<265>

APPENDICE.[Titelblatt]

<266><267>

CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LE ROI DE POLOGNE.267-a

I. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

De Dresde, le 29 août 1756.

Ayant été requis, par l'envoyé de Votre Majesté à ma cour, de permettre à ses troupes un passage par mes États pour la Bohême, je le lui ai accordé, dans l'espérance qu'elle y fera observer une exacte discipline; et afin de mieux pouvoir régler tout ce qui concerne cette marche, j'envoie à Votre Majesté Méagher, mon lieutenant-général et commandant des gardes suisses. Au reste, quoique les prétentions inopinées que le baron de Maltzahn a ajoutées à cette occasion au nom de Votre Majesté, m'aient paru fort étranges et en aucune manière conformes au traité de paix et d'alliance qui subsiste entre<268> nous, je me flatte cependant que Votre Majesté daignera s'expliquer envers mon lieutenant-général de Méagher de telle façon, que je puisse parfaitement me tranquilliser sur ce point. C'est dans cette ferme persuasion que je demeure, etc.

RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

De Pretzsch, le 1er septembre 1756.

Le penchant que j'avais à la paix est si notoire, que rien de tout ce que j'en pourrais dire à Votre Majesté, ne saurait le confirmer davantage que la convention de neutralité que j'ai faite avec le roi d'Angleterre. Depuis cela, la cour de Vienne a cru, par divers changements de système, avoir trouvé le moment favorable de mettre en œuvre les projets qu'elle a déjà depuis longtemps conçus contre moi. J'ai employé la voie de négociation, que j'ai estimée la plus convenable pour lever de part et d'autre des soupçons auxquels la cour de Vienne avait donné lieu par plusieurs arrangements. La première réponse que j'en ai reçue était si obscure et si énigmatique, qu'aucun prince qui prend à tâche de pourvoir à sa sûreté, n'oserait en être satisfait. La seconde était si pleine de hauteur et de mépris, que tout prince qui n'est soumis à personne et qui tient son honneur à cœur, en doit être offensé; et quoique je n'aie exigé de l'Impératrice-Reine que des assurances qu'elle n'entreprendrait rien contre moi cette année-ci et la suivante, cependant elle n'a pas daigné me répondre sur un article de si grande importance. C'est ce refus qui m'a forcé<269> malgré moi à embrasser le parti que j'ai cru le plus propre à traverser les desseins de mes ennemis.

Cependant les sentiments de paix et d'humanité m'ont encore incité à faire faire par mon ambassadeur à Vienne de nouvelles représentations à cette cour, et je lui ai ordonné de ne pas cacher que la dernière réponse que j'en ai reçue était non seulement peu modérée sur le choix des expressions, mais encore remplie d'une mauvaise dialectique, qui ne satisfaisait point du tout à ma demande; qu'en attendant, j'avais commencé à me mettre en mouvement; mais si malgré cela l'Impératrice-Reine était encore résolue de m'accorder les sûretés que j'ai exigées pour cette année et pour l'autre, elle pourrait compter que je sacrifierais volontiers au repos public tous les frais que m'a coûté cette ouverture de campagne, et que je promettrais, dès ce moment, de remettre tout sur l'ancien pied. Les ressorts qui me font agir ainsi ne sont pas la soif du gain, ni l'ardeur de la gloire; ce n'est que la protection que je dois à mes sujets, et la nécessité absolue de traverser des complots qui s'augmenteraient de jour en jour, si l'épée ne venait encore à temps trancher ce lien indissoluble. Ce sont là les motifs que je suis en état de donner actuellement à Votre Majesté de mes démarches. Quant à la Saxe, je l'épargnerai autant que ma situation présente me le permettra. J'aurai pour Votre Majesté et pour toute votre famille royale toute l'attention et toute l'estime que je dois à un grand prince que je chéris, et que je ne trouve à plaindre qu'en ce qu'il se confie trop aux conseils d'un homme dont les mauvaises intentions ne me sont que trop connues, et dont je pourrais démontrer les dangereux desseins par des preuves écrites de sa propre main. Pendant toute ma vie j'ai fait profession d'honneur et de probité, caractère que je mets au-dessus de celui de roi, dans lequel le pur hasard m'a fait naître; et par ce caractère je proteste que, quelque apparence d'hostilité que puissent avoir mes actions, surtout au commencement, Votre Majesté verra,<270> dussions-nous même ne jamais parvenir à quelque voie d'accommodement, combien ses intérêts me sont chers. Aussi trouvera-t-elle dans ma façon d'agir un zèle décidé pour son avantage et pour celui de toute sa famille, quoi qu'en disent certaines personnes, qui sont trop au-dessous de moi pour que je daigne m'abaisser jusqu'à les nommer. Je suis, etc.

