<195>

439. A VOLTAIRE.

Potsdam, 28 mars 1771.a

J'ai eu le plaisir de recevoir deux de vos lettres. L'apparition que le roi de Suède a faite chez nousb m'a empêché de vous répondre plus tôt.

J'avais donc deviné que ce beau Testament n'était pas de vous. On vous a fait le même honneur qu'au cardinal de Richelieu, au cardinal Albéroni, au maréchal de Belle-Isle, etc., de tester en votre nom. Je disais à quelqu'un qui me parlait de ce Testament que c'était une œuvre de ténèbres, que l'on n'y reconnaissait ni votre style, ni les bienséances que vous savez si supérieurement observer en écrivant pour le public; cependant bien du monde, qui n'a pas le tact assez fin, s'y est trompé; et je crois qu'il ne serait pas mal de le désabuser.

J'ai donc vu ce roi de Suède, qui est un prince très-instruit, d'une douceur charmante, et très-aimable dans la société. Il aura été charmé, sans doute, de recevoir vos vers; et j'ai vu avec plaisir que vous vous souveniez encore de moi.a Le roi de Suède nous a parlé beaucoup des nouveaux arrangements qu'on prenait en France, de la réforme de l'ancien parlement, et de la création d'un nouveau. Pour moi, qui trouve assez de matières à m'occuper chez moi, je n'envisage qu'en gros ce qui se fait ailleurs. Je ne puis juger des opérations étrangères qu'avec circonspection, parce qu'il faudrait plus approfondir les matières que je ne le puis, pour en décider.

On dit que le chancelierb est un homme de génie et d'un mérite distingué; d'où je conclus qu'il aura pris les mesures les plus


a Le 1er mai 1771. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 144)

b Gustave III arriva à Potsdam le 22 avril.

a Voltaire dit dans son Épître au roi de Suède :
     

J'aurais mis mon bonheur à te faire ma cour,
A revoir Sans-Souci, ce fortuné séjour
Où règnent la Victoire et la Philosophie,
Où l'on voit le Pouvoir avec la Modestie.

Œuvres de Voltaire

, édit. Beuchot, t. XIII, p. 314.

b Maupeou. Voyez t. VI, p. 34.