<232>vos peines et vos soins, vous n'en risquez pas moins d'être négligé, même d'encourir quelque disgrâce, sans qu'il y ait de votre faute. Ma réponse à cet article est bien aisée. Je suis convaincu que vous avez du mérite : faites-le connaître. Sachez que dans notre siècle, ainsi que dans les précédents, quand il se fait de belles actions, on y applaudit. Tout l'univers n'a eu qu'une voix au sujet du prince Eugène; on admire encore ses talents, ses vertus et ses grands exploits. Lorsque le comte de Saxe eut terminé la glorieuse campagne de Laeffelt,a tout Paris lui témoigna sa reconnaissance. La France n'oublie point les obligations qu'elle doit au ministère de Colbert; la mémoire de ce grand homme durera plus longtemps que le Louvre. L'Angleterre se glorifie de Newton, l'Allemagne, de Leibniz. Voulez-vous des exemples plus modernes? La Prusse honore et vénère le nom de son grand chancelier Cocceji, qui réforma ses lois avec tant de sagesse.b Et que vous dirai-je de tant de grands hommes qui ont mérité qu'on érigeât leur statue dans les places publiques de Berlin?c Si ces illustres morts avaient pensé comme vous, la postérité ignorerait à jamais leur existence.

Vous ajoutez que tant de personnes sollicitent des emplois, qu'il serait inutile de vous mettre sur les rangs. Voici en quoi consiste le défaut de votre raisonnement. Si tout le monde pensait comme vous, il en résulterait nécessairement que toutes les places demeureraient vides, et par conséquent tous les emplois vacants. Vos principes ne tendent donc, s'ils étaient généralement reçus, qu'à introduire des abus intolérables dans la société. Enfin, supposons que par une injustice criante, après vous être acquitté de votre charge, il vous arrivât quelque disgrâce : ne vous reste-t-il pas une grande consolation dans le bon témoignage de votre conscience, qui seule peut vous tenir lieu de tout, outre que la voix publique vous rendra également justice? Si vous le voulez, je vous citerai une foule d'exemples de grands hommes dont le


a Voyez t. IV, p. 14.

b Voyez t. IV, p. 2, et ci-dessus, p. 33 et 34.

c La statue du Grand Électeur a été élevée en 1703, celle du maréchal de Schwerin en 1769, celle du général de Winterfeldt en 1777, celle du général de Seydlitz en 1784, celle du maréchal Keith en 1786, celle du général de Zieten en 1794, et celle du prince Léopold d'Anhalt-Dessau en 1800.