<271>

II. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Dresde, le 3 septembre 1756.

Je reçois actuellement du général de Méagher la réponse à la lettre dont je l'avais chargé pour Votre Majesté. Je la remercie sincèrement des marques d'estime et d'amitié qu'elle veut bien me témoigner. J'espère aussi qu'en même temps Votre Majesté daignera me donner au plus tôt des marques réelles de ces assurances que j'estime infiniment.

Les démêlés qui se sont élevés entre Votre Majesté et l'Impératrice-Reine, ne me regardent en aucune façon. Elle a aussi eu la bonté de me mander les nouvelles représentations qu'elle a fait faire à la cour de Vienne, et qu'elle va régler ses mesures sur la réponse qu'elle en obtiendra. Cependant, après avoir uniquement exigé de moi un passage qui, suivant les constitutions de l'Empire très-connues à Votre Majesté, ne devait porter aucun préjudice à mes États, j'aurais dû croire qu'il était équitable de ne pas s'en emparer, et de s'en tenir ponctuellement à la déclaration authentique que Votre Majesté a faite, savoir : qu'elle n'avait aucun dessein d'agir avec moi en ennemi, ni de traiter mes États comme tels; d'en user au contraire comme il<272> convient à un prince ami et bien intentionné. Bien loin de là, les troupes de Votre Majesté extorquent toutes sortes de livraisons, s'emparent de mes caisses publiques, démolissent une partie de ma forteresse de Wittenberg, et enlèvent mes officiers et même mes généraux, partout où elles les trouvent. J'en appelle à ces sentiments de droiture et de probité dont Votre Majesté fait profession, et suis assuré qu'elle ne permettra pas que mes États souffrent des différends qui règnent entre Votre Majesté et l'Impératrice-Reine.

Au reste, je souhaite fort que Votre Majesté veuille me découvrir les desseins pernicieux dont elle a daigné faire mention dans la précédente, et dont je n'ai eu jusqu'à présent aucune idée. En attendant, je me flatte que Votre Majesté daignera avoir égard à mes sollicitations, et qu'elle évacuera mes États au plus tôt possible. Je suis prêt, ainsi que je l'ai déjà déclaré, à promettre toutes les sûretés que Votre Majesté pourra exiger de moi, tant qu'elles ne seront pas opposées à l'équité et à mon rang. Cependant, puisqu'il n'y a point de temps à perdre, et que je me trouve dans l'indispensable nécessité d'empêcher l'approche ultérieure de troupes qui agissent en quelque sorte en ennemis, et donnent par là occasion d'appréhender des suites encore plus fâcheuses, je suis résolu de me rendre à mon armée, et d'y attendre dans peu des déclarations plus positives de Votre Majesté. Mais je proteste encore une fois que mon intention n'est point de m'écarter du traité de neutralité dont nous sommes sur le point de convenir; qu'au contraire, je suis très-intentionné de le signer avec une parfaite satisfaction.

<273>

RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Lommatzsch, le 5 septembre 1756.

Le comte de Salmour m'a remis la lettre que Votre Majesté a eu la bonté de m'envoyer. Quelque vif que soit le désir et le penchant que j'ai de complaire à Votre Majesté, je me vois cependant dans l'impossibilité de retirer mes troupes de ses États, vu cent raisons de guerre qui m'en empêchent, quoiqu'il fût trop long de les rapporter. Une des principales est la sûreté des convois. Je voudrais que le chemin de la Bohême passât par la Thuringe, je n'aurais pas eu besoin d'être à charge aux États de Votre Majesté; mais comme certaines raisons de guerre m'obligent à me servir de l'Elbe, je ne saurais sans miracle choisir d'autres moyens que ceux dont je me sers actuellement. J'emploie toute la célérité possible; cependant il est impossible à mes troupes d'avoir des ailes.

