prince héréditaire à Halteren, et y ayant été repoussés avec une perte considérable, tournèrent leurs vues d'un autre côté. M. de Contades détacha M. de Chevert avec vingt mille hommes, pour joindre M. de Soubise, et lui donner par ce renfort assez de supériorité pour qu'il pût accabler le prince d'Ysenbourg, et pour donner en même temps de l'occupation au prince Ferdinand, qui l'empêchât de faire des détachements pour la Hesse; il se porta à Hamm avec son armée, et poussa M. de Chevreuse jusqu'à Soest. Sur ce mouvement, les alliés se replièrent sur Münster, d'où le Prince héréditaire fut détaché à Warendorf-sur-l'Ems, et le prince de Holstein, à Telgte. M. de Soubise ayant, sur ces entrefaites, reçu son renfort, ne perdit point de temps pour le mettre en œuvre. Le prince d'Ysenbourg, informé de l'arrivée de M. de Chevert, repassa la Fulde, et se retira successivement devant l'ennemi jusqu'à Lutterberg, pour ne point être coupé de Münden; les ennemis l'y attaquèrent avec une si grande supériorité, qu'il fut obligé de leur céder le champ de bataille, avec une perte de seize canons et d'environ deux mille hommes; il se retira par Dransfeld et Göttingue à Moringen. Cet événement obligea le prince Ferdinand à quitter Münster; il y laissa une bonne garnison, et arriva le 17 avec son armée à Lippstadt. Le Prince héréditaire marcha le lendemain pour surprendre M. de Chevreuse, qui était à Soest; la surprise n'eut pas lieu, parce que les Français furent avertis de la marche des alliés;<216> néanmoins, après un léger combat, les Français se retirèrent, et abandonnèrent toutes les provisions qu'ils avaient amassées à Soest. Le prince Ferdinand prit incontinent son camp auprès de cette ville, ce qui engagea M. de Chevert à changer de route; il avait quitté M. de Soubise après l'affaire de Lutterberg, et ne put joindre M. de Contades qu'en prenant un grand détour. Aussitôt que M. de Chevert eut quitté l'armée de Hesse, M. d'Oberg passa le Wéser à Holzmünden, et poursuivant sa marche, il joignit le 21 d'octobre à Soest l'armée des alliés.

La position où se trouvait le prince Ferdinand interrompit la communication des deux armées françaises, et quelque supérieures qu'elles fussent en nombre à celles des alliés, cela n'empêcha pas que M. de Soubise ne crût sa position aventurée; il évacua en conséquence Cassel et toute la Hesse, et repassa le Main à Hanau avec toutes ses troupes. La campagne aurait été finie, si M. de Contades n'eût encore essayé de surprendre Münster; M. d'Armentières s'était approché de cette ville à la tête de quinze mille Français, et avait pris un camp proche de la place, pour ouvrir incessamment la tranchée; mais M. d'Imhof arriva le 26 octobre à Warendorf, étant suivi du duc de Holstein, en même temps que M. de Wangenheim avec un gros détachement occupa le camp de Rhéda. Tous ces mouvements, dis-je, qui menaçaient de couper la communication de M. d'Armentières de Wésel, et une petite affaire qu'engagea le major Bülow, le firent résoudre d'abandonner son projet; il repassa la Lippe le 2 de novembre, et bientôt après, l'armée française prit le chemin de Wésel, pour entrer dans ses quartiers d'hiver à l'autre bord du Rhin. Il ne restait plus en Hesse que Marbourg où les Français eussent pied; le Prince héréditaire y fut envoyé, et il n'employa que peu de jours pour finir son expédition par la prise de cette place, après quoi les alliés, maîtres de toute la Westphalie et de la Basse-Saxe, entrèrent dans leurs quartiers.

<217>Durant cette belle campagne du prince Ferdinand contre les Français, le Roi n'était pas demeuré oisif contre les Autrichiens, et il se préparait à tirer tout le parti possible de la bataille de Leuthen, et des suites que cette bataille avait eues. Dès le mois de janvier, M. de Werner avait été détaché dans la Haute-Silésie. Quelque supériorité qu'eût l'ennemi sur sa troupe, il l'avait contraint de se replier en Moravie, de sorte que les Prussiens occupaient dès lors Troppau et Jägerndorf. Le Roi jugeait cette avance nécessaire pour exécuter les projets qu'il méditait pour la campagne, de sorte que cette expédition, qui se fit au mois de janvier, ne parut à l'ennemi qu'une suite de la bataille de Leuthen, dont le Roi profitait pour nettoyer toute la Silésie des troupes autrichiennes.

Les choses en restèrent là jusqu'au 14 de mars, que l'armée se mit en marche pour commencer les opérations de la campagne. On était sûr que les ennemis n'étaient pas assez avancés dans leurs arrangements pour s'opposer aux desseins que le Roi formait, de sorte que ce temps fut jugé le plus propre à changer en siége régulier le blocus de Schweidnitz. Le Roi se mit à la tête de l'armée d'observation, et se cantonna de Landeshut jusqu'à Friedland; le prince Maurice eut le commandement de cette gauche, d'où il communiquait par Wüstengiersdorf à Braunau; et M. de Fouqué commandait le corps qui couvrait cette gorge de la Silésie. Le Roi établit son quartier général à Grüssau, qui était au centre de la position que ses troupes occupaient. Le gros de l'armée ennemie était encore en cantonnements aux environs de Königingrätz et de Jaromircz; le maréchal Daun, qui en avait seul le commandement, avait poussé en avant le corps de Loudon à Trautenau, et celui de Beck à Nachod. Les armées étant dans cette position, M. de Treskow investit de plus près la ville de Schweidnitz. La tranchée ne put être ouverte que la nuit du 1er au 2 d'avril; l'attaque fut dirigée sur le fort de la Potence, comme l'endroit le moins bien fortifié, et le plus commode pour y conduire les<218> munitions de guerre. Bientôt vingt-quatre canons, vingt mortiers et seize obusiers furent mis en batterie. Cet ouvrage, souvent dérangé par l'artillerie des assiégés, ne put être entièrement perfectionné que le 8, et dès le 10 on occupa une flèche que l'ennemi fut obligé d'abandonner; cette flèche, qui nous approchait à cent pas du fort de la Potence, donna lieu au coup de main qu'on tenta sur cet ouvrage pour terminer d'autant plus promptement le siége; les canons du fort de l'Eau et de celui de la Potence ayant été démontés dès le 15, on donna l'assaut à l'ouvrage le soir à minuit; on le tourna par la gorge, et mille grenadiers l'emportèrent, avec une perte si légère, qu'elle ne mérite pas d'être rapportée. Le commandant, décontenancé par une action aussi vigoureuse, battit la chamade; il se rendit prisonnier de guerre avec la garnison; le comte de Thierheim évacua la ville le 18, et sa troupe, forte de cinq mille hommes, fut répandue dans les différentes places de la Silésie et de la Marche électorale.

Ce siége si heureusement et si promptement terminé donnait au Roi la faculté d'exécuter de plus grands projets : son dessein était de pénétrer dans la Moravie et de prendre Olmütz, non pas pour conserver cette place, car on prévoyait dès lors la diversion que les Russes, qui s'étaient emparés de la Prusse, se préparaient à faire en Poméranie et dans les Marches de Brandebourg; mais afin d'amuser durant toute la campagne les Autrichiens dans cette partie éloignée des États du Roi, pour avoir le temps et l'aisance de s'opposer, en attendant, avec des forces considérables à l'armée russe. Pour exécuter ce projet, il fallait de nécessité en imposer au maréchal Daun, afin de gagner sur lui quelques marches et le temps de s'établir aux environs d'Olmütz avant son arrivée. Dans cette intention, l'armée du Roi se retira des montagnes dans les plaines de Schweidnitz et de Reichenbach, sous prétexte d'y refaire les troupes des fatigues du siége, et d'attendre les recrues qui devaient la joindre. M. de Zieten avec un corps demeura dans les environs de Landeshut, d'où il tira<219> un cordon jusqu'à Friedland, et M. de Fouqué entra dans le comté de Glatz, pour en garder tous les débouchés. Ces deux corps, qui masquaient les mouvements de l'armée derrière les montagnes, avaient encore l'utilité d'empêcher les Autrichiens de recevoir des nouvelles qui pussent les éclairer sur les desseins des Prussiens.

Pendant que ces dispositions donnaient le change à l'ennemi, l'armée du Roi marcha à Neisse, où elle se sépara en deux colonnes, dont une, où le Roi se trouvait en personne, prit le chemin de Troppau, et celle que conduisait le maréchal Keith, celui de Jägerndorf. Ces deux colonnes débouchèrent le 3 de mai dans les plaines d'Olmütz, l'une par Gibau, et l'autre par Sternberg; M. de Fouqué les suivit aussitôt qu'il remarqua que l'ennemi, ayant pris l'alarme, quittait les environs de Königingrätz pour se porter sur Hohenmauth. M. de Fouqué prit le chemin de Neisse, d'où il convoya nos munitions de guerre et de bouche pour le siége jusqu'à Olmütz. C'était le 12, et le même jour l'armée d'observation passa la Morawa à Littau, d'où le Roi s'avança jusqu'à Olschan : M. de Ville y campait avec sept régiments de cavalerie; il fut attaqué par le prince de Würtemberg, et poussé au delà de Prossnitz vers Wischau. Ce prince campa son corps à Prossnitz, et il y demeura pour observer l'ennemi du côté de Wischau et de Brünn, ayant sous lui quatre régiments de dragons, un de hussards et quatre bataillons.

Le maréchal Keith, ayant fait l'investissement d'Olmütz, ouvrit la tranchée le 27 de mai; il plaça de l'autre côté de la Morawa les dix escadrons de Baireuth, cinq cents hussards et quelques bataillons francs, qui se campèrent proche d'un village nommé Dolein. Pour que le maréchal Keith et l'armée du siége fussent plus en sûreté, on jugea à propos d'éloigner davantage M. de Ville; il pensa être surpris dans son camp, et ne crut trouver de sûreté qu'en se retirant proche des ouvrages de Brünn. L'armée d'observation occupa en même temps toutes les positions qu'on avait eu le temps de lui choisir; en con<220>séquence de quoi le margrave Charles prit le camp de Neustadt, le prince Maurice, celui de Littau, M. de Wedell, celui de Namiescht, et le Roi, ce côté des hauteurs qui règnent, entre Prossnitz et Olschan depuis Namiescht jusqu'à Studenetz.

M. de Puttkammer220-a arriva le 10 de juin à l'armée, sans être inquiété dans sa route, avec le convoi qu'il conduisait. M. de Zieten, qui fut attaqué à Grüssau par l'ennemi, le repoussa, et remarquant que toutes les forces des Autrichiens se tiraient vers la Moravie, il quitta les montagnes, et joignit, environ en même temps que M. de Puttkammer, l'armée du Roi.

Cependant les munitions de guerre et de bouche n'étaient pas suffisantes pour le siége; on fit préparer un nouveau convoi en Silésie, tant pour pousser les attaques que pour renforcer l'armée. Il y a apparence que ce siége aurait mieux réussi, si l'on n'avait pas ouvert les tranchées de trop loin, et qu'on n'eût pas été obligé d'abandonner les premières batteries, parce qu'elles tiraient sans effet, ce qui consuma beaucoup de munitions inutilement. Sur ces entrefaites, l'avant-garde du maréchal Daun, aux ordres de M. de Harsch, entra en Moravie, et se campa vis-à-vis du prince Maurice sur les coteaux d'Allerheiligen, non loin de Littau. M. de Harsch tenta, mais sans succès, de surprendre cette ville. Le maréchal Daun, qui le suivait, s'était porté sur Gewitsch, d'où il détacha un corps de six mille hommes, qui s'établit à Prérau. Cette position obligea le maréchal Keith à placer ses dragons à Wisternitz, et ses compagnies franches à Bistrowan et à Koschuschan.

Les vues du maréchal Daun allaient à jeter du secours dans la ville assiégée, sans se commettre à une action, dont la perte aurait entraîné la réduction d'Olmütz. Il fit attaquer de nuit le village de Koschuschan, défendu par un bataillon franc, et l'obligea de lui céder le terrain; les dragons de Baireuth, qui avaient passé la nuit au bi<221>vouac, par une négligence du colonel Meier,221-a qui les commandait, n'attendirent pas pour desseller le retour des partis qu'ils avaient envoyés à la découverte; l'ennemi arriva en poussant leurs patrouilles avec impétuosité; il fondit sur leurs tentes, ne leur donnant pas le temps d'en sortir. Le régiment perdit trois cents hommes, et aurait été totalement ruiné, si le bataillon de Nimschöffsky ne fût arrivé à temps pour forcer l'ennemi à précipiter sa retraite. Ce succès des Autrichiens leur fit prendre goût aux expéditions nocturnes : ils attaquèrent trois fois le régiment de Zieten à Kosteletz, et furent toutes les trois fois repoussés avec une perte assez considérable. Les bataillons francs de Le Noble et de Rapin ne furent pas aussi heureux; le margrave Charles les avait envoyés à Sternberg, d'où ils devaient se rendre à Bährn pour couvrir un convoi qui arriva le 10; ils furent assez maltraités par les pandours, et perdirent cinq cents hommes dans cette action.

Mais revenons à des objets plus considérables : la position de l'armée autrichienne, surtout le corps qu'elle avait détaché à Prérau, exigeait que la ville d'Olmütz fût mieux enfermée au delà de la Morawa; il semblait que le corps du margrave à Neustadt n'y fût pas essentiellement nécessaire, et comme on n'avait aucunes troupes de trop, le margrave y marcha avec son corps, et se posta de la sorte que sa gauche tenait au pont que nous avions à Chomottau sur la Morawa, et sa droite, à notre pont de Holitz. Cependant, tandis que les Prussiens changeaient leur position, M. de Bülow, colonel autrichien, avait trouvé le moyen de se glisser dans la ville, et d'amener à M. de Marschall, qui en était gouverneur, un secours de douze cents hommes.

Le maréchal Daun vint, peu de jours après, déboucher dans la<222> plaine, et se campa à Prödlitz, entre Prossnitz et Wischau; il y fut informé que les Prussiens attendaient un grand convoi, dont dépendait la réussite du siége, parce que les munitions commençaient à manquer. Ce convoi était couvert par huit bataillons et quatre mille convalescents, tant de la cavalerie que de l'infanterie, qu'on avait enrégimentés pour s'en servir durant cette marche. Le tout partit le 25 de juin de Troppau. Le maréchal Daun tourna ses vues sur ce convoi; il envoya M. de Janus à Bährn, et M. de Loudon à Liebau, pour l'intercepter. Sur cela, le Roi détacha M. de Zieten avec vingt escadrons et trois bataillons; il rencontra ce convoi près de Gibau. Le général Loudon l'attaqua le lendemain; après un combat de cinq heures, il fut obligé de se replier. Le transport avançait très-lentement à cause des chemins rompus, et le maréchal Daun profita de ce temps pour renforcer MM. Janus et Loudon de huit mille hommes. Le 30, le convoi fut attaqué de nouveau entre Bautsch et Domstättl; à peine mille hommes de cavalerie, quatre bataillons et quatre cents chariots eurent-ils ouvert la marche et passé le défilé de Domstättl, que l'ennemi se porta avec toutes ses forces de Bährn et de Liebau sur ce convoi, de sorte que ces deux colonnes de l'ennemi, venant à se joindre, coupèrent l'avant-garde, qui venait de passer le défilé, du reste du corps qui suivait. M. de Zieten, qui était avec le gros du convoi, fit charger vigoureusement une des ailes de l'ennemi; mais le nombre était trop disproportionné pour qu'il pût réussir, de sorte qu'après avoir vaillamment combattu, il fut contraint de se retirer avec la plus grande partie de son monde sur Troppau; il y perdit le général Puttkammer222-a et huit cents hommes, sans compter tout le convoi et le trésor de l'armée, qui tomba entre les mains de l'ennemi. Ce malheur fut cause de la levée du siége. Si ce convoi eût pu arriver, la ville était prise en moins de quinze jours, parce que l'on avait<223> achevé la troisième parallèle, et que l'on commençait d'en déboucher avec les sapes. Mais quelque apparentes que fussent ces espérances, il fallut y renoncer pour sauver l'armée, qui en prolongeant son séjour en Moravie aurait manqué de subsistances.

