<88>d'une félicité ineffable. Moïse, pour encourager ses Juifs à des actions bonnes et louables, leur annonça des bénédictions ou des peines temporelles. La religion chrétienne, qui s'éleva sur les ruines de la judaïque, atterra les crimes par des punitions éternelles, et encouragea à la vertu par l'espérance d'une béatitude infinie; non contente de ces ressorts, se proposant d'atteindre au dernier degré de perfection possible, elle prétendit que l'amour de Dieu devait seul servir de principe aux bonnes actions des hommes, quand même il n'y aurait ni peines ni récompenses à attendre dans une autre vie.

Nous devons convenir que les sectes des philosophes ont formé des hommes du plus grand mérite; nous convenons de même que du sein du christianisme il est sorti des âmes pures et remplies de sainteté. Néanmoins, par une suite du relâchement des philosophes et des théologiens, et par la perversité du cœur humain, il est arrivé que ces différents motifs d'encouragement à la vertu n'ont pas continué de produire les bons effets auxquels on s'attendait. Combien de philosophes qui ne l'étaient que de nom, chez les païens! Il n'y a qu'à jeter les yeux sur Lucien pour se convaincre du peu de réputation où ils étaient de son temps. Que de chrétiens qui dégénérèrent, et qui corrompirent l'ancienne pureté des mœurs! La cupidité, l'ambition, le fanatisme remplirent des cœurs qui faisaient profession de renoncer au monde, et pervertirent ce que la simple vertu avait établi. De pareils exemples fourmillent dans l'histoire. Enfin, si l'on excepte quelques reclus aussi pieux qu'inutiles à la société, les chrétiens de nos jours ne sont pas préférables aux Romains du temps des Marius et des Sylla; bien entendu que je borne uniquement ce parallèle à la comparaison des mœurs.

Ces réflexions et de semblables m'ont conduit à rechercher les causes qui ont influé sur cette étrange dépravation du genre humain. Je ne sais s'il m'est permis de hasarder mes conjectures sur des matières aussi importantes; mais il me paraît qu'on s'est peut-être trompé dans le choix des motifs qui devaient porter les hommes à la vertu. Ces motifs, ce me semble, avaient le défaut de n'être point à la portée du vulgaire. Les stoïciens ne s'aperçurent pas que l'admiration est un sentiment forcé dont l'impres-