Au reste, je suis très-en état de prouver à Votre Majesté ce que j'ai mandé touchant les mauvaises intentions de son ministre, et touchant la conduite qu'il tient et qui est très-opposée à la paix de Dresde; et je le ferais dès à présent, si je n'étais empêché par certaines règles que la prudence m'oblige encore à observer. En attendant, je n'oublierai jamais ce que je dois à des têtes couronnées et à un prince voisin dont l'unique malheur est d'avoir été séduit, et pour lequel, fût-il même mon plus grand ennemi, ainsi que pour toute sa famille royale, je conserverai toujours l'estime la plus distinguée et la plus parfaite, etc.

<274>

III. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Struppen, le 10 septembre 1756.

J'ai, avec toute la complaisance possible, été au-devant de tout ce que Votre Majesté a équitablement pu prétendre de moi : j'ai, dès la première proposition qui m'a été faite par l'ambassadeur de Votre Majesté résidant à ma cour, envoyé le général de Méagher, tant pour l'assurer de ma parfaite neutralité, que pour accorder à ses troupes et à son artillerie un libre passage par mes États vers la Bohême, et pour apprendre en même temps de Votre Majesté en quoi devaient consister les sûretés exigées à cet effet; de plus, j'ai fait renouveler par l'ambassadeur de la Grande-Bretagne274-a ces offres plus en détail, sans en avoir jamais reçu une déclaration positive de la part de Votre Majesté; j'ai enfin, par une lettre que le comte de Salmour lui a présentée, indiqué les raisons qui m'ont porté à me rendre à mon armée. Après une telle conduite de ma part, j'aurais dû me flatter, ainsi que l'envoyé de la Grande-Bretagne me l'avait fait espérer, que Votre Majesté daignerait envoyer quelqu'un de qui je pusse apprendre<275> quelles sont ses intentions et ses véritables prétentions. Cependant plusieurs journées se sont écoulées, sans que je sois éclairci sur cet article. Il n'aurait tenu qu'à moi de me retirer avec mon armée en Bohême, pour la mettre en sûreté; j'aurais aussi pu prêter l'oreille à diverses propositions que j'ai toujours rejetées. Malgré cela, j'ai persisté de demeurer ici, dans la ferme persuasion où j'étais que les conditions que Votre Majesté pourrait exiger de moi, seraient toujours conformes à la paix qui règne entre nous, et aux assurances d'amitié dont ses lettres sont remplies, et suivant lesquelles elle demande simplement une sûreté suffisante que je n'entreprendrai rien contre elle, et que je lui céderai le libre usage de l'Elbe. Je m'offre d'accorder à Votre Majesté ces deux points, avec toutes les assurances qu'elle pourra convenablement exiger de moi; mais il est temps de s'expliquer clairement là-dessus; et c'est à cette fin que j'envoie le comte de Bellegarde, mon lieutenant-général et gouverneur de mon prince, qui aura l'honneur de présenter cette lettre à Votre Majesté. Je la prie de se découvrir à lui de façon à pouvoir établir une parfaite harmonie entre nous. Votre Majesté peut être persuadée que j'y contribuerai autant qu'il me sera possible : mais aussi toute prétention outrée ne saurait que me pousser à bout, et mon armée est bien disposée à sacrifier, en cas d'attaque, jusqu'à la dernière goutte de son sang.

<276>

RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Sedlitz,276-a le 11 septembre 1756.

Que Votre Majesté daigne se rappeler ce dont je lui ai sans cesse fait mention; savoir : qu'étant parfaitement instruit des mauvaises intentions de son ministre, il m'est convenable d'employer quelques précautions pour ma propre sûreté dans les commencements d'une guerre que l'Impératrice-Reine a suscitée contre moi. Il s'agit d'abord de m'assurer du cours de l'Elbe, et en second lieu, d'empêcher qu'il ne me reste en arrière une armée qui n'attendrait que le moment favorable que je serais en prise avec l'ennemi, afin de pouvoir alors me tomber sur les bras. C'est ce qui me retient et me retiendra ici jusqu'à ce que cet obstacle soit levé; et comme la réponse que je reçois actuellement de Vienne me pousse à l'extrémité, je ne saurais rien changer en cette affaire. La reine de Pologne et toute la famille royale se portent bien; elles peuvent aller partout où bon leur semble, et elles ont toute la liberté possible, de même que tous ceux qui se trouvent dans les emplois publics de Votre Majesté. Elle voit par là que je tiens ma parole; et si elle souhaite de venir aujourd'hui ou demain faire un tour par mon armée, Votre Majesté verra que chacun aura pour sa personne autant d'estime que si nous vivions ensemble en parfaite harmonie.