Il y avait deux chemins pour le retour : l'un qui mène en Haute-Silésie, par lequel l'armée était venue, et l'autre qui traverse la Bohême, et mène ou dans le comté de Glatz, ou, par Braunau, en Silésie. L'ennemi s'était préparé à rendre la première route difficile. Loudon, Janus et Saint-Ignon y étaient demeurés depuis l'affaire des convois; le maréchal Daun s'était porté même avec son armée à Tobitschau, de sorte qu'on pouvait s'attendre, en prenant ce chemin, d'avoir deux corps ennemis sur les flancs, et sans cesse le maréchal Daun derrière l'arrière-garde, pour la harceler. Enfin cette marche n'aurait été qu'une bataille perpétuelle, dans laquelle l'armée aurait perdu l'artillerie du siége, ses équipages, ses blessés; et peut-être même y aurait-elle rencontré sa perte entière au passage de la Morawa, que l'ennemi pouvait lui rendre funeste. Ces considérations déterminèrent promptement le Roi à se tourner vers la Bohême, parce que l'ennemi n'étant pas préparé de ce côté-là, on pouvait gagner deux marches sur lui, ce qui était un article important pour l'artillerie et le bagage dont l'armée était chargée.

La nuit du 1er au 2 de juillet, le Roi quitta son camp, et partit avec toutes ses troupes partagées en deux colonnes. Le prince Maurice fit l'avant-garde de celle où se trouvait le Roi, qui passa par Konitz, Tribau, Zwittau, et vint à Leutomischl, où elle s'empara d'un dépôt des ennemis; la seconde, sous la conduite du maréchal Keith, en se retirant de ses tranchées n'abandonna que quatre mortiers et un canon, intransportables parce que les affûts en étaient cassés; elle prit le chemin de Littau, Müglitz et Tribau. Toute cette marche jusque-là se passa sans être inquiétée par l'ennemi, à cause que le maréchal Daun, ayant fait toutes ses dispositions pour les chemins de la Haute-<224>Silésie, ne put pas retirer assez promptement ses troupes pour agir en force du côté de la Bohême; néanmoins M. de Lacy, qui campait à Gibau, voulut entreprendre sur l'arrière-garde. Elle était obligée de passer le défilé de Krenau pour marcher à Zwittau; Lacy se saisit de ce village avec ses grenadiers; mais il en fut promptement délogé par M. de Wied, et les troupes continuèrent leur chemin sans être inquiétées.

Le maréchal Keith avait partagé sa colonne en trois corps, dont celui de M. de Retzow, ayant traversé Hohenmauth, et s'approchant des collines de Holitz, trouva ces hauteurs occupées par l'ennemi; il se saisit d'une chapelle qui est sur une hauteur vis-à-vis de celle que l'ennemi tenait; on commença par se canonner réciproquement. M. de Retzow continuait à faire filer son convoi et son escorte en même temps. Le général de Saint-Ignon, qui commandait les ennemis, crut ce moment propre pour attaquer les Prussiens; il fondit avec onze cents chevaux sur le régiment de Bredow cuirassiers, qu'il replia; en même temps arriva un lieutenant avec cinquante hussards, que le Roi avait chargé de dépêches pour le maréchal Keith; ce brave officier, nommé Kordshagen,224-a donna avec son peu de monde si à propos sur le flanc de M. de Saint-Ignon, qu'il ramena cette troupe; en même temps, la cavalerie prussienne accourut, et rechassa les Autrichiens avec perte de six officiers et de trois cents hommes. Le maréchal Keith arriva avec sa colonne précisément lorsque l'ennemi était en déroute; il fit prendre à revers l'infanterie ennemie, qui se maintenait encore sur les hauteurs; ce qui précipita sa fuite par des forêts épaisses qui protégeaient sa retraite.

Pendant que le maréchal Keith était occupé avec les ennemis et<225> ses convois, le Roi, ayant pris les devants, était arrivé dès le 11 près de Königingrätz. M. de Buccow couvrait cette ville avec environ sept mille hommes, qu'il avait campés derrière l'Elbe, et dans des retranchements qui entouraient les faubourgs. Dès que les troupes furent arrivées, on plaça quelques bataillons vers Lhota-sur-l'Adler, et l'on y construisit une batterie, pour prendre à revers M. de Buccow dans ses retranchements; en même temps, un autre corps passa l'Adler plus haut : il fut destiné pour attaquer le lendemain, dès la pointe du jour, ce retranchement. On voulait en même temps faire passer l'Elbe à un gros corps de cavalerie, pour couper toute retraite aux Autrichiens; mais les ponts ne purent être achevés que le 13 au matin. M. de Buccow ne donna pas à cet ouvrage le temps d'être achevé : il évacua la nuit même ses retranchements et la ville, et se retira vers Chlumetz. Le même jour, le Roi, étant averti que M. de Retzow était attaqué à Holitz, y marcha avec un corps de cavalerie; mais l'affaire était déjà décidée, et le maréchal Keith conduisit heureusement jusqu'à Königingrätz toute l'artillerie du siége d'Olmütz, quinze cents blessés et malades, outre toutes les munitions de guerre et de bouche qui appartenaient à l'armée du Roi. Dès que toutes les troupes furent rassemblées, elles se campèrent au confluent de l'Adler et de l'Elbe, ayant devant leur front la ville de Königingrätz, occupée par six bataillons.

Les premières attentions du Roi furent de se débarrasser du gros bagage qu'on avait traîné d'Olmütz à Königingrätz. Pour cet effet, M. de Fouqué fut commandé avec seize bataillons et autant d'escadrons, pour convoyer à Glatz l'artillerie, les blessés, et les chariots superflus. L'ennemi avait déjà quelque dessein de harceler les Prussiens dans ces passages, car le même jour, M. de Loudon s'était fourré avec quatre mille hommes dans le bois d'Opotschna. Comme on en était instruit, et que le Roi voulait assurer la marche de M. de Fouqué sur Neustadt, il prit quelques troupes avec lui, et marcha droit<226> sur M. Loudon; l'Autrichien pensa être surpris; mais comme le bois favorisait sa retraite, on ne put lui enlever que cent Croates. Loudon se retira vers Holitz, et le Roi tint le poste d'Opotschna jusqu'à ce que M. de Fouqué eût paisiblement conduit à Glatz son convoi. D'abord après son arrivée, il détacha M. de Schenckendorff l'aîné226-a à Reinerz, M. de Goltz226-a au Hummelberg, et lui-même il occupa le camp de Nachod, pour couvrir le dos de l'armée.

La promptitude de la marche avait donné assez d'avance pour prendre tous ces arrangements avant que le maréchal Daun pût s'approcher de l'armée prussienne; il arriva le 22, et prit son camp sur les hauteurs de Chlum et de Libschan au delà de l'Elbe, en même temps que le Roi revint d'Opotschna rejoindre le gros de ses troupes. S'il ne se fût agi que des Autrichiens, on aurait poussé la campagne à sa fin sans quitter la Bohême, que pour prendre des quartiers d'hiver; mais la diversion dont les Russes menaçaient la Poméranie et la Nouvelle-Marche, obligeait le Roi de ramener ses troupes en Silésie, pour pouvoir de là porter des secours aux endroits qui en auraient le plus besoin. On fit entrer dans ce projet toutes les mesures qui pouvaient assurer les frontières de la Silésie; en conséquence de quoi on s'appliqua à enlever tous les fourrages et les provisions du cercle de Königingrätz, pour empêcher le maréchal Daun, faute de magasins, d'agir dans cette partie contre la Silésie. Cela lui devint en effet impossible, parce qu'il avait été obligé, au commencement de la campagne, de diriger toutes ses subsistances du côté de Brünn; qu'ensuite l'armée prussienne lui avait enlevé dans sa marche tous les dépôts<227> qu'il avait en Bohême, et qu'enfin on avait consumé les fourrages du cercle de Kônigingratz.

On quitta donc, la nuit du 25, le camp de Königingrätz. Les pandours attaquèrent les faubourgs de la ville dans le temps qu'on voulait l'évacuer; le général Saldern227-a et le colonel Blanckensee227-a y furent tués; on y perdit soixante-dix hommes. L'armée du Roi se replia par Kralowa-Lhota sur Rohenicz; MM. Loudon, Saint-Ignon et Lacy suivirent l'arrière-garde avec environ quinze mille hommes, et quoiqu'ils essayassent de l'entamer, ils ne purent point y réussir, et furent vigoureusement repoussés par les hussards de Puttkammer. Pour faire passer à l'ennemi l'envie de harceler les arrière-gardes, on prépara le lendemain une embuscade : ce fut au passage de la Mettau; on occupa avec dix bataillons et vingt escadrons un bois qui se trouve sur ce chemin, et qui tire de Jaromircz à la Mettau; après quoi l'armée se mit en marche, et ne présenta à l'ennemi qu'une faible arrière-garde de hussards; M. de Loudon, qui s'échauffait facilement, voulut donner dessus; alors la cavalerie, en sortant de l'embuscade, le prit à dos, à revers, dans tous les sens; il fut fort maltraité et y perdit trois cents hommes; après cette petite action, l'armée du Roi poursuivit paisiblement sa marche, et se campa entre Bohuslawitz et Jessenitz, et l'on détacha M. de Retzow pour couvrir la droite de l'armée à son passage des montagnes. M. de Retzow délogea M. Janus de Studnitz, et le Roi occupa le camp de Skalitz. Dans l'emplacement où l'armée était campée, il se trouvait une hauteur sur la droite, dont il fallait nécessairement être en possession; le Roi y plaça les volontaires de Le Noble, comme un appât qu'il présentait à l'ennemi, et six bataillons, campés dans une espèce de ravin, avaient ordre de soutenir ce poste<228> en cas d'attaque. Ce qu'on avait prévu arriva : M. Loudon vint de nuit pour surprendre Le Noble; il fut reçu d'une façon différente qu'il s'y attendait; on le mit en fuite, et, sans compter les morts et les blessés, il y perdit six officiers et soixante-dix hommes.

Le maréchal Daun avait, dans ce temps, fait longer à son armée le cours de l'Elbe, de sorte qu'elle s'étendait depuis Königingrätz jusqu'à Jaromircz, vers Königinhof. Le Roi se campa le lendemain à Wisoka, et M. de Retzow, à Starkstadt. La marche se poursuivit de Wisoka à Politz et Wernersdorf, sans qu'on fût suivi par les ennemis. Le 8, toutes les troupes reprirent le camp de Grüssau et de Landeshut.

La diversion à laquelle on s'était attendu de la part des Russes, se fit pendant ce retour de Bohême. M. Fermor s'était avancé, en plusieurs corps, de la Prusse sur les frontières de la Poméranie et de la Nouvelle-Marche; M. de Platen228-a avait observé les ennemis de Stolp, où il avait été tout l'hiver en détachement. Sur ces avis, le comte de Dohna228-b avait reçu l'ordre, dès le mois de juin, de lever le blocus de Stralsund pour s'approcher de l'Oder, afin de s'opposer aux Russes, de quelque côté qu'ils voulussent pénétrer dans les États du Roi. M. de Fermor s'était avancé de Posen à Königswalde, Méseritz et Kloster-Paradies, où il campait en trois corps. Le comte de Dohna détacha M. de Canitz à Reppen, pour observer l'ennemi, d'où M. de Malachowski228-c fit une course jusqu'à Sternberg, et en délogea les Russes. Le comte de Dohna, qui n'était pas assez en force pour s'éparpiller par des détachements, attira à lui M. de Platen, et se<229> borna à disputer aux ennemis le passage de l'Oder; il se campa pour cet effet à Francfort.

La partie, cependant, n'était pas égale; comme le moindre échec qu'aurait souffert le corps du comte de Dohna devenait préjudiciable à l'État, et pouvait entraîner après soi la ruine totale de la Marche électorale, le Roi prit le parti de s'y rendre en personne avec un renfort assez considérable pour donner aux troupes prussiennes une espèce d'égalité avec celles des ennemis; ce renfort consistait en seize bataillons et vingt-huit escadrons. La plus grande partie de l'armée, aux ordres du maréchal Keith et du margrave Charles, demeura dans le camp de Landeshut, pour garder les frontières de la Silésie. Le Roi dirigea sa marche, par Rohnstock, Liegnitz, Heinzendorf, Dalkau, Wartenberg, Schertendorf, Crossen, Ziebingen, à Francfort, où il apprit que M. de Fermor, s'étant avancé par Landsberg à Cammin et à Tamsel, avait fait bombarder la ville de Cüstrin, qui avait été mise en cendres après avoir rejeté toutes les propositions de capitulation que le général Stoffel avait faites à M. de Schach, qui en était commandant. Ces entreprises de l'ennemi avaient engagé le comte de Dohna d'approcher son corps de cette forteresse pour la mieux soutenir. Ce fut dans ce camp près de Gorgast, le 22 août, que le Roi joignit le comte de Dohna.

Les Russes avaient établi leurs parallèles précisément au débouché de la chaussée qui conduit de Cüstrin à Tamsel, et leurs batteries étaient construites de manière que l'armée n'aurait pu déboucher de la place sans s'exposer à faire des pertes considérables, mais inutiles. Le Roi résolut cependant d'attaquer l'ennemi; il fallait se battre, afin de se débarrasser pour un temps d'une armée, et gagner celui de pouvoir se tourner d'un autre côté. Le Roi pouvait donc employer trois semaines dans cette expédition; mais comment la terminer si vite sans en venir aux mains? Le maréchal Daun, qu'on avait quitté à Jaromircz, pouvait dans cet intervalle se tourner ou vers la Silésie<230> ou vers la Saxe, et il fallait pouvoir s'y rendre dans les différents cas, selon que le besoin le demanderait. Pour exécuter ce projet, le Roi jugea qu'il fallait en imposer à l'ennemi par de fausses démonstrations : on fit des batteries vis-à-vis de Dréwitz, et l'on occupa les digues de l'Oder, comme si effectivement on avait dessein de passer cette rivière dans ces environs; en même temps, le Roi renforça la garnison de Cüstrin de quatre bataillons. Il avait envoyé M. de Canitz230-a à Wrietzen, pour amasser tous les bateaux qui se trouvaient dans cette partie sur l'Oder. Tandis que l'armée marchait, la nuit du 23,230-b en remontant la rivière jusqu'à Güstebiese, où elle fut jointe par M. de Canitz, qui amena suffisamment de bateaux pour la construction du pont, on se donna tant de soins pour l'achever, que toute l'armée l'eut passé à midi; elle continua sa marche jusqu'au village de Clossow, où elle se campa, et par cette position, elle coupa déjà le corps de M. de Fermor de celui de M. Romanzoff, qui était du côté de Schwedt, où il avait dessein de passer l'Oder.

Le 24, l'armée se campa à Dermietzel vis-à-vis de M. de Fermor, qui, sur les mouvements des Prussiens, avait levé le siége de Cüstrin, et s'était fait joindre par la division de M. Czernichew, avec laquelle et le gros de ses troupes il prit une position entre les villages de Quartschen et de Zicher, ayant un ruisseau marécageux devant son front; ces troupes campaient en carré, selon l'usage que le maréchal Münnich avait suivi en faisant la guerre aux Turcs dans la Petite-Tartarie. Le même jour que l'armée prussienne arriva, le Roi s'empara du moulin de Damm et du pont qui passe le ruisseau; son avant-garde prit possession de la forêt de Massin, par laquelle il fallait passer pour tourner le camp des ennemis.

