<294> vous perdez plus en prolongeant vos jours qu'en finissant votre carrière. Mais, mon cher Suhm, n'oubliez pas la tendresse que vous devez à un nourrisson que vous n'avez pas encore sevré dans l'école de la philosophie. Que serais-je devenu? car je sens que j'ai besoin de vos yeux pour voir, et que, perdant de vue mon guide, je cours risque de m'égarer. La seule pensée de votre mort me sert d'argument pour prouver l'immortalité de l'âme; car serait-il possible que cet être qui vous meut, et qui agit avec autant de clarté, de netteté et d'intelligence en vous, que cet être, dis-je, si différent de la matière et du corps, cette belle âme, douée de tant de vertus solides et d'agréments, cette noble partie de vous-même qui fait les délices de notre société, ne fût pas immortelle? Non certes, je le soutiendrais sur les bancs même, s'il le fallait, que, quand la plus grande partie du monde serait périssable et anéantie, vous, Voltaire, Boileau, Newton, Wolff, et encore quelques génies de cet ordre, doivent être immortels. Je vous demande bien pardon de vous dire des vérités qui, comme je crains, choqueront votre modestie. Mais aussi peu qu'une personne colérique est capable de vaincre le premier mouvement de la passion qui l'emporte, aussi peu le suis-je aujourd'hui de modérer majoie et l'effusion de mon cœur au sujet de votre convalescence et de ce que je pense de vous. J'ai du moins la satisfaction de vous l'avoir dit une bonne fois. J'aurais bien des choses encore à vous dire au sujet de ce testament, qui m'a pensé arracher des larmes. L'on ne doit pas rougir de verser des pleurs en pareille occasion; l'insensibilité est le principe de l'inhumanité et de la barbarie, un cœur tendre est le fondement de la vertu. Je vous suis très-obligé des cahiers qui accompagnent votre lettre; je les lirai avec d'autant plus de plaisir, que c'est le premier ouvrage qu'aient produit vos forces convalescentes. Je continue à lire Wolff avec la plus grande application, et je tâche de m'inculquer ses propositions le plus profondément que je puis. Il est bon de faire souvent de pareilles lectures, car elles sont d'un double usage : elles instruisent