<277>

IV. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Struppen, le 12 septembre 1756.

Le comte de Bellegarde m'a remis la lettre de Votre Majesté. J'y vois par le contenu que rien n'arrête le passage de ses troupes, que la nécessité de se rendre préalablement maître de l'Elbe, et la précaution d'empêcher que, pendant la guerre qui vient de s'allumer entre Votre Majesté et l'Impératrice-Reine, mes troupes n'entreprennent rien contre elle; c'est pourquoi je me hâte de lui répondre sur-le-champ, et de lever cet obstacle en détruisant, s'il est possible, cette méfiance dans laquelle Votre Majesté semble être entrée. Quant à l'un de ces deux points, j'y consens; et de l'autre, je suis prêt à l'en garantir. Puisse Votre Majesté se confier sur ma parole royale, qu'aucun de mes ministres ne s'est jusqu'ici avisé, ni n'oserait s'émanciper de m'y faire manquer. Mais si malgré cela Votre Majesté se croit en droit d'exiger des sûretés plus réelles, quelque suffisante que puisse être ma parole d'honneur, je suis disposé à lui céder les forteresses de Wittenberg, de Torgau, et même aussi celle de Pirna, tant que la guerre durera. Quant aux sûretés exigées touchant l'armée, je ne saurais que proposer à Votre Majesté, à l'exception des otages que je pourrais en tout cas lui offrir.

<278>J'espère que ces offres pourront entièrement contenter Votre Majesté, et la convaincre de la sincérité de mes intentions. Les conditions que je désire en représailles de la part de Votre Majesté, consistent à évacuer au plus tôt mes États de ses troupes, et à souffrir que les miennes puissent librement et sans être molestées rentrer dans leurs quartiers, dont cependant les trois places susdites seront exemptées, dans l'espérance que les troupes de Votre Majesté y vivront à leurs dépens, et ne se mêleront point de ce qui regarde les affaires civiles. Pour ne pas être obligé d'alléguer en détail ce qui concerne cet arrangement, je laisse à la disposition de Votre Majesté le choix de la personne qu'elle voudra destiner à cet usage; de ma part j'en ferai de même, afin qu'ils puissent s'arranger entre eux et venir recevoir notre consentement. Que Votre Majesté considère par là jusqu'à quel point je pousse mes avances : il me serait impossible d'en faire davantage, et j'aimerais mieux en venir aux plus grandes extrémités que d'oublier ce que je dois à moi-même, à mon pays et à mon armée, etc.

REPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Sedlitz, le 12 septembre 1756.

Que Votre Majesté se ressouvienne de ma lettre d'hier, où j'ai dit qu'il est non seulement très-dangereux, mais même presque impossible d'entrer par la Saxe en Bohême, et de laisser une armée arrière moi. S'il ne s'agissait simplement que de marques de complaisance, il n'en est point dont je me dispenserais de lui témoigner; mais il<279> s'agit ici de la sûreté et de la conservation d'un pays dont je suis roi, et c'est justement ce qui me force à ne pas quitter la Saxe jusqu'à ce que je sois parfaitement convaincu que je ne laisse rien en arrière qui puisse me donner dans la suite occasion de m'en repentir. Mon avant-garde est déjà en Bohême, elle est suivie d'un corps considérable; et s'il plaît à Votre Majesté d'envoyer un de ses officiers, quel qu'il soit, je lui montrerai la position de mes troupes. Je n'ai pas sujet de me hâter, et je verrai si ma patience à attendre ou bien si d'autres moyens et mesures pourront décider ce qui regarde ma situation présente.

Quelle qu'en soit l'issue, Votre Majesté me trouvera toujours inaltérable dans les sentiments que j'ai pour elle, pour sa famille royale et pour tous ceux qui lui appartiennent.

<280>

V. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Struppen, le 13 septembre 1756.

J'ai cru que Votre Majesté admettrait enfin les propositions que j'ai faites dans ma précédente lettre, et me marquerait le genre de sûreté qu'elle pense être en droit d'exiger de moi : elle doit donc consister, selon toute apparence, uniquement dans la ruine de mon armée, soit par le fer, soit par la famine. Il s'en faut encore beaucoup que le dernier cas arrive; la protection divine, la fermeté et la fidélité de mes troupes, et la nécessité absolue d'en passer par là, me mettront à l'abri du premier. Que Votre Majesté daigne jeter un coup d'œil sur la situation dans laquelle elle me place. Je suis prêt à faire tout pour m'accorder avec Votre Majesté sur l'article qui lui tient si fort à cœur, pourvu que je le puisse faire sans que mon honneur en souffre.

