<261>

64. AU MÊME.

Remusberg, 14 septembre 1738.

Mon cher ami, je viens de recevoir dans ce moment votre lettre du ... août, qui, par malheur, arrive après coup. Il y a plus de quinze jours que nous sommes de retour du pays de Clèves, ce qui rompt entièrement votre projet.

Je reconnais tout le prix de votre amitié et des attentions obligeantes de la marquise. Il ne se peut assurément rien de plus flatteur que l'idée de la divine Émilie. Je crois cependant que, malgré l'avantage d'une acquisition et l'achat d'une seigneurie, je n'aurais pas joui du bonheur ineffable de vous voir tous les deux.

On aurait envoyé à Ham quelque conseiller bien pesant, qui aurait dressé très-méthodiquement et très-scrupuleusement l'accord de la vente, qui vous aurait ennuyés magnifiquement, et qui, après avoir usé des formalités requises, aurait passé et parafé le contrat; et pour moi, j'aurais eu l'avantage de questionner à son retour monsieur le conseiller sur ce qu'il aurait vu et entendu, qui, au lieu de me parler de Voltaire et d'Émilie, m'aurait entretenu d'arpents de terre, de droits seigneuriaux, de priviléges, et de tout le jargon des sectateurs de Plutus.

Je crois que si la marquise voulait attendre jusqu'à la mort de l'Électeur palatin, dont la santé et l'âge menacent ruine, elle trouverait plus de facilité alors à se défaire de cette terre qu'à présent.

J'ai dans l'esprit, sans pouvoir trop dire pourquoi, que le cas de la succession viendra à exister le printemps prochain. Notre marche au pays de Berg et de Juliers en sera une suite immanquable; la marquise ne pourrait-elle point, si cela arrivait, se rendre sur cette seigneurie voisine de ces duchés? et le digne Voltaire ne pourrait-il point faire une petite incursion jusqu'au camp prussien? J'aurais