Le lendemain, l'armée déboucha sur quatre colonnes dans la plaine, près du village de Batzlow; les ennemis avaient laissé entre<231> ce village et Cammin le gros de leur bagage sous peu d'escorte; si l'on avait été moins pressé de s'expédier, on aurait pu le leur enlever sans peine, et les obliger par quelques marches à quitter le pays; mais il fallait en venir à une décision, dont on devait tout attendre, vu la disposition bizarre que l'ennemi avait donnée à sa bataille. La marche de l'armée se continua donc sur Zorndorf, où nous nous proposions d'attaquer la face opposée du carré vis-à-vis de laquelle nous avions été à Dermietzel. Les Cosaques mirent le feu à Zorndorf, ce qui embarrassa un peu, parce que la grosse artillerie devait passer ce village pour former des batteries vis-à-vis de l'ennemi. La gauche, qui devait faire la première attaque, s'appuyait à un fond qui tire vers Wilkersdorf. M. de Manteuffel commandait la première attaque, consistant en dix bataillons; il était soutenu par la gauche de la première ligne, commandée par M. de Canitz, et par la seconde ligne de l'armée. On se servit de quelques ravins, à l'abri desquels on couvrit la cavalerie de la gauche contre l'artillerie de l'ennemi, et où toutefois elle était à portée d'agir dès que cela serait trouvé nécessaire. Les ordres du Roi portaient que la première attaque devait, en avançant constamment, s'appuyer à ce ravin, qui la conduisait directement sur la droite des Russes; mais, par des contre-temps et des mésentendus, il arriva qu'elle s'en écarta en approchant de l'ennemi, de façon que M. de Canitz, qui devait être derrière M. de Manteuffel, se trouva à sa droite. L'attaque fut repoussée, et l'infanterie revint en assez grande confusion; mais comme l'ennemi y était aussi, le Roi fit ordonner à M. de Seydlitz de le charger incontinent; il forma trois colonnes, qui percèrent en même temps le carré, et en moins d'un quart d'heure, tout le champ de bataille fut déblayé d'ennemis; ce qui se sauva de l'armée russe passa ce fond qu'elle avait à sa droite, et commença à se reformer vers Quartschen. Le Roi prit alors l'infanterie de sa droite, avec laquelle il fit un quart de conversion, et la forma vis-à-vis de ce fond. On voulut le faire passer aux troupes à différentes reprises;<232> mais elles revenaient après un court espace, sans que du commencement on en comprît la raison. La caisse de guerre des Russes et tout l'équipage de leurs généraux étaient dans ce fond; les troupes, au lieu de le passer, comme elles le pouvaient, s'amusaient à piller, et revenaient dès qu'elles étaient bien chargées de butin. La cavalerie ne pouvait pas agir dans cette partie, à cause des marais dont ce fond était rempli; cela réduisit les Prussiens à canonner l'ennemi, ce qu'ils continuèrent jusqu'à nuit close. La bataille avait commencé à neuf heures du matin, et ne finit qu'à huit heures et demie du soir. Les Russes se retirèrent dans le bois de Tamsel, où toutes leurs troupes se mirent en pelotons, la cavalerie au centre, entourée de l'infanterie. Les Russes ont perdu à cette action cent trois canons, vingt-sept drapeaux et étendards, quatre-vingt-deux officiers, parmi lesquels cinq généraux, environ deux mille prisonniers, et pour le moins quinze mille hommes qu'ils ont laissés sur la place, parce que la cavalerie ne leur fit point quartier. L'armée du Roi y perdit deux généraux, MM. de Froideville,232-a et Zieten232-a des cuirassiers, soixante officiers morts ou blessés, et environ douze cents hommes, avec vingt pièces de canon.

Le lendemain 26, l'armée du Roi prit une position très-proche de l'armée russe : on n'était qu'à douze cents pas les uns des autres. Si l'on avait eu suffisamment de munitions, on les aurait attaqués; on fut obligé de se contenter d'une canonnade, qui ne fut pas même aussi vive qu'on l'aurait désiré, à cause qu'il fallait ménager la poudre. Il n'y eut point de tentes de tendues de part et d'autre. Les dragons<233> russes essayèrent d'attaquer l'infanterie prussienne; ils furent vivement repoussés par le régiment de Kreytzen. Pendant l'action de la veille et cette journée, c'était un spectacle affreux que de voir tous les villages voisins, auxquels les Cosaques avaient mis le feu, ce qui rassemblait dans ces environs toutes les calamités dont l'humanité peut être affligée. Cependant les canons prussiens tiraient avec succès, parce qu'il était presque impossible aux artilleurs de manquer la grosse masse en laquelle l'ennemi s'était mis; au lieu que les leurs tiraient sans le moindre effet. On reçut sur le soir quelque peu de munitions, dont les batteries firent un si bon usage, que la place devenant dès lors insoutenable pour les Russes, ils la quittèrent la nuit même, et allèrent se camper à Cammin. Le Roi les suivit; on fit encore quelques centaines de prisonniers sur leur arrière-garde, et l'on se campa devant Tamsel, proche des ennemis. La perte de cette bataille obligea M. de Romanzoff d'abandonner en hâte les environs de l'Oder et de Stargard, pour accélérer sa jonction avec M. de Fermor, qui bientôt se retira à Vietz, puis à Landsberg, où il rassembla toutes ses troupes. Le Roi le poursuivit jusqu'à Blumberg.

Pendant que l'armée prussienne était occupée contre les Russes, M. Loudon avait traversé la Lusace dans l'intention de les joindre, et il l'aurait fait, s'il n'avait trouvé le prince François de Brunswic dans son chemin; le Roi l'avait détaché à Beeskow du camp de Tamsel. Ce prince, après lui avoir enlevé différents partis, obligea l'ennemi à se replier sur Lübben. Des raisons plus fortes que celle-là empêchèrent le Roi de pousser plus loin les avantages qu'il avait eus contre les Russes; il fallait accourir en Saxe au secours de S. A. R. le prince Henri. M. de Dohna, en conséquence de ce nouvel arrangement, resta vis-à-vis des Russes, et le Roi partit, pour se joindre au prince son frère, avec le même corps qu'il avait amené dans l'Électorat. L'éclaircissement des faits demande que nous rapportions succinctement ce qui s'était passé jusqu'alors en Saxe.

<234>Dès le mois de juillet,234-a S. A. R. avait occupé le camp de Tschopa, pour s'opposer aux troupes des cercles, commandées par le prince de Deux-Ponts, auquel était joint un corps d'Autrichiens aux ordres de M. de Hadik. S. A. R. fit chasser un détachement des ennemis qui occupait le Basberg, et comme le gros corps des cercles ne s'était pas encore avancé, on se borna à la petite guerre, dans laquelle les Prussiens eurent l'avantage, faisant en différentes rencontres des prisonniers sur les ennemis, du nombre desquels M. de Mittrowsky, général des Autrichiens, fut le plus considérable. S. A. R., ayant des nouvelles de l'approche d'un corps d'ennemis, commandé par M. Dombasle, qui s'avançait sur Zwickau, détacha M. de Finck pour le déloger de la Saxe; ce qui réussit si bien, qu'on le replia sur Reichenbach. Bientôt après, la présence du prince devenant nécessaire aux environs de Dresde, à cause que le prince de Deux-Ponts prenait, par la Bohême, le chemin de Teplitz, l'armée marcha par Chemnitz, et s'établit à Dippoldiswalda, tenant M. de Hülsen avec un détachement à Freyberg, et M. de Knobloch à Maxen. Pendant ce temps, un autre corps des cercles s'étant posté à Waldkirchen, il fut attaqué et battu par M. de Kleist.234-b Mais comme M. de Hadik s'avançait vers Cotta, S. A. R. changea sa position; elle prit le camp de Sedlitz, proche de Pirna, et garnit devant elle les villages de Zehista et de Zuschendorf; de là l'armée prit le camp de Gamig, qui lui était plus convenable. Bientôt le prince de Deux-Ponts parut; il occupa les hauteurs de Struppen, tenant à sa gauche M. de Hadik, qui s'étendait de Rottendorf234-c à Cotta. Il résolut de prendre le Sonnenstein, qui incommodait sa position; il y fit avancer quelques mortiers, et M. de Grape, qui y commandait, se rendit mal à propos, et fut fait prisonnier de guerre.

En même temps, le maréchal Daun s'était avancé en Lusace; il<235> avait laissé un détachement de vingt mille hommes aux ordres de MM. de Harsch et de Ville, qui campaient entre Jägerndorf et Troppau. L'intention du maréchal était de se servir de ce corps pour faire le siége de Neisse, dès que l'éloignement de l'armée prussienne pourrait permettre de tenter cette entreprise; il avait espéré que l'invasion des Russes attirerait vers eux toutes les forces du Roi, et comme ses espérances se trouvèrent frustrées de ce côté-là, il s'avança en Lusace, pour y attirer les Prussiens, et donner à M. de Harsch le temps d'achever son siége. Il s'était d'abord avancé jusqu'à Königsbrück, où il apprit la défaite des Russes; sur quoi, abandonnant les desseins qu'il pouvait avoir sur Meissen ou sur Torgau, il se replia sur Stolpen. Bientôt il borda l'Elbe de différents détachements, dans l'intention de passer ce fleuve à Pillnitz, et de prendre à dos la position des Prussiens à Gamig, pendant que le prince de Deux-Ponts et M. de Hadik les entameraient de front. Le prince Henri, qui était informé de ces projets, en donna avis au Roi, ce qui occasionna sa marche rapide pour se joindre au prince son frère. D'abord le maréchal de Keith et le prince Charles eurent ordre de quitter la Silésie pour se joindre en Lusace aux troupes du Roi. M. de Fouqué demeura à Landeshut, et on lui commit la garde des débouchés de la Bohême.

Le corps du Roi partit le 2 de Blumberg, et, passant par Mantschnow, Müllrose, Trebatsch, Lübben, Dobrilugk, Elsterwerda, arriva le 9 à Döbritz,235-a près de Grossenhayn, où le maréchal Keith et le margrave le joignirent. Ce corps avait passé par Hartmannsdorf, Pribus, Muskau, Spremberg, Senftenberg. MM. de Werner et de Möhring235-b avaient battu chemin faisant, l'un à Pribus et l'autre à Spremberg, deux détachements autrichiens, et leur avaient fait au<236> delà de cinq cents prisonniers. L'armée se campa le 12 entre Boxdorf et Reichenberg, d'où le Roi s'aboucha avec le prince son frère, pour prendre ensemble les mesures convenables aux circonstances présentes. Le même soir, l'armée se mit en marche; il s'agissait d'occuper les hauteurs de Weissig avant l'ennemi. Les Autrichiens avaient au Cerf blanc un poste qu'il fallait déloger : le Roi y marcha tout droit, et M. de Wedell, par un chemin qui vient de Radeberg, et qui tourne cette position; les Autrichiens furent forcés de se retirer, et dès que les têtes de l'armée eurent gagné les hauteurs de Weissig, elles donnèrent sur des hussards et des dragons qui y étaient marchés dans l'intention de protéger le campement du maréchal Daun; celui-ci s'y était avancé pour y tracer la position des troupes. Tous ces corps furent repliés, et l'armée du Roi prit le camp de Schönfeld, vis-à-vis du camp du maréchal Daun, qui s'étendait de Lohmen par Stolpen vers Bischofswerda. On assura aussitôt la communication des deux armées prussiennes par des ponts sur l'Elbe. L'armée du Roi était arrivée à propos, car M. de Lacy était commandé avec tous les grenadiers autrichiens pour construire le pont de Pillnitz, et il faut avouer que le maréchal Daun aurait eu tout le temps d'exécuter ce dessein avant l'arrivée du Roi, s'il avait été dans son caractère d'agir avec plus de vivacité et de promptitude.

Le même jour que l'armée prit la position de Schönfeld, le général de Retzow fut envoyé avec un détachement pour déloger M. Loudon de Radeberg; l'Autrichien se retira sur Arnsdorf et Fischbach. On résolut de l'entamer de nouveau dans ce poste; pour cet effet, le prince François236-a marcha avec quelques bataillons afin de se présenter sur son front; M. de Retzow le tourna par sa droite, et le Roi, par la gauche. Il est apparent que ce corps aurait été ruiné, si tous<237> les ressorts eussent bien joué ensemble; mais il arrive d'ordinaire que de semblables projets ne réussissent qu'en partie : Loudon perdit cependant au delà de cinq cents hommes dans cette affaire; il se sauva par le bois, et occupa les monticules de Hartha, où il campa sous la protection du canon du maréchal Daun.

Quoique les Prussiens eussent de petits avantages, rien n'était néanmoins décidé pour les grandes choses. Un objet principal, dans les circonstances où se trouvaient les armées, c'était d'éloigner l'armée impériale des bords de l'Elbe. Il était difficile d'y réussir autrement qu'en lui donnant des jalousies sur les convois qu'elle tirait de Zittau, afin d'obliger le maréchal Daun à faire les mouvements qu'on désirait. Le Roi quitta son camp de Schönfeld, et se porta avec son armée sur Rammenau; par cette position, les Prussiens s'approchaient du flanc de l'ennemi, et pour lui causer plus d'inquiétude, M. de Retzow se rendit à Bautzen, et s'y établit avec son corps. Loudon occupait encore vis-à-vis de notre gauche, proche de Bischofswerda, une hauteur dont il fut résolu de se rendre maître. Pour cet effet, le prince de Würtemberg tourna les Autrichiens à dos, et le Roi se présenta sur leur front. M. Loudon n'attendit point que l'affaire s'engageât, mais il se replia en grande confusion au delà de Bischofswerda; nous occupâmes son camp et la ville. Le maréchal Daun craignit à son tour que la position des Prussiens ne lui portât préjudice; il avait renoncé dans ce moment aux projets qu'il avait formés sur l'armée du prince Henri; il fut obligé de se rapprocher de ses vivres, et se proposa en même temps de se choisir un terrain assez avantageux, par lequel il pût couper les Prussiens de la Silésie, pour donner à M. de Harsch le temps d'assiéger et de prendre Neisse.

Ce fut enfin le 5 d'octobre que le maréchal abandonna les environs de l'Elbe, et que, passant par Kruste et Neukirch, il se campa, à Kittlitz, sur les hauteurs de Löbau jusqu'au Stromberg. Le prince de Durlach fut posté, avec sa réserve, de Reichenbach et Arnsdorf vers<238> Döbschütz. Sur ce mouvement de l'ennemi, M. de Retzow fut envoyé occuper le Weissenberg. L'armée marcha à Bautzen, d'où M. de Wedell fut détaché, avec six bataillons et quelque cavalerie, pour s'opposer aux Suédois, qui s'étaient avancés jusqu'à Pasewalk. De Bautzen l'armée du Roi s'avança vers l'ennemi, et prit sa position entre Hochkirch et Kotitz, le quartier général à Rodewitz. L'armée se trouvait alors affaiblie par le départ du détachement de M. de Wedell, et par la grosse garnison qu'il fallait tenir dans Bautzen pour couvrir la boulangerie contre les entreprises de l'ennemi. Le projet du Roi était, en prenant le camp de Hochkirch, de cacher aux Autrichiens son véritable dessein, qui était de se joindre à M. de Retzow, posté à côté de notre flanc gauche, et de tomber conjointement sur le prince de Durlach du côté de Dobschütz, ce qui ne pouvait s'exécuter que la nuit du 14 au 15, à cause que l'approvisionnement des vivres pour l'armée ne pouvait pas être arrangé plus tôt. Cependant une partie du convoi nous joignit le 12. Le maréchal Keith, qui en était, fut attaqué en chemin par Loudon; l'ennemi fut repoussé avec perte de quatre-vingts hommes. Un prince de Lichtenstein, lieutenant-colonel au régiment de Löwenstein, fut du nombre des prisonniers. Après cette affaire, Loudon, ayant rassemblé ses troupes dispersées, s'établit avec elles dans un bois qui était à un gros quart de lieue d'Allemagne au delà de notre droite, vis-à-vis du village de Hochkirch; un fond marécageux séparait notre flanc droit de ces hauteurs.

