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169. DE VOLTAIRE.

Bruxelles, 29 juin 1741.

Sire, chacun son lot : une aigle vigoureuse,
Non l'aigle de l'Empire (elle a depuis un temps
Perdu son bec retors et ses ongles puissants),
Mais l'aigle do la Prusse, et jeune, et valeureuse,
Réveille dans son vol, au bruit de ses exploits,
La Gloire, qui dormait loin des trônes des rois.
Un vieux renard adroit,a tapi dans sa tanière,
Attend quelques perdrix auprès de sa frontière;
Un honnête pigeon, point fourbe et point guerrier,
Cache ses jours obscurs au fond d'un colombier.
Je suis ce vieux pigeon; j'admire en sa carrière
Celte aigle foudroyante, et si vive, et si fière.
Ah! si d'un autre bec les dieux m'avaient pourvu,
Si j'étais moins pigeon, je vous suivrais peut-être;
Je verrais dans son camp mon adorable maître;
Et, tel que Maupertuis, peut-être au dépourvu,
De hussards entouré, dépouillé, mis à nu,
J'aurais, par les doux sons de quelque chansonnette,
Consolé, s'il se peut, Neipperg de sa défaite.
Le ciel n'a pas voulu que de mes sombres jours
Cette grande aventure ait éclairé le cours.
Mais, dans mon colombier, je vous suis en idée;
De vos vaillants exploits ma verve possédée
Voyage en fiction vers les murs de Breslau,
Dans les champs de Molwitz, aux remparts de Glogau;
Je vous y vois, tranquille au milieu de la gloire,
Arracher une plume au dos de la Victoire,
Et m'écrire en jouant, sur la peau d'un tambour,
Ces vers toujours heureux, pleins de grâce et de tour.
Hyndford,b et vous, Ginkel,c vous dont le nom barbare


a Le cardinal de Fleury.

b Lord Hyndford, envoyé anglais. Voyez t. II, p. 89 et suivantes.

c M. Reede de Ginkel, envoyé hollandais. Voyez t. II, p. 90.