<72> tous les notables; il s'y est agité une chose aussi importante qu'on en ait connu de mémoire d'homme. Un musicien d'Aix en Provence envoie deux menuets qu'il a mis dix ans à composer, et demande qu'ils soient joués au carnaval. Ceci paraîtra frivole à des esprits superficiels; mais nous autres politiques, qui entendons finesse à tout, et qui poursuivons les conséquences jusqu'à leurs dernières conclusions, nous sommes trop profonds pour traiter cette affaire en bagatelle. Cette prétention, mise en délibération, partagea le conseil; il y eut un parti pour les menuets, et un autre que formèrent les opposants. Ceux qui étaient pour les menuets ont soutenu qu'on devait les jouer pour encourager par cette distinction ceux qui veulent du bien à une certaine puissance, dont le nombre malheureusement n'est pas trop grand. Les opposants répliquèrent que c'était contre la gloire de la nation de faire jouer des menuets étrangers, lors même qu'on en faisait tant de nouveaux dans le royaume; à quoi les autres répondirent que ces menuets pouvaient être bons, quoique faits ailleurs, et que des amateurs des arts devaient avoir plus d'égard à la science qu'à la patrie, ou au lieu d'où les menuets leur étaient venus. Ces raisons ne persuadèrent point les opposants, et ils soutinrent que ces menuets devaient être traités comme de la contrebande. Les menuétistes se récrièrent beaucoup contre cette décision, et s'efforcèrent de démontrer qu'en cas qu'on traitât des menuets étrangers de contrebande, on autoriserait par là les autres nations à prohiber de même toutes les productions que leur fournissait la Prusse; que gêner le commerce, c'était le perdre; et qu'enfin les autres puissances ne souffriraient pas de sang-froid qu'on se donnât les airs d'exclure leurs menuets des danses et des fêtes. Sur quoi leurs antagonistes s'échauffèrent, en soutenant qu'il fallait toujours sacrifier l'intérêt et toute autre considération à la gloire; que c'était contre la dignité d'une cour de danser après d'autres sons que ceux de chez soi; que les menuétistes étaient des novateurs qui voulaient introduire dans le pays