<281>

RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Sedlitz, le 13 septembre 1756.

Rien ne me tient tant à cœur que ce qui regarde personnellement l'honneur et la dignité de Votre Majesté. Elle peut être assurée que sa personne m'a causé plus d'inquiétude dans son camp que ses troupes. Je me flatte cependant qu'il y a encore un moyen d'allier la dignité de Votre Majesté à ce que mes intérêts exigent indispensablement, et de terminer ce différend d'une façon qui nous sera convenable à tous deux. J'attends, si Votre Majesté le trouve bon, son approbation sur le dessein que j'ai de lui envoyer un de mes généraux muni de certaines propositions. Je la prie de lui parler seule, et de l'honorer d'une réponse.

Je le répète encore, et proteste sur mon honneur, qui m'est plus cher que la vie, que je n'ai rien contre sa personne ni contre les intérêts de sa maison; mais il est maintenant de toute nécessité que le sort de Votre Majesté soit uni au mien; et j'atteste par tout ce que j'ai de plus sacré que si la fortune m'est favorable dans la présente guerre, Votre Majesté n'aura aucun sujet d'être mécontente de moi; que si au contraire la fortune me tourne le dos, la Saxe éprouvera le même sort que la Prusse et mes autres États.

<282>

VI. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Struppen, le 13 septembre 1756.

Ayant appris par l'obligeante réponse que mon aide de camp, le général-major de Spörcken, m'a rendue, la résolution de Votre Majesté de m'envoyer un de ses généraux, je me hâte de lui protester que je l'attends avec plaisir, que je m'entretiendrai seul avec lui, et que je m'expliquerai de telle manière, que Votre Majesté aura lieu d'en être pleinement satisfaite.

<283>

RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Sedlitz, le 14 septembre 1756.

J'envoie, ainsi qu'il a plu à Votre Majesté, mon lieutenant-général de Winterfeldt, qui aura l'honneur de lui présenter ma lettre. Votre Majesté pourra entièrement ajouter foi à tout ce qu'il lui dira de ma part, et je souhaite que sa commission ait une heureuse issue, qui nous satisfasse également tous les deux. Puisse cette entrevue servir à former dans la suite une vraie et salutaire liaison entre deux États voisins qui ne peuvent se passer l'un de l'autre, et dont les véritables intérêts consistent à demeurer sans cesse unis.

<284>

VII. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Struppen, le 15 septembre 1756.

Je voudrais pour tout au monde pouvoir entrer dans les vues de Votre Majesté. Le général de Winterfeldt me les a déclarées, et même de la façon qu'il me les a proposées, elles auraient fait beaucoup plus d'impression sur moi, s'il était d'ailleurs possible de consentir à ce que Votre Majesté exige de moi. Le général susmentionné lui aura sans doute fidèlement rapporté les raisons importantes que je lui ai alléguées, qui m'empêchent d'embrasser un tel parti. Ces raisons pourront servir de preuves à ma façon de penser et à la constance inviolable que j'ai de tenir ma parole. C'est avec la même certitude que Votre Majesté peut compter sur l'accomplissement des promesses que je lui ai faites. Comment pourrais-je commencer des hostilités contre une princesse qui ne m'en a donné aucune occasion, et à laquelle je suis obligé de donner, en vertu d'un ancien traité défensif, dont Votre Majesté est suffisamment instruite, six mille hommes, si dans le cas présent l'agresseur n'était pas douteux; c'est pourquoi on n'en par<285>lera plus. Dès la première apparence qu'il y eut à cette guerre, je me suis fermement proposé de ne point m'en mêler, et c'est la raison pourquoi j'ai rejeté toutes les offres qu'on m'a pu faire à ce sujet. Plein de l'idée où j'étais que je n'avais rien à appréhender, vu que je ne m'étais embarqué dans aucun de ces démêlés, et que j'étais résolu de persister dans ces sentiments, je n'ai point fait marcher mon armée en Bohême, et je n'ai pas voulu permettre l'approche des troupes autrichiennes pour renforcer les miennes, malgré l'entrée de celles de Votre Majesté dans mes États. Comme je ne me départirai jamais de ces sentiments, que Votre Majesté ne saurait elle-même désapprouver, je me flatte aussi qu'elle s'acquiescera des propositions que j'ai faites dans ma lettre du 12, ou bien en substituera d'autres, qui puissent la tranquilliser par rapport à mes troupes, desquelles elle n'a rien du tout à craindre. Pour cet effet, j'envoie à Votre Majesté le baron d'Arnim, mon général de cavalerie. S'il était possible de nous accorder sur ce point, ce serait un canal très-propre à établir une union sincère entre deux pays voisins qui réellement ne peuvent se passer l'un de l'autre, et dont les vrais intérêts consistent en une parfaite liaison.

