223. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Potsdam, 29 juin 1779.



Madame ma sœur,

Si Votre Altesse Royale entreprend de tourner la tête à un pauvre vieillard qui frise le radotage, je crains bien qu'elle n'en vienne à bout. Qui peut résister, madame, aux choses obligeantes que vous daignez me dire? Ce serait un crime de lèse-majesté de soupçonner<361> que par bonté elle donne dans l'hyperbole; une grande princesse est au-dessus de tout, et doit être vénérée; chez les Romains, les impératrices devenaient toutes déesses, et une fille d'impératrice est déjà née telle. Mais, madame, permettez-moi de me contenter de votre approbation, et de m'en rendre digne dans l'avenir. Ce sont souvent les plus faibles instruments dont la Providence se sert pour remplir ses desseins : un cornet à bouquin introduisit la horde juive dans Jéricho,361-a et la Pucelle d'Orléans, qui était servante de cabaret, soutint le trône de Charles VIII,361-b roi de France; Catherine Ire, de femme de tambour, parvint à épouser le czar Pierre Ier, et devint impératrice. Enfin je ne finirais point, si je voulais citer toutes les petites causes qui ont produit de grands effets, et je ne dirais à V. A. R. que ce qu'elle sait mieux que moi. Mais, madame, en me resserrant dans ma petite sphère, cela ne m'empêche pas de rendre justice au zèle et à l'activité des cours de France et de Russie, et d'applaudir à l'équité de l'Impératrice-Reine, qui, dès qu'elle a reconnu l'illégalité de ses procédés, a contribué de tout son pouvoir à rétablir la paix dans l'Empire. Sa conduite doit servir de modèle à tous les souverains, car il est plus honorable de réparer l'injustice que de la commettre.

Je crains fort que la princesse Gallean se trompe dans ses assertions politiques; elle suppose que j'ai quelque crédit à Munich, et c'est tout le contraire. L'Électeur ne me pardonnera de sa vie le mauvais tour que je lui ai joué de lui faire restituer son pays; il en est dans une telle rage, qu'il persécute en Bavière tous les plus fidèles serviteurs de sa maison. Il y a deux mois que M. de Törring-Seefeld,361-c qui est ici, n'a pu obtenir un mot de sa part; et s'il ne donne aucun ordre au ministre chargé de ses affaires, comment le porter à satisfaire la princesse Gallean, dont les prétentions, d'ailleurs, me sont<362> parfaitement inconnues? V. A. R. peut être certaine que quiconque veut réussir chez l'Électeur palatin ne fera jamais rien, s'il ne s'adresse pas à l'Empereur, qui, ayant à gages l'Électeur et ses ministres, est le seul arbitre de ce pays-là. Je pourrais attester ce que j'avance, madame, par des faits récents et connus, autant pour ce qui regarde le prince de Deux-Ponts qu'à l'égard des ratifications des traités, que nous ne pouvons pas obtenir de cet électeur.

C'est en faisant des vœux pour la précieuse conservation des jours de V. A. R. que je la prie de me croire avec la plus haute considération, etc.


361-a Josué, chap. VI, v. 20.

361-b Charles VII, en 1429.

361-c Voyez t. VI, p. 193.