<163>mandent au Tien ceux qui dans ce monde-ci sont leurs plus serviles courtisans; et tout cela se croit de bonne foi.

En revenant chez moi, je fis conversation avec un homme sensé qui, remarquant ma surprise de tout ce que j'avais vu, me dit : Ne voyez-vous pas qu'il faut quelque chose, en toute religion, qui en impose au peuple? La nôtre est précisément faite pour lui; on ne peut point parler à sa raison, mais on frappe ses sens; et en l'attachant à un culte chargé, si vous le voulez, on le soumet à des règles et à la pratique des bonnes mœurs. Examinez notre morale, et vous verrez. Sur quoi il me donna un livre écrit par un de ses lettrés, où je trouvai à peu près tout ce qu'on nous enseigne de la morale de Confutzé. Je commençai à me raccommoder avec les chrétiens; je vis qu'il ne faut pas juger légèrement par les apparences, et je donnai bientôt dans l'excès contraire. Si, disais-je, cette religion a une morale si excellente, sans doute que ces bonzes sont tous des modèles de vertu, et que le grand lama doit être un homme tout divin. Rempli de ces idées, je me promenai le soir à la place d'Espagne, où je fus accueilli par un homme qu'on me dit être un Portugais. Il fut fort surpris d'apprendre que j'étais Chinois et que je voyageais; il me fit quelques questions sur mon pays, auxquelles je répondis le mieux que je pus, ce qui m'engagea de lui en faire également sur le sien. Il me dit que son roi était au bout occidental de l'Europe, que son pays n'était pas grand, mais qu'il avait de grandes possessions en Amérique, qu'il était le plus riche des princes, parce qu'il avait plus de revenu qu'il ne lui était possible d'en dépenser. Je lui demandai s'il voyageait, ainsi que je le faisais, pour s'instruire, ou quelle raison avait pu l'obliger à quitter un pays aussi riche pour venir dans celui-ci, où il n'y a que les églises de magnifiques, et d'opulents que ces bonzes qui ont fait vœu de pauvreté. C'est mon roi qui m'y envoie, me dit-il, pour certaine affaire qu'il a avec le grand lama. - C'est sans doute pour son âme, repris-je, car un bonze m'a assuré qu'il avait hypothèque sur