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Fait jurer de mes vers la cadence bizarre,
Venez-vous près de lui, le caducée en main,
Pour séduire son âme et changer son destin?
Et vous, cher Valori, toujours prêt à conclure.
Voulez-vous des Ginkel déranger la mesure?
Ministres cauteleux, ou pressants, ou jaloux,
Laissez là tout votre art, il en sait plus que vous;
Il sait quel intérêt fait pencher la balance,
Quel traité, quel ami convient à sa puissance;
Et, toujours agissant, toujours pensant en roi,
Par la plume et l'épée il sait donner la loi.
Cette plume surtout est ce qui fait ma joie;
Car, messieurs, quand, le jour, à tant de sols en proie,
Il a campé, marché, recampé, ferraillé,
Ecouté cent avis, répondu, conseillé,
Ordonné des piquets, des haltes, des fourrages,
Garni, forcé, repris, débouché vingt passages,
Et parlé dans sa tente à des ambassadeurs
(Gens quelquefois trompés, encor que grands trompeurs),
Alors, tranquille et gai, n'ayant plus rien à faire,
En vers doux et nombreux il écrit à Voltaire.
En faites-vous autant, George, Charles, Louis,
Très-respectables rois, d'Apollon peu chéris?
La maison des Bourbons ni les filles d'Autriche
N'ont jamais fait pour moi le plus court hémistiche.
Qu'importent leurs aïeux, leur trône, leurs exploits?
S'ils ne font point de vers, ils ne sont point mes rois.
Je consens qu'on soit bon, juste, grand, magnanime,
Que l'on soit conquérant; mais je prétends qu'on rime.
Protecteur d'Apollon, grand génie et grand roi,
Battez-vous, écrivez, et surtout aimez-moi.

Sire, le plus prosaïque de vos serviteurs ne peut rimer davantage. Je suis actuellement enfoncé dans l'histoire; elle devient tous les jours plus chère pour moi, depuis que je vois le rang illustre que vous y tiendrez. Je prévois que V. M. s'amusera quelque jour à faire le récit de ces deux campagnes; heureux qui pourrait être alors son secré-