<194>mille vers médiocres. D'ailleurs, je n'en laisse point tirer de copie, et jamais aucun des vers que vous m'avez daigné envoyer n'a couru; mais ceux-ci mériteraient d'être sus par cœur.

Voilà donc des pièces de comparaison que vous vous êtes laites vous-même. Voilà votre poids du sanctuaire. Pesez à ce poids tous les vers que vous ferez, et surtout avant que d'en envoyer à nos ministres; et soyez bien sûr, Sire, qu'ils ne s'intéressent pas tant à ce petit avantage, aux charmes de ce talent, et à votre personne, que moi, et que je me connais mieux en vers qu'eux.

Quand vous avez fait un morceau aussi parfait que celui que je viens de vous citer, ne sentez-vous pas, Sire, dans le fond de votre cœur, combien cet art des vers est difficile? Je vous en crois convaincu; mais si vous ne l'étiez pas, je vous prierais de relire votre lettre à Darget, que je renvoie à V. M. soulignée et chargée de notes. Ne croyez pas que j'aie tout remarqué. Dites-vous à vous-même tout ce que je ne vous dis point. Examinez ce que j'ose vous dire, et puis, Sire, si vous l'osez, accusez-moi d'en user avec trop de douceur.

Pourquoi vous parlé-je aujourd'hui si franchement? pourquoi vous fais-je des critiques si détaillées? pourquoi dorénavant vous traiterai-je durement (si cela ne déplaît pas à la Majesté)? C'est que vous en êtes digne; c'est que vous faites en effet des choses excellentes, je ne dis pas excellentes pour un homme de votre rang, qu'on loue d'ordinaire comme on loue les enfants; je dis excellentes pour le meilleur de nos académiciens. Vous avez un prodigieux génie, et ce génie est cultivé. Mais si, dans l'heureux loisir que vous vous êtes procuré avec tant de gloire, vous continuez à vous occuper des belles-lettres; si cette passion des grandes âmes vous dure, comme je l'espère; si vous voulez vous perfectionner dans toutes les finesses de notre langue et de notre poésie, à qui vous faites tant d'honneur, il faudrait que vous eussiez la bonté de travailler avec moi deux heures par jour, pendant six semaines ou deux mois; il faudrait que je fisse avec V. M. des remarques critiques sur nos meilleurs auteurs. Vous m'éclaireriez sur tout ce qui est du ressort du génie, et je ne vous serais pas inutile sur ce qui dépend de la mécanique, et sur ce qui appartient au langage, et surtout aux différents styles. La connaissance