La bataille dont nous allons parler incessamment, nous oblige d'entrer dans un détail plus circonstancié du terrain que les deux armées occupaient. Le village de Hochkirch, où s'appuyait la droite du Roi, est situé sur une éminence; un cimetière d'une maçonnerie épaisse, capable de contenir un bataillon, domine sur toute la contrée; le village s'étend en long, et formait le flanc naturel de l'armée; il était garni de six bataillons; une batterie de quinze canons était<239> construite à l'angle du front et du flanc; devant la ligne du front coule un ruisseau entre des bords de rochers; au pied de la hauteur de Hochkirch se trouvent un moulin et quelques cabanes, où l'on avait placé un bataillon franc pour défendre le passage, ce qui était d'autant plus sûr, qu'il se trouvait sous la protection de notre canon vers Rodewitz, où se trouvait le quartier général. Une partie du camp passait le ruisseau, à cause des hauteurs qu'il fallait nécessairement occuper, et de la communication avec le corps de M. de Retzow, qu'on assurait, et dont on abrégeait le chemin par cette position. La droite du maréchal Daun, comme nous l'avons dit, s'appuyait sur le Stromberg; son centre était sur des hauteurs inexpugnables; sa gauche tirait vers Jauernick et Sornsig. Il fit préparer en secret des chemins pour quatre colonnes, qui conduisaient au bois dont M. Loudon avait pris possession. Son projet était d'attaquer l'armée prussienne par quatre endroits à la fois, savoir : par le poste de Loudon, par le moulin qu'occupait le bataillon franc, par cette partie vers Kotitz qui se trouvait au delà du ruisseau, et la quatrième attaque devait se faire par le prince de Durlach sur le poste du Weissenberg, où commandait M. de Retzow.

Ce fut la nuit du 13 au 14 d'octobre que le maréchal Daun exécuta son dessein. L'attaque du moulin gardé par le bataillon franc fut la première; les ennemis l'emportèrent sans grande peine. En même temps, Loudon, ayant trouvé le moyen de se glisser avec ses pandours à dos de l'armée, mit le feu au village de Hochkirch, ce qui obligea les bataillons qui le gardaient à l'abandonner. L'ennemi se saisit, dans cette confusion, de la batterie qui était à la pointe du village; en même temps, le brave major Langen239-a se jeta avec un bataillon du margrave Charles dans le cimetière de Hochkirch. L'armée n'eut que le temps<240> de prendre les armes, et non celui d'abattre les tentes. Le Roi entendit tirer le canon, et quoiqu'il ne fût averti de rien, il prit d'abord trois brigades du centre, avec lesquelles il marcha à la droite; les ténèbres étaient si épaisses, qu'on ne voyait pas à un pas devant soi. On s'aperçut d'abord que l'ennemi était maître de notre grande batterie, parce que les boulets de canon volaient dans le camp, et qu'il aurait été impossible qu'ils eussent pu y parvenir des batteries de l'ennemi. Le village de Hochkirch en flammes fut le fanal qui éclaira nos dispositions. Le Roi prit par le derrière de son camp, pour tourner ce village; dans la marche, on donna sur un corps de grenadiers autrichiens, dont trois mille furent pris; mais dans la confusion du combat, n'ayant pas du monde de reste pour les garder, la plupart s'échappèrent. Notre infanterie tourna Hochkirch, et commençait à pousser les Autrichiens, lorsque quelques escadrons ennemis, qu'on ne pouvait pas distinguer dans l'obscurité, la ramenèrent; les gendarmes et le régiment de Vasold240-a firent une charge fort vive; tout ce qu'ils rencontrèrent, plia devant eux; mais ne pouvant pas se diriger dans l'obscurité, ils donnèrent sur de l'infanterie postée à ce bois que Loudon avait occupé dès la veille; tout le canon des Autrichiens y était, et l'infanterie, bien et avantageusement établie; ce canon tira à mitraille, ce qui força la cavalerie prussienne à se retirer auprès de son infanterie. D'un autre côté, le maréchal Keith et le prince Maurice d'Anhalt voulurent reprendre la batterie qui était perdue; ils se mirent à la tête de quelques bataillons, pour traverser le village de Hochkirch; le chemin qui passe le village est étroit; à peine sept hommes de front pouvaient-ils y tenir, et ils trouvèrent, en voulant déboucher de là, que les Autrichiens les débordaient si considérablement, qu'ils ne purent jamais se former pour mener leurs troupes à la charge; ils furent aussitôt contraints de se replier.<241> Le maréchal Keith y fut tué, M. de Geist, mortellement blessé, et le prince Maurice, dangereusement.

Quoique à différentes reprises on tentât de passer le village, il n'y eut pas moyen de réussir; l'incendie était trop considérable, et la bataille fut perdue. Pour couvrir la retraite, le Roi envoya des ordres à M. de Retzow de le joindre incessamment. Ce général avait repoussé le prince de Durlach à trois reprises. Ce prince ne pouvait venir à lui qu'en traversant un défilé; M. de Retzow y laissa défiler le nombre qu'il lui plut; après quoi il chargea l'ennemi et le culbuta, avec une perte considérable, dans le lieu d'où il avait débouché; cette manœuvre s'était répétée à trois reprises lorsqu'il fut obligé de rejoindre l'armée. Il arriva à propos à notre gauche. Le Roi avait été contraint de la dégarnir, pour porter des secours à sa droite; cependant il ne put pas arriver assez à temps pour empêcher que le bataillon de Kleist ne fût entouré par l'ennemi, et contraint de mettre les armes bas. La droite de l'armée se soutenait, quelque effort que fît l'ennemi pour dépasser le village de Hochkirch. La bataille avait commencé à quatre heures : à dix le cimetière fut emporté; le village et la batterie étaient déjà perdus; l'ennemi s'était trop bien établi pour qu'on pût le déloger; un gros corps de cavalerie venait à dos de l'armée; M. de Retzow avait abandonné le Weissenberg : dans ces circonstances, la position de l'armée n'était plus soutenable, et il ne restait d'autre parti à prendre que celui de la retraite. La cavalerie descendit la première des hauteurs dans la plaine, pour couvrir la marche de l'infanterie. La droite de l'infanterie prit alors le chemin de Doberschütz, où l'on marqua le camp, et le corps de M. de Retzow fit l'arrière-garde de l'armée. La cavalerie autrichienne attaqua la nôtre à différentes reprises; mais elle fut vigoureusement repoussée par M. de Seydlitz et par le prince de Würtemberg. Le camp que l'armée prit était bon, proche de Bautzen, entouré d'un double fossé marécageux, et sur<242> des collines qui n'étaient dominées d'aucun côté. Le maréchal Daun retourna le même jour dans son ancien camp, et il ne parut pas qu'il eût gagné la victoire. Les Prussiens perdirent, comme nous en avons touché quelque chose, des personnes dignes par leur grand mérite d'être regrettées, le maréchal Keith, le prince François de Brunswic242-a et M. de Geist;242-a presque tous les généraux eurent des contusions ou des blessures : le Roi, le margrave Charles, et tant d'autres qu'il serait trop long de nommer. Nous perdîmes trois mille hommes, la plupart d'infanterie, et il ne nous resta du nombre des prisonniers que nous avions faits sur l'ennemi, qu'un général, nommé Vitteleschi, et sept cents hommes.

Durant que tout ceci se passait en Lusace, MM. de Ville et de Harsch tenaient Neisse étroitement bloqué; on était informé qu'un train d'artillerie de cent canons et de quarante mortiers devait partir d'Olmütz pour se rendre en Silésie. En combinant avec ces préparatifs l'effet qu'une victoire gagnée produit sur l'esprit des Autrichiens, il était facile de prévoir que le siége de Neisse en serait la suite. Cette place était trop importante pour que le Roi n'employât pas tous les moyens imaginables pour la sauver; cependant on ne pouvait en faire lever le siége qu'en marchant en Silésie avec une armée. Le point de la difficulté était de ne point déranger les affaires d'un côté pour les redresser d'un autre. Enfin, sur la nouvelle que les Russes avaient abandonné Stargard, et dirigeaient leur marche par Reetz et Callies sur la Pologne, le Roi prit les mesures suivantes : il attira à lui le<243> prince son frère avec dix bataillons et du canon pour remplacer celui que l'on avait perdu; le comte de Dohna reçut ordre de se rendre en Saxe, et de ne laisser en Poméranie qu'un corps sous M. de Platen, pour secourir Colberg, que M. de Palmbach assiégeait avec quinze mille Russes : le comte de Dohna fut instruit de diriger sa marche sur Torgau, pour pouvoir de là se tourner du côté qui aurait le plus besoin de sa présence; M. de Finck prit le commandement du reste du corps du prince Henri, qui tenait le camp de Gamig. Tandis que ces ordres partaient, le maréchal Daun s'avança, et vint se camper proche de l'armée du Roi. Un détachement couvrait son flanc à Buchwald; sa droite s'appuyait à Cannewitz, d'où la ligne prenait par Belgern, Wurschen, Drehsa, en forme de demi-cintre convexe, par Grubschütz et Strehla; sa réserve prit le poste de Hochkirch. Quelque formidable que fût l'aspect de ces troupes, les Prussiens en avaient d'autant moins à craindre, qu'à peine les Autrichiens eurent-ils pris cette position, qu'ils se retranchèrent jusqu'aux dents.

Les deux points qui méritaient une attention sérieuse, étaient la conservation de Bautzen, où se trouvaient les vivres et la boulangerie de l'armée, et le moulin de Malschwitz, qui est sur une hauteur, dont il ne fallait pas souffrir que l'ennemi s'emparât. Le Roi garantit la ville de Bautzen contre les entreprises des Autrichiens par un corps intermédiaire, qu'il plaça entre cette ville et sa droite; et pour le moulin, à l'extrémité de la gauche, il n'y mit que des vedettes de hussards, pour que l'ennemi ne s'aperçût point de l'importance dont nous était ce poste. La raison d'en user ainsi était que le moulin se trouvait à la distance d'un quart de mille de la gauche, de sorte qu'en gardant la position de l'armée, on ne pouvait pas le soutenir à cause de son éloignement; et l'importance de ce moulin consistait en ce que, dans la marche que le Roi méditait de faire, il ne pouvait pas gagner Görlitz avant le maréchal Daun, si ses colonnes ne passaient<244> au pied de ce moulin; de sorte qu'au cas que l'ennemi y eût placé des troupes, il fallait passer la Sprée derrière le camp et la repasser plus bas, ce qui faisait un circuit de deux milles de détour pour les troupes.

Le maréchal Daun, de son côté, supposait que le Roi, lorsqu'il apprendrait le siége de Neisse, n'aurait aucun autre expédient pour se rendre en Silésie que celui de l'attaquer, et ce fut la raison qui lui fit prendre cette position de Cannewitz et de Wurschen, et qui lui donna l'idée de se retrancher. Cela parut même par une lettre qu'il écrivit à M. de Harsch, dans laquelle il dit : « Faites votre siége tranquillement; je tiens le Roi; il est coupé de la Silésie, et s'il m'attaque, je vous en rendrai bon compte. » Il en arriva tout différemment que le maréchal se l'imaginait. Le prince Henri partit, avec son détachement, de Gamig; il passa par Marienstern, et arriva le 21 à l'armée du Roi, sans rencontrer d'ennemis sur sa route.

Tous les préparatifs de la marche ne purent être achevés que le 24, et le même soir l'armée se mit en marche. La garnison de Bautzen servit d'escorte aux vivres de l'armée; ce corps prit les devants dès la nuit précédente, et passa par Cummerau, Neudorf, Troben et Culmen. L'armée marcha sur deux colonnes. On forma l'arrière-garde sur la hauteur du moulin à vent, d'où l'on prit par Leichnam, Jeschnitz, tournant entièrement la droite de l'ennemi; ensuite on se porta sur Weigersdorf, et de là sur Ullersdorf, où l'armée campa. M. de Möhring, qui avait eu l'avant-garde du bagage, surprit près d'Ullersdorf trois cents cavaliers autrichiens, dont peu se sauvèrent, et la colonne du Roi ayant donné proche de Weigersdorf sur un bataillon de pandours qui ne se croyait pas exposé à l'ennemi, ce bataillon fut totalement détruit.

Le lendemain 26, l'armée devança le jour, pour gagner Görlitz avant le maréchal Daun. L'avant-garde, composée de hussards et de dragons, y arriva la première; elle trouva d'abord un corps de cava<245>lerie posté derrière un défilé du côté de Rauschwalda; il n'était pas possible de l'attaquer dans cette position avantageuse; on fit, en escarmouchant, ce que l'on put pour l'engager à combattre, mais inutilement. On apprit enfin par un transfuge que c'était le corps des carabiniers et grenadiers à cheval, commandé par un général espagnol, nommé d'Ayasassa, et sur cet éclaircissement, on résolut de choquer la fierté espagnole, pour engager ce général à passer le défilé et à se laisser battre; pour cet effet, des hussards lui montrèrent, en se tournant, des parties que la bienséance demande que l'on cache devant le public. A peine quelques hussards lui eurent-ils présenté ce spectacle, que, ne pouvant plus y tenir, il passa le défilé en fureur, et fondit sur ceux dont il se croyait insulté. Aussitôt les dragons le chargèrent, et culbutèrent sa troupe dans le même défilé qu'il avait passé avec tant d'imprudence. Il y perdit huit cents hommes, que les Prussiens firent prisonniers; d'Ayasassa se sauva sous la montagne de Landeskrone, où le prince de Durlach venait d'arriver avec la réserve qu'il commandait. L'infanterie de l'avant-garde prussienne arriva en même temps; on s'en servit pour s'emparer de Görlitz, qui se rendit sans grandes difficultés. L'armée du Roi y appuya sa gauche; sa droite fut poussée à Gierbigsdorf et Ebersbach. Ce flanc était couvert par un ruisseau bourbeux qui coule dans un fond dont le revers du côté des Prussiens était escarpé. Les Autrichiens arrivèrent l'après-midi; le maréchal Daun étendit son armée derrière la Landeskrone, d'Ossig vers Markersdorf. Le Roi fut obligé de rester dans ce camp pour donner quelques jours à l'arrangement des vivres, de sorte que l'armée ne put se mettre en marche que le 30. Les troupes décampèrent de nuit, pour qu'elles eussent achevé de passer la Neisse avant que l'ennemi en pût être informé. On trouva M. Loudon embusqué dans le bois de Schönberg. Les Prussiens faisaient cette marche légèrement, parce que les bagages et les vivres avaient pris la route de Naum<246>bourg-sur-le-Queis. L'arrière-garde fut toutefois attaquée proche de Schönberg, et ce ne fut qu'une bataille durant toute la route; M. Loudon y était encouragé par un renfort de douze mille hommes que le maréchal Daun lui avait envoyé; de son côté, S. A. R. le prince Henri, qui commandait cette arrière-garde, fit de si bonnes dispositions, soutint les brigades réciproquement, en posta d'autres si à propos pour recevoir celles qui se retiraient pour poursuivre leur chemin, qu'il n'y eut que du temps de perdu. A la vérité, M. de Bülow,246-a lieutenant-général, et environ deux cents soldats furent blessés; s'il y eut d'ailleurs quinze hommes de tués, ce fut le bout du monde. Arrivé à Lauban, il fallut préparer des ponts sur le Queis; ce qui fit perdre un jour.

