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99. A VOLTAIRE.

Potsdam, 9 septembre 1739.

Mon cher ami, j'ai reçu deux de vos lettres à la fois, auxquelles je vous réponds, savoir celles du 12 d'août et du 17. J'ai très-bien reçu de même le second acte de Mahomet, qui me paraît fort beau, mais, à vous parler franchement, moins travaillé, moins fini que le premier. Il y a cependant un vers, dans le premier acte, qui m'a fait naître un doute : je ne sais si l'usage veut qu'on dise écraser des étincelles; j'ai cru qu'il fallait dire éteindre ou étouffer des étincelles.a

Souvenez-vous, je vous prie, de ce beau vers :

Et vers la vérité le doute les conduit.b

Toujours sais-je bien que mes sens sont affectés d'une manière bien plus aimable par les magnifiques vers de vos Musulmans que par les massacres que ces barbares font à Belgrad de nos pauvres Allemands.

Quand, de soufre enflammés, deux nuages affreux,
Obscurcissant les cieux et menaçant la terre,
Agités par les vents dans leur cours orageux,
De leurs flancs entr'ouverts vomissant le tonnerre,
D'un choc impétueux se frappent dans les airs,
Semblent nous abîmer aux gouffres des enfers,
La nature frémit; ce bruit épouvantable
Paraît dans le chaos plonger les éléments,
Et du monde ébranlé les fondements durables
Craignent, en tressaillant, pour ses derniers moments.

Ainsi, quand le démon, altéré de carnage,
Sous ses drapeaux sanglants rassemble les humains;
Que la destruction, la mort, l'aveugle rage,


a Voltaire a fait cette correction.

b Voyez ci-dessus, p. 234 et 275.