<286>

RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Sedlitz, le 15 septembre 1756.

Le général d'Arnim m'a remis la lettre que Votre Majesté a eu la bonté de m'envoyer. Je me suis entretenu avec lui sur tous les points qui concernent sa commission, et je me suis expliqué de la même manière que le général de Winterfeldt a eu l'honneur de le faire en présence de Votre Majesté. Je suis fâché de ne pas pouvoir pousser la complaisance plus loin; mais après ce que j'ai encore répété au général d'Arnim, il ne me reste rien autre chose à faire que d'être, etc.

<287>

VIII. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Struppen, le 15 septembre 1756.

Comme je ne saurais, malgré le malheur arrivé à mon électorat, oublier ce que je dois à mon royaume, où l'on a fixé au 4 du mois suivant la diète, je profite de l'occasion que Votre Majesté m'a offerte touchant les assurances qu'elle m'a renouvelées dans sa lettre du 12 de ce mois, la priant de me permettre, ainsi qu'à mes deux princes, à mon ministre et à ma suite, un libre passage pour aller en toute sûreté en Pologne. Je passerai par Breslau, parce qu'on pourra plus facilement trouver sur cette route les cent trente chevaux dont j'ai besoin pour mon voyage.

Je suis assuré que Votre Majesté ne fera point de difficulté là-dessus, et qu'elle aura en même temps la bonté de m'envoyer au plus tôt deux passe-ports pour deux officiers qui doivent prendre les devants, afin d'y faire les préparatifs nécessaires, tant pour les chevaux que pour les lieux où je m'arrêterai.

<288>

IX. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Le 16 septembre 1756.

Sur le point d'envoyer l'autre lettre par un trompette au général d'Arnim, qui devait avoir l'honneur de la remettre à Votre Majesté, j'appris le retour de ce général, qui m'apporta non seulement la réponse dont elle m'a honoré, mais me renouvela encore ce dont elle lui a parlé. Votre Majesté a sans doute déjà prévu combien étrange m'a semblé le refus qu'elle vient de faire de mes propositions, qui ne sont que trop équitables. Puisque Votre Majesté ne veut rien admettre que ce qui est diamétralement opposé à ma sincérité et à ma parole d'honneur, n'ayant rien à me reprocher sur ce qui pourra à présent arriver, j'en remets l'issue à la Providence.

Suivant le rapport du général d'Arnim, Votre Majesté est donc résolue de mettre une garnison à Dresde, et de faire une place d'armes de ma capitale, où résident la Reine et toute ma famille royale. L'on a toujours jusqu'ici observé des égards pour des personnes royales, et l'on a épargné leur résidence dans les guerres même les plus sanglantes. Du temps du feu roi mon père, lorsque le roi de Suède est entré comme ennemi en Saxe, pas un de ses soldats n'a osé mettre le pied dans sa résidence. Je remets le tout au bon plaisir de Votre<289> Majesté, et la conjure de faire en sorte qu'on n'interrompe en aucune façon les correspondances de la Reine et de ma famille, et d'avoir la complaisance de permettre une libre entrée et sortie à ma cour et à tout ce qui concerne mes équipages ou autres choses dont je pourrais avoir besoin en Pologne. Je renouvelle mes prières touchant les égards et les sûretés convenables à la Reine, à ma famille royale, à ma cour, à ma capitale, et en général à tout le pays dont elle vient de s'emparer. Je suis, etc.

RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Sedlitz, le 16 septembre 1756.