Le 1er de novembre, l'armée prit la route de la Silésie; on se prépara surtout à bien recevoir l'ennemi à l'arrière-garde, car sa force se trouvait assez considérable pour mériter cette attention. Le camp prussien avait ses deux ailes sur deux croupes de montagnes qui aboutissaient chacune vers le Queis; plus on approchait de Lauban, plus les hauteurs dominaient celle du camp. On forma sur chacune de ces hauteurs une arrière-garde séparée. Le Roi se trouvait à la croupe de la droite, le margrave,246-b à celle de la gauche; des hussards furent placés dans le fond, entre ces deux corps d'infanterie, pour agir selon le besoin. Derrière ces premiers corps, des brigades d'infanterie et d'artillerie, en échelons, occupaient les hauteurs dominantes, pour que chaque corps qui se repliait, pût se retirer sous la protection d'un autre. Au premier mouvement rétrograde que firent les troupes prussiennes, M. Loudon accourut plein d'ardeur, pour entamer cette<247> arrière-garde; il ne s'en fallut de rien que les hussards ne le fissent prisonnier. Il voulut occuper le premier emplacement que le Roi venait de quitter; il y menait déjà son artillerie; mais le feu préparé des batteries prussiennes démonta son canon, mit son infanterie en désordre, et l'obligea de s'enfuir. Il tâcha de renouveler cette manœuvre à trois reprises : tout cela fut inutile; car des feux préparés de même que le premier lui firent essuyer un même sort. Les hussards de Puttkammer, embusqués dans un bois, donnèrent enfin sur son monde, et le dégoûtèrent pour ce jour d'inquiéter de nouveau la marche des Prussiens. S. A. R., qui s'était postée à l'autre bord du Queis, y reçut l'arrière-garde, après quoi le Roi et son frère se séparèrent : le Roi marcha, par Löwenberg, Pombsen, Jauernick et Girlsdorf, à Nossen; le prince Henri marcha à Landeshut, où il releva M. de Fouqué, qui vint joindre le Roi sur la route de Neisse.

M. de Harsch assiégeait Neisse depuis le 20 d'octobre. Son attaque était dirigée sur le fort de Prusse, du côté de Heidersdorf. La seconde parallèle, achevée, se trouvait à trente toises du chemin couvert, et toutes les batteries étaient montées. Quoique le maréchal Daun y eût envoyé des secours par le chemin de Silberberg, sur le bruit répandu de l'approche du Roi, les Autrichiens levèrent le siége. M. de Treskow, commandant de la place, saisit ce moment, et fit une sortie où l'ennemi perdit huit cents hommes; MM. de Harsch et de Ville se retirèrent en hâte, ils passèrent la Neisse, et se replièrent par Ziegenhals à Jägerndorf, en abandonnant aux environs de Neisse des amas considérables de munitions de guerre, qu'on ne leur donna pas le temps de transporter. M. de Fouqué suivit les ennemis dans la Haute-Silésie, et il s'établit à Neustadt, d'où il pouvait le mieux les observer.

A peine les troupes furent-elles arrivées près de Neisse, que le Roi se prépara à une nouvelle expédition. Après le départ des Prussiens de la Lusace, le maréchal Daun avait pris, le 4 d'octobre, le chemin<248> de l'Elbe; le 7, il passa cette rivière à Lohmen, et prit le camp de Pirna; M. de Finck, qui était demeuré à Gamig depuis l'absence de S. A. R., ne put tenir cette position contre un nombre aussi supérieur d'ennemis : il se replia sur le Windberg, et de là sur Kesselsdorf, pendant que le maréchal Daun détacha les troupes des cercles vers Eilenbourg, Torgau et Leipzig. Le comte de Dohna était en marche de ce côté-là.

Les Russes, comme nous l'avons dit, avaient pris le chemin de la Pologne, à l'exception de M. de Palmbach, qui, avec un détachement de quelques milliers d'hommes, avait entrepris le siége de Colberg. Ce général russe avait poussé ses travaux avec force; le 26 et le 27 d'octobre, il donna des assauts consécutifs au chemin couvert de la place, et fut chaque fois vigoureusement repoussé; il préparait un nouvel assaut pour le 29; les Russes avaient même préparé des bateaux, au moyen desquels ils se flattaient de passer le fossé capital, pour emporter la place d'emblée. Le comte de Dohna ayant envoyé M. de Platen au secours de Colberg, ce général battit auprès de Greifenberg un corps d'observation que les Russes y avaient placé; après quoi il s'avança jusqu'à Treptow. Son arrivée dégoûta M. de Palmbach de siéges et d'assauts, et il se retira, par Cöslin et par Bublitz, en Pologne. La tranchée fut ouverte le 3, et la place, dégagée le 29 d'octobre. Le sieur de Heyde,248-a commandant de la place, se distingua durant ce siége par ses bonnes dispositions, sa vigilance et sa fermeté.

Le comte de Dohna attira à lui M. de Wedell, qui avait servi contre les Suédois, qui les avait battus à Fehrbellin, poussés par Ruppin au delà de Prenzlow, qui avait enlevé le détachement entier de Hessenstein248-b dans la seigneurie de M. d'Arnim, et que la victoire<249> avait suivi partout. M. de Manteuffel le releva avec moins de troupes, et pendant la marche de la Saxe, M. de Wedell conduisit l'avant-garde du comte de Dohna. Précisément lorsque M. de Hadik arriva près de Torgau, l'avant-garde prussienne y parut en même temps; M. de Hadik se replia par les bois sur Eilenbourg; M. de Wedell le suivit à la trace, et quoique les ponts de l'Elster fussent rompus, la cavalerie prussienne passa la rivière à gué, et donna si à propos sur l'ennemi, que M. de Hadik perdit deux cents hommes et trois canons. Le comte de Dohna suivit M. de Wedell d'Eilenbourg; il s'avança vers Leipzig, que les cercles avaient investi. Le prince de Deux-Ponts, intimidé par l'échec que M. de Hadik venait d'essuyer, n'attendit pas l'approche des Prussiens; le siége fut levé; il se retira en hâte sur Colditz; de là il tourna vers Plauen, et alla prendre dans l'Empire des quartiers du côté de Hof et de Baireuth.

Pendant que le prince de Deux-Ponts et M. de Hadik fuyaient vers l'Empire, le maréchal Daun s'approchait de Dresde. Le corps prussien, trop exposé à Kesselsdorf, passa l'Elbe, et se campa au faubourg du Nouveau-Dresde, entre le Fischhaus et les Scheunen. M. de Schmettau, qui était commandant de Dresde, voyant que les Autrichiens se préparaient pour s'emparer du faubourg de Pirna, y fit mettre le feu. Le maréchal Daun ménageait la jeune cour, qui était dans la ville; il est à croire que sans elle il aurait été plus entreprenant; cependant les fossés de la place étaient bons. Le Roi avait quitté la Silésie; son avant-garde se trouvait au Weissenberg, de sorte que le commandant pouvait en toute sûreté attendre l'arrivée de ce secours. Le retour du Roi acheva de déranger les projets du maréchal Daun. Le comte de Dohna avait renvoyé l'armée des cercles; la saison avancée, et l'armée du Roi qui en trois marches pouvait être à<250> Dresde, toutes ces considérations inspirèrent au maréchal Daun le dessein de se retirer. Il décampa le 15 de Grünau et de Leipnitz, et rentra en Bohême, où il mit ses troupes en quartiers d'hiver. Sur la nouvelle de son départ, le margrave Charles, qui était avec le gros de l'armée à Görlitz, reçut ordre de ramener les troupes en Silésie. Le Roi, qui était au Weissenberg, poussa à Dresde, où les arrangements se firent pour les quartiers d'hiver. Le comte de Dohna retourna dans la Poméranie et le Mecklenbourg; M. de Hülsen s'établit à Freyberg, sur les frontières de la Bohême; M. d'Itzenplitz commanda à Zwickau, et en Silésie on tira un cordon le long des frontières de la Bohême, de Greifenberg à Glatz; pour M. de Fouqué, il occupa Jägerndorf, Léobschütz, Neustadt et les environs.

Nous n'avons fait qu'une légère mention de la campagne des Suédois, auxquels on n'avait opposé que des détachements de la garnison de Stettin, jusqu'à ce que le Roi y détacha M. de Wedell du camp de Rammenau en Lusace. Les prouesses des Suédois consistaient à pénétrer dans le plat pays lorsqu'ils n'y trouvaient aucune opposition; un faible détachement les réduisait à la défensive; et bien loin d'avoir fait des conquêtes, ils se trouvèrent trop heureux qu'on leur permît, l'hiver, de se cantonner aux environs de Stralsund. Nous avons également passé en silence quelques détachements que S. A. R.250-a fit, au commencement du printemps, vers Baireuth et Bamberg; MM. de Driesen et Mayr furent chargés de ces petites expéditions, dont le but était de ralentir les opérations de l'armée des cercles, et de répandre la terreur chez les princes d'Allemagne qui s'étaient déclarés contre le Roi.

Vous trouverez, en considérant le total de cette campagne, qu'elle se distingue des autres par la quantité des siéges qui furent levés : il n'y eut que deux places de prises, Schweidnitz par les Prussiens, et<251> le Sonnenstein par les troupes de l'Empire. D'ailleurs, le Roi leva le siége d'Olmütz, les Russes, ceux de Cüstrin et de Colberg, les Autrichiens, ceux de Neisse et de Dresde, et les troupes des cercles, ceux de Torgau et de Leipzig.

Après la fin de cette longue et fatigante campagne, le Roi, ayant fait raser les ouvrages du Sonnenstein, retourna en Silésie, et établit son quartier général à Breslau.

<252>

CHAPITRE IX.

De l'hiver de 1758 à 1759.

La famille royale perdit, cette année, deux personnes illustres : l'une, le prince de Prusse,252-a qui depuis quelque temps était tombé en langueur, fut emporté, dès le commencement de juin, d'un catarrhe suffocatif, lorsque les Prussiens assiégeaient Olmütz; il fut regretté pour son bon cœur, pour ses connaissances, qui faisaient espérer pour l'avenir un gouvernement doux et heureux. La margrave de Baireuth252-a fut la seconde. C'était une princesse d'un rare mérite : elle avait l'esprit cultivé et orné des plus belles connaissances, un génie propre à tout, et un talent singulier pour tous les arts. Ces heureux dons de la nature faisaient cependant la moindre partie de ce qu'on pouvait dire à son éloge. La bonté de son cœur, ses inclinations généreuses et bienfaisantes, la noblesse et l'élévation de son âme, la<253> douceur de son caractère, réunissaient en elle les avantages brillants de l'esprit à un fond de vertu solide, qui ne se démentit jamais. Elle éprouva souvent l'ingratitude de ceux qu'elle avait comblés de biens et de faveurs, sans qu'on pût citer un exemple qu'elle eût jamais manqué à aucune personne. La plus tendre, la plus constante amitié unissait le Roi et cette digne sœur. Ces liens s'étaient formés dès leur première enfance; la même éducation et de mêmes sentiments les avaient resserrés; une fidélité à toute épreuve des deux parts les rendit indissolubles. Cette princesse, dont la santé était faible, prit si fort à cœur les dangers qui menaçaient sa famille, que le chagrin acheva de ruiner son tempérament. Son mal se déclara bientôt; les médecins reconnurent que c'était une hydropisie formée; leurs remèdes ne purent point la sauver; elle mourut le 14 d'octobre, avec un courage et une fermeté d'âme digne des plus intrépides philosophes. Ce fut le jour même que le Roi fut battu à Hochkirch par les Autrichiens. Les Romains n'auraient pas manqué d'attribuer à ce jour une fatalité, à cause de deux coups aussi sensibles dont le Roi fut frappé en même temps. Dans ce siècle éclairé, on est revenu au moins de cet abus de la superstition de croire les jours heureux ou sinistres. La vie des hommes ne tient qu'à un cheveu; le gain ou la perte d'une bataille ne dépend que d'une bagatelle. Nos destins sont une suite de l'enchaînement général des causes secondes, qui, dans la foule d'événements qu'elles amènent, en doivent nécessairement produire d'avantageux et de funestes.

La même année termina le pontificat du pape Benoît, le moins superstitieux et le plus éclairé des pontifes qui depuis longtemps eussent tenu le siége de Rome. Les factions française, espagnole et autrichienne lui donnèrent pour successeur le Vénitien Rezzonico, qui prit le nom de Clément XIII. La différence de génie de ces deux papes frappa d'autant plus le public, que Clément, peut-être bon<254> prêtre, manquait des talents nécessaires aux souverains de Rome pour gouverner leurs États et l'Église universelle. Ses premiers pas, dès son avénement au pontificat, furent de fausses démarches; il envoya au maréchal Daun une toque et une épée bénites, pour avoir battu les Prussiens à Hochkirch, quoique de tels présents, selon l'usage de la cour romaine, ne se fassent qu'à des généraux qui ont vaincu des nations infidèles, ou dompté des peuples barbares. Cette démarche d'éclat le brouillait donc nécessairement avec le roi de Prusse, qu'il devait ménager à cause du grand nombre des sujets catholiques établis dans les États de sa domination.

Ce pape eut avec le roi de Portugal des démêlés plus indécents au sujet des jésuites. Ces pères avaient fait la guerre aux Espagnols et aux Portugais dans le Paraguay, et les avaient même battus. Depuis ces brouilleries, le roi de Portugal ne jugea plus convenable de confier les secrets de sa conscience et de son gouvernement à des membres d'une société qui avait agi comme ennemie de son royaume. Il renvoya le jésuite dont il s'était servi, et choisit un confesseur d'un autre ordre de religieux. Les jésuites, pour se venger de cet affront, qui tirait d'autant plus à conséquence, que la conduite du Roi pouvait être imitée par d'autres souverains, cabalèrent dans l'État, et excitèrent contre le gouvernement tous les grands du royaume sur lesquels ils avaient du crédit. Le père Malagrida, animé d'un zèle plus ardent, d'une haine théologale plus vive que ses confrères, parvint par ses intrigues à tramer une conspiration contre la personne du Roi, dont le duc d'Aveiro se déclara le chef. Ce duc, sachant que le Roi devait se promener en carrosse, embusqua des conjurés sur le chemin où il devait passer. Le cocher fut tué du premier coup, et de l'autre, le Roi eut le bras cassé. Longtemps après, le secret de la conjuration fut découvert par des lettres que les chefs du parti écrivaient au Brésil pour y causer un soulèvement. Le duc d'Aveiro et ses complices furent<255> arrêtés; ils déposèrent unanimement que cet attentat leur avait été suppédité par les jésuites, instigateurs de tout ce qui venait d'arriver. Le Roi voulut faire une punition exemplaire des auteurs de cet abominable complot. Son juste ressentiment, armé des lois, soutenu par les tribunaux, devait éclater contre les jésuites. Le Pape prit leur défense, et s'y opposa ouvertement. Toutefois ces pères furent bannis du royaume; ils allèrent à Rome, où ils furent recueillis, non comme des rebelles et des traîtres, mais comme des martyrs qui avaient souffert héroïquement pour la foi. Il n'y manquait que des récompenses pour rendre la mémoire du Pape et de son pontificat plus en exécration à la postérité. Jamais la cour de Rome n'avait donné un tel scandale. Quelque vicieux que fussent les pontifes que les siècles précédents avaient détestés, aucun d'eux cependant ne s'était ouvertement déclaré le protecteur du crime et des assassinats.

