<73> des usages étrangers; qu'il ne fallait jamais se départir de ses vieilles coutumes, fussent-elles même mauvaises; et qu'enfin ces menuets corrompraient les mœurs; ce qui échauffa si fort la dispute, que tout le monde parla en même temps, que chacun voulait avoir raison, que les moins emportés préludaient sur les grosses paroles, et qu'enfin on fut obligé de dissoudre le conseil. Le lendemain, il se rassembla pour reprendre les mêmes délibérations. L'enthousiasme avait diminué pendant cet intervalle, et il s'était formé un parti pacifique. Ces esprits conciliants proposèrent, pour contenter tout le monde, de permettre qu'on jouât le menuet qui était en mineur, à l'exclusion de l'autre; mais, quoique ce tempérament ne fût pas reçu, parce qu'il était raisonnable, cela ne les empêcha pas de hasarder une autre proposition, qui fut de jouer les menuets sans les danser. Ceci fut rejeté avec une majorité de voix considérable, et l'on assure qu'il y a à présent sous presse une espèce de manifeste où l'on expose les raisons qu'on a eues de ne point faire exécuter les menuets. Cette démarche pourra avoir des suites de la plus grande conséquence. Comme cela peut intéresser l'Europe, et surtout votre curiosité, je serai attentif à m'informer de ce qui se traitera ultérieurement. Il est certain que la cour est fort occupée de cette affaire, ce qui est fort naturel quand on réfléchit à son importance : un menuet peut devenir une chose grave. Combien d'exemples de ce genre ne pourrais-je pas vous citer! Une coiffure que la reine Anne d'Angleterre marchanda, et qui fut achetée par mylady Marlborough, rompit cette formidable association de souverains qui faisaient la guerre à la France, et causa la paix que la reine Anne fit en 1713.a Une révérence que César oublia de faire aux sénateurs qui s'assemblaient au temple de la Concorde détermina Brutus à conspirer contre lui. Une pomme ne fut-elle pas la cause de tous les malheurs qui arrivèrent à la postérité des premiers habitants du paradis terrestre? Vous m'avouerez qu'un menuet vaut bien une


a Voyez t. I, p. 140; t. V, p. 185 et 186; et t. VIII, p. 171 et 322.