<485> prendre à ma santé; le coffre de la machine est un peu meilleur en ce moment, mais la tête est toujours incapable d'application, par le peu de sommeil. J'ai eu la douleur, ces jours-ci, de me voir plus près de V. M. de deux cents lieues, et de n'avoir plus la force d'aller me mettre à ses pieds. M. Mettra, qui part pour Berlin, et qu'il ne m'est pas permis d'accompagner, par le régime auquel je suis forcé de m'assujettir, voudra bien être auprès de V. M. l'interprète de mes sentiments et de mes regrets.

Oui, sans doute, le Patriarche de Ferney a renvoyé Agar de sa maison; il est livré pour toute société à un fort honnête jésuite, qui s'appelle le père Adam, et qui n'est pourtant pas, à ce qu'il dit, le premier des hommes. Il a pris ce jésuite pour lui dire la messe et pour jouer avec lui aux échecs; je crains toujours que le prêtre ne joue quelque mauvais tour au philosophe, et ne finisse par lui damer le pion et peut-être le faire échec et mat. On dit que l'évêque de Genève ou d'Annecy, dont il a l'honneur d'être une des ouailles, a voulu l'excommunier pour avoir fait ses pâques; heureusement il a rendu en même temps un très-beau pain bénit, et le curé, pour lequel il y avait une excellente brioche, a plaidé la cause de son paroissien, et a soutenu qu'il n'avait point prétendu jouer la comédie, et qu'il était dans les plus saintes dispositions du monde. Pour lui, il me semble qu'il n'y a pas fait tant de façons, et qu'il a dit, comme Pourceaugnac, à qui ses médecins veulent tâter le pouls pour savoir si on lui donnera à manger : Quel grand raisonnement faut-il pour manger un morceau?a

Je sens que j'abuse du temps et des bontés de V. M. en l'entretenant de ces misères; je lui en demande pardon; je la supplie de se conserver pour le bonheur de ses sujets, pour l'exemple de l'Europe, et pour le bien de la philosophie et des lettres. J'espère que M. Mettra me rapportera de bonnes nouvelles de sa santé, et voudra bien


a Monsieur de Pourceaugnac, comédie-ballet par Molière, acte I, scène I.