La conduite peu judicieuse du Pape parut influer sur tout le clergé; la toque bénite qu'il avait envoyée au maréchal Daun, excita une effervescence de zèle bizarre chez les souverains ecclésiastiques d'Allemagne. L'électeur de Cologne entre autres publia un édit dans ses États, par lequel il défendait à ses sujets protestants, sous de grièves peines, de se réjouir des avantages que les Prussiens ou les alliés pourraient remporter sur leurs ennemis. Ce fait, qui par lui-même mérite peu d'être rapporté, mérite pourtant d'être cité, parce qu'il caractérise l'absurdité des mœurs dans un siècle où d'ailleurs la raison a fait tant de progrès. Mais ces farces, qui se passaient aux petites cours, n'attiraient sur elles que la risée ou les sifflets du public; au lieu que les passions qui agitaient les grandes cours de l'Europe, produisaient des scènes plus funestes et plus tragiques.

Nous avons vu, il n'y a pas longtemps, à Versailles l'abbé de Bernis devenir ministre des affaires étrangères, et bientôt cardinal, pour avoir signé le traité de Vienne. Tant qu'il s'agissait d'établir sa for<256>tune, toutes les voies lui furent égales pour y parvenir; mais aussitôt qu'il se vit établi, il songea à se maintenir dans ses emplois en se conduisant par des principes moins variables, et plus conformes aux intérêts permanents de l'État. Ses vues se tournèrent toutes du côté de la paix, pour terminer, d'une part, une guerre dont il ne prévoyait que des désavantages, et d'une autre, pour tirer sa nation d'une alliance contraire et forcée, dont la France portait le fardeau, et dont la maison d'Autriche devait seule retirer tout le fruit et tout l'avantage. Il s'adressa à l'Angleterre par des voies sourdes et secrètes, il y entama une négociation pour la paix; mais la marquise de Pompadour étant d'un sentiment contraire, il se vit aussitôt arrêté dans ses mesures. Ses actions imprudentes l'élevèrent, ses vues sages le perdirent; il fut disgracié pour avoir parlé de paix, et envoyé en exil dans l'évêché d'Aire.256-a M. de Choiseul, Lorrain de nation, ambassadeur de France à la cour de Vienne, fils de M. de Stainville, ambassadeur de l'Empereur à Paris, devint ministre des affaires étrangères dans la place du cardinal disgracié. Il signala son entrée dans le ministère par un nouveau traité d'alliance qu'il conclut avec la cour de Vienne, dont nous donnons la copie à la fin de ce chapitre, pour ne point interrompre ce tableau général que nous faisons au lecteur. En le parcourant, vous vous apercevrez de l'ascendant que la cour de Vienne avait pris sur la cour de Versailles, qui alla encore depuis en augmentant. M. de Choiseul, non content du traité désavantageux qu'il venait de conclure avec l'Impératrice-Reine, ordonna au nom du Roi à l'Académie des inscriptions de frapper une médaille pour éterniser cet événement.

Ces deux cours ne s'en tinrent pas là; elles employèrent leur commun crédit à la cour de Pétersbourg pour ranimer la haine de l'impératrice Élisabeth contre le roi de Prusse; elles lui représentèrent<257> qu'il fallait laver la tache que ses troupes avaient reçue à Zorndorf, en mettant, le printemps prochain, une armée plus nombreuse en campagne. Son favori Schuwaloff ne cessait de lui répéter que, pour changer en terreur le mépris où les Russes étaient chez les Prussiens, il fallait ordonner aux généraux qui commanderaient ces troupes, d'agir avec la plus grande vigueur, et de suivre en tout les impulsions qu'ils recevraient des puissances alliées. Toutes ces insinuations menaient au but qu'avait la cour de Vienne, de charger ses alliés du hasard de la guerre, et de se réserver pour en retirer seule l'avantage. Les ministres de Vienne et de Versailles jugèrent que, pour resserrer plus indissolublement leur alliance avec l'impératrice de Russie, il fallait lui garantir le royaume de Prusse, comme une conquête désormais incorporée dans sa vaste monarchie. Cette proposition fut favorablement reçue par l'Impératrice, et le traité fut conclu et signé en conséquence.

Le roi de Pologne était mêlé dans toutes ces intrigues, non seulement pour aigrir la cour de Pétersbourg contre celle de Berlin, mais voulant encore tirer de l'amitié de l'impératrice Élisabeth des avantages pour sa famille, il la sollicita de procurer par son assistance le duché de Courlande pour son troisième fils, le prince Charles. L'Impératrice, qui favorisait les Saxons, consentit à cet établissement, après quoi Auguste II donna à son fils l'investiture de ce duché. Le nouveau duc alla à Pétersbourg, pour remercier l'Impératrice de cette faveur. Ce prince inquiet et ardent se mêla de toutes les intrigues de la cour; des procédés grossiers, des manières fières et dédaigneuses le brouillèrent avec le grand-duc et son épouse; il s'attira leur inimitié, et cette haine le perdit dans la suite.

Tandis que l'impératrice de Russie donnait des duchés et s'appropriait des royaumes, elle n'était pas elle-même sans appréhension : elle craignait que les Anglais, alliés des Prussiens, et mécontents des pro<258>cédés que les Russes avaient eus envers eux dès le commencement de la guerre, n'envoyassent une flotte dans la Baltique, pour brûler le port de Kronschlot. Pour prévenir de pareilles entreprises, ses ministres négocièrent un traité d'association avec les couronnes de Suède et de Danemark, afin d'interdire le passage du Sund aux flottes étrangères. Cette convention, où les Suédois trouvaient leur compte, et où les subsides de la France obligeaient les Danois de se conformer, fut promptement conclue entre ces trois puissances. L'Angleterre ne s'embarrassait guère des mesures que prenaient les puissances du Nord pour défendre à ses escadres l'entrée de la Baltique; elle dominait sur l'Océan et sur toutes les autres mers, sans s'embarrasser de la Baltique ni du Sund. Ses amiraux Boscawen et Amherst avaient pris Cap-Breton; le sieur Keppel s'était rendu maître de l'île de Gorée sur les côtes d'Afrique. Les Indes leur offraient des conquêtes; les côtes du Danemark, de la Suède, de la Russie, aucune.

Ces grands progrès des Anglais ne soulageaient point le Roi du fardeau qu'il portait, et des risques que sa couronne avait à courir. Il avait demandé en vain aux Anglais une escadre pour couvrir ses ports de la Baltique, menacés par les armements des flottes russes et suédoises. Cette nation heureuse et fière méprisait ses alliés, qu'elle regardait comme des pensionnaires, uniquement attachée aux avantages de son commerce. Tout ce qui n'était pas relatif à cet objet, ne la touchait guère. Ainsi la guerre d'Allemagne et les intérêts du Roi n'entrèrent jamais en considération dans le parlement, ni chez ce peuple dédaigneux, qui méprise tout ce qui n'est pas anglais. Ils étaient si mauvais alliés, que le Roi les trouvait même dans son chemin dans des négociations où la bienséance aurait au moins exigé qu'ils l'assistassent. Nous parlons de celle qui s'était entamée à Constantinople dans la vue de contracter une alliance avec la Porte. Il est certain que les Anglais y auraient trouvé leur avantage; car la diversion<259> que les Turcs auraient faite aux Autrichiens, influait sur toutes les branches de la guerre de terre ferme; elle aurait donné une supériorité aux Prussiens et aux Anglais sur leurs ennemis, qui aurait promptement acheminé les affaires à la paix. Cependant le sieur de Rexin, ministre du Roi, fut sans cesse traversé dans sa négociation par le sieur Porter, ministre de la Grande-Bretagne. D'ailleurs, le nouvel empereur des Turcs, sans éducation, était ignorant dans les affaires, et d'une timidité extrême, tant par la crainte d'être détrôné que par celle du mauvais succès de ses armes, s'il s'engageait dans une guerre avec la maison d'Autriche. Quelque grandes que fussent les sommes qui passaient à cette cour, quelque voie de corruption qu'on tentât, les affaires n'en furent guère avancées, à cause que les Autrichiens et les Français répandaient de l'argent et faisaient des largesses avec la même profusion, et que les Turcs trouvaient plus leur compte à recevoir des récompenses pour ne rien faire que pour entrer en action.

Les efforts inutiles que le Roi avait faits à la Porte, le persuadèrent de plus en plus que, n'ayant rien à attendre des secours étrangers, il ne devait recourir qu'à ses propres ressources. Son attention se tourna uniquement sur son armée; on leva tout le monde qu'on put; on arma, on remonta, on approvisionna les troupes, afin de s'opposer, la campagne prochaine, avec une armée bien conditionnée et nombreuse, à la multitude d'ennemis que les Prussiens auraient à combattre.

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EXTRAIT DU TRAITÉ D'ALLIANCE CONCLU A VERSAILLES, LE 30 DÉCEMBRE 1758, ENTRE L'IMPÉRATRICE-REINE ET LE ROI DE FRANCE.

Ce traité paraît avoir été conclu en opposition de la convention de subsides qui avait été signée, le 11 d'avril de la même année, entre les cours de Prusse et d'Angleterre. Il en est fait mention dans le préambule, et il y est dit en autant de termes : « Que comme on ne pouvait espérer de rétablir la tranquillité de l'Allemagne que par l'affaiblissement de la puissance pernicieuse du roi de Prusse, le Roi Très-Chrétien et l'Impératrice-Reine avaient jugé à propos de resserrer les nœuds de leur union par un traité confirmatif du traité de Versailles du 1erde mai 1756, et de convenir des moyens les plus propres pour forcer l'agresseur de donner satisfaction aux lésés et sûreté pour l'avenir, et pour établir solidement le repos de l'Allemagne, en réduisant le roi de Prusse dans des bornes qui ne lui permissent plus de troubler, au gré de son ambition et de celle de l'Angleterre, la tranquillité générale et celle de ses voisins. » On passe ensuite au traité même, qui contient les articles suivants :

Article Ier.

Les deux parties confirment le traité de Versailles du 1er mai 1756, et le prennent pour base de la présente convention.

Article II.

Le roi de France promet de fournir à l'Impératrice-Reine, pendant tout le cours de la présente guerre, un secours de dix-huit mille<261> hommes d'infanterie et de six mille hommes de cavalerie, soit en troupes, soit en argent, au choix de l'Impératrice-Reine.

Article III.

Ce secours en argent est évalué à trois millions quatre cent cinquante-six mille florins par an.

Article IV.

Le roi de France se charge seul du subside à payer à la Suède.

Article V.

Il promet de soudoyer le corps des troupes saxonnes, et de le renvoyer à la disposition de l'Impératrice-Reine, dès qu'elle le demandera.

Article VI.

Les deux parties s'engagent de procurer au roi de Pologne, électeur de Saxe, non seulement la restitution de ses États, mais aussi un dédommagement proportionné.

Article VII.

Le roi de France promet d'employer cent mille hommes en Allemagne, pour couvrir les Pays-Bas autrichiens et les États de l'Empire.

Article VIII.

La sûreté des côtes de Flandre ayant exigé que les places d'Ostende et de Nieuport fussent mises à l'abri de toute insulte, et le Roi Très-Chrétien ayant voulu se charger de la défense de ces deux places, elles demeureront confiées à la garde de ses troupes pendant tout le temps que durera la présente guerre entre la France et l'Angleterre; mais cet arrangement, uniquement relatif à la sûreté desdites places, ne doit porter aucun préjudice au droit de souveraineté de l'Impératrice-Reine.

Article IX.

Le roi de France promet cependant de restituer les places de Nieuport et d'Ostende, même avant sa paix avec l'Angleterre, si l'on en convenait ultérieurement.

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Article X.

Les pays conquis sur le roi de Prusse seront gouvernés et administrés au nom et par les commissaires de l'Impératrice-Reine; mais les revenus publics appartiendront au Roi Très-Chrétien, à l'exception de quarante mille florins prélevables pour les frais de l'administration.

Article XI.

Les deux parties s'engagent à terminer à l'amiable les discussions particulières qu'elles pourraient avoir.

Article XII.

Le Roi Très-Chrétien promet de faire tous ses efforts pendant la guerre, et d'employer aux conférences pour la paix ses bons offices les plus efficaces, pour qu'au traité à conclure entre l'Impératrice-Reine et le roi de Prusse, le duché de Silésie et le comté de Glatz soient cédés et assurés à la maison d'Autriche, et il se charge d'avance de la garantie de tout ce qui sera stipulé à cet égard entre l'Impératrice-Reine et le roi de Prusse.

Article XIII.

Les deux parties s'engagent à ne faire ni paix ni trêve avec leurs ennemis communs, que d'un parfait concert. Le roi de France promet de ne faire ni paix ni trêve avec le roi d'Angleterre, sans convenir avec lui qu'il fera tous ses efforts pour engager le roi de Prusse à accorder à Sa Majesté Impériale des conditions justes et honorables, ou du moins sans obliger le roi d'Angleterre à promettre qu'il ne donnera plus de secours au roi de Prusse; et l'Impératrice-Reine s'engage à ne faire ni paix ni trêve avec le roi de Prusse, qu'aux mêmes conditions.

Article XIV.

Pour rassurer les États protestants, on confirme le traité de Westphalie, et on s'accorde d'inviter la couronne de Suède d'accéder au présent traité.

<263>

Article XV.

L'Impératrice-Reine renonce à son droit de réversion des duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalle, en faveur des descendants mâles de l'infant Don Philippe.

Article XVI.

Les deux parties s'engagent d'agir de concert avec le duc de Parme auprès du roi des Deux-Siciles, pour fixer l'ordre de succession dans le royaume des Deux-Siciles.

Article XVII.

En retour de la renonciation énoncée dans l'article quinzième, le Roi Très-Chrétien promet d'employer ses bons offices pour déterminer le roi de Naples à céder à l'Empereur ses prétentions sur les biens allodiaux des maisons de Médicis et de Farnèse.

Article XVIII.

L'infant duc de Parme renonce à ses prétentions sur les biens allodiaux des maisons de Médicis et de Farnèse, aussi bien que sur les villes de Bozzolo et de Sabionetta.

Article XIX.

Le Roi Très-Chrétien promet de concourir par ses bons offices pour que l'archiduc Joseph soit élu roi des Romains, d'une manière conforme aux constitutions de l'Empire.

Article XX.

Les deux parties conviennent de ne prendre aucunes mesures par rapport à la future élection d'un roi de Pologne, que d'un concert commun; et leur but n'étant que de maintenir la liberté de la nation polonaise, elles déclarent dès à présent que si le choix libre de la République venait à tomber sur un prince de la maison de Saxe, elles l'appuieront de leur mieux.

Article XXI.

L'Impératrice-Reine étant convenue avec le duc de Modène du<264> mariage de l'archiduc Léopold avec la princesse de Modène, et voulant demander à l'Empereur et à l'Empire l'expectative à la succession féodale de Modène en faveur de l'archiduc Léopold, à condition que les États de Modène ne soient jamais unis à la masse des États de la maison d'Autriche, le roi de France promet d'y concourir par ses bons offices.

Article XXII.

On invitera d'accéder à ce traité l'Empereur, l'impératrice de Russie, et les rois de Suède et de Pologne.

Les deux derniers articles, ainsi que les trois articles séparés, ne roulent que sur de simples formalités.


104-a David-Hans-Christophe de Lüderitz. Voyez t. III, p. 186.

