<71>heureusement pour nous, cette idée ne leur est pas venue; ils ont la grâce d'approuver la rime et de la trouver même nécessaire à la versification française. Nous sommes humiliés de ce qu'ils promulguent leurs lois si sèchement sans les motiver. Nous devions nous flatter qu'ils auraient employé leur esprit philosophique à examiner si c'est la rime ou le mètre qui rendent nos grands vers monotones. S'il y a quelque chose qui peine à la longue dans la lecture de ces vers, c'est le retour perpétuel de la même cadence, inconvénient auquel il serait facile d'obvier par le mélange de différents mètres. Nous pensions que nos pédagogues auraient fait quelque réflexion physique prise des sens par rapport à la rime, qu'ils auraient justifié le sentiment du plus grand poëte de nos jours. Le peintre et le sculpteur doivent travailler pour les yeux, le poëte et le musicien, pour les oreilles; chaque artiste est adressé au tribunal du sens pour lequel il travaille. C'est donc aux oreilles et non aux yeux à juger de la rime. Mais des géomètres qui prostitueraient leur génie à ces détails croiraient employer la massue d'Hercule pour écraser des cirons. Ces mêmes géomètres prétendent bannir la poésie de la musique et la remplacer par une prose cadencée. Nous avons lieu de croire qu'ils étaient en extase de l'harmonie des sphères célestes quand cette pensée leur est échappée. Ce n'est pas de la prose qu'il faut à la musique, mais, s'il faut le dire, des vers dont les rimes soient toutes masculines; nous qui n'imposons pas des lois en despotes, nous sommes obligés de rendre raison de nos opinions. Voici les miennes. Dans la déclamation, l'e muet ne choque point l'oreille, parce que la langue française n'appuie pas sur la dernière syllabe. Il n'en est pas ainsi de la musique; la note jointe sur la dernière syllabe oblige d'appuyer, et cette espèce de tenue rend l'e muet, qui de soi-même est sourd, désagréable et choquant.

Nos géomètres nous ramènent pour la seconde fois leur vieillard sur la scène. Comme il paraît que c'est leur argument favori, examinons-le attentivement, et voyons si en effet il peut prouver contre la poésie. Pour prouver que la poésie n'est qu'un amusement frivole, il faudrait que dans tout l'univers, à un certain âge de raison, tout le monde se dégoûtât de la poésie, comme les enfants, des poupées, sans que des choses étrangères s'en mê-