19. AU COMTE DE MANTEUFFEL.

Le 8 avril 1736.

Je ne saurais assez vous témoigner les obligations que je vous ai des peines que vous vous donnez pour m'instruire. Je crains véritablement quelquefois que la correspondance que vous avez commencée avec moi ne vous soit trop à charge. Mais, d'un autre côté, il me semble que des personnes qui joignent, comme vous, dans un degré de perfection les talents à l'acquis doivent quelque chose au public. C'est pourquoi, sans craindre que les peines que vous prenez de faire mon Quinze-Vingt ne soient peines perdues, vous êtes obligé en conscience de vous les donner pour rendre service à votre patrie. Je souhaiterais, de mon côté, de pouvoir en profiter avec autant d'empressement que vous en avez pour m'enseigner.

Ne croyez pas que Mars me fasse faire divorce avec les Muses. Je crois que l'on peut leur rendre leurs cultes séparément, sans <458>que l'un soit empêché par l'autre. Marque de cela, je suis actuellement à pâlir sur l'Épître que je vous destine, et qui tend à sa fin. Comme je ne prétends pas de primer par la poésie, je vous l'enverrai avec toutes ses défectuosités.

Si la grammaire que vous me faites le plaisir de m'envoyer a pu augmenter vos connaissances, quel profit n'en dois-je pas attendre! Je vous en ai mille obligations; je vous assure que je m'appliquerai avec beaucoup d'assiduité à corriger mon orthographe et une infinité d'autres fautes que je commets contre la grammaire; et quel plaisir de pouvoir alors, sans laisser lieu au moindre sens équivoque, vous assurer de la haute estime que j'ai pour vous!

Voici les Mémoires de la calotte; j'en ai lu les endroits qui me paraissaient les plus curieux; mais, en les lisant, je me suis ressouvenu de les avoir déjà parcourus autrefois. Je ne ferai pas mauvais usage de ce que j'en ai lu; au contraire, cela sera enseveli dans un silence éternel. Les sermons que vous m'envoyez arrivent l'on ne peut au monde plus à propos. Vous saurez que c'est aujourd'hui dimanche, et que, les ministres de cet endroit, ainsi que bien d'autres choses, n'étant pas des plus excellents, je me prêche souvent moi-même. C'est ordinairement le sieur Saurin qui me dit mes petites vérités; ce sera le sieur Formey qui, pour le coup, prendra sa place; j'espère qu'il me dira quelque chose de bien beau et de digne d'un chapelain de Quinze-Vingts.

Pour moi, qui suis votre disciple, je suis dans mille appréhensions de vous déshonorer, et de manquer en la moindre chose aux devoirs où la reconnaissance, jointe à l'estime que j'ai pour vous, m'engage. Ce sont les sentiments avec lesquels je suis et serai toute ma vie, etc.