<233>malheur loin de diminuer a augmenté la réputation. En voici pris des républiques. Dans la guerre que Xerxès fit aux Grecs, Thémistocle sauva doublement les Athéniens, en leur faisant abandonner leurs murailles, et en gagnant la fameuse bataille de Salamine; il releva ensuite les murs de sa patrie, et construisit le port du Pirée. Cela n'empêcha pas qu'il ne fût banni par le ban de l'ostracisme. Il soutint son infortune avec grandeur d'âme, et loin que sa réputation en souffrît, elle s'en augmenta plutôt, et son nom est souvent cité dans l'histoire avec celui des plus grands hommes qu'ait portés la Grèce. Aristide, nommé le Vertueux, essuya un sort à peu près semblable : il fut banni, puis rappelé, toujours également estimé pour sa sagesse, ce qui fut cause qu'après sa mort les Athéniens accordèrent une pension à ses filles, qui manquaient de subsistance. Vous rappellerai-je encore l'immortel Cicéron, qui fut exilé par une cabale pour avoir sauvé sa patrie? Vous rappellerai-je toutes les violences que Clodius, son ennemi, exerça contre ce consul et contre ses proches? Cependant la voix unanime du peuple romain le rappela; il s'en exprime lui-même ainsi : « Je ne fus pas simplement rappelé; mes concitoyens me rapportèrent à Rome comme sur leurs épaules, et mon retour dans ma patrie fut un véritable triomphe. »a Le malheur ne saurait avilir le sage, parce qu'il peut tomber également sur les bons comme sur les mauvais citoyens; il n'y a que les crimes, si nous en commettons, qui nous diffament. Ainsi, bien loin que les exemples de la vertu persécutée vous servent de bride et vous empêchent de vous signaler, laissez-vous plutôt exciter par mes éperons. Je vous encourage à remplir vos devoirs, à mettre vos bonnes qualités au jour, à témoigner par des effets que votre cœur est reconnaissant envers la patrie, enfin à courir la carrière de la gloire, dans laquelle vous êtes digne de paraître. Je perdrai mon temps et mes peines, ou je vous persuaderai que mes sentiments sont plus justes que les vôtres, et les seuls qui soient convenables à un homme de votre naissance. J'aime ma patrie de cœur et d'âme; mon éducation, mes biens, mon existence, je tiens tout d'elle; aussi quand même j'aurais mille vies, je les lui sacrifierais toutes avec plaisir, si je pouvais


a Oratio post reditum in senatu, chap. XI et XV.