104-b Le Roi ne fait mention ni du général-major Henning-Ernest d'Oertzen, ni du lieutenant-général François-Ulric de Kleist, qui furent blessés mortellement à Lowositz. Il a passé également sous silence le major de Moller, que nous trouvons mentionné avec éloge dans la Lettre de Sa Majesté le roi de Prusse à Son Excellence M. le maréchal comte de Schwerin, en date du 2 d'octobre 1756 (7 pages in-4, imprimées en 1756, sans lieu d'impression). Le Roi s'exprime ainsi : « Moller, de l'artillerie, a fait des merveilles, et m'a prodigieusement secondé. » Charles-Frédéric de Moller fut promu au grade de colonel le 11 mars 1757, et mourut à Freyberg le 8 novembre 1762. En récompense de sa belle conduite à la bataille de Lowositz il fut nommé lieutenant-colonel et décoré de l'ordre pour le mérite.

107-a Jean-George de Lestwitz, lieutenant-général d'infanterie.

108-a Rothwernsdorf.

108-b Hans-Joachim de Zieten, lieutenant-général depuis le 12 août 1756, devint général de la cavalerie sur le champ de bataille de Liegnitz, le 15 août 1760. Voyez t. III, p. 173.

109-a Langenhennersdorf.

110-a Charles-Emmanuel de Warnery était lieutenant-colonel dans le régiment de hussards no 4. Au mois de mai 1757, après la mort du général de Wartenberg, il devint colonel et chef du régiment de hussards no 3. L'année suivante, il entra au service de Pologne, et obtint le grade de général-major.

111-a Auguste III.

111-b Les équipages de l'armée du feld-maréchal Keith quittèrent le camp de Lowositz le 21 octobre; la cavalerie suivit le 22; et le 23, le reste de l'armée arriva au camp du Roi à Linay.

112-a C'est le 13e régiment d'infanterie de la Stammliste de 1806.

112-b L'armée quitta Linay le 26, et elle atteignit Deutsch-Neudörfel; le 27, elle arriva à Schönwald, et le 28, à Gross-Sedlitz. Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1756, no 132, p. 555.

115-a Charles comte de Broglie, second fils du maréchal de France duc de Broglie dont il est fait mention au tome II, p. 108.

122-a A dater de 1747, le grand maître de la reine de Pologne fut Robert-Florian baron de Wessenberg. Le faux nom de Questenberg se trouve aussi dans l'édition de 1788.

123-a Ce fut au sultan Amurat II que le roi Ladislas jura sur l'Évangile de garder la paix qu'il venait de conclure avec lui; le serment fut prêté et la dispense accordée dans l'été de 1444. Voyez J. de Hammer, Geschichte des Osmanischen Reiches, 2e édition, t. I, p. 350 et 353.

124-a Dans le XVIIIe chapitre de son Antimachiavel, Frédéric rappelle aussi ces belles paroles de Jean II, roi de France, qui les prononça à l'occasion du traité de Brétigny, en 1360.

124-b Le major Henri-George de Blumenthal, tué près d'Ostritz le 31 décembre 1756, était le fils aîné du ministre d'État.
     Le 20 février 1757, le major Christophe-Samuel de Götze, commandeur du régiment du prince Henri, trouva la mort près de Hirschfeld, poste que le comte Maguire attaqua ce même jour, mais sans pouvoir le prendre.

125-a Le Roi alla de Dresde à Bautzen le 28 janvier 1757, le 29 à Görlitz, et de là en Silésie. Le 3 février il était déjà de retour à Dresde.

129-a Bernard-Asmus de Zastrow, général-major et chef du régiment d'infanterie no 20, fut tué le 25 avril 1757.

129-b La relation officielle de l'expédition des armées royales, publiée dans les deux gazettes de Berlin du 14 mai 1757, no 58, porte Penitz, nom que les éditeurs de 1788 ont reproduit. Nous n'avons pu le trouver, non plus que celui de Penich, ni sur les cartes ni dans les topographies de la Bohême. Peut-être faut-il lire Peruc ou Perutz.

13-a Du Vieux-Jonc.

131-a Frédéric-Eugène duc de Würtemberg-Stuttgart naquit en 1732; il devint général-major le 17 octobre 1756, lieutenant-général le 4 décembre 1757, et quitta l'armée le 18 mai 1769. Le 6 mai 1795, il reçut le titre de feld-maréchal de l'armée prussienne. Il mourut en 1797.

131-b C'est le régiment d'infanterie no 12, dont le lieutenant-général Louis prince héréditaire de Hesse-Darmstadt était le chef. Les mots commandé par le colonel de Hertzberg, ajoutés ici par les éditeurs de 1788, n'existent pas dans le manuscrit, quoiqu'il soit constaté que ce colonel commandait le régiment dans cette action.

132-a Le a mai. Hartwig-Charles de Wartenberg était général-major et chef du régiment de hussards no 3 de la Stammliste de 1806. Voyez t. III. p. 115.

135-a Joachim-Chrétien de Treskow fut nommé lieutenant-général et chevalier de l'ordre de l'Aigle noir, en récompense de la valeur qu'il avait montrée à la bataille de Prague.

135-b C'est le régiment d'infanterie no 19. Voyez t. II, p. 85.

135-c Il s'agit ici du régiment d'infanterie no 39, dont les chefs, depuis sa formation en 1740, furent les princes Ferdinand, Albert et François de Brunswic. Après la mort de ce dernier, la charge de chef du régiment Jung-Braunschweig resta vacante depuis la bataille de Hochkirch jusqu'en 1763, époque où le prince Guillaume de Brunswic en fut revêtu. Le régiment d'infanterie du prince Ferdinand, no 5, s'appelait Alt-Braunschweig.

135-d George-Louis de Puttkammer, colonel, chef du régiment de hussards no 4.

136-a Au village de Michle ou Michele.

137-a La bataille de Prague coûta la vie à cinq généraux, qui sont : le feld-maréchal comte de Schwerin et le général-major d'Amstel, qui restèrent sur la place; le lieutenant-général de Hautcharmoy, le général-major Emmanuel de Schöning et le général-major Chrétien-Frédéric de Blanckensee, qui furent blessés à mort.
     Le baron Balthasar-Frédéric de Goltz était colonel et commandeur du régiment d'infanterie Fouqué.
     Le duc Frédéric-Guillaume de Holstein-Beck était colonel au régiment d'infanterie du duc de Würtemberg, no 46.
     Le colonel George-Frédéric de Manstein avait le grade de commandeur du régiment d'infanterie du prince François d'Anhalt-Dessau, no 3.

138-a Jean de Mayr, chef d'un bataillon franc, le premier que l'armée prussienne ait eu, devint général-major le 5 septembre 1758, et mourut à Plauen en Saxe, le 3 janvier 1759. Voyez t. II, p. 48, et ci-dessus, p. 108.

139-a Wolf-Frédéric de Retzow, général-major, fut nommé lieutenant-général le jour même de la victoire de Leuthen, en récompense de la conduite distinguée qu'il y avait tenue.

146-a Jean-Didier de Hülsen, né dans la province de Prusse en 1693; en 1754, il devint général-major; en 1758, lieutenant-général et chevalier de l'Aigle noir; et le 23 août 1763, gouverneur de Berlin.

147-a Voyez, au sujet du reproche adressé au prince Maurice, (de Retzow) Charakteristik der wichtigsten Ereignisse des siebenjährigen Krieges. Berlin, 1802, t. I, p. 122-134.
     Maurice prince d'Anhalt-Dessau, né le 31 octobre 1712, était depuis 1741 chef du régiment d'infanterie no 22, et fut promu au grade de feld-maréchal sur le champ de bataille de Leuthen. Il mourut le 11 avril 1760. Voir t. III, p. 186.

148-a No 1 de la Stammliste de 1806, aujourd'hui le second régiment de dragons.

148-b C'est le régiment de cuirassiers no 2. Voyez t. III, p. 154.

148-c Le troisième régiment de dragons de la Stammliste de 1806, qui est resté jusqu'aujourd'hui le troisième régiment. Voir t. II, p. 83.

149-a Chrétien-Sigefroi de Krosigk, général-major et commandeur en chef du régiment de cuirassiers no 5, resta parmi les morts sur le champ de bataille.

149-b Ce n'est pas le colonel Ayasassa, mais le lieutenant-colonel de Benkendorf, commandeur d'un régiment de dragons saxons, qui attaqua de son propre mouvement l'infanterie prussienne. Voyez G. F. von Tempelhof, Geschichte des siebenjährigen Krieges in Deutschland. Berlin, 1783, in-4, t. I, p. 207 et 216, et (de Retzow) Charakteristik der wichtigsten Ereignisse des siebenjährigen Krieges. 1802, t. I, p. 138.

151-a Trzebautitz.

151-b Le général-major de Manstein fut blessé grièvement près de Kolin. Il périt atteint d'une balle, le 27 juin 1757, près de Welmina. Voyez ci-dessus, p. 97, 135 et 147.

152-a Nicolas-Laurent de Puttkammer, général-major d'infanterie.

154-a Le colonel Paul de Werner devint général-major le 17 septembre 1758, et lieutenant-général le 20 février 1761. De 1757 à 1785, il fut chef du régiment des hussards bruns, no 6.

154-b Le Roi nomma le colonel Frédéric-Auguste de Finck commandant de Dresde le 30 août 1757, et général-major le 10 novembre de la même année. Le 25 février 1759, cet officier fut promu au grade de lieutenant-général.

156-a Philippe-Guillaume de Grumbkow, général-major d'infanterie.

157-a Charles-Guillaume-Ferdinand, né le 9 octobre 1735; après la mort de son père, arrivée en 1780, il devint duc régnant de Brunswic-Wolfenbüttel, et mourut à Ottensen près d'Altona, le 10 novembre 1806. Il entra dans l'armée prussienne le 11 janvier 1773 en qualité de général de l'infanterie, et fut nommé feld-maréchal le 1er janvier 1787.

159-a Le nom de Jäckelsberg est plus usité que celui de Holzberg.

160-a Hans-Charles de Winterfeldt, lieutenant-général, né en Poméranie le 4 avril 1707, mourut à Görlitz le 8 septembre 1757.

160-b Au lieu de Beckern il faut lire ici, ainsi qu'à la page suivante, Barsdorf, et mieux encore Barschdorf. Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1757, no 124. p. 497.

161-a Le régiment d'infanterie Prince de Prusse est le régiment no 18 de la Stammliste de 1806. Le prince Auguste-Guillaume, depuis prince de Prusse, en devint le chef après la mort du général-major de Derschau, vers la fin de l'année 1742.

161-b Le duc Charles-Eugène de Würtemberg est le même dont il a déjà été fait mention t. III, p. 28.

161-c Le 29 août.

161-d Frédéric-Guillaume de Seydlitz, né à Calcar dans le duché de Clèves le 3 février 1721. Le 20 juin 1757, il devint général-major et chef du régiment de cuirassiers no 8; après la bataille de Rossbach, il fut fait chevalier de l'Aigle noir, et quinze jours plus tard, le 20 novembre, lieutenant-général.

162-a Ce colonel Székely était chef du régiment de hussards no 1.
     Le major Frédéric-Guillaume-Godefroi-Arnd de Kleist servait alors dans le même régiment, et en devint le chef, le 11 mai 1759, lorsque Michel de Székely, général-major depuis le 25 mars 1758, eut demandé sa démission.

163-a L'authenticité de cette lettre est mise en doute dans l'ouvrage intitulé : Des Grafen Rochus Friedrich zu Lynar Hinterlassene Staatsschriften. Hambourg, 1797, t. II, p. VIII et IX.
     Ce comte de Lynar est le frère cadet du comte Maurice-Charles de Lynar dont le Roi fait mention t. II, p. 73, 90 et 112.

167-a Pierre de Meinike, né à Rathenow, devint le 19 mars 1757 général-major et chef du troisième régiment de dragons. En 1761, il donna sa démission à cause de ses blessures, et il mourut en 1775, âgé de soixante-quinze ans.

167-b C'est le no 4 de la Stammliste de 1806, à présent le troisième régiment de dragons. Voyez t. II, p. 83. Dans une lettre adressée à Ferdinand duc de Brunswic et datée du lendemain de l'affaire de Gotha, c'est-à-dire, du 20 septembre 1757, le Roi nomme plus exactement ce régiment « le régiment de dragons de Katte; » c'est aussi le nom qu'il porte dans le rapport officiel des deux gazettes de Berlin (1757, no 115) : et en effet, à cette époque le général-major Charles-Émile de Katte en était encore le chef; une maladie grave le força de prendre sa retraite le 24 octobre 1757. Le colonel baron de Czettritz-Neuhauss devint alors le chef de ce régiment, qu'il avait probablement déjà commandé à la mémorable journée de Gotha.

167-c George-Guillaume prince de Hesse-Darmstadt était le frère cadet du prince Louis dont il a été parlé à la page 131. Général-major d'infanterie au service de la Prusse, il le quitta en 1747 pour devenir feld-maréchal de l'Empire. Il servait contre la Prusse dans la guerre de sept ans.

171-a La petite ville de Mücheln.

176-a Robert-Scipion baron de Lentulus, fils du général autrichien mentionné t. II, p. 75 et 101, naquit à Vienne en 1714 Après la victoire de Rossbach, il devint général-major, et en 1758, commandeur en chef du troisième régiment de cuirassiers, appelé Leibregiment.

177-a Le 9 novembre 1757, le Roi, dans son quartier général de Mersebourg, fit connaître au duc Ferdinand qu'il venait d'être nommé chef de l'armée alliée. Le 20 du même mois, le duc partit de Leipzig pour sa destination. Il arriva à Stade dans la soirée du 23. Voyez Denkwürdigkeiten für die Kriegskunst und Kriegsgeschichte, 6e cahier, p. 1 et 2.
     Ferdinand duc de Brunswic-Wolfenbüttel naquit le 12 janvier 1721. Il avait fait les deux guerres de Silésie presque constamment attaché à la personne du Roi, et s'était fort distingué à la bataille de Soor (t. III, p. 154). Le 29 juin 1740, il devint colonel et chef du régiment d'infanterie no 39; au mois de décembre 1744, commandeur du premier bataillon de la garde, et en 1755, chef du régiment d'infanterie no 5. En 1743, il fut promu au grade de général-major, en 1750, à celui de lieutenant-général; le 6 mars 1758, il devint général de l'infanterie, et le 8 décembre de la même année, feld-maréchal.

178-a Le 23 février 1758.

179-a Philippe-Loth de Seers, général-major et chef des ingénieurs. Il avait bâti la forteresse de Schweidnitz.

182-a La patrie eut à déplorer dans cette journée la perte de trois généraux d'infanterie : le général-major Frédéric-Louis de Kleist, qui resta sur le champ de bataille; puis le général-major Jean-Louis d'Ingersleben et le lieutenant-général Gaspard-Ernest de Schultz, qui furent mortellement blessés.

183-a Dans une lettre adressée au prince Henri, à Parchwitz, le 1er décembre 1757, le Roi dit avec plus d'exactitude : « Je suis ici depuis le 28, à attendre les autres; j'ai fait depuis le 12, départ de Leipzig, quarante-deux milles d'Allemagne avec les troupes. » Voyez Militair-Wochenblatt, 1838, no42, p. 168, et ci-dessus, p. 179.

187-a Charles-Henri de Wedell, frère cadet de George-Vivigenz de Wedell (t. III, p. 78), né le 12 juillet 1712 à Malchow dans la Marche-Ukraine, colonel en 1756, général-major le 6 décembre 1757, et le 26 février 1759, lieutenant-général. C'est le même qui eut le malheur de perdre la bataille de Kay.

188-a George-Guillaume de Driesen, né dans la province de Prusse en 1700, lieutenant-général depuis le 1er décembre 1757, mourut à Dresde le 2 novembre 1758.

