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222. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 21 juin 1779.



Sire,

J'ai reçu la belle lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire en réponse à la mienne. Si elle pouvait être connue du public, ce serait, ainsi que tout ce qui vous,359-a un nouveau monument de votre gloire. Tout autre que Frédéric serait rempli de cette gloire qui vous environne. Quelque part que vous jetiez les yeux, Sire, vous voyez, à ne pouvoir vous y méprendre, l'expression la plus vraie d'une admiration et d'une reconnaissance sans bornes. Ce ne sont plus vos seuls sujets, animés de l'amour de leur grand roi et par les sentiments de ses bienfaits, ni vos seuls alliés, dont vous protégez les droits; c'est l'Allemagne entière, l'Europe, dont vous cimentez la tranquillité, c'est l'équité, l'humanité, la justice, qui rendent hommage à leur restaurateur. Votre modestie se dérobe en vain à un hommage si légitime. Il est bien beau d'être si modeste, lorsqu'on est si grand; c'est le comble de l'héroïsme, Marc-Aurèle et César réunis dans un seul homme. Mais, sans méconnaître ce que nous devons aux cours médiatrices et à la modération de l'Impératrice-Reine, permettez-nous, Sire, d'admirer et de chérir toujours en vous le premier auteur de notre félicité présente. J'ai appris les détails de votre arrivée à Berlin;359-b je ne connais rien de plus touchant, ni de plus sublime. Puis<360>siez-vous jouir longtemps d'un bonheur si pur! Le ciel vous doit au monde, et après tout ce que j'entends du bon état de votre santé, nous osons nous flatter que nos vœux ne seront pas frustrés.

J'ai ri aux larmes de ce que V. M. me dit au sujet de la princesse de Gallean; rien ne serait plus bizarre que les sentiments qu'on attribue à l'Électeur palatin. S'il a eu un moment d'humeur, j'espère pour lui qu'il n'aura pas duré. Mais, quels que soient ses sentiments, mon dessein n'a jamais été de compromettre V. M. avec la cour palatine. La princesse de Gallean m'avait tant dit qu'elle désirait le bonheur d'être connue du plus grand des monarques, sans autre intérêt que celui d'oser dire : Frédéric me connaît, qu'à la fin je n'ai pu la refuser; mais elle m'a bien promis de ne pas importuner V. M. par des prières, et ce n'est qu'à cette condition que je me suis rendue.

J'ai chargé le comte de Zinzendorff, qui aura l'honneur de vous présenter cette lettre, de vous renouveler de bouche l'hommage de la haute estime et de l'admiration infinie avec laquelle je suis, etc.


359-a L'autographe présente ici une lacune.

359-b Le 27 mai 1779. De la Haye de Launay dit dans sa Justification du système d'économie politique et financière de Frédéric II (1789, in-8), p. 72 : « A son retour de la guerre, et le jour même de son arrivée, il me fit appeler. Je le trouvai encore couvert d'une noble poussière, et déjà occupé des soins de son peuple. Il demanda au ministre d'État Michaelis pourquoi il y avait tant de terrains incultes du côté de la Saxe, qu'il venait de traverser; et sur la réponse que ces terrains appartenaient à de pauvres gentilshommes et à des communautés qui n'avaient pas les moyens de défricher, il répliqua : Eh! pourquoi ne m'en avez-vous pas informé? Apprenez que lorsqu'il y a dans mes États des choses qui sont au-dessus de la force de mes sujets, c'est à moi à en faire les frais, et à eux à en ramasser les fruits. Je vous assigne trois cent mille écus pour en faire les défrichements; vous m'avertirez, s'ils sont insuffisants. »