<162> bonze reprit avec un air de contrition qu'il voyait, à son grand regret, que nous serions damnés, et qu'il n'y avait point de salut pour ceux qui n'honoraient pas aveuglément les bonzes, et ne croyaient pas stupidement tout ce qu'il leur plaisait de leur dire. Je ne sais si c'est une opinion particulière à celui dont je viens de parler, ou si c'est la foi commune suivie en général. Le peu de temps que je suis ici ne m'a pas permis de m'en instruire; je te supplie en toute humilité de te donner quelque patience, et tu seras content des relations de ton esclave.

LETTRE DEUXIÈME.

J'ai été aujourd'hui dans le grand temple des chrétiens, et je t'annoncerai des choses, sublime empereur, que tu auras peine à croire, et que je ne puis me persuader à moi-même, quoique je les aie vues. Il y a dans ce temple un grand nombre d'autels, devant chaque autel un bonze. Chacun de ces bonzes, ayant autour de lui le peuple prosterné, fait un Dieu; et ils prétendent que tant de Dieux qu'ils font, en marmottant de certaines paroles mystiques, sont tous le même. Je ne m'étonne pas qu'ils le disent; mais ce qui est inconcevable, c'est que le peuple en est persuadé. Ils ne s'arrêtent pas en si beau chemin : quand ce Dieu est fait, ils le mangent. Le grand Confutzé aurait trouvé blasphématoire et scandaleux un culte aussi singulier. Il y a parmi eux une secte qu'ils appellent des dévots, qui se nourrissent presque journellement du Dieu qu'ils font, et ils pensent que c'est le seul moyen d'être heureux après cette vie. Il y a dans ce temple un grand nombre de statues auxquelles on fait des révérences, et que l'on invoque. Ces statues muettes ont une voix au ciel, et recom-