188-b Jean-Jacques de Wunsch était en 1756 capitaine dans le bataillon franc d'Angenelli; dès l'année suivante, il fut promu au grade de major, puis à celui de lieutenant-colonel, et il forma lui-même un bataillon franc, qui se distingua pendant cette guerre et devint bientôt un régiment. De Wunsch obtint en 1759 les grades de colonel et de général-major, et en 1771, il fut nommé lieutenant-général.

189-a Othon-Louis de Stutterheim, frère cadet du général Joachim-Frédéric de Stutterheim, né dans la Lusace en 1718, obtint en avril 1759, avec le grade de général-major, le régiment d'infanterie no 20. Il fut nommé lieutenant-général en 1767, et jusqu'au commencement de la guerre de succession de Bavière, il resta à la tête de ce même régiment, dont, avant lui, le général-major Auguste-Gottlieb de Bornstedt avait eu le commandement, et auquel le Roi donne le nom du chef qui le commandait au moment où il composa cette histoire.

190-a Dürgoy.

191-a Frédéric-Guillaume-Quirin de Forcade de Biaix, né à Berlin en 1699, devint lieutenant-général d'infanterie le 10 février 1757.

191-b Jean-Frédéric de Balbi, colonel et chef des ingénieurs, mourut à Berlin en 1779, âgé de soixante et dix-neuf ans.

192-a Les deux généraux-majors d'infanterie Gaspard-Frédéric de Rohr et Laurent-Ernest de Münchow y furent blessés mortellement.

192-b Le nombre des Autrichiens faits prisonniers par les Prussiens à la suite de la capitulation de Breslau du 20 décembre 1757, se montait en tout à dix-sept mille six cent trente-cinq hommes, savoir : treize généraux, six cent quatre-vingt-cinq officiers, neuf cent soixante et dix-sept sous-officiers et simples soldats de cavalerie, quatorze mille huit cent soixante et dix-neuf sous-officiers et simples soldats d'infanterie, mille quatre-vingt et une personnes de l'Unterstab, y compris les valets. Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1758, no 1.

194-a Gross-Jägersdorf.

194-b Hans de Lehwaldt naquit dans la province de Prusse au mois de juin 1685; il fut promu au grade de feld-maréchal le 22 décembre 1751, et mourut à Königsberg le 16 novembre 1768. Voyez t. III, p. 147, 158 et 186.

197-a Henri de Manteuffel, né en Poméranie en 1696, a déjà été nommé t. II, p. 168. Il devint général-major en 1756, et en 1758, lieutenant-général.

2-a Le Roi paraît éviter le nom de Codex Fridericianus. Ce code fut promulgué en 1748.

20-a Richard-François Talbot, comte de Tyrconnel, succéda au marquis de Valori, qui, avant de quitter son poste, le présenta au Roi comme son successeur, le 6 avril 1750. Il mourut à Berlin le 12 mars 1752.

202-a Sir Joseph Yorke, ministre d'Angleterre à la Haye.

207-a Sophie-Dorothée, reine mère, née le 27 mars 1687, mourut à Berlin le 28 juin 1757. Voyez t. I, p. 200.

209-a Le colonel Charles de Beust, commandeur des hussards noirs du général de Ruesch, no 5, avait alors sous ses ordres les trois escadrons de ce régiment que le Roi avait détachés pour le corps du duc Ferdinand. Il mourut le 25 décembre 1759.

21-a Frédéric-Guillaume Menzel.

211-a Ce prince de Holstein est le lieutenant-général George-Louis duc de Holstein-Gottorp.

212-a Victor-François duc de Broglie, frère aîné de celui dont il est fait mention ci-dessus, p. 115, et du comte François de Broglie qui fut mortellement blessé à Rossbach. Il devint duc en 1745, à la mort de son père : puis il fut créé maréchal de France le 16 décembre 1759, et dans la même année, prince du Saint-Empire.

213-a Chrétien-Louis de Hardenberg (père de Charles-Auguste, chancelier d'État prussien), né le 3 novembre 1700 et mort le 26 novembre 1781, devint en 1757 général-major, en 1759 lieutenant-général, en 1776 général de l'infanterie, et le 17 février 1778, feld-maréchal au service de Hanovre.

220-a Voyez ci-dessus, p. 135.

221-a Le 21 février 1757, Charles-Frédéric de Meier devint général-major, et commandeur en chef du régiment de Baireuth dragons, en remplacement du lieutenant-général Othon-Martin de Schwerin.

222-a Le général-major de Puttkammer, chef du régiment d'infanterie no 9, fut fait prisonnier par les ennemis. Voyez plus haut, p. 152.

224-a Jean-Christophe Kordshagen, lieutenant de hussards, était fils d'un paysan mecklenbourgeois. Il était capitaine au régiment des hussards de Zieten lorsqu'il fut anobli, le 13 mai 1769, et major à l'époque de sa mort arrivée en 1775. J.-J. Engel l'a pris pour héros de son drame Der dankbare Sohn.

226-a Balthasar-Rodolphe de Schenckendorff, né en 1699, général-major d'infanterie le 7 mars 1758, et lieutenant-général en 1766.
     Charles-Christophe baron de Goltz, né en 1707, devint général-major le 15 février 1757, et après la bataille de Prague, chef du régiment d'infanterie no 24, qui avait appartenu auparavant au feld-maréchal comte de Schwerin. Le 5 février 1760, le Roi le nomma lieutenant-général; l'année suivante, il lui donna l'ordre de l'Aigle noir. Le baron de Goltz mourut le 30 juin 1761, à Zerbau, près de Glogau.

227-a Guillaume de Saldern, général-major d'infanterie en 1756.
     Chrétien-Frédéric de Blanckenbourg (et non pas Blanckensee), né en Poméranie, depuis le 23 mai 1757 colonel et commandeur du régiment d'infanterie du général de Pannwitz, no 10 de la Stammliste de 1806; il était âgé de cinquante-huit ans lorsqu'il fut tué, le 26 août 1758, près de Königingrätz.

228-a Dubislas-Frédéric de Platen, né en 1714, depuis 1757 général-major et chef du régiment de dragons no 8 de la Stammliste de 1806. A la bataille de Zorndorf, il eut le malheur de perdre deux fils qui combattaient à ses côtés : l'un qui mourut sur le coup, l'autre mortellement blessé. Le 2 mars 1759, il devint lieutenant-général.

228-b Christophe comte de Dohna, né dans la province de Prusse en 1702, devint lieutenant-général d'infanterie en 1751, et au mois d'avril 1758, il remplaça le feld-maréchal de Lehwaldt dans le commandement de son corps d'armée.

228-c Paul-Joseph de Malachowski (t. III, p. 148), depuis 1753 chef du régiment de hussards no 7, devint général-major le 14 avril 1758, et lieutenant-général le 21 mai 1771.

23-a L'envoyé russe de Gross quitta Berlin dès la fin de l'année 1750, et le mariage du prince Henri n'eut lieu que le 25 juin 1752. Il n'est pas exact de dire qu'il est parti furtivement, car le Roi, dans une circulaire adressée aux autres ministres étrangers s'exprime ainsi : « M. de Gross est parti d'ici sans prendre congé. Il a seulement écrit un billet à M. de Podewils, pour lui demander des chevaux jusqu'à Memel. » Par suite de cet événement, M. Warendorff, chargé d'affaires de la cour de Prusse à Saint-Pétersbourg, demanda ses passe-ports, le 13 décembre 1750; il les reçut le 15, accompagnés d'une note dans laquelle étaient expliquées les raisons du départ de M. de Gross. Voyez Neuer Europäischer Staats-Secretarius, 1751, t. XXIII, p. 995-998.
     Le comte de Finckenstein, revenant de Russie, fut nommé second ministre de Cabinet, le 4 juin 1749. Voyez t. III, p. 17.

230-a Hans-Guillaume de Canitz, né en 1693, devint lieutenant-général le 22 janvier 1758.

230-b La nuit du 22 au 23 août.

232-a Gabriel Monod de Froideville, général-major et commandeur du régiment de dragons no 6, mourut à Francfort-sur-l'Oder le 3 septembre 1758, à la suite de la blessure qu'il avait reçue à la bataille de Zorndorf. Les éditeurs de 1788 ont omis son nom.
     Hans-Sigismond de Zieten, général-major et commandeur en chef du régiment de cuirassiers no 5, demeura sur le champ de bataille.
     L'Auteur a oublié de mentionner le général-major Henning-Alexandre de Kahlden, chef du régiment d'infanterie no 3, qui, mortellement blessé à la bataille de Zorndorf, mourut à Berlin le 22 octobre 1758.

234-a 21 juin.

234-b Voyez ci-dessus, p. 162.

234-c Rothwernsdorf.

235-a Gross-Döbritz.

235-b Chrétien de Möhring, jusqu'alors lieutenant-colonel dans le régiment de Zieten, devint colonel le 27 mars 1758, et le 14 octobre de la même année, il fut nommé chef du régiment des hussards de Warnery, no 3.

236-a C'est le prince Charles de Brunswic-Bevern, et non le prince François, qui exécuta ce mouvement, comme on peut s'en assurer en lisant le rapport officiel de la gazette. Voyez Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1758, no 113, p. 485.

239-a Sigismond-Maurice-Guillaume de Langen, depuis le 24 octobre 1756 major dans le régiment d'infanterie du margrave Charles, no 19, mourut à Bautzen, le 21 octobre 1758, des blessures qu'il avait reçues à la bataille de Hochkirch.

240-a Le régiment du colonel de Vasold est le régiment de cuirassiers no 6; le régiment des gendarmes est le régiment de cuirassiers no 10 de la Stammliste de 1806.

242-a Frédéric-François duc de Brunswic-Wolfenbüttel, né le 8 juin 1732, frère cadet du prince Albert qui fut tué à la bataille de Soor. Il était général-major, et depuis le 26 décembre 1745, chef du régiment d'infanterie no 39.
     Charles-Ferdinand baron Hagen de Geist devint général-major le 3 janvier 1757. Voir t. III, p. 154.
     En énumérant les pertes faites à la bataille de Hochkirch, le Roi a oublié de mentionner le général-major Hans-Gaspard de Krockow, chef du régiment de cuirassiers no 1, qui mourut de ses blessures à Schweidnitz, le 25 février 1759.

246-a Jean-Albert de Bülow, né en 1708, général-major d'infanterie depuis 1757, ne fut nommé lieutenant-général que le 6 février 1760; mais il est mentionné ici avec ce titre, parce qu'il l'avait lorsque le Roi écrivit l'histoire de la guerre de sept ans.

246-b Il est ici question du margrave Charles, qui fut nommé général de l'infanterie le 24 mai 1747.

248-a Le 15 janvier 1759, le Roi nomma colonel le major Henri-Sigismond von der Heyde, et lui donna l'ordre pour le mérite.

248-b Frédéric-Guillaume comte de Hessenstein, fils aîné de Frédéric roi de Suède et de la comtesse Taube, né en 1735, alors général-major, fut nommé prince de l'Empire en 1772, et promu l'année suivante au grade de feld-maréchal suédois. Il a réclamé contre ce récit. Voyez Berlinische Monatsschrift, 1789, t. XIII, p. 505.

250-a Le prince Henri.

252-a Le prince Auguste-Guillaume était né le 9 août 1722. Il épousa, le 6 janvier 1742, la princesse Louise-Amélie de Brunswic-Wolfenbüttel, fut déclaré Prince de Prusse le 30 juin 1744, et mourut le 12 juin 1758. Voyez ci-dessus, de la page 150 à la page 154.
      La princesse Frédérique-Sophie-Wilhelmine, née le 3 juillet 1709, avait épousé en 1731 le margrave Frédéric de Baireuth.

256-a Dans l'abbaye de Saint-Médard, à Soissons.

26-a Ce n'est pas le comte Bonde qui périt sur l'échafaud, mais le comte Éric Brahé, colonel de la garde à cheval, ainsi que le baron Horn et deux autres individus; tous quatre furent décapités à Stockholm le 23 juillet 1756.

34-a Louis Mandrin, fameux contrebandier, roué à Paris le 26 mai 1755.

35-a Il se peut qu'au lieu de mars, le Roi ait voulu dire mai; car les deux traités que, depuis son avénement au trône, il avait conclus avec la France, portent tous les deux le 5 juin : mais celui du 5 juin 1741, conclu pour quinze années, et qui expirait effectivement en 1756, est daté de Breslau; quant à celui de Versailles, du 5 juin 1744, la durée n'en était pas fixée.

37-a Le Roi fait ici allusion au gouvernement de Sancho Pança.

38-a C'est le même abbé de Bernis, auteur des Poésies diverses, publiées à Paris en 1744, in-8, dont le Roi dit dans l'Epître à Gotter :
     

« Et je laisse à Bernis sa stérile abondance. »

Bernis devint ministre des affaires étrangères le 25 juin 1757.

4-a La première raffinerie de sucre fut établie à Berlin par la maison Splitgerber en 1749.

40-a L'amiral Byng fut fusillé le 14 mars 1757.

41-a George-Maximilien de Weingarten se nomma depuis de Weiss.

5-a La mort de Charles-Edzard, dernier prince d'Ost-Frise, arrivée le 25 mai 1744, mit Frédéric en possession de ce pays. Voir t. I, p. 100 et 119.

50-a Du 2 juin, nouveau style.

6-a Keith arriva à Berlin le 16 septembre 1747; le 18, il fut nommé feld-maréchal. Voyez t. II, p. 25.

66-a Dans les deux éditions originales du Mémoire raisonné sur la conduite des cours de Vienne et de Saxe, Berlin, et A Berlin, 1756, in-4, p. 12, il y a « le 18 juin 1747; » mais dans les Pièces justificatives annexées à ces deux éditions, on lit « le 12 juin 1747. »

72-a C'est le Traité de partage donné à la page 47; l'exemplaire de la cour de Vienne est daté du 3 mai, celui de la cour de Saxe, du 18 mai 1745.

77-a Nous avons marqué par un (sic) les incorrections des pièces justificatives; car elles appartiennent à l'édition originale, publiée par le Roi lui-même en 1756, et le manuscrit ne se retrouvant pas aux archives royales, nous n'avons eu aucun moyen de les vérifier et de les corriger.

93-a Les éditeurs de 1788 avaient substitué de la Poméranie dans l'Électoral, ce qui était plus exact.

94-a Gross-Sedlitz.

94-b Le prince de Brunswic-Bevern ci-mentionné est Auguste-Guillaume, né en 1715, dont le nom paraîtra souvent jusqu'à la bataille de la Lohe, à la suite de laquelle il retourna à son gouvernement de Stettin. En 1750 il devint lieutenant-général, et le 28 février 1759 il fut nommé général de l'infanterie. Depuis 1741 jusqu'à sa mort, arrivée en 1781, il a été chef du régiment d'infanterie no 7 de la Stammliste de 1806.

94-c A la fin de ce volume on trouve cette Correspondance de Frédéric avec le roi de Pologne.

95-a Le titre porte : Mémoire raisonné sur la conduite des cours de Vienne et de Saxe, et sur leurs desseins dangereux contre Sa Majesté le roi de Prusse, avec les pièces originales et justificatives qui en fournissent les preuves. Berlin, 1756, chez Chrétien-Frédéric Henning, imprimeur du Roi, 44 et 36 pages in-4. Une autre édition in-4 de ce Mémoire raisonné porte A Berlin, chez Chrétien-Frédéric Henning, imprimeur du Roi, 1756; elle est, à quelques différences typographiques près, tout à fait semblable à la première édition, tant pour le contenu que pour le nombre des pages.

96-a Rothwernsdorf.

97-a Langenhennersdorf.

97-b Le 13 septembre. Voyez Denkwürdigkeiten für die Kriegskunst und Kriegsgeschichte. Berlin, 1819, cahier IV, p. 95.

97-c Christophe-Hermann de Manstein, général-major.

99-a Nollendorf.