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225. A VOLTAIRE.a

Le 24 avril 1747.

Vous rendez la Mort si galante
Et le Tartare si charmant,
Que cette image décevante
Séduit mon esprit, et le tente
D'en tâter pour quelque moment;
Mais de cette demeure sombre,
Où Proserpine avec Pluton
Gouverne le funeste nombre
D'habitants du noir Phlégéthon,
Je n'ai point vu revenir d'ombre.
J'ignore si dans ce canton
Les beaux esprits ont le bon ton,
Et le voyage est de nature
Qu'en s'embarquant avec Caron
La retraite n'est pas trop sûre.
Laissons donc à la fiction
La tranquille possession
Du royaume de l'autre monde,
Source où l'imagination,
En nouveautés toujours féconde,
Puise le système où se fonde
La populaire opinion.
Qu'un fanatique ridicule
Y place son plus doux espoir;
Qu'on prépare pour ce manoir
Un quidam que la fièvre brûle,
S'il faut lui dorer la pilule
Pour l'envoyer tout consolé,
Bien lesté, saintement huilé,
Passer en pompe triomphale
Au bord de la rive infernale :
Moi, qui ne suis point affublé


a Cette lettre se trouve aussi dans notre t. XI, p. 139-143, avec quelques variantes.