Je viens de recevoir deux lettres de Votre Majesté, dont l'une regarde sa résidence, et l'autre, son départ pour la Pologne. Les plaintes qu'elle forme touchant la ville de Dresde, sont de nature à être facilement levées. Quant au départ pour la Pologne, j'espère que Votre Majesté daignera au préalable terminer les négociations qu'elle a commencées touchant l'armée, qui par son absence pourraient encore trop traîner en longueur. Il n'en coûte que deux mots à Votre Majesté, et l'affaire sera vidée sur-le-champ. Dès lors, j'expédierai au plus tôt les deux passe-ports exigés, et j'ordonnerai des relais en Silésie, partout où elle le jugera à propos, parce que je ne désire rien de plus que de donner à Votre Majesté des marques de l'estime parfaite avec laquelle je suis, etc.

<290>

X. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Struppen, le 17 septembre 1756.

Par la réponse que j'ai hier reçue de Votre Majesté, j'ai vu qu'elle désirait de voir la fin des négociations entamées à l'occasion de mon armée, avant mon départ. Mais comment les finir, puisque les propositions de Votre Majesté sont de telle nature, qu'il est impossible de les admettre? Je lui ai indiqué tous les moyens de nous concerter, mais elle n'a pas témoigné la moindre intention d'y acquiescer; c'est ce qui m'a fait croire que toute voie de médiation était désormais inutile : de là je me suis contenté de ne désirer uniquement qu'un libre passage pour la Pologne, où ma présence est absolument nécessaire, vu la diète prochaine. J'espère que Votre Majesté voudra bien m'accorder ceci, et ce dont je l'ai priée touchant ma résidence. Pour ce qui regarde mon armée, j'ai décidé de son sort, ayant pris sur cet article une résolution convenable à mon honneur et à la nécessité. Je suis avec beaucoup d'estime, etc.

<291>

RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Sedlitz, le 17 septembre 1756.

J'envoie ici le général de Winterfeldt pour apprendre la résolution que Votre Majesté a prise, et qui seule va déterminer le parti qu'il me restera à prendre. Je suis avec beaucoup d'estime, etc.

<292>

XI. LETTRE DU ROI DE POLOGNE A SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE.

Struppen, le 18 septembre 1756.

Le général de Winterfeldt aura mandé à Votre Majesté la réponse que mon honneur et ma probité, que j'ai conservés jusqu'en ma soixantième année, m'ont dictée. Votre Majesté s'empare de mes États sans raison. Que l'Europe soit l'arbitre de ma cause et du plan qu'on a fabriqué sur mon compte, et dont la fausseté sera facilement reconnue par toutes les cours de l'Europe, vu que je n'ai jamais fait de pareilles propositions dont on prétend m'imputer. Je ne sais comment l'on pourra justifier une semblable façon d'agir, que ni moi ni qui que ce soit n'aurait pu soupçonner. Comme Votre Majesté ne m'a pas encore répondu touchant mon départ pour la Pologne, elle ne trouvera pas mauvais que je revienne à la charge; car ma présence y est bien nécessaire. Je suis, etc.

<293>

RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Sedlitz, le 18 septembre 1756.

J'ai lieu d'être d'autant plus surpris que Votre Majesté continue encore à douter des mauvais desseins de son ministre après les preuves authentiques que je lui en ai produites, vu que j'ai en main les pièces originales, dont j'ai été obligé de m'emparer pour ma justification. Je suis convaincu que tout le monde impartial reconnaîtra que l'état présent de mes affaires et les mauvaises intentions du ministre de Votre Majesté, m'ont mis dans une nécessité indispensable d'embrasser un parti tout à fait contraire à mon inclination et à ma façon de penser. Votre Majesté semble être bien empressée de partir; mais qu'elle se rappelle que je ne saurais aussi attendre plus longtemps par rapport à ses troupes et aux miennes, qui se trouvent vis-à-vis d'elles. Ces deux points devraient, selon moi, être expédiés en même temps.

Au reste, j'ai appris avec beaucoup de déplaisir la témérité de quelques-uns de mes officiers qui ont osé se saisir de la venaison destinée à la table de Votre Majesté. Elle peut être persuadée que si je viens à les découvrir, ils seront traités très-rigoureusement, et que je regarderai toujours comme sacré tout ce qui concerne sa personne et sa famille royale. Avant que de finir, je ne puis m'empêcher de déplorer de tout mon cœur de ce que Votre Majesté est entrée avec mes ennemis dans une alliance qui, suivant son propre aveu, la force à négliger les vrais intérêts de sa personne et de ses États. Je suis, etc.

<294>

AUTRE RÉPONSE DU ROI DE PRUSSE.

Struppen, le 18 octobre 1756.



