<491> comme je l'ai avoué, digne d'admiration. J'y ajouterai qu'elle surpassait peut-être, la religion même à part, celle de Socrate et de Sénèque, qui se trouvaient en quelque manière dans le même cas que lui. Condamnés à mourir comme lui, ils moururent avec autant de mépris pour la mort, avec autant de liberté d'esprit que le saint martyr. La description touchante que Rollin fait de toutes ces morts, ayant été forcées, ceux qui les subirent ne semblent qu'avoir fait de bonne grâce ce qu'ils ne pouvaient éviter.

L'histoire nous fournit d'autres exemples qui me paraissent d'autant plus héroïques, qu'ils dépendaient absolument du bon plaisir de ceux qui nous les ont donnés. Je ne parlerai pas de Brutus, ni de Caton, qui moururent en furieux, et par faiblesse plutôt que par un mouvement de vertu. Ils n'avaient pas le courage, dit je ne sais quel auteur, de survivre à des malheurs qu'ils eussent peut-être trouvé moyen de réparer, s'ils avaient eu plus de patience et de sang-froid. Je ne parlerai pas non plus de ces Anglais atrabilaires qui meurent souvent, à la honte de la chrétienté (qui s'enseigne parmi eux avec plus de pureté peut-être que partout ailleurs), qui meurent, dis-je, sans aucun motif raisonnable. Il y en a, et parmi les anciens, et parmi les modernes, qui ont montré un mépris bien plus marqué pour le trépas.

Néron, ce composé fameux de dissimulation et de cruauté, Néron, dis-je, s'était fait une habitude de se défaire des gens de bien qui avaient le malheur de lui déplaire, en leur faisant ordonner de mourir et de choisir eux-mêmes le genre de leur mort. Il envoya un ordre pareil à Paetus, un des plus honnêtes gens de Rome. Paetus le reçut en tremblant, et serait apparemment mort honteusement de la main du bourreau, si sa femme n'avait eu plus de résolution que lui. Quoique l'arrêt ne la regardât point, honteuse de la faiblesse de son époux, elle saisit un poignard, se l'enfonça dans la poitrine, et : « Tenez, Paetus, dit-elle en le lui présentant après s'en être mortellement blessée, faites-en autant; je vous jure qu'il ne m'a pas fait le moindre mal. »a Confus de voir sa femme plus courageuse que lui, Paetus suivit son exemple, et mourut comme elle.

Je me souviens d'avoir lu quelque part qu'un jeune homme, dont j'ai oublié le nom et la patrie, ayant été mis en prison pour je ne sais quelle affaire criminelle, et prévoyant sa condamnation, il demanda à être relâché sur sa parole, afin qu'il pût aller faire ses adieux à une maîtresse qu'il avait en je ne sais quelle autre ville. Cette permission lui ayant été refusée, un ami la lui fit obtenir en se faisant emprisonner à sa place. Le terme qu'on lui avait fixé étant écoulé sans que l'autre eût reparu, les juges résolurent d'exécuter l'arrêt de mort sur le répon-


a Arria dit à son mari : « Paete, non dolet. » Voyez les Lettres de Pline, liv. III, lettre 16 et Martial, liv. I, épigr. 13.