<84>aurez le plaisir de faire un couplet malin sur mon tombeau, et je ne m'en fâcherai pas; je vous en donne l'absolution d'avance. Vous ne ferez pas mal de préparer les matières dès à présent; peut-être les pourrez-vous mettre en œuvre plus tôt que vous ne le croyez. Pour moi, je m'en irai là-bas raconter à Virgile qu'il y a un Français qui l'a surpassé dans son art. J'en dirai autant aux Sophocle et aux Euripide; je parlerai à Thucydide de votre Histoire, à Quinte-Curce de votre Charles XII; et je me ferai peut-être lapider par tous ces morts jaloux de ce qu'un seul homme a réuni en lui leurs mérites différents. Mais Maupertuis, pour les consoler, fera lire dans un coin l'Akakia à Zoïle.

Il faut mettre un rémora dans les lettres que l'on écrit à des indiscrets; c'est le seul moyen de les empêcher de les lire aux coins des rues et en plein marché.

378. DE VOLTAIRE.a

(Aux Délices) 3 juin 1760.

Sire, le vieux Suisse bavard prend peut-être mal son temps; mais il sait que V. M. peut, en donnant bataille, lire des lettres et y répondre.

Je ne savais d'abord ce que voulait dire le petit article de votre main, touchant les gens qui lisent des lettres dans les rues et dans les marchés.

1o Je ne vais jamais dans les rues, je ne vais jamais à Genève.

2o Il n'y a dans Genève que des gens qui se feraient hacher pour V. M. Nous avons un cordonnier qui bat sa femme quand il vous arrive quelque échec; et mon serrurier, qui est Allemand, dit qu'il tordrait le cou à sa femme et à ses trois enfants pour votre prospérité. Il faut, dit-il, avoir bien peu de rellichion pour penser autrement.


a Cette lettre est tirée du journal Der Freymüthige, 1803, p. 29 et 30.