Monsieur mon frère,

Puisque nos affaires sont à présent arrangées, et que le départ de Votre Majesté pour la Pologne lui tient si fort à cœur, j'ai sur-le-champ expédié tous les ordres qu'elle m'a fait demander par le major de Zeschwitz, et je lui souhaite de tout mon cœur un heureux voyage. Il dépendra uniquement de Votre Majesté de choisir quel chemin elle jugera à propos de prendre; et au cas que Votre Majesté désire de ne rencontrer aucunes de mes troupes sur la route, elle n'a qu'à faire dire un mot au baron de Spörcken, afin que je les puisse faire retirer à souhait. Je finis par les protestations les plus sincères que, malgré ce que je me suis vu forcé de faire dans les conjonctures présentes, je conserverai toujours pour Votre Majesté une amitié des plus parfaites, de façon que je saisirai toutes les occasions possibles de lui témoigner, ainsi qu'à sa famille royale, combien je m'intéresse à son avantage. En attendant, je demeurerai toujours avec les sentiments de l'estime la plus distinguée et de la considération la plus parfaite,



Monsieur mon frère,

de Votre Majesté
le fidèle frère,
Federic.

<295>

DISPOSITION TESTAMENTAIRE. AU PRINCE HENRI.



Mon très-cher frère,

Je vous prie de me garder le secret le plus absolu sur tout ce que cette lettre comprend, qui n'est que pour votre direction seule.

Je marche demain contre les Russes; comme les événements de la guerre peuvent produire toutes sortes d'accidents, et qu'il peut m'arriver facilement d'être tué, j'ai cru de mon devoir de vous mettre au fait de mes mesures, d'autant plus que vous êtes le tuteur de notre neveu295-a avec une autorité illimitée.

1o Si je suis tué, il faut sur-le-champ que toutes les armées prêtent le serment de fidélité à mon neveu.

2o Il faut continuer d'agir avec tant d'activité, que l'ennemi ne s'aperçoive d'aucun changement dans le commandement.

3o Voici le plan que j'ai actuellement : de battre les Russes à plate couture, s'il est possible; de renvoyer sur-le-champ Dohna contre les Suédois, et pour moi, de retourner avec mon corps, soit contre la Lusace, si l'ennemi voulait pénétrer de ce côté-là, soit de rejoindre l'armée, et de détacher six ou sept mille hommes en Haute-Silésie, pour rechasser de Ville qui l'infeste; pour vous, de vous laisser agir<296> selon que l'occasion se présente, votre plus grande attention devant se porter sur les projets de l'ennemi, qu'il faut toujours déranger avant qu'il parvienne à les mener à maturité.

Pour ce qui regarde les finances, je crois devoir vous informer que tous ces dérangements qui viennent d'arriver en dernier lieu, surtout ceux que je prévois encore, m'ont obligé d'accepter les subsides anglais, qui ne seront payables que dans le mois d'octobre.

Pour la politique, il est certain que si nous soutenons bien cette campagne, l'ennemi, las, fatigué et épuisé par la guerre, sera le premier à désirer la paix; je me flatte que l'on y parviendra pendant le cours de cet hiver. Voilà tout ce que je puis vous dire des affaires, en gros; quant au détail, ce sera à vous à vous mettre incessamment au fait de tout; mais si incontinent après ma mort l'on montre de l'impatience et un désir trop violent pour la paix, ce sera le moyen de l'avoir mauvaise, et d'être obligé de recevoir la loi de ceux que nous aurons vaincus.

Je dois ajouter à tout ceci mon itinéraire, pour que vous sachiez où je serai, et en quel lieu vous pouvez me trouver : le 13, je serai à Liegnitz; le 14, entre Lüben et Rauden; le 15, repos; le 16, vers Grünberg; le 17, à ce village que je vous ai écrit, où je veux passer l'Oder; le 18, les ponts se feront; le 19, le passage; le 20, jonction avec Dohna; et du 20 au 25, j'espère d'engager une affaire entre Méseritz et Posen.

Voilà tout ce que je suis en état de vous dire jusqu'à présent. Vous serez incessamment informé du succès de cette opération.

Grüssau, ce 10 d'août 1758.


267-a Voyez ci-dessus, p. 94.

274-a Lord Stormont.

276-a Gross-Sedlitz.

295-a Frédéric-Guillaume II du nom comme roi. Voyez t. III, p. 90, et ci-dessus, p. 252.