<144>premier ouvrage théologique que j'écrirai. Enfin je me flatte de pouvoir damer le pion à Tamponnet,b à Riballierb et même à Larcher,c à toutes les plus grandes lumières de la Sorbonne. Je suis muni, outre cela, d'une cinquantaine de distinctions les plus subtiles, les plus fines et. les plus propres à couvrir d'obscurités les vérités les plus claires. Fier d'aussi belles études, et rempli d'une noble audace, je n'aspire pas à moins qu'à devenir docteur de Sorbonne à mon tour; et après avoir déjà donné des preuves de ma science par l'ouvrage de Barbe-bleue, je compte de parvenir à la charge de commentateur en titre de la sacrée faculté. Charles-Quint se retira au couvent de Saint-Just, et la Sorbonne deviendra l'asile de mes vieux jours; elle me tiendrait lieu de purgatoire, je quitterais Riballier et Patouilleta pour Abraham, Isaac et Jacob; accoutumé à m'ennuyer avec les docteurs, je me ferais à l'ennui des patriarches, et je détonnerais moins en chantant l'éternel alleluia. Plein du beau zèle qui m'anime, et dévoré du désir de faire des prosélytes, je vous propose d'entrer avec moi en Sorbonne; je commenterai leurs billevesées, et vous calculerez leurs sottises, si vous ne manquez point de chiffres pour les nombrer.

Il faudra s'y prendre adroitement pour arracher de nos prêtres une messe et un service pour Voltaire; les Allemands ne connaissent son nom que comme celui d'un athée, d'un Vanini, d'un Spinoza, et il faudra négocier pour amener cette messe à une fin heureuse. La Sorbonne soutiendra également qu'il est damné et dévolu à l'empire du prince des ténèbres. Hélas! leurs plaies saignent encore, et l'aiguillon de la plaisanterie y est enfoncé si profondément, que la vive douleur qu'ils en ressentent n'est pas apaisée, et ne s'apaisera de sitôt; car quiconque attaque l'Église


b Voyez t. XXIV, p. 634.

c Pierre-Henri Larcher, né en 1726, mort en 1812, traducteur d'Hérodote, publia en 1767 un Supplément à la Philosophie de l'histoire (de Voltaire). En réponse à cet écrit, Voltaire publia la Défense de mon oncle; Larcher y répliqua par la Réponse à la Défense de mon oncle, précédée de la relation de la mort de l'abbé Bazin (nom sous lequel Voltaire avait publié sa Philosophie de l'histoire), 1767. Voyez notre t. XXIII, p. 163.

a Le père Louis Patouillet n'est guère connu que par ses démêlés avec Voltaire.