<245>S'il gouverne lui seul, c'est un prince jaloux,
« Têtu, capricieux, qui ne suit que ses goûts; »
Commet-il de l'État le soin à ses ministres,
« Pourquoi tolère-t-il tous leurs complots sinistres? »
A-t-il des favoris, « son faible fait pitié; »
N'en a-t-il point, « ce prince est sourd à l'amitié. »
L'un est trop remuant, l'autre craint la fatigue,
L'économe est vilain, le libéral, prodigue,
Et le galant surtout passe pour débauché.
Tel est de notre état le portrait ébauché.
Comment joindre, Darget, tout grands rois que nous sommes,
Les vertus qu'ont les dieux aux faiblesses des hommes?
L'humanité n'a point tant de perfections;
Si nous voulons des rois privés de passions,
Dont la tranquillité ne saurait être émue,
Allons, qu'Adam 24 travaille, et fasse une statue.
Et pourquoi se flatter d'apaiser ces frondeurs?
César eut ses jaloux, Titus eut ses censeurs.
Veux-tu savoir pourquoi la cruelle satire
S'acharne sur les rois, et toujours les déchire?
C'est que, par son penchant aimant la liberté,
L'homme hait un pouvoir qui n'est point limité,a
Et du maître au sujet la grande différence,
Rabaissant son orgueil, blesse son arrogance;
L'un se dit en secret : « Je condamne le Roi,
Il n'a jamais l'esprit de penser comme moi; »
Un autre dit tout haut : « Si j'étais dans sa place,
Notre gouvernement aurait une autre face. »
Vois-tu ce peuple abject d'obérés mécontents,


24 Sculpteur du Roi.

a Qui n'est pas limité. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 330.)