<52>les gens de lettres; on sait que Pétrarque fut couronné poëte, et que la mort ravit au Tasse l'honneur d'être couronné dans ce même Capitole où jadis avaient triomphé les vainqueurs de l'univers. Louis XIV, avide de tout genre de gloire, ne négligea pas celui de récompenser ces hommes extraordinaires que la nature produisit sous son règne; il ne se borna pas à combler de bienfaits Bossuet, Fénelon, Racine, Despréaux; il étendit sa munificence sur tous les gens de lettres, en quelque pays qu'ils fussent, pour peu que leur réputation fût parvenue jusqu'à lui.

Tel est le cas qu'ont fait tous les âges de ces génies heureux qui semblent ennoblir l'espèce humaine, et dont les ouvrages nous délassent et nous consolent des misères de la vie. Il est donc bien juste que nous payions aux mânes du grand homme dont l'Europe déplore la perte, le tribut d'éloges et d'admiration qu'il a si bien mérité.

Nous ne nous proposons pas, messieurs, d'entrer dans le détail de la vie privée de M. de Voltaire. L'histoire d'un roi doit consister dans l'énumération des bienfaits qu'il a répandus sur ses peuples, celle d'un guerrier, dans ses campagnes, celle d'un homme de lettres, dans l'analyse de ses ouvrages : les anecdotes peuvent amuser la curiosité; les actions instruisent. Mais comme il est impossible d'examiner en détail la multitude d'ouvrages que nous devons à la fécondité de M. de Voltaire, vous voudrez bien, messieurs, vous contenter de l'esquisse légère que je vous en tracerai, me bornant, d'ailleurs, à n'effleurer qu'en passant les événements principaux de sa vie. Ce serait donc déshonorer M. de Voltaire que de s'appesantir sur des recherches qui ne concernent que sa famille. A l'opposé de ceux qui doivent tout à leurs ancêtres et rien à eux-mêmes, il devait tout à la nature; il fut seul l'instrument de sa fortune et de sa réputation. On doit se contenter de savoir que ses parents, qui avaient des emplois dans la robe, lui donnèrent une éducation honnête; il étudia au collége de Louis le Grand, sous les pères Porée et Tournemine, qui furent les premiers à découvrir les étincelles de ce feu brillant dont ses ouvrages sont remplis.

Quoique jeune, M. de Voltaire n'était pas regardé comme un enfant ordinaire : sa verve s'était déjà fait connaître; c'est ce qui l'introduisit dans la maison de madame de Rupelmonde. Cette dame, charmée de la vivacité d'esprit et des talents du jeune poëte, le produisit dans les meilleures sociétés de Paris; le grand monde devint pour lui l'école où son goût acquit ce tact fin, cette politesse et cette urbanité à laquelle n'atteignent jamais ces savants érudits et solitaires qui jugent mal de ce qui peut plaire à la société raffinée, trop éloignée de leur